Le Cadran de la volupté ou les Aventures de Chérubin/02
LE LENDEMAIN.
Point de sommeil, le cœur violemment
agité, l’esprit tendu vers l’adorable
objet de mon nouveau culte, la
nuit me parut d’une longueur insuportable,
le jour enfin parut… Quelle
journée, ce fut un siècle. Combien ne
fis-je point de conjectures ? je ne connoissais
pas celle qui causait tout ce
trouble… Eh ! qu’importe, elle est…
divine : oui, divine ! Eh ! bien, ce sera
son nom. Tourmenté par mon imagination,
sentant tout le vuide de la solitude,
pour avoir le plaisir de m’entretenir
avec elle, je me mis à lui
faire une lettre. Voici ce que je lui
écrivis.
« Etes-vous un ange, un lutin, que sais-je ? Oh ! sûrement vous n’êtes point une mortelle, car vous m’avez rendu un dieu. Seriez-vous par hazard une de ces fées bienfaisantes que j’aime tant quand je lis leurs histoires ? J’ignore ce que vous êtes ; mais ce que je sais fort bien, c’est que je vous adore. Ah ! je n’avais pas encore vécu, je ne sens mon existence que d’hier. Adieu, ange, fée… non, Divine, c’est le beau nom que vous donne mon cœur, et qui vous convient le mieux. Adieu, je tombe à vos genoux. »
Tout occupé de ma divinité, je n’avais pas encore examiné la boucle qu’elle m’avait confiée, et qui devait être confrontée avec celle que j’attendais avec tant d’impatience. Cette boucle était d’une très grande richesse, elle était d’or et garnie d’un double rang de diamans fins… cela augmenta singulièrement mon embarras. J’étais plongé dans mes rêveries, quand je vis entrer chez moi un homme chargé d’un panier plein de bouteilles. Voici du vin de Tokai qu’on vous envoie, me dit-il. — A moi ? vous vous trompez, sans doute, mon ami. — Monsieur, vous vous nommez M. D…l ? Oui. — Eh bien, c’est cela ; votre serviteur.
Il ne fut pas plutôt parti qu’un rayon de lumière vint m’éclairer ; c’est ma Divine, me dis-je à moi-même, c’est-elle qui me fait ce cadeau d’une manière détournée, sa boucle, que voici, m’annonce qu’elle est assez fortunée pour le faire ; mais… par quel moyen… qu’importe… elle est vraiment de précaution, elle veut, tout en réparant mes forces, m’en procurer de nouvelles. Que j’aurai de plaisir à les perdre encore ce soir !
Je fis un excellent diné ; je sablai une bouteille de Tokai. Oh comme j’étais disposé après ce repas ! Je sentis doubler ma puissance ; et si l’heure désirée, n’eut pas été si proche, aidé de ma fougueuse imagination qui me traçait les plaisirs passés et à venir, ma main aurait hâté, en les diminuant peut-être, les sensations après lesquelles je soupirais avec tant d’ardeur. Enfin, on frappe à ma porte, une femme s’approche, et me présente, avec la boucle, un billet conçu en ces termes : « Suis, mon bel ami, ta conductrice, hâte toi, l’amour t’attend, avec des couronnes de roses ». La personne qui devait me conduire avait une main charmante, que je baisai par reconaissance du service qu’elle me rendait ; je ne pus voir ses traits ; elle avait le visage couvert, et m’enjoignit pour mon bien de respecter son secret ; c’était l’ordre de ma belle inconnue… Je suivis mon guide, nous passâmes sur la terrasse du château au parterre du midi ; mon guide parla à l’oreille d’un homme en africaine, nous parvînmes à un cabinet artistement éclairé. Je vois Divine ; crier de joie, et sauter dans les bras l’un de l’autre, fut un acte aussi prompt que l’éclair. Pendant que nos baisers, nos amoureuses étreintes nous dédomageaient des longueurs de l’absence, la conductrice disparut, nous nous trouvâmes seuls et en sûreté. Quel bonheur !… Divine avait pour tout vêtement, une chemise de la plus belle mousseline ; je voyais à travers toutes les beautés dont j’étais idolâtre ! la scène de la veille m’avait rendu hardi : permettez ma Divine, que je baise, que je dévore ce chef-d’œuvre de la nature, ce sanctuaire de l’amour. Dieux qu’il est petit ! Que ce corail tranche merveilleusement cet albâtre… Je suis gêné, je veux me débarrasser de mes habits ; les prêtres de l’amour doivent, quand ils lui sacrifient, être nuds comme ce dieu… Déjà j’étais dans l’état de pure nature : Divine dénoue un ruban rose, le léger vêtement tombe… Ciel, que de beautés ! Vénus, sortant du sein de l’onde, ne parut jamais si belle… Je la prends dans mes bras, la presse contre mon sein, puis la renversant doucement sur une masse de coussins d’édredon, je la perce à coups redoublés du dard que l’amour lui-même conduisait, bientôt un torrent de feu inonde les secrets appas de Divine, ses beaux yeux se ferment languissamment, elle se pâme ! je succombe avec elle sous l’excès du plaisir, ma bouche erre sur la sienne, je veux receuillir ses soupirs ; sa douce haleine que je respire, est une flamme subtile qui parcourt toutes mes veines, et embrâse toutes les parties de mon corps, j’acquiers une nouvelle vie, je me remets en devoir de la perdre une seconde fois : Divine ouvre les yeux, me presse de ses beaux bras. Ah ! cher amant, me dit-elle, suspends tes coups… Mais non… plus vite… Ah !… je meurs… Plongés tous les deux dans cette extase, voluptueuse, qui suit la pure jouissance, nous nous regardions amoureusement, quand tout-à-coup Divine, poussée par un mouvement involontaire, s’élance sur la colonne d’albâtre qui lui faisait éprouver les délices de la béatitude, et la couvre de baisers. — Arrête Divine, arrête ! je succombe… Je sens qu’on pourrait mourir de plaisir… Le flambeau de l’amour étincelait de nouveaux feux, Divine se précipite sur moi, le saisit et s’en embrâse. Dieux quels mouvemens ! elle même dirigeait les miens ; sa langue voluptueuse se plongeait dans ma bouche, je m’énivrais d’ambroisie… Divine éprouva un tremblement universel, et pour la troisième fois perdit l’usage de ses sens.
Il était cinq heures du matin, déjà l’horison se couvrait d’un rideau pourpré, il fallut se quitter ; mais comme on se promit bien de se revoir la nuit suivante ! je ne pouvais m’arracher d’auprès de Divine ; vingt-fois je lui fis mes adieux, et vingt fois je retournai dans ses bras ; enfin soit que l’amour exigeât encore un sacrifice, soit que sur le sein de Divine je puisasse une nouvelle vigueur, tiens Divine, m’écriai-je, vois la puissance de tes charmes, tes beaux yeux animeraient le marbre, jouis de ton ouvrage, et de même que nous offrons aux dieux les dons que nous tenons de leur bienfaisance, de même je te fais hommage de ce que tu viens de faire naître. Bientôt j’eus placé mon offrande dans le sanctuaire de la volupté ; nos soupirs confondus furent l’encens que nous offrîmes au dieu dont nous célébrions les mystères : non, on ne peut que sentir, et l’on ne peut décrire ce que nous éprouvâmes.
Les sacrifices achevés, je voulus rendre les riches boucles qui m’avaient servi de passeport pour entrer à Gnide. — J’ai prétendu t’en faire un cadeau, me dit Divine, garde-les comme un gage de mon amour ; j’y joins ce porte-feuille, accepte mon cher cœur, je suis assez riche pour nous deux. N’épargne rien, fais de la dépense, l’amour pourvoira à tout. Adieu. Le mot Rosalba sera le signal du rendez-vous, la même personne qui t’a remis la boucle te le dira, et tu la suivras. — L’amour me prêtera ses aîles. Je volerai.