Le Beau Voyage (1916)/Berger « Mamet »

Bibliothèque-Charpentier (p. 45-46).

BERGER “ MAMET ”

Moux.

J’ai le regret du temps des pâtres, des vieux pâtres,
Qui s’asseyaient dans les montagnes, des années.
Gardant au coin du cœur la tendresse de l’âtre…
Et j’aurais eu les cigales abandonnées
Et la lune lente et la neige pour amies…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Puis, l’hiver, en allant devers les villes chaudes
Faire mes provisions de sel et de toile,
On m’aurait raconté les nouvelles, les modes,
Et moi qui ne comptais que la mort des étoiles
J’aurais su tous les rois et reines qui moururent…

Puis j’aurais regardé un peu, par habitude,
Les vieilles qui s’en vont avec un long murmure,
Et les filles avec leurs pâles attitudes…
Les liserons dans les cours, près des fenêtres…
Les hirondelles aux portes des écuries…
Et la maison d’en face où j’aurais voulu naître…
Et les enfants, le soir, sous les lampes péries…
Les femmes qui secouent des linges sur leurs portes..
Puis j’aurais remonté la cote du village,
Croisant les vendangeurs, debout près des comportes.
Nul n’aurait su que quelqu’un partait en voyage,
Et le doux cimetière eût été doux ce soir…
Oh ! la montagne, oh ! la vallée et le ciel noir,
La tendresse oubliée, oh ! la mélancolie…

Je voudrais être un vieux bouvier très solitaire,
Prenant à trop songer un ennui de la terre,
Comme un fou que je vis, aux jadis de ma vie.
Qui, sans regarder rien, près des mers embrasées,
Soufflait toute la nuit dans des conques brisées…