Le Cadran de la volupté ou les Aventures de Chérubin/01

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La Nuit heureuse




LE CADRAN
DE LA VOLUPTÉ,
OU
LES AVENTURES
DE CHÉRUBIN.

LA NUIT HEUREUSE.


Fils de l’amour, légitimé par l’hymen, je reçus en naissant tous les dons séducteurs qui pouvaient me rendre plus propre qu’aucun autre aux mystères de Priape, Un corps ferme, vigoureux et richement proportionné, une phisionomie animée, de grands yeux bleus gracieusement ombragés d’une longue paupière, des membres souples et agiles, une imagination constamment tournée vers les plaisirs de l’amour, voilà ce que j’étais lorsque je fus placé chez les Pages de la R… A quelle époque de ma vie me trouvais-je, au milieu d’une cour qui était plutôt celle du plaisir que celle d’un grand roi ! J’étais dans ce tems heureux, où l’esprit agité de mille songes agréables, ne m’offrait que des tableaux aussi enchanteurs que variés, mon âme, brûlée de tous les feux de l’amour, cherchait à sentir vivement son existence : je soupirais après le plaisir. Lorsque j’étais auprès d’une femme, mon cœur battait d’une telle force que j’avais peine à respirer ! j’étais plein de distraction ! mon état était trop violent pour durer long-tems. Les femmes de la cour sont connaisseuses, et la R… passe pour avoir un tact sûr. Une nuit que j’étais de service chez elle, mes yeux s’arrêtèrent sur un tableau… Grands dieux que de beautés la toile respirait ! Aussi-tôt mon imagination s’enflamme… je saisis, d’une main agitée par le plaisir, le dieu qui m’embrâsait de tous ses feux ; j’étais prêt d’arriver au comble de la volupté, lorsqu’une porte s’ouvre… Une femme le sein entièrement découvert, dans le déshabillé le plus voluptueux, s’approche de moi, (j’étais observé sans m’en douter.) Que faisiez-vous là, jeune homme, me dit-elle, d’un ton à inspirer plus de confiance que de honte ? Quoi ! ce jeu a pour vous des appas ? — Ah pardon, ma belle dame ; hélas ! ne pouvant jouir de la réalité, ma folle imagination… j’étais tout tremblant. — Rassurez-vous, mon ami ; puis me prenant la main, qu’elle pressa doucement, suivez-moi, ajouta-t-elle en souriant agréablement. — Mais si la R… savait que… — Ne craignez rien, j’ai du crédit auprès d’elle, j’arrangerai tout cela. Je la suivis, nous traversâmes plusieurs appartemens ; enfin parvenu dans un cabinet faiblement éclairé, elle me fit asseoir près d’elle sur un riche sopha, elle me tenait une main, et se penchant amoureusement sur moi, sa bouche fraîche comme la rose, semblait appeler le baiser ; j’en hazardai un qui me fut rendu d’une manière bien vive ! j’étais tout feu, je ne me possédais plus, ma main se glissa, malgré une légère résistance, vers un endroit… je renversai ma belle nymphe sur le canapé, et, dans le plus bel état du monde, je me plongeai dans un océan de voluptés… Quelle expression pourra rendre tout ce que je sentis ? deux fois nous nous enivrâmes du précieux nectar que nous répandions sur l’autel du plaisir… Revenu de ma première extase, mes mains se promenèrent sur le plus beau corps du monde. Avec quels délices je palpais et couvrais de baisers enflammés ces formes arrondies par la main des grâces : jamais je n’ai vu de plus belle gorge, (et depuis j’en ai vu par milliers,) un sein d’albâtre, fermement placé. J’analisais en les adorant toutes les parties de son corps, une tendre curiosité la fit promener sur moi sa belle main ; j’étais rayonnant de gloire. — La nature a tout fait pour toi, beau Page. — L’amour fait encore plus, il me procure les faveurs de sa mère. — Tu as bien chaud, quitte tes habits, cela te gêne. En un instant je fus entièrement nud. — Je vais suivre ton exemple, nous serons plus à notre aise. Il faut, mon ami, nous énivrer de voluptés ! — Que les dieux me portent envie, m’écriais-je, en m’élançant dans ses bras : nous ne parlâmes bientôt plus que par baisers et soupirs. Ma divinité était furieuse, elle me mordait doucement les lèvres. Bientôt elle me rendit toutes les caresses dont je l’avais couverte, je repris la route des plus grandes jouissances, et trois fois je la parcourus sans interruption… C’est assez, me dit-elle, en m’embrassant étroitement, cesse mon cher amour, cesse ! ménage-toi pour des plaisirs que plus qu’aucun autre mortel tu mérites de sentir. L’heure qui doit nous séparer approche, retire-toi, et demain à pareille heure tu suivras celle qui te remettra la pareille boucle à celle-ci ; sois-moi fidèle, et l’amour multipliera tes jouissances. Adieu, petit ami. Un baiser, le plus voluptueux baiser, termina cette scène de plaisir. Je me retirai pour prendre un repos qui m’était devenu nécessaire.


Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre
Le Cadran de la volupté, vignette fin de chapitre