Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc (p. 34-45).


CHAPITRE QUATRIÈME
hossô-shû. — secte de dharma lakshana, c’est-à-dire la secte ou école qui étudie la nature des Dharmas (L’École du Yoga).
1. Histoire de la secte

Le Tathâgata (Nyô-raï) Çâkyamuni enseigne et explique clairement la vérité du chemin milieu de l’ « unique connaissance » (Vidyâ-mâtra ; Yui-shiki) qui est le principe de la doctrine de cette secte — dans les six Sûtras Avataṃsaka-sûtra (Ké-gon-guyô), Saṃdhi-nirmocana-sûtra (Guéjin-mitsou-kyô), etc.

Neuf siècles après Bouddha, Maitreya (Mi-rokou) descendit du ciel de Tushita dans la salle des conférences du royaume d’Ayodhya (A-yu-cha), au centre de l’Inde, à la demande du Bodhisattva Asaṃga (Mou-jakou) et il lui enseigna cinq Çastras :

1o Yogâcârya-bhûmi-çâstra (Yu-ga-shi-ji-ron) ;

2o Vibhâga-yoga-çâstra (Foun-bétsou-yu-ga-ron) ;

3o Mahâyânâlaṃkâra ou Sûtrâlaṃkâra-çâstra (Daï-jô-shô-gon-ron) :

4o Madhyânta-vibhâga-çâstra ou grantha (Ben-thuben-ron) ;

5o Vajracchedikâ-prajnâpâramitâ-çâstra (Kon-gô-hannya-ron),

À partir de ce moment les deux grands maîtres en Çâstra, Asaṃga et Vasubandhu (Sé-shin), qui étaient frères, composèrent beaucoup de Çastras et éclaircirent le principe du Mahâyâna. Le principal de ces ouvrages est la Vidyâ-mâtra-siddhi-çâstra-kârikâ (Jo-yui-shiki-ron), le dernier et le plus soigné des traités de Vasubandhu, parfait au point de vue de la composition et des idées. Dix grands maîtres, dont le premier fut Dharmapâla (Go-hô), composèrent chacun un commentaire sur le Çâstra de Vasubandhu. Mais le commentaire de Dharmapâla passe pour donner le sens exact de la doctrine. Son disciple Çîlabhadra (Kaï-gen) vécut dans le monastère Nâlanda, au pays de Magadha, dans l’Inde centrale. C’était le plus grand maître de son temps, il connaissait à fond le sens des Çâstras Yoga et Vidyâmâtra (Yui-shiki), aussi bien que celui de la « Science de la cause » [Hetu-Vidyâ ; In-myo), c’est-à-dire la logique indienne, et de la science du son (Çabda-vidyâ ; Shô-myo), c’est-à-dire grammaire. Voilà l’histoire de la doctrine de cette secte aux Indes.

En 629, quand il eut atteint l’âge de vingt-neuf ans, le fameux pèlerin chinois Hiouen-Thsang alla aux Indes et y étudia les différents Çâstras et les sciences sous Çîlabhadra. Une fois maître de ces connaissances, il retourna en Chine, en 645. Cinq mois après, il commença son grand travail de traduction, sur l’ordre impérial, dans le monastère de Gou-Foukou-ji. Il continua ce travail pendant dix-neuf années, et il propagea fortement la doctrine de cette secte dans la Chine. Son disciple principal fut Ki-ki, grand savant et grand écrivain. Il composa, dit-on, une centaine de commentaires sur les Sûtras et Çastras, et fut appelé le grand-maître du monastère Ji-on (Ji-on-Daï-shi). Il transcrivit généralement dans ses ouvrages ce qu’il avait appris oralement de son maître Hiouen-thsang ; aussi la plupart de ses ouvrages sont-ils toujours appelés Registres de Transmission (Jukki). Ki-ki eut un disciple nommé E-shô dont le disciple fut Thi-shû. Chacun d’eux écrivit quelques ouvrages, et fit connaître la doctrine de cette secte en Chine.

Elle fut portée au Japon à quatre reprises. Deux de ces époques sont particulièrement connues ; on les appelle la Transmission du Sud et la Transmission du Nord. En 653, un prêtre japonais nommé Dô-shô de Gwangô-ji alla en Chine et il y suivit en même temps que Ki-ki les leçons de Hiouen-Thsang. Quand il retourna au Japon, il transmit la doctrine à Guio-gui ; c’est la transmission qu’on appelle celle du Monastère méridional ; car Gwan-gô-ji était à Asuka dans la province d’Yamato. Plus tard, en 712, Gen-bô alla en Chine et y étudia la doctrine de la secte Hossô, sous Thi-shû. De retour au Japon, il la transmit à Zen-jeu ; c’est la transmission qu’on appelle celle du Monastère Septentrional ; car, Kô-bukou-ji, à Nara, est au nord d’Asuka. Depuis ce temps, la doctrine a été perpétuée par de grands savants.

II. Doctrine de la secte
A. Division doctrinale

Cette secte divise, d’après le Saṃdhi-nirmocana-sûtra (Gé-jin-mitsou-kyô) toutes les prédications du Tathâgata Çâkyamuni, en trois périodes : 1o Existence (Ou) ; 2o Néant (Kou) et 3o Chemin milieu (Thû-dô). Toutes les doctrines du Mahâyâna et du Hînayâna au nombre de quatre-vingt mille sont renfermées dans ces trois divisions. À la première période, les gens s’ignorant eux-mêmes croient faussement à l’existence de leur propre moi (Âtman ; Ga) et ils se précipitent dans l’océan des transmigrations. C’est pour ces gens-là que Bouddha enseigna la première division de la doctrine : l’existence, selon laquelle tout être vivant est irréel, mais les Dharmas existent. Tel est le caractère de cette doctrine prêchée dans les quatre Âgamas[1] (A-gon) et les autres Sûtras du Hînayâna.

À la seconde période, les gens de petite intelligence, quoiqu’ils puissent détruire la fausse idée de l’existence du « moi » et échapper ainsi aux naissances continuelles, qui sont la conséquence de la première période, croient encore à l’existence réelle des Dharmas. Aussi ne sont-ils pas capables de voir la vérité. C’est à l’intention de ces gens que Bouddha enseigna la seconde division de la doctrine : le néant de toutes choses, dans le Mahâprajñâ-pâramitâ-sûtra, etc. Cette doctrine dissipe la fausse idée de « l’existence des Dharmas » ; mais elle mène les hommes à croire au « néant pur de tous les Dharmas ». Il y a ainsi deux espèces de personnes, dont l’une croit à l’« existence ou réalité des Dharmas » et l’autre au « néant ou non-réalité ».

À la troisième période, Bouddha prêcha, pour détruire ces fausses idées, le « chemin-milieu » qui n’est ni l’existence ni le néant, La doctrine de cette période montre que la nature imaginaire (Parikalpita-lakshaṇa ; hén-gué-shô-shû-shô) est irréelle, mais que la nature relative (Paratantra-lakshaṇa ; E-la-ki-shô) et la nature absolue (Parinishpanna-lakshaṇa ; En-jô-jitsou-shô) sont réelles. Dans l’Avataṃsaka-sûtra (Ké-gon-guyô) et le Saṃdhinirmocana-sûtra (Gé-jin-mitsou-kyô), il y a plusieurs expressions techniques telles que les « trois mondes » : de désir (Kâma ; yokou), de forme (Rûpa ; shiki) et de non-forme (Arûpa, Mou-shiki) qui sont l’esprit unique ; les huit « connaissances » (Vijñânas ; Shiki) et les trois natures (Lakshaṇas, Shô).

Cependant, la doctrine n’a, à la vérité, qu’une seule et même théorie et il y a nécessairement trois classes : la haute, la moyenne et basse classe ; chacune d’elle exige un système spécial d’enseignement. Les gens de haute intelligence peuvent comprendre la vérité du Chemin-Milieu qui n’est ni existence, ni néant. Mais ceux d’une intelligence moyenne ou basse qui sont également incapables de comprendre les deux termes extrêmes n’en connaissent qu’un seul : l’existence ou le néant. On les appelle les Bodhisattvas à l’intelligence graduelle ou lente. Ils ne connaissent d’abord que l’existence des Dharmas ; puis ils en connaissent le néant, et ils entrent finalement dans le Chemin milieu du vrai néant et de l’existence meilleure (Shin-kou-myô-ou).

Voici les deux manières dont on explique ces trois périodes. Si on les regarde au point de vue de l’intelligence graduelle, elles sont représentées dans la catégorie du temps par les trois mots de « Commencement » (Chô), de « passé » (Sha-kou), et de « présent » (Kon) dans le Saṃdhi-nirmocana-sûtra.

Si on divise les enseignements de Bouddha au point de vue de l’existence, du néant, et du chemin milieu, les trois périodes sont alors les collections de sens correspondant. Ainsi l’Avataṃsaka-sûtra Ké-gon-kyô est mis dans la troisième période ; car il explique le Chemin milieu quoiqu’il soit la première prédication de Bouddha, tandis que le Sûtra de la Dernière Instruction (Yuikyô-guyô) est attribué à la première période en raison de son caractère.

B. Esquisse de la doctrine

Cette école répartit d’après le Chemin milieu du Vidyâmâtra-siddhi-Çâstra (Jo-yui-shiki-ron) en cinq classes les cent Dharmas. Voici ces cinq classes :

1o Rois de l’inlellect Citta-Râjas (Shin-no).
2o Qualités intellectuelles Caitta-dharmas (Shin-jô-hô).
3o Formes intellectuelles Rûpa-dharmas (Shiki-hô).
4o
Tout ce qui est en
dehors de l’intellect
Citta-viprayukta-dharmas (Shin-fou-sô-ô-hô).
5o Immatériel Asaṃskrita-dharmas. (Mou-i-hô).

(tout ce qui n’affecte pas l’intellect).


Quoique l’on compte cinq classes, il n’y a au fond rien que le Citta (l’intellect unique). On compte huit rois de l’intellect, à savoir :

1o Connaissance de la vue Cakshur-vijñâna (Gen-shiki).
2o Connaissance de l’ouïe Çrotra-Vo (Ni-shiki).
3o Connaissance de l’odorat Ghrâṇa-Vo (Bi-shiki).
4o Connaissance du goût Jihvâ-Vo (Zétsou-shi-ki).
5o Connaissance du toucher Kâya-Vo (Shin-shiki).
6o
Connaissance du
sentiment[2]
Mano-Vo (I-shiki).

(qui dépend toujours du septième).


7o
Connaissance du senti-
ment faussé ou défec-
tueux[3]
Klishṭa-mano-Vo (Mana-shi-ki).
8o
Connaissance du
réceptacle[4]
Alaya-Vo (Araya-shi-ki).


Le huitième peut s’entendre de trois façons : comme « actif » (Nô-zô), comme « passif » Sho-zô) et comme « de volition ». Il est actif en tant qu’il contient les semences de toutes choses ; passif, en tant qu’il subit les effets de toutes choses ; il est de volition, parce qu’il saisit fermement en lui-même tous les êtres et le moi. On l’appelle la connaissance principale, parce qu’elle contient les semences de toutes choses qui produiront des effets. Les sept premières espèces de connaissance ne peuvent agir indépendamment de la huitième. Le septième roi de la connaissance a pour objet la « vue » (Ken-bun) ou perception de la huitième. Les cinq premiers ont pour objet la partie du monde matériel comprise dans la catégorie de « forme » (Sô-bun), autrement dit les phénomènes imaginaires de la huitième. La sixième, qui est la connaissance du sentiment, a pour objet toutes les choses.

Par conséquent, toutes les choses apparaissent par l’effet de ces huit espèces de connaissance ; sans elles, il n’y a rien. C’est d’elles que dépendent les qualités intellectuelles (Caitta-dharmas) ou le monde intellectuel ; elles en sont inséparables. Le monde des formes (Shikihô) apparaît dans la catégorie de forme par l’effet de l’intellect et des qualités intellectuelles, puisque l’un est naturellement inséparable de l’autre.

Les « choses en dehors de l’intellect » (Shin-fou-sô-ô-hô) n’ont rien de réel et sont formées momentanément par la combinaison de l’intellect, des qualités intellectuelles et des formes. Quant au « non-composé » (Asaṃskṛita ; Mou-i-hô) ou à ce qui n’affecte pas l’intellect, ce n’est pas l’intellect qui le fait apparaître, puisqu’il est l’idée qui n’est soumise ni à la naissance ni à la destruction. Mais il n’est pourtant pas en dehors de l’intellect, puisqu’il en est la véritable nature. Si les choses qui sont sujettes aux perpétuelles vicissitudes de la naissance et de la destruction apparaissent par la combinaison de causes et d’agents déterminés par les circonstances, l’idée abstraite qui est la véritable nature des choses elles-mêmes est permanente et ne se manifeste pas phénoménalement. Mais jamais, s’il n’y a point d’idées, un phénomène n’apparaîtra spontanément à l’existence. En d’autres termes, les phénomènes n’apparaissent que s’ils ont une raison d’être produits et détruits. Ainsi les Asaṃskṛita-Dharmas, ou le « non-composé » : (ou ce qui n’affecte pas l’intellect) sont ce dont dépendent les Saṃskṛita-Dharmas ou « phénomènes. » Mais ils sont inséparables naturellement les uns des autres, car l’ « unique connaissance » renferme le monde idéal et le monde phénoménal.

Les cent dharmas énumérés dans le Çâstra de cette secte sont les éléments des cinq classes qui sont ci-dessus mentionnées. Il y a les huit « rois de l’intellect », les cinquante et un « dharmas intellectuels », les onze « dharmas formels », les vingt-quatre « dharmas en dehors de l’intellect », et les six « Asaṃskṛita-Dharmas ». Tels sont les cent dharmas du Vidyâ-mâtra-siddhi-Çastra (Jo-yui-shiki-ron), où ils sont aussi partagés en dharmas de « matérialité » (Ji) et dharmas de « raison » (Ri). De plus, ils sont appelés, dans leur ensemble, « l’unique connaissance » (Yui-shiki). Dans le Yoga-Çâstra, il y a six cent soixante dharmas énumérés.

C. Doctrine de méditation (kwan-mon)

Pour exposer cette doctrine, nous devons rechercher la nature de l’objet et du sujet de la méditation. L’objet de la méditation comprend tous les dharmas phénoménaux et absolus qui sont de trois différentes natures : de la nature imaginaire, de la nature relative et de la nature absolue. Il y en a cinq espèces désignées par les termes techniques suivants :

1o Connaissance qui rejette le faux et conserve la vérité (Kén-kô-zon-jitsou-shiki), c’est-à-dire qu’elle rejette la nature imaginaire (parakalpita-lakshana ; Hen-gué- sho-shû-shô) comme fausse, et conserve la nature relative (paratantra ; Eta-ki) et la nature absolue (parinishpanna ; En-jô-ji-shô) comme l’existence ou la réalité.

2o Connaissance qui rejette la confusion et conserve la pureté (Charan-rou-jun-shiki), c’est-à-dire qu’elle rejette les objets qui peuvent être confondus comme étant intérieurs et extérieurs et conserve l’unique connaissance qui est purement intérieure.

3o Connaissance qui laisse de côté la fin et remonte au principe (Chô-matsou-ki-hon-shiki), c’est-à-dire qu’elle remonte au principe qui est l’intelligence (Zi-shô-boun), en laissant de côté la « partie de forme et de vue » (Sô-boun et Kén-boun), c’est-à-dire les phénomènes d’imagination et de perception, comme un objet lointain.

4o Connaisance qui cache l’infériorité et qui montre la supériorité (On-rétsou-ken-shô-shiki), c’est-à-dire qu’elle cache les dharmas intellectuels (Shin-jô) comme inférieurs, et montre les rois de l’intellect qui leur sont supérieurs.

5o Connaissance qui rejette les formes et comprend la nature (Ken-sô-shô-shô-shiki), c’est-à-dire qu’elle rejette les objets matériels (Zi) comme les formes, etc., et cherche à comprendre l’idée abstraite qui est la vraie nature.

Cette nature est appelée « l’esprit pur de la nature elle-même » (Ji-shô-shô-jô-shin) dans le Çrîmala-sûtra. Voilà les cinq termes expliquant l’objet de la méditation.

La nature du sujet de la méditation, c’est la « Sagesse » (Prajñâ ; E) qui est un des dharmas intellectuels du groupe appelé le « monde séparé[5] (Bétsou-kyo), parce que c’est la sagesse qui apparaît dans la méditation.

Quand on pratique l’unique connaissance, combien de temps faut-il attendre, quelles passions faut-il détruire avant d’atteindre l’état de Bouddha ?

Après avoir pour la première fois élevé sa pensée à la Bodhi, à la connaissance qui est très profonde et très ferme, grâce à la puissance de certaines causes et aux conseils de bons amis, l’homme doit passer trois Asaṃkhyas (innombrables périodes) en pratiquant constamment la méditation. Puis, passant par les divers degrés et détruisant l’obstacle des passions et le voile qui couvre les choses à connaître (Kleçâvaraṇa et Jñeyâvaraṇa), il obtient les quatre espèces de Sagesse et il atteint à l’illumination parfaite (Parinirvâṇa). Si on veut plus de détails sur cette doctrine, il faut étudier le Çâstra principal de la secte, la Vidyâ-mâtra-siddhiçâstra-kârikâ (Jô-yui-shiki-ron).


  1. Ce sont : 1o Madhyamâgama (Thu-a-gon).

    2o Ekottarâgama (Zô-ithi-a-gon).
    3o Samyuktâgama (Zô-a-gon).
    4o Dîrghâgama (Jô-a-gon).


  2. Nous le regardons comme identique à l’intelligence ; en d’autres termes, c’est le sens intérieur.
  3. Affecté des cinq kleças : ignorance, imagination, cupidité, haine, hérédité.
  4. Nous le regardons comme la chose en soi, ou la nature idéale.
  5. Voir pour l’explication de ce terme le tableau donné dans l’appendice (famille des Caitta-dharmas).