Marcel Cattier (p. 206-208).

L’ART POUR DIEU


C’est la formule qu’un poète catholique belge, Georges Ramaeckers, osa opposer à la sacrosainte formule de l’Art pour l’Art ; la devise dont il arma sa vaillante petite revue au titre provocant : « La Lutte ».

L’Art pour Dieu ! — beau cri de guerre, quand on part en croisade contre la pornographie, ou simplement contre le dilettantisme ; loi splendide pour l’écrivain qui, connaissant le principe de toute beauté créée, en connaît la fin !

Dieu nous ouvre son vaste Univers comme un album plein de jolies images ; nous jubilons, ravis comme des enfants, et nous remercions notre Père qui est dans les Cieux. Quoi de plus naturel ?

Dieu crée l’univers pour sa gloire ; tous les êtres existent pour lui ; nous qu’il a doués d’intelligence, nous reconnaissons sur tous ces êtres la trace de leur Auteur ; remontant d’un reflet de beauté à la Beauté essentielle, nous louons librement dans le signe Ce qu’il révèle, dans l’effet la Cause. Quoi de plus équitable ?

L’Art, pour nous, est infiniment plus qu’un passe-temps, c’est un rite ; infiniment plus qu’un bibelot, c’est un ostensoir ; infiniment plus qu’une chanson, c’est un témoignage. Nous aurons pour lui d’autant plus de respect, que nous le destinons à un usage sublime. Comme on choisit le lin le plus fin pour en tisser le corporal où reposera notre Dieu.

Nous ne dédaignons point l’art naïf des noîx sculptées au couteau par les bergers taciturnes, ou de ces fins navires gréés de fils de soie qu’un artiste campagnard a construits, les fées savent comment, dans la panse d’une bouteille ; — moins encore les délicates merveilles de la dentelle, de la broderie, de l’enluminure ; — moins encore le méticuleux travail qui donne au vers ce fini qui le rend impérissable. Nous aimons le beau travail, et nous ne trouvons pas indigne de l’artiste d’y employer tout son génie. Mais nous qui savons que « la figure de ce monde » passera, nous défendra-t-on de tendre plus haut et plus loin que les beautés contingentes, et de nous servir de l’Art comme d’une échelle d’or, pour relier la terre au Ciel, ce qui passe à ce qui demeure, la beauté fragile et changeante à la Beauté éternelle ?

Nous ne nous servons pas de l’Art comme d’un instrument de propagande, d’une réclame pour l’Évangile. Mais nous le rendons à sa vraie destination ; venu de Dieu, il doit retourner à Lui. C’est là son éminente dignité : rehausser en quelque sorte, pour les hommes, l’éclat des œuvres de Dieu.

L’art, pour nous, est sacré, — non toutefois comme le serait pour un païen une idole ou un fétiche ; mais comme le sont pour les chrétiens les vases sacrés : à cause de sa destination.

Si nous sommes de vrais artistes et de vrais chrétiens, nous ne ferons point de tort à l’Art en le tournant vers Dieu.

Quand l’homme adore l’œuvre de ses mains, c’est soi-même qu’il adore, et l’Art pour l’Art, c’est l’Art pour soi.

La beauté sera-t-elle moins connue et moins aimée, quand on nous l’aura fait voir à la lumière de Dieu ?

Quelle absurdité pour un œil de vouloir posséder les couleurs sans le soleil qui les cause, et pour une âme de vouloir étreindre les apparences sans la réalité sans quoi elles ne seraient point !

Nous restituons, par l’œuvre d’art, le rayon au foyer, l’étincelle à la flamme… Rendez à Dieu ce qui est à Dieu.

L’encensoir, nous le voulons d’or et gemmé, — mais nous ne l’offrons point vide.

Cette œuvre née de notre intelligence et de notre cœur, nous l’aimons presque autant que nous-mêmes ; elle est notre joie et notre richesse ; nous sommes fiers de l’offrir aux hommes, — heureux de l’offrir au Seigneur.

Car nous aimons l’art : pour Dieu. Parce que, si nous aimons les beautés visibles et invisibles, c’est Dieu que nous aimons à travers elles.

… Ainsi le diacre, en passant au prêtre la patène ou le calice, baise l’objet qu’il offre et la main qui le reçoit.