Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc (p. 135-145).

CHAPITRE DOUZIÈME
Shin-shû. — Véritable secte
I. Histoire de la secte.

Le nom complet de la secte est Jô-do-shin-shû (Véritable secte de la Terre-Pure). Le terme de Terre-Pure s’oppose ici à celui de Chemin-Saint (Shô-dô) dans les autres doctrines. C’est qu’en effet l’objet des fidèles de cette secte est de naître dans la Terre-Pure (Sukhâvatî) d’Amitâbha. Le mot Véritable (Shin) s’oppose au moyen provisoire (Gon-ké-hô-ben). Parmi ceux qui suivent la doctrine de la Terre-Pure, il y a plusieurs systèmes différents : par exemple, quelques écoles prétendent qu’il nous faut posséder à un haut degré la vertu qui consiste dans le produit des bonnes œuvres pour naître dans la Terre-Pure ; d’autres soutiennent qu’il faut répéter le nom seul d’Amitâbha Bouddha afin de naître dans son Sukhâvatî, grâce au mérite acquis en répétant ce nom. Ces systèmes sont considérés tous deux comme le moyen provisoire. Se reposer de tout cœur sur le pouvoir supérieur du vœu originel[1] (Hon-gwan-ta-riki) d’Amitâbha Bouddha en laissant de côté toute idée personnelle (Ji-ri-ki) ; c’est ce qu’on appelle la vérité. Cette vérité est la doctrine de cette secte ; aussi on l’appelle la Véritable Secte.

Shin-ran, le fondateur de la secte, fit une claire distinction entre les quatre systèmes caractérisés par autant de noms et connus comme les deux paires et les quatre rangs (Ni-sô-shi-jû). Voici les quatre systèmes :

1o  Sortir en longueur (Shu-shutsou), c’est-à-dire n’obtenir la connaissance parfaite qu’après une longue pratique et une constante persévérance en traversant d’innombrables Kalpas sur le chemin des hommes saints.

2o  Sauter en longueur (Shu-thiô), c’est-à-dire parvenir à la connaissance parfaite dans la vie actuelle, ou encore devenir Bouddha dans l’existence présente.

3o  Sortir en travers (Ô-shutsou), c’est-à-dire mériter de naître dans une région où les êtres vivants sont dans le même état qu’à l’intérieur de la matrice, c’est ce que l’on appelle la naissance de la frontière qui touche à la Terre-Pure. L’imperfection de cette naissance est le résultat de la négligence et du doute.

4o  Sauter en travers (Ô-thiô), c’est-à-dire naître dans la Terre-Pure d’Amitâbha Bouddha d’après son vœu originel ; c’est là la doctrine de la Véritable Secte.

Il y a trois principaux livres sacrés dans cette secte, lesquels contiennent la doctrine pour aller naître dans le Sukhâvatî selon les prédications de Çâkyamuni : ce sont les mêmes Sûtras que nous avons déjà mentionnés dans le chapitre antérieur sur le Jô-do-shû. Le grand Sukhâvativyûha, le plus long des trois Sûtras, est admis comme un livre spécial, parce que les quarante-huit vœux originels d’Amitâbha sont exposés dans ce livre, surtout le dix-huitième qui est le fondement de la doctrine de Sauter en travers.

Cette doctrine fut transmise à des époques diverses et en des endroits différents par ceux qu’on appelle les Sept grands prêtres et qui furent des patriarches de trois pays : Indes, Chine et Japon. Ce sont les deux Bodhisattvas Nâgârjuna et Vasubandhu aux Indes ; Donran, Dô-shakou et Zen-dô en Chine ; Gen-shin et Genkou au Japon, qui exposèrent très minutieusement dans leurs ouvrages la doctrine de cette secte. Le septième patriarche Gen-kou appelé aussi Hô-nen, fut le maître de Shin-ran, le fondateur de la secte.

Shin-ran appartenait à la famille de Fouji-wara ; il naquit en 1173 et mourut en 1262. Il était descendant d’Outhi-maro, et fils d’Ari-nori qui fut officier au service de l’impératrice douairière. Encore enfant, il alla sur la montagne Hi-éï où il étudia la doctrine de la secte Ten-Daï. À l’âge de vingt-huit ans, il devint disciple de Hô-nen de qui il reçut la tradition de la doctrine de la Terre-Pure. Des nombreux disciples de Hô-nen, Shin-ran était le plus estimé par son maître. Plus tard, il composa un ouvrage intitulé Kyo-guyô-shin-shô-mon-roui (Collection de Maximes concernant la Doctrine, la Pratique, la Foi et l’illumination). Dans cet ouvrage, il montre le principe fondamental de la doctrine, ce qui le fait considérer comme le critérium de cette secte.

Aujourd’hui cette secte est la plus florissante de toutes les sectes bouddhiques au Japon ; elle s’y est divisée en dix branches. Ceux qui y appartiennent forment presque la moitié de notre population. Les deux monastères appelés Hon-gwan-ji, dont l’un s’appelle Hon-pa-Hongwan-ji et l’autre Tô-ha-Hon-gwan-ji ont le plus d’influence dans la société civile et religieuse. On compte maintenant vingt-cinq mille temples et trente mille prêtres qui s’étendent sur toute la surface de notre pays et qui tous appartiennent à ces deux monastères. Les temples gigantesques de ces monastères s’élèvent vers le ciel à Kyoto. Il n’y a aucune différence entre ces monastères ni dans l’enseignement ni dans la hiérarchie, ni dans la loi ecclésiastique. La secte Shin-shû n’a jamais reçu du gouvernement ni subvention ni privilèges comme d’autres sectes, elle est tout à fait indépendante de l’État, depuis qu’elle a été fondée par Shin-ran.

II. Doctrine de la secte

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, le principe de la doctrine de cette secte est le vœu originel d’Amitâbha Bouddha. Par conséquent la foi et la pratique ont pour objet unique de se plier au pouvoir supérieur du vœu originel d’Amitâbha (Hon-gwan-ta-riki) et de naître dans son Sukhâvatî. Le vœu originel est le dix-huitième de ses quarante-huit vœux. Le voici : « Je n’obtiendrais pas la connaissance parfaite, si quelqu’un des êtres vivants des dix points qui croit en moi avec la vraie pensée et le désir de naître dans mon pays, et qui répète dix fois par la pensée mon nom, ne naissait pas dans le Sukhâvatî. »

Ce vœu originel marque une grande compassion qui désire sauver les êtres vivants de leur misère. Par ce vœu originel, il pratiqua de bonnes actions pendant d’innombrables Kalpas, en réservant d’apporter son fonds de vertu en temps opportun pour sauver d’autres êtres vivants. Toutes ses actions : de corps, de parole, et de pensée étaient toujours pures et vraies tant qu’il accomplit sa grande pensée compatissante ; aussi l’appelle-t-on la grande et large sagesse de Bouddha.

Le vœu et la pratique d’Amitâbha Bouddha passèrent à tous les autres Bouddhas. La dignité de Bouddha qui est l’effet d’une telle cause s’appelle Amitâbha et Amitâyus, « la lumière incommensurable et la vie infinie ». Ces expressions signifient de plus la perfection et l’illimitation de la sagesse et de la compassion. Par conséquent Amitâbha Bouddha peut tenir dans sa propre lumière les fidèles et les faire naître dans sa Terre-Pure. On l’appelle le « pouvoir supérieur du vœu originel ».

La pensée qu’il faut se plier au « vœu originel » est considéré comme le credo de la secte, et le but en est de participer à la sagesse de Bouddha. Ce dogme est identique aux trois articles de foi (San-shin) énumérés dans le vœu originel à savoir : 1o  la vraie pensée ; 2o  la foi ; 3o  la volonté de naître dans la Terre-Pure. Quoiqu’elle soit divisée en trois articles, cette doctrine est en réalité unique et elle est appelée le sentiment de foi. Quand nous examinons notre propre cœur, il est loin d’être pur et juste ; il est au contraire mauvais, misérable, faux et hypocrite. Quel moyen avons-nous pour extirper toutes nos passions ? Et comment donc arrivons-nous au Nirvâṇa par nos propres facultés ? Comment pouvons-nous réaliser les trois articles de foi ? L’incapacité de nos propres facultés étant reconnue, nous devons croire au vigoureux pouvoir supérieur du vœu originel d’Amitâbha. S’il en est ainsi, nous participons à la connaissance de Bouddha et partageons sa grande compassion comme l’eau d’un fleuve devient salée aussitôt qu’elle entre dans l’océan. Pour cette raison, on appelle ce dogme la « foi » dans le pouvoir supérieur (Ta-riki).

Si on reste fidèle à une telle foi, on est conduit naturellement à suivre la pratique de la secte ; c’est qu’on ressent le bienfait de Bouddha en rappelant sa grâce et en répétant son nom ; cet exercice pieux s’appelle dans la langue du vœu originel, la répétition de la pensée (du nom de Bouddha) équivalent (Naï-shi) à dix fois. Mais elle n’est pas naturellement limitée au nombre de dix, puisque le texte porte : équivalent à (Naï-shi). Il y en qui répètent nombre de fois le nom de Bouddha durant toute leur vie, soit qu’ils se promènent, soit qu’ils s’asseyent, soit qu’ils s’habillent, soit qu’ils se couchent ; d’autres ne le répètent qu’une seule fois avant leur mort. Mais qu’on répète peu ou souvent le nom de Bouddha, cette pratique se continue nécessairement par le fait même de la foi. C’est en elle qu’on participe à la compassion de Bouddha, parce qu’on partage sa miséricorde. Non seulement la répétition du nom de Bouddha doit être faite par la bouche, mais il faut que nos actes et nos pensées soient en conformité avec elle et qu’elle soit inséparable de la compassion de Bouddha. Elle n’est jamais, chez les hommes ignorants, l’action de leurs facultés, mais elle résulte de la pratique dans le pouvoir supérieur (Ta-riki-no-ki-guyô). Cette foi et cette pratique sont la « vérité suprême » (Paramârtha-satya) de cette secte ; ce qui a rapport à la distinction de la foi et du doute dans l’esprit.

La foi et la pratique de la secte sont très simples ; on n’y considère pas même comme nécessaires les prescriptions, communes au bouddhisme en général « de quitter la famille et d’abandonner les désirs d’ici-bas afin de parvenir à Bouddha ». Les prêtres de la secte ont la permission de se marier et de manger du poisson et de la viande, choses sévèrement prohibées dans les autres sectes bouddhiques.

On recommande aux fidèles de cette secte de persévérer dans leurs propres occupations quelles qu’elles soient et de remplir leur devoir. Il faut donc qu’ils mettent en pratique l’amitié avec autrui et les bonnes relations des familles ; ils doivent aimer toujours le bon ordre du pays et obéir aux lois du gouvernement ; ils doivent également être patriotes. Bouddha dit dans le Grand Sûtra (Sukhâvatîvyûha) : « Il faut d’abord bien penser et bien considérer ; vous devez vous séparer de tout ce qui est mal et choisir et pratiquer tout ce qui est bien ». Puisque les fidèles de cette secte se plient au vœu originel d’Amitâbha Bouddha, ils doivent obéir naturellement à l’instruction de Çâkyamuni et à l’enseignement général sur la moralité ; telle est la « vérité banale » (Saṃvṛiti-satya) de cette secte, ce qui a rapport à la distinction du bien et du mal dans la conduite en ce monde.

Quels bénéfices assure aux fidèles la foi en Bouddha ? Il y en a de deux sortes : 1o  Les fidèles deviennent membres du Samyaktva-râçi « masse de la vérité » (Shôjô-jû) dans leur vie présente. 2o  Ils parviennent au Nirvâṇa (Metsou-do) dans la vie ultérieure.

1o  « La masse de la vérité » désigne la classe des êtres vivants qui vont certainement naître dans la Terre-Pure d’Amitâbha Bouddha, et atteindre au Nirvâṇa dans leur vie prochaine. Étant gardés dans la lumière d’Amitâbha Bouddha, ils ont toujours beaucoup de joie dans leur cœur, en partageant la grande compassion de Bouddha, et ils ne souffrent plus dans l’océan des transmigrations. Aussi les appelle-t-on Avaivartikas « ceux qui ne retournent pas » (Fou-taï-ten). Ils retirent ces bénéfices au moment même où ils mettent leur foi en Bouddha.

2o  « Atteindre au Nirvâṇa signifie parvenir à la connaissance parfaite d’Amitâbha Bouddha, aussitôt né dans sa Terre-Pure, Or cette naissance résulte, pour les fidèles, de la compassion et de la connaissance de Bouddha qu’ils ont déjà partagée ; alors, ils doivent parvenir évidemment à l’état de Bouddha, puisqu’il y a un rapport naturel et nécessaire entre la cause et l’effet. Les adeptes des écoles du Chemin-Saint ne peuvent atteindre au Nirvâṇa qu’après avoir extirpé toutes les passions humaines par le pouvoir des Trois Instructions : la moralité supérieure, la pensée supérieure, et le savoir supérieur.

Selon les autres écoles de la doctrine de la Terre-Pure, on parvient à Bouddha pour avoir pratiqué de bonnes œuvres long-temps après être né dans la Terre-Pure. Mais le système de la Vraie secte se distingue de la plupart des Écoles bouddhiques par le terme de « sauter en travers. » Naître dans la Terre-Pure, c’est devenir Bouddha ; en un mot, quand les fidèles abandonnent le corps impur de la vie présente, ils cueillent le plus excellent fruit du Nirvâṇa, puisqu’il repose simplement sur le pouvoir supérieur du vœu originel.

Les fidèles de cette secte ne s’adressent point au Bouddhas ou aux autres objets du culte pour appeler sur eux le bonheur et n’emploient pas les charmes magiques pour conjurer l’infortune, parce que les infortunes et les bonheurs ont leur origine dans la cause lointaine de l’existence antérieure ou dans la cause proche de la vie présente. Les fidèles se pliant à l’instruction de Bouddha peuvent éviter la cause proche, mais la cause lointaine ayant son origine dans l’existence antérieure ne peut être supprimée. La réprimande portant sur les faits du passé est tout à fait inutile, tandis qu’on peut se défendre à l’avance de l’action de l’avenir. C’est pour cette raison que tous les charmes magiques sont considérés comme inutiles dans cette secte. De plus, le principe du Bouddhisme est de s’élever de la misère des transmigrations (Saṃsâra) au salut suprême (Nirvâṇa) ; alors le cœur des fidèles ne peut guère être ébranlé ni par le bonheur ni par l’infortune. Puisqu’ils tournent leurs pensées vers le salut d’autrui, l’ordre et la paix doivent naturellement être leur plus grand désir. Ils ne voudront qu’obéir à l’Instruction de Bouddha Çâkyamuni ; il en résultera beaucoup d’avantages : le monde étant d’accord, le pays prospère et le peuple paisible.

FIN
  1. Nous employons ici le mot vœu dans le sens de promesse qu’on s’est faite à soi-même, de résolution ferme qu’on a prise par soi-même. (Pour le vœu lui-même, voir page 139.)