Le Beau Voyage (1916)/La Maison

Bibliothèque-Charpentier (p. 41-42).

LA MAISON

Les psychés ont gardé ton ombre, Aloïda,
Où tu penchais ta robe puce ou bien grenat,
Au bruit provincial des pendules dorées,
Et sur le marbre de la commode tes doigts
Depuis autant de temps ont laissé des buées…
Par terre le volant de ta sœur Anaïs…
Et j’ai pleuré de ces souvenirs, de ces choses.
Au milieu d’elles, des globes où sont les roses,
Et des parfums du vieux matelas de maïs…
La maison paraît plus vide que d’habitude.
Personne ne marche dans l’escalier, et puis,
Dans ce silence chaud de classes et d’étude,
Il y a les odeurs qu’ont les tiroirs moisis…
En bas j’entends, sur l’évier, bouger des cruches.

Or les volets sont clos, mais ils battent au vent,
Comme le cœur de ces vieilles en capeluches
Qui remuaient autrefois dans l’appartement…
Les volets sont fermés et l’on entend derrière
Quelquefois un pigeon qui passe… et c’est aussi
Derrière, qu’il y a du soleil plein la terre,
Des routes et des champs de blés, des murs roussis,
Des mauves dans le creux des gazons, et des feuilles
De peupliers qui tombent aux bassins décrus…
Je sais cela dans cette ombre que je recueille,
Aloïda ! mais vous, vous ne ]e savez plus…
Vous ne le savez plus, vous en étant allées.
Que le soleil est clair sur le toit des maisons,
Que vos hortensias fanent dans les allées.
Mais, après tout, n’avez-vous pas eu bien raison
De mourir ?… c’est ainsi que ces globes de fleurs
Auraient dû faire…

Ô les doucereuses minutes,

Où j’ai bu de tout près, pour rafraîchir mes pleurs
L’eau dormante de ces psychés où vous parûtes.