Le Cadran de la volupté ou les Aventures de Chérubin/09

Le Sérail  ►
Seconde partie




LE CADRAN
DE LA VOLUPTÉ,
OU
LES AVENTURES
DE CHÉRUBIN.

Seconde Partie.


Après cinq ans de silence, je reprends la plume, pour faire part à ceux qui ont lu la première partie de mes aventures, de celles qui me sont de nouveau arrivées, depuis mon retour de l’Amérique.

On croira aisément que les excès auxquels je m’étais livré avec la R… et la charmante J. P… m’avaient exténué, et que transporté tout-à-coup, dans un pays où les mœurs, les habitudes et le climat m’étaient insuportables, j’en suis revenu dans un état encore plus pitoyable que celui où je fus réduit, lors de mon exil.

Mais que ne peut la jeunesse sur un corps bien constitué ! La satisfaction de l’ame et la tranquillité de l’esprit sont les meilleurs médecins du corps. A peine eus-je respiré pendant quelques mois, l’air de mon pays, que je vis s’effacer de mon souvenir tous les chagrins.

Je n’avais alors que vingt ans. Je sentis renaître les désirs dans mon cœur que j’avais cru pour toujours insensible.

Mon corps décharné et ne présentant que l’image de la dissolution, reprit bientôt son embonpoint. J’étais devenu un nouvel homme. Mes traits n’avaient changé que pour prendre un air plus mâle. Je n’étais plus cet efféminé Chérubin à qui, sous un costume de femme, on eût conté fleurette ; ma taille avait acquis plus d’élévation. La barbe avait remplacé le duvet léger qui me couvrait le menton, et j’avais, pour tout dire, le phisique d’un hercule, joint à un tempérament lascif et plein de feu. On ne doit donc pas être surpris qu’avec une construction semblable, je parcourusse de nouveau la carrière des plaisirs.

Il est des époques dans la vie qu’on se rappèle toujours avec un plaisir bien doux. Qui de nous peut oublier la femme qui l’a initié dans les mystères de l’amour ? qui ne se rappelera avec délices, ces tendres frémissemens, cette brûlante ivresse qu’on éprouve en pressant le sein de sa bien aimée ; instant de délire, d’égaremens, où les corps s’unissent, les âmes se confondent, et semblent s’envoler au séjour de l’Elisée ! Toutes les attitudes, et les scènes voluptueuses, que j’avois mises en pratique avec la R… et la charmante P… étaient aussi présentes à ma mémoire, que si elles venaient de se passer. J’avais oublié tous les maux qui en furent la suite, je ressemblais en cela à tous les hommes. On passe facilement l’éponge sur les époques les plus malheureuses de sa vie, quand elles sont suivies de quelque relâche.

Quoique sans espérance de renouer avec la R… je n’en étais pas moins vivement pressé du désir de paraître sous ses yeux. Il était douteux qu’elle me reconnut d’après les changemens qui s’étalent opérés dans toute ma personne.

Mais ma chère J. P… que je savais être son inséparable amie, n’était pas moins la pierre d’aiman qui m’attirait. Je me persuadais qu’en me remettant sur les rangs, je redeviendrais bientôt l’heureux possesseur de ses charmes. Elle aimait trop son cher petit Page, pour qu’une absence de cinq ans, l’eût tout-à-fait banni de sa mémoire.

Pouvait-elle avoir renoncé au culte d’idolâtrie qu’elle avait tant de fois prodigué à toutes les parties de mon être, et que je lui avais rendu, et ne pas chercher dans son esprit inventif des moyens de faire renaître nos secrètes entrevues ?

Je sortis un jour rempli de ces idées, je pris machinalement la route, de Versailles, en réfléchissant sur les événemens de ma vie. Je fus distrait de mes réflexions par la culebute d’un cabriolet qui, à la descente de Chaillot, alla heurter contre une lourde voiture de roulier.

Je m’empresse de voler au secours de ceux qu’il renferme. J’arrive assez à tems pour arrêter le cheval fougueux qui les entraîne et empêcher quelque funeste accident.

Je jète les yeux ; quelle est ma surprise ! je reconnais le chevalier B… page de la R… mon ancien camarade. Nous voir, nous précipiter dans les bras l’un de l’autre, n’est qu’un seul mouvement. Il m’apprend qu’il est possesseur d’une fortune immense qui lui est échue par la mort de son oncle le marquis de B… qu’il a résisté aux perfides sollicitations de ses amis qui avaient tous lâchement émigré ; pour porter les armes contre leur patrie ; que loin de s’être laissé séduire par leurs conseils, il s’est déclaré le défenseur des droits du peuple, qu’il est aide-de-camp du général La F… et que, si mes sentimens étaient conformes aux siens, il était prêt non seulement à m’être utile, mais encore qu’il voulait resserer les liens de l’amitié la plus étroite. Ces dispositions cadraient trop avec les miennes, pour ne pas me prêter aux désirs du chevalier B… nous nous jurâmes dès ce moment une amitié qui jusqu’à ce jour n’a été altérée par aucune circonstance.

Je demandai au chevalier B… avec le plus vif empressement, des nouvelles de la cour ; il ne fit que me dire avec quelques détails ce que je savais de sa défaveur dans l’esprit du peuple, et les événemens qui se préparaient contre elle, par cette exécrable secte connue sous le nom de jacobins. Je sus que la R… était au château de la M… avec sa suite, qu’elle était très affectée des calomnies atroces qu’on publiait sur elle et sa famille ; et que bien différente de ce qu’elle était autrefois, elle n’avait plus d’autres sociétés que celle de son mari, d’autres plaisirs que ceux qu’elle se procurait au milieu de ses aimables enfans ; et qu’elle cherchait en pratiquant toutes les vertus, à faire oublier les torts et griefs qu’elle s’était attirés par ses inconséquences. J’appris aussi des nouvelles de ma chère J. P… toujours la même, sensible, aimant le plaisir, s’y livrant avec fureur, recherchant les intrigues galantes, jouissant du présent sans craindre l’avenir, et conservant au milieu des orages politiques, cette sérénité d’ame qui est le partage ordinaire de la femme insouciante et sans morale.

Je témoignai au chevalier B… le désir de voir la famille royale, cela lui était facile, il avait ses entrées à la cour comme aide de camp du général La F… il me promit de m’introduire le lendemain au château de la M… et nous nous donnâmes rendez-vous au bois de Boulogne,

Quand deux anciens camarades se rejoignent après cinq ans d’absence, ils ne manquent pas de se faire un bon accueil. Que de choses l’on a à se dire, le cœur est plein, il a besoin de s’épancher. C’est ce que nous éprouvâmes, le chevalier B… et moi.

Nous laissâmes au domestique le soin de faire reconduire la voiture. Un fiacre vint à passer, il nous ramena à l’hôtel du chevalier où j’eus le plaisir de dîner avec lui.

Le chevalier B… savait que j’étais parti pour l’Amérique, mais il ignorait que ce fut en exil, et que ce fut la R… qui en était la cause ; j’avais toujours gardé le plus profond silence sur tout ce qui s’était passé avec elle.

Je ne manquai pas de lui annoncer que c’était à la révolution que je devais mon retour dans ma patrie, et que j’étais décidé à ne plus la quitter, n’ayant plus de bastilles à redouter. Je n’aurais jamais imaginé, me dit-il, qu’il y en eut à craindre pour vous, je vous croyais, au contraire, un de ces enfans gâtés par la fortune, qui pouviez tout obtenir d’elle. — Ah ! mon cher B… cela a existé quelques momens, et je ne m’en rapèle que comme d’un songe agréable ; le réveil a été terrible pour votre malheureux ami, c’est à la faveur dont j’étais comblé à la cour, que je dois une partie des malheurs qui m’ont ensuite accablé, la faveur des grands n’est jamais durable, elle est l’image de la rose que l’ardeur brûlante du soleil consume. J’aurai occasion de vous raconter quelque jour mes aventures, vous verrez que personne n’a été balotté plus que moi par l’inconstante femelle que nous appelons Fortune.

Le chevalier B… était gai, on sabla quelques verres de champagne, et après le diné nous allâmes achever la journée à l’Opéra.

C’était ma première excursion. Je n’étais pas encore allé au spectacle, on donnait ce jour là le fameux ballet de Psiché, grande affluence de monde. J’étais muet de surprise de me trouver dans ce monde enchanteur, le chevalier B… au contraire m’avait quitté au milieu.

Le chevalier B… avait beau m’adresser la parole, je ne répondais rien ; enfin las d’être à côté d’un automate, il disparut pour aller passer en revue les duegnes excessivement faciles et complaisantes à la vue des espèces sonnantes ; bientôt il revint m’arracher aux douces sensations que j’éprouvais pour me conduire dans une loge occupée par une pourvoyeuse que j’entendis nommer Dupré, elle était accompagnée de deux femmes dont les attraits piquans étaient capables de remuer l’âme de l’homme le plus insensible. Nous descendons avec elles sans beaucoup de cérémonies, et nous voilà partis sans avoir vu même achever la pièce.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre