Paris, Maisonneuve et Ch. Leclerc (p. 125-134).

CHAPITRE ONZIÈME
JÔ-DO-SHÛ. — SECTE TERRE PURE
I. Histoire de la secte.

En 67, le Bouddhisme fut pour la première fois, introduit des Indes en Chine ; 185 ans après, un savant indien du Tripiṭaka nommé Saṃgha-varman (Kô-sô-gaï) vint en Chine et y traduisit le grand Amitâyus-sûtra (Mou-ryô-ju-kyô) en deux livres. C’est le premier et le plus long des trois livres sacrés de cette secte. Ce sûtra expose l’histoire du Tathâgata Amitâbha depuis les kalpas anciens où il commença de ressentir l’impression spirituelle qui amène à l’état de Bouddha jusqu’au temps actuel de sa résidence dans le monde occidental appelé heureux (Sukhâvati ; Gokou-rakou) où il reçoit tous les êtres vivants qui viennent de tous les côtés pour s’élever de l’état de confusion à la connaissance parfaite.

En 400, Kumârajîva (Ra-jû) vint du royaume de Kharchar (Ki-ji) en Chine, il y fit la traduction du petit Amitâyus-sûtra (A-mi-da-kyô) appelé aussi « le plus petit Sukhâvatîvyûha » en un livre ; c’est le plus court des trois livres sacrés. Il est expliqué dans ce sûtra que si un homme garde dans sa mémoire le nom de Bouddha Amitâbha, soit pendant un jour, soit pendant sept jours, le Bouddha viendra avec les Bodhisattvas le chercher au moment où il mourra, afin de le faite naître dans la Terre-Pure (Sukhâvatî) ; c’est une promesse qui a été garantie par tous les autres Bouddhas des dix points.

En 424, Kalayaças (Kyô-ryô-ya-cha) arriva des Indes en Chine, et y traduisit l’Amitâyurdhyâna-sûtra (Kwanmou-ryô-ju-kyô) en un livre ; c’est le second des trois livres sacrés. Voici une esquisse de ce sûtra : Vaidehî, épouse du roi Bimbisâra de Magadha, voyant la mauvaise conduite de son fils Ajâtaçatru, commença à sentir l’ennui de ce monde Sahâ (souffrance) ; Çakyamuni lui enseigna alors qu’il faudrait naître dans la Terre-Pure (Sukhâvatî) et l’instruisit du moyen par lequel on doit pratiquer les trois espèces de bonnes actions pour naître dans ce monde, La première est la bonté qui comprend en elle toutes les bonnes actions en général : piété filiale, respect pour les aînés, fidélité, et sincérité envers les amis, etc. La seconde est la bonté de moralité (Çîla), qui varie en rigueur selon qu’il s’agit d’un moine ou d’un laïque. En un mot, tout ce qui ne s’oppose pas à la règle générale qui blâme le mal et encourage le bien est compris dans cette bonté. La troisième est la bonté pratique qui comprend les Quatre Vérités sublimes (Satyas), et les Six Perfections (Pâramitâs) ; sont renfermées, de plus dans cette catégorie, les autres actions pures et bonnes, telles que la Lecture et la Récitation des Mahâyâna-sûtras, à l’effet de faire entendre la loi à autrui, et les Treize espèces de bontés qui doivent être pratiquées par une pensée ferme. À la fin du Sûtra, Bouddha dit : « Répétez dix fois, en y appliquant toute votre pensée, la prière Namo’mitâbhâya Buddhâya (Namou-a-mi-da-boutsou) « adoration à Amitâbba Bouddha ». Cette pratique est la meilleure de toutes.

Bouddha nous enseigne, dans sa doctrine, la Loi de la Cause et de l’Effet, c’est-à-dire la nécessité universelle, qu’il a comprise par sa sagesse et sa juste connaissance. La mauvaise semence produit le mauvais fruit et la bonne semence produit le bon fruit comme le poivre rouge est naturellement fort et piquant, et la canne à sucre très douce. Et la vérité enseignée dans le Sûtra est tout à fait du même genre, à savoir que les trois espèces de bontés sont une cause pure qui produit comme fruits les neuf différents degrés dans la Terre-Pure.

À ces trois Sûtras se rattachent chez les Indiens trois patriarches. Ce sont Açvaghosha, Nâgârjuna et Vasubandhu qui naquirent aux Indes six, sept et neuf siècles après Bouddha.

En Chine, E-on (mort en 416) sous la dynastie du Shin ; Don-ran (mort en 542) sous la dynastie du Guï ; et Dô-chakou et Zen-dô (vers 600 et 650) sous la dynastie des T’ang, enseignèrent principalement cette doctrine. Zen-dô surtout mit toutes ses facultés au service de l’Amitâyurdhyâna-sûtra et composa un nouveau commentaire sur ce sûtra en quatre livres. Il y expose parfaitement l’idée de Bouddha ; quant à la théorie, il surpasse réellement ses prédécesseurs, tels que Jô-Yô, Tendaï, Ka-jô et autres. Il dit lui-même qu’il pose une règle pour tous les siècles ; ce n’est peut-être pas une exagération.

Plus tard, Hô-shô alla au mont Go-daï où il adora Mañjuçrî et composa les vers appelés correctement Go-é-san (vers pour les cinq assemblées). Un autre maître nommé Shô-kô vit le livre déposé par Zen-dô dans le temple de Hakou-ba-ji (temple du cheval blanc). Ainsi l’influence bienfaisante de Zen-dô se fit sentir même après sa mort. Pendant sa vie, l’autorité de son enseignement avait été si grande que les hommes s’abstinrent de poisson et de viande et que le marché de la capitale n’en vendit que très peu. C’est avec raison qu’il est généralement considéré comme le plus grand maître de cette secte en Chine.

Environ cinq siècles après Zen-dô (1133) naquit un enfant mâle nommé Seï-shi-mare dans la famille Urouma de la province de Mimasaka au Japon. À l’âge de neuf ans, pour obéir aux dernières volontés de son père, il se voua à la prêtrise, et quand il eut atteint quatorze ans, il alla sur la montagne Hi-eï ; après un an, il s’y fit raser les cheveux et reçut les ordres. Son nom fut alors changé en celui de Gen-kou. À l’âge de dix-huit ans, il se retira à Kourodani où il relut cinq fois les cinq mille livres du Tripiṭaka. C’est là qu’il espérait découvrir un moyen qui permettrait même à ceux qui ignorent et qui ne peuvent pratiquer les trois sciences[1] (San-kakan), de se dégager de leur misère. Profitant de cette occasion, il étudia le commentaire de Zen-dû dont nous avons déjà parlé, et il recommença huit fois ses recherches sur cet ouvrage. Enfin, il y remarqua dans un passage les mots suivants : « Souvenez-vous sérieusement du nom d’Amitâbha de tout votre cœur » (Is-shin-sen-nen-mi-damyô-gô). Il comprit tout à coup la pensée de Zen-dô qui enseigne dans son ouvrage que quiconque, à n’importe quelle époque, se rappelle seulement le nom de Bouddha peut naître dans la Terre-Pure après sa mort. Gen-kou abandonna les pratiques de toute sorte qu’il suivait depuis longues années, et commença à répéter le nom de Bouddha Amitâbha soixante mille fois par jour. Cela se passait en 1175, alors que Gen-kou avait l’âge de quarante-trois ans. C’est en cette même année que pour la première fois le nom de Jô-do-shû (secte de Terre-Pure) fut établi au Japon. Gen-kou fut très renommé pendant sa vie et devint le directeur spirituel des trois empereurs Taka-koura, Go-shira-kawa, et Go-to-ba. Après sa mort, sa biographie fut faite sur l’ordre impérial en quarante-huit livres. Les trois empereurs Fou-shimi, Go-fou-shimi et Go-ni-jô les copièrent de leur propre main.

Avant Gen-kou, il y eut d’illustres prêtres au Japon, tels sont Kou-ya, E-kwan et E-shin qui tous enseignèrent cette doctrine, mais qui n’ont pas eu de successeur. Genkou eut plus de cent disciples ; parmi eux, Shô-kô de Thin-zéï et Zen-é de Seï-zan furent très renommés. On peut compter à présent plusieurs myriades de temples et de prêtres de cette secte dans notre pays.


II. Doctrine de cette secte

« Il y a deux divisions dans l’enseignement de Çâkyamuni, » dit Dô-chakou dans son ouvrage l’An-Rakou-shû : « le Mahâyâna et le Hinayâna ». Le Hinayâna est la doctrine par laquelle les disciples immédiats du Bouddha et ceux de la période qui embrasse les cinq siècles après Bouddha pratiquaient les Trois Instructions (Çikshâs) : la moralité supérieure (Adhiçîla), la méditation supérieure (Adhicitta) et le savoir supérieur (Adhiprajñâ), et par laquelle ils gagnaient, dans la vie présente, les quatre fruits saints de Srota-âpanna, Sakṛid-âgâmin, Anâgâmin et Arhat. Dans le Mahâyâna, il y a encore deux doctrines : le « Chemin-Saint » et la « Terre-Pure ». La première, c’est, comme le Hinayâna, la doctrine par laquelle les hommes pratiquent les Trois Instructions au moyen desquelles ils comprennent dans leur vie présente, les Trois Vertus : Le corps spirituel (Dharma-kâya), la connaissance (Prajña), et la délivrance (Moksha). Mais rares sont les hommes capables de suivre cette voie ; ceux-là seuls qui doivent le privilège d’une heureuse naissance aux bonnes actions qu’ils ont pratiquées durant les existences antérieures ont une nature assez vigoureuse ; la fermeté de leur cœur est égale au rocher et leur courage à surmonter tous les obstacles est semblable à celui d’un brave soldat qui terrasse son ennemi ; on les appelle les hommes du « Chemin-Saint » et on les désigne aussi sous le nom de « ceux qui entrent dans l’état saint en ce monde ». Pendant cinq siècles après Bouddha, il exista de temps en temps de tels hommes, on peut voir l’état florissant du bouddhisme à cette époque en lisant la biographie des grands prêtres.

Le temps présent appartient au Dernier Jour de la Loi (Mappo) ; les hommes deviennent peu sincères, leurs convoitises et leurs colères augmentent tous les jours, et leurs luttes vont sans cesse grandissant. Si on regarde les Trois Instructions comme le vieux calendrier[2], comment peut-on assurer sa délivrance ?

C’est ce problème qui décida Gen-kou à abandonner tout d’un coup le Chemin-Saint et à suivre la doctrine de la Terre-Pure. Selon la première doctrine, la délivrance est un fruit qui s’obtient dans ce monde ; selon la seconde, on n’obtient qu’après la mort cette haute récompense de naître dans la Terre-Pure à condition de répéter jusqu’à la fin de la vie le nom de Bouddha. Il n’est pas facile d’atteindre la cause et l’effet du Chemin-Saint ; ceux de la Terre-Pure, au contraire, sont facilement accessibles ; aussi compare-t-on la différence qu’il y a entre ces deux voies aux voyages qui s’exécutent l’un par terre et l’autre par eau. Le Chemin-Saint et la Terre-Pure étant la doctrine du Mahâyâna ont le même but : atteindre à l’état de Bouddha ; mais comme le temps et les hommes diffèrent, la doctrine doit nécessairement être différente, de même que l’un emploie une voiture sur la terre tandis que l’autre se sert d’un bateau sur l’eau. Les lois prêchées par Çâkyamuni sont au nombre de quatre-vingt mille ; il les enseigna aux hommes d’après leur nature, destinant aux uns la doctrine du Chemin-Saint et aux autres celle de la Terre-Pure. La dernière n’est pas reconnue seulement par le Gen-kou, mais encore par Zen-dô dans son ouvrage ; mais ce n’est pas Zen-dô qui en est le créateur, elle remonte au Sûtra de l’Amitâyur-dhyâna prêché par le grand maître Çâkyamuni. Tandis que Zen-dô écrivait son commentaire, il évoquait, dit-on, par des moyens magiques la force surnaturelle, et tous les soirs un prêtre éminent paraissait devant lui dans son rêve, et lui donnait des instructions sur la division des matières de son premier livre. Par conséquent, l’auteur (Zen-dô) traitait son ouvrage comme si c’était la parole de Bouddha, et il disait qu’il n’était permis d’y ajouter ni d’en retrancher une phrase, ou même un mot. Gen-kou cita, pour cette raison, les trois Sûtras et le Commentaire de Zen-do comme les textes dans son propre ouvrage, le Sen-jakou-shû.

Si l’on veut bien connaître la doctrine de la Terre-Pure, il faut d’abord croire aux paroles de Bouddha. Çâkyamuni était un grand sage qui percevait les trois temps : le présent, le passé, et l’avenir qui représentent hier, aujourd’hui et demain. Parmi les hérétiques indiens il y en eut quelques-uns qui parlèrent de l’avenir ; mais ce qu’ils en disaient n’était pas bien exact ; et jamais ils n’enseignèrent le passé. Les hommes modernes parlent de la vie présente seule et ne connaissent ni le passé, ni l’avenir ; Bouddha seul connut les trois temps sans aucune erreur.

La Terre-Pure est le monde occidental où Bouddha Amitâbha demeure. Elle est parfaitement pure et délivrée de toute fausseté ; c’est pourquoi on l’appelle la Terre-Pure. Ceux-là seuls qui désirent y aller peuvent y naître. Le monde (Sahâ) d’ici-bas est l’effet des actions de tous les êtres ; aussi ceux même qui ne désirent pas y naître sont obligés d’y venir ; on l’appelle la voie de la peine, parce qu’il est plein de toutes sortes de peines : naissance, vieillesse, maladie, mort, etc. C’est pour cela qu’il ne faut pas être attaché pour longptemps à ce monde ; ceux qui s’en dégoûtent et qui désirent aller dans le monde Sukhâvatî, y pourront naître après leur mort. Ne douter en aucune façon de ces paroles de Bouddha et les accepter même dans leurs plus petits points, voilà la « foi profonde » qui conduit au Sukhâvatî ; mais si on entretient quelque doute on n’y naîtra point. Pour cette raison, Nâgârjuna dit : « Dans le grand Océan de la loi de Bouddha, le seul moyen d’entrer est la foi ». Telle est l’esquisse rapide de la doctrine de cette secte.


  1. Ce sont : la moralité, la méditation, le savoir.
  2. C’est-à-dire, comme une chose devenue inutile.