Marcel Cattier (p. 203-205).

À PROPOS DE QUELQUES ROMANS
RÉCENTS ET DE BEAUCOUP D’AUTRES


Le roman, c’est l’épopée devenue bourgeoise. On ne lit plus d’épopées. On n’en fait plus. On n’a plus le temps. On est pressé. Time is money. Il suffit à peine d’une vie pour composer une épopée. Il ne faut que quelques mois pour écrire un roman. Et ceci rapporte davantage. Voilà pourquoi l’épopée est morte, et le roman florissant. Et aussi parce que notre siècle démocratique demande une littérature à son image. Le grand art disparaît. Nous sommes aux portes de la « Pambéotie[1] ».

Je médis du roman ? Oui et non. Il y a de bons romans, comme il y a de bons champignons. Il y en a de moraux, et de fort bien écrits. Et ce sont encore des épopées, somme toute, moins le vers et le merveilleux ; les héros, pour n’être plus ni fils de dieux ni même fils de rois, peuvent être très grands encore et très nobles ; quoique dépouillée de son éclat extérieur, l’action peut être digne encore d’intérêt et capable d’émouvoir profondément. Et vous sentez bien que ce n’est pas à ces romans-là que j’en ai. Mais à la camelote qui inonde le marché du livre. Cela grouille partout, la camelote. Rien ne se vend mieux. L’imagination, le cœur, le goût de la foule, corrompus par les romans vénéneux, n’en veulent plus d’autres. Le palais habitué à l’excitation des épices, trouve insipides les mets délicats.

La décadence s’accentue. La guerre ne l’a point enrayée, au contraire. Et les exploiteurs de décadence sont légion. L’art y gagne-t-il ? Nous savons que non. Il est mal servi par ces brocanteurs littéraires. Hélas, beaucoup d’écrivains de talent sont au service de la Bête ; ils dépensent, à corrompre, tous les dons qu’ils devraient employer à épurer, à élever. Car le but de l’art est d’élever, — de procurer l’émotion esthétique, et non le plaisir sensuel qui la détruit.

« Les journaux, disait Barbey d’Aurevilly, sont les chemins de fer du mensonge ». Et les mauvais romans, du vice.

Voilà des vérités banales ? Pas assez banales pour qu’il ne soit opportun de les rappeler. Devant le mal qui croît, une simple constatation platonique ne suffit point. Qui diligitis, odite. Si nous aimons le bien, nous devons haïr le mal. Le haïr efficacement. C’est-à-dire le combattre. C’est même le vrai combat de nos temps, celui qui se livre autour des âmes. L’ennemi qui attaque dans ce domaine-là ébranle moins de quiétudes, fait jeter moins de cris d’alarme et sonner moins de tocsins. Et c’est dommage. Car la meilleure forteresse est assaillie : le cœur et l’esprit de notre peuple.

Aux armes donc, vous les intellectuels qui avez des armes : votre parole, votre plume, votre exemple. Soutenez les écrivains qui luttent contre le torrent impur ; répandez les bons écrits, et, si vous avez le don du verbe, usez-en pour les multiplier. Surtout ne vous intoxiquez pas vous-mêmes, sous prétexte que vous êtes forts, ou que vous connaissez l’antidote.

En France, la réaction devient puissante. Au nom du catholicisme surtout ; au nom de la France aussi, dont les qualités éternelles sont : ordre, mesure, distinction, respect.

Mais l’armée du mal domine encore par le nombre. Il y a la formidable infanterie grouillante des feuilletonnistes, et, littérairement au-dessus, moralement au-dessous, de vrais artistes, qui ne sont point là à leur place, assurément. Guerre à cette armée-là, empoisonneuse de sources.

Vous liguer contre la littérature immorale, c’est être du parti de l’intelligence. Et ce parti-là triomphera, du moins nous pouvons l’espérer. À moins que ne soit arrivée définitivement l’heure du règne de la Bête ? Mais alors même, alors surtout, il faudrait être de l’opposition !



  1. Le magnifique renouveau dont j’ai parlé ne doit pas nous donner l’illusion que toute la littérature s’assainit. Hélas ! pour un bienfaiteur littéraire, que de malfaiteurs encore !