Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc (p. 22-33).


CHAPITRE TROISIÈME
Ritsou-shû. — Secte vinaya.
I. Doctrine de la secte

Cette secte fut fondée par le prêtre chinois Dô-sen Tehiô-shô-Daï-shi, qui vivait sur la montagne Shû-nan au commencement de la dynastie des T’ang (618-907). Il connaissait bien le Tripitaka et surtout il était versé dans le Vinaya (discipline). D’après le Vinaya des Quatre Divisions (Si-bun-ritsou), il pratiquait lui-même et il enseigna le Vinaya de l’école Dharmagupta. Il a écrit pour les novices un livre intitulé Règlement des Instructions (Kyo-kaï-gui). Il dit dans la préface : « Si l’on ne pratique pas le Dhyâna et la Samâdhi (Zen-na et San-maï), c’est-à-dire « la Méditation et la Contemplation », on ne peut comprendre la vérité. Si l’on n’observe pas tous les bons préceptes, on ne peut accomplir une excellente pratique. » C’est montrer ainsi qu’il n’y a pas de sagesse et de méditation sans l’observance des préceptes moraux.

De plus, la puissance des préceptes (Vinaya) assure une longue durée à la loi de Bouddha en ce monde. Si la doctrine de Bouddha se maintenait florissante dans un pays, il n’y aurait plus de calamité ; le peuple vivrait heureux par elle ; elle est la source de toutes les bonnes choses. Non seulement les fidèles du Hînayâna observent le Vinaya, mais il en est de même de ceux du Mahâyâna, sans aucune distinction. En conséquence, il est appelé « l’instruction du Mahâyâna » dans le Çrîmâlâ-sûtra (Shôman-guyô). Dans le Mahâprajñâ-pâramitâ-çâstra (Daï-thi-do-ron), les quatre-vingts parties du Vinaya récitées par Upâli en autant d’occasions pendant les trois mois d’été qui suivirent le Nirvâṇa du Bouddha sont appelées les perfections de la moralité (Çîla-pâramitâ). Il n’y a pas, dans la doctrine de Çâkyamuni, de clergé particulier (Saṃgha) consistant en Bodhisattvas. Ceux qui ignorent la portée de la doctrine ne pratiquent pas les préceptes observés par le Hînayâna, mais en se disant fidèles au Mahâyâna, ils sont complètement dans l’erreur. Dô-sen réfuta cette opinion dans ses ouvrages. Dans le Gô-shô (ouvrage sur l’action) il établit trois divisions doctrinaires à savoir :

1o L’école du Dharma réel (Jitsou-po-shû), c’est-à-dire l’école Sarvâstivâda, par laquelle la forme (Rûpa) est considérée comme la substance de la moralité (Çîla).

2o L’école du Nom phénoménal (Ké-myo-shû), c’est-à-dire l’école Dharma­gupta, selon laquelle la substance du Çila n’est ni la forme, ni l’intelligence. La conception de cette école est par là plus profonde que celle de l’autre.

3o L’école de la Doctrine complète (En-guyô-shû), c’est-à-dire la théorie des deux Sûtras Saddharmapuṇḍarîka (Hokké) et Mahâparinirvâṇa (Né-han), qui définit le véhicule provisoire, le Hînayâna, comme le moyen de s’approcher de la doctrine définitive. Les deux Sûtras mentionnés ci-dessus admettent les trois véhicules (Yânas) ; cependant, ils les réduisent en fin de compte à un seul, le Mahâyâna, techniquement appelé Kaï-é, littéralement « ouverture et unité ». Dô-sen appartenait à cette école et il initia ses disciples à la doctrine complète. Tel est le caractère du Vinaya expliqué par lui et celui de l’enseignement de la secte Vinaya au Japon.

Quoique le Dharmagupta-vinaya (Shi-bun-ritsou) du Hînayâna soit employé par cette secte, la doctrine elle-même est complète et soudaine (En-don), dans son caractère, sans aucune distinction entre le grand et le petit véhicule ni entre les trois exercices (San-gakou) de la moralité, de la méditation et de la sagesse. C’est une conception identique à la réalité (Jitsou-so) expliquée dans le Saddharma-puṇḍarîka-sûtra (Hokké) ; à la permanence (Jô-jû) expliquée dans le Mahâparinirvâṇasûtra (né-han) et au Dharma-dhâtu (état des choses), expliqué dans l’Avataṃsaka-sûtra (Ké-gon). On peut dire également que la conception du Kaï-é exposée ci-dessus est commune à toutes les diverses écoles. Si Dô-sen ne choisit seulement que le Dharmagupta-vinaya tout en soutenant cette conception, c’est que ce Vinaya a toujours été employée par les bouddhistes chinois de l’ancien temps. C’est le Vinaya de l’école du nom phénoménal (Ké-myo) surpassant celui de l’école du Dharma réel (Jippo). De plus, il y a quelque utilité à établir la doctrine qui unit les deux véhicules ; car ce Vinaya est également appliqué au Mahâyâna, quoiqu’il dépendît originellement au Hînayâna. Par cette raison, Dô-sen établit la moralité complète d’un seul et entier véhicule, sans la séparer du Dharmagupta-vinaya.

Ces trois divisions doctrinales ci-dessus énumérées sont établies principalement au point de vue de la moralité, mais en même temps elles renferment les théories de la méditation et de la sagesse. En outre, Dô-sen divisait toutes les doctrines du Tathâgata (Nyo-raï) en trois parties, à savoir :

1o La doctrine du Néant de Nature (Chô-kou-kyô), qui renferme tous les enseignements du Hînayâna.

2o La doctrine du Néant de Forme (Sô-kou-kyô), qui renferme tous les enseignements les plus simples du Mahâyâna.

3o La doctrine de la Perfection de l’unique Connaissance ou Intellect (Yui-shiki-en-guyô), qui renferme tous les plus profonds enseignements du Mahâyâna.

Ces divisions sont faites au point de vue des théories de la méditation et de la sagesse ; elles renferment la moralité enseignée par Bouddha pendant toute sa vie.

Le Vinaya des Quatre Divisions (Shi-bun-ritsou) est une partie de la doctrine du Néant de la Nature. Mais, Dô-sen la jugeait, de sa propre autorité, identique à la doctrine de la Perfection de l’unique Connaissance, car les trois exercices de la Moralité, de la Méditation et de la Sagesse (Kaï-jô-e-san-gaku) sont complètement « fondus les uns dans les autres » (Ennyu-mou-gué). Quoiqu’il reconnût ces différentes divisions, il ne prit que la perfection comme le principe de sa doctrine ; ce fut là une excellente idée. D’ailleurs, si l’on envisage au point de vue de la raison l’exercice de la Moralité de la doctrine complète, tout Çîla renferme les trois grandes catégories de Çîlas (San-ju-jô-kaï), à savoir :

1o Le Çîla qui consiste dans la bonne conduite.

2o Le Çîla qui consiste dans l’accumulation ou la richesse de bonnes actions.

3o Le Çîla qui consiste dans la bienfaisance envers les êtres vivants.

Cependant, au point de vue de la forme, il y a deux manières de recevoir du maître le Çîla, à savoir : En entier et en partie.

Recevoir le Çîla entier (Tsou-ju), c’est recevoir les trois catégories.

Le recevoir partiellement (Betsou-ju), c’est ne recevoir que la première des trois catégories, celle du Çîla qui consiste dans la bonne conduite. Le système du Çîla dans son idée complète, établi par Dô-sen, a pour couronnement le Çîla de bienfaisance, le dernier qu’un Bodhisattva reçoive. Dans ce système, il y a une action appelée Ithi-byakou-san-komma, littéralement « une fois annonce (un désir et) trois fois (répète) une action », c’est-à-dire que celui qui désire recevoir le Çîla exprime son désir devant un chapitre de moines et il répète trois fois le rituel (karmavacana) que son maître lui enseigne. Ensuite il reçoit le Çîla du Bodhisattva ; c’est ce qu’on appelle la « réception entière » (tsou-ju). Par conséquent, les disciples de la secte Vinaya, à notre époque, se préparent à deux formes de réception : l’entière et la partielle. La cérémonie se fait sur une plate-forme (Dan-jô). Ils observent le Çîla d’après le Vinaya des Quatre Divisions (le Hînayâna-vinaya) et le Brahmajâla-sûtra, c’est-à-dire le Mahâyâna-vinaya. Les termes de « réception entière et partielle » viennent de la secte Hossô et ils furent adoptés par Dô-sen dans le sens le plus fort. Ce n’est à coup sûr qu’un saint qui a pu établir cette doctrine.

Boku-Sô, empereur de la dynastie des T’ang, qui régna de 821 à 824, a célébré Dô-sen dans une poésie. On dit que les Devas et les chefs spirituels (tels que Vaiçrâvaṇa ; Bi-sha-mon) le protégeaient, le louaient sans cesse et lui offraient l’ambroisie ; s’il avait quelque doute, les êtres célestes répondaient à toutes ses questions. Un jour, le Bhikshu-Pindola (sacré-Bind-zu-ru) apparut à Dô-sen et déclara qu’il était le plus grand homme qui eût propagé le Vinaya, après Bouddha. Il mérite d’être honoré et suivi par les savants de cette secte.

II. Histoire de la secte

Pendant cinquante ans, le Tathâgata Çâkyamuni prêcha le Vinaya dans toutes les circonstances qui exigeaient une règle de discipline. Après l’entrée de Bouddha dans le Nirvâṇa, son disciple Upâli, considéré à son tour comme un maître, recueillit et récita le Vinaya des Quatre-Vingts Récitations (Hâthi-jû-jû-ritsou). Durant le premier siècle après Bouddha, il y eut cinq maîtres qui se succédèrent sans avoir de vue personnelle. Leurs noms sont : Mahâkâçyapa, (Ma-ka-ka-chô), Ânanda (Anan), Madhyântika (Ma-den-ji), Çaņavâsa (Shô-na-wa-shu), et Upagupta (U-ba-ki-kou-ta). Après ce siècle, les fidèles se partagèrent en deux, cinq et vingt différentes écoles, chacune de ces écoles ayant son texte du Tripiṭaka.

Parmi les Vinaya-pițakas des vingt écoles, quatre Vinayas et cinq Çâstras seuls furent transmis en Chine. Le Vinaya des Quatre Divisions (Shi-boun-ritsou), un de ces quatre Vinayas, est le texte de l’école Dharmagupta, et il a été traduit en chinois en soixante livres. Ce Vinaya fut d’abord récité par l’Arhat Dharmagupta, un des cinq disciples d’Upagupta. Les noms des cinq disciples (ou plutôt de leurs écoles) sont : Dharmagupta (Don-mou-takou), Sarvâstivâda (Sappa-tta), Kâçyapîya (Ka-chô-bi), Mahî-çâsaka (Mi-cha-sokou) et Vâtsîputrîya (Ba-so-fou-ra).

Sous la dynastie de Gui de la famille de , (220-265), Dharmakâla (Hô-ji) commença à enseigner le Vinaya en Chine. En 403, Buddhayaças (Kakou-myô) apporta et traduisit pour la première fois le Vinaya complet (Shi-boun-ritsou) sous la dynastie de Shin, de la famille de . Telles sont les dates de la transmission du Vinaya en Chine. Soixante ans après, vivait un Chinois, maître de l’École Vinaya, nommé Hô-sô qui était bien versé dans le Mahâsâṃghîka Vinaya (Ma-ka-sô-gui-ritsou). Mais ce Vinaya n’était pas en harmonie avec celui de l’école Dharmagupta qui avait été adopté en Chine depuis Dharmakâla ; aussi commença-t-il à enseigner le Vinaya des Quatre Divisions à la place de celui du Mahâsâṃghîka. Depuis ce temps jusqu’à la dynastie des T’ang, qui dura de 618 à 907, les Bouddhistes chinois suivirent unanimement le Vinaya de l’école Dharmagupta ; ce fut là un des résultats des efforts de Hô-sô.

Mais Dô-sen Nan-zan-Daï-shi fut le vrai fondateur de la secte Vinaya en Chine. Parmi ses ouvrages, il y en a qui sont intitulés les Trois Grands Livres du Vinaya (Ritsou-San-daï-bou) à savoir :

1o Kaï-cho (Commentaire sur le Çîla) en huit livres.

2o Gô-cho (Commentaire sur le Karman) en huit livres.

3o Guyo-ji-chô (Registre de la pratique quotidienne) en douze livres. Il y a un catalogue de ses ouvrages dressé par le maître en Vinaya Gwan-jô.

Dô-sen eut pour successeur le second patriarche nommé Shû, dont le successeur fut Dô-kô. Le quinzième patriarche fut Gwan-jô à qui fut accordé le nom savant de Daï-thi (grande sagesse). Il fut un homme de savoir, et il composa un commentaire sur chacun des Trois Grands Livres de cette secte. Par conséquent la doctrine de Dô-sen fut fort propagée partout par lui ; aussi Gwan-jô peut-il être appelé le deuxième fondateur de la secte Vinaya.

Quoique le Bouddhisme eût été introduit au Japon en 552, deux siècles se passèrent avant que la doctrine du Vinaya fût bien connue dans ce pays. Sous le règne de Chô-mou (724-748) deux prêtres japonais allèrent en Chine et virent l’Upâdhyâya (Wa-jô, c’est-à-dire maître) Gan-jin dans le Daï-Myô, monastère de Yô-shû. Il leur accorda la permission de propager le Vinaya au pays du soleil levant (Ni-pon). Gan-jin promit de venir au Japon avec Shô-gen et d’autres au nombre de quatre-vingts. Ils arrivèrent au Japon en 753, après avoir cinq fois tenté en vain d’atterrir et après avoir passé douze années sur la mer. L’année suivante, l’Impératrice Kô-ken invita Gan-jin à demeurer dans le Grand Monastère Oriental (To-daï-ji) à Nara, capitale du Japon à cette époque, et elle lui confia le service du culte et l’enseignement des préceptes moraux d’après le Vinaya. Avant cela, l’ex-empereur Shô-Mou, pendant qu’il était encore sur le trône, avait fait faire, sur le conseil du vénérable Rô-ben, une statue en bronze de Vairocana-Bouddha (Bi-ru-cha-na-Boutsou), le maître de la Perfection de la Moralité (Çîla-pâramita). Cette statue, dont la hauteur était de cent seize pieds, fut installée dans le Grand Monastère Oriental. Après l’arrivée de Gan-jin, l’ex-empereur et sa fille l’Impératrice régnante prêtèrent le serment solennel de pratiquer le Çîla des Bodhisattvas (Bo-satsou-kaï), du haut de la « terrasse Çîla » (Kaï-dant), élevée avec de la terre devant le temple de Vairocana. L’époux de l’Impératrice, le Prince Impérial, ainsi que plusieurs centaines de prêtres, suivirent leur exemple. Plus tard, le bâtiment spécial de la « Terrasse Çîla » fut construit à l’ouest du Temple. On employa, dit-on, pour élever cette nouvelle terrasse la terre qui avait antérieurement servi pour la terrasse de l’Empereur ; cette terre était la même que celle du Jetavana-vihâra (Gui-on-shô-ja) dans l’Inde, et de la montagne Shû-nan en Chine, Les trois étages de la « Terrasse Çîla » représentent les trois catégories de Çîlas Purs (San-jûjô-kaï). Il y a sur cette terrasse Cîla une tour dans laquelle les images de Çâkyamuni et de Prabhûta-ratna (Ta-hô) sont enchâssées, attendu que l’excellent sens du véhicule unique et le sens profond de l’enseignement ésotérique du Dharmadhâtu sont renfermés dans cette doctrine. Aussi si quelqu’un fait sur cette terrasse le serment de pratiquer les préceptes moraux, il passe pour posséder les Çilas de toutes les doctrines ésotériques et exotériques.

En 759, l’impératrice Kô-ken ordonna à Gan-jin de fonder un monastère appelé Tô-shô-daï-ji. On a élevé la « Terrasse Çîla » où l’Impératrice prêta le serment dans ce monastère. L’exemple donné par l’Impératrice fut désormais suivi constamment par les prêtres et les laïques.

En 762, un ordre impérial prescrivit la construction d’une « Terrasse Çîla » dans deux monastères, Yakushi-ji, dans la province de Shi-motsou-ké, et Kwannon-ji, dans celle de Thi-ku-zen. La première fut destinée aux habitants des provinces orientales qui voudraient prêter le serment de pratiquer le Çîla ; et la seconde à ceux des neuf autres provinces occidentales. Ces deux places étant dans des régions éloignées de la capitale, un chapitre de cinq moines fut chargé de la cérémonie. Le peuple de toutes les autres provinces recevait l’instruction du Cîla à la « Terrasse Çîla » dans le Grand Monastère Oriental à Nara. Un chapitre de dix moines y résidait régulièrement. Il y avait donc trois « Terrasses Çîla » dans notre pays. Ceci montre combien était grande la préoccupation impériale de faire pénétrer la religion dans tout le peuple.

Gan-jin fut le successeur des deux lignes de patriarches appelées ligne de Nan-zan et ligne de Sô-bou. Dans la première, il succéda à Gou-ké, qui avait lui-même succédé à Dô-sen-Nan-zan Daï-shi ; les patriarches de la ligne Sô-bou furent Hô-reï, Dô-jô, Man-i, Daï-ryô et Gan-jin. C’est Gan-jin qui fut le premier patriarche de la secte Vinaya au Japon. Il appartient à proprement parler à l’école de Nan-zan, quoiqu’il fût également le successeur de Sô-bou ; car il reçut l’instruction du Çîla entier de Gou-ké, qui l’avait reçue de Dô-sen.