Le Cadran de la volupté ou les Aventures de Chérubin/00
UN MOT.
Qui n’a pas entendu parler
du petit page connu sous le
nom de Chérubin, dont Beaumarchais
à effleuré l’histoire
dans le Mariage de Figaro ?
Quelques-uns aux représentations
de cette pièce souriaient
à certains traits, comme s’ils
eussent été dans le secret de
mes aventures ; d’autres de meilleure
foi, et moins à portée de
connaître ou de faire semblant
de connaître les intrigues secrettes
de la cour, ne voyaient
dans le personnage qu’on me
faisait jouer, que le jeu de l’imagination
de l’auteur de la
Folle Journée. Instruit à mon
retour en France des anecdotes
controuvées qu’on avait répandues
sur mon compte, j’ai
formé le dessein d’instruire le
public de la vérité de mon
histoire. J’avouerai que mon
respect pour celle qui m’a initié
la première aux mystères
de l’amour, aurait fermé ma
bouche malgré les persécutions
injustes qu’elle a exercées
contre moi, si depuis peu je
n’avais encore éprouvé de ses
noirceurs. Qui croirait que
dans une circonstance où tous
les Français se vantent d’être
libres et d’avoir secoué le joug
d’une puissance arbitraire, le
despotisme aurait encore de
vils agens qui ne rougiraient
pas de se prêter en secret à ses
odieuses manœuvres ? A peine
arrivé à Paris, je me suis apperçu
qu’on épiait mes pas, et
que… je n’en dis pas davantage,
je craindrais qu’aigri
par des malheurs qui apprennent à
l’homme à devenir défiant,
je ne fisse naître des
soupçons qui peut-être seraient
injustes, et mon projet n’est
pas de suscister de nouveaux
ennemis à celle dont le nom
est assez en horreur dans toute
la France. Sans chercher à la
justifier ici de tous les torts
qu’on lui impute, je la crois
moins coupable qu’inconséquente
et étourdie, et ses fautes
appartiennent plus à la
Polignac, qui fut mon introductrice
auprès d’elle, qu’à
son caractère trop ami des
plaisirs pour être méchant par
système. Si malgré la voix publique
j’en parle ainsi, j’en demande
pardon à la constitution
et aux bons patriotes ; soit que
le soutenir des plaisirs qu’elle
m’a fait goûter la première,
soit que les traits de grandeur
d’âme et de générosité dont j’ai
été plusieurs fois le témoin,
aient effacé l’impression des
chagrins qu’elle m’a fait essuyer,
je me dois à moi-même
de lui rendre cette justice : en
effet, pour bien la juger, imposons
un moment silence à
nos passions, et représentons-nous
une jeune princesse transportée
dans le tourbillon
d’une cour livrée au libertinage
le plus effréné, et au
luxe le plus déprédateur, nous
la verrons tour-à-tour environnée
de personnages masqués,
occupés sans cesse à épier
ses goûts et ses passions
pour en tirer un indigne avantage,
à multiplier sous ses pas
la foule des plaisirs, afin de
profiter d’un moment d’ivresse.
Que dis-je ? à lui peindre le
vice sous les plus aimables
couleurs, et à lui persuader
que le trésor de la France peut,
sans que le peuple en gémisse,
fournir abondamment aux dépenses
les plus outrées. Vous qui
jugez les rois et les princes avec
tant de promptitude, si vous
vous figuriez tous les écueils
qu’on sème sous leurs pas, ces
flots d’adulateurs qui les obsèdent
sans cesse, et qui sont
tous interressés à les tromper,
peut-être les jugeriez-vous
avec plus d’indulgence et,
même vous leur sauriez gré de
tous les vices qu’ils n’ont pas ;
mais je me surprends ici à faire
l’éloge de la R… Ah ! je sens
trop que je l’aime encore !