Marcel Cattier (p. 61-88).


Les Maîtres : Paul Claudel

Il n’est pas, à l’heure présente, de poète à la fois plus attaqué et plus acclamé que Paul Claudel.

Sans lui dénier de très grandes qualités, un critique néo-classique, Pierre Lasserre, lui reproche l’absence de composition, « qui permet au poète de parler de tout à tout moment et de ne s’astreindre à aucun ordre dans la pensée », une « verbosité torrentielle qui ne participe en rien à la puissance classique du développement et de la période », des « obscurités symboliques qui ne semblent donner lieu à tant d’interprétations que parce qu’elles n’en souffrent aucune », des « monceaux d’injures prodigieuses et ininterrompues (!) à la langue, au naturel et au goût »[1].

Léon Bocquet parle, à propos de Claudel, de « littérature artificielle » et de « procédé », de « bruit pieux » et de « solennelle cacophonie »[2].

Et l’on trouve que leur jugement, pour être très sévère, n’est pas absolument injuste.

Mais à ces attaques violentes d’un camp, de lyriques éloges d’un autre camp répondent :

Dans le quatrième volume de ses Souvenirs, intitulé « Salons et Journaux », Léon Daudet, qui connaît bien ses contemporains et ne craint point de saper les renommées les mieux établies, termine ainsi une petite galerie de poètes contemporains : « Mais si la Poésie, abstraction faite de la règle prosodique, consiste à être relié au monde par un réseau plus vrai et plus intime que celui des autres humains, à faire vibrer à l’unisson des cordes éloignées et mystérieusement apparentées, à extraire l’essentiel de la circonstance et l’éternel du transitoire, alors le seul poète, grand, invincible poète de notre temps, c’est Paul Claudel ! »

Et un docte professeur de Sorbonne, Fortunat Strowski, dont les jugements n’ont pas moins de poids, ni moins de justesse que ceux de Pierre Lasserre, dit que, comme le vieux Corneille nous a montré le sublime de la volonté humaine et Victor Hugo le sublime des choses, Claudel nous montre le sublime religieux, le sublime chrétien[3].

De tous ces jugements qui se contredisent plus souvent qu’ils ne se complètent, que faut-il conclure ? Serait-ce que Claudel doit sa gloire à la bruyante réclame de ses acolytes, admirateurs « dont on peut discuter la justesse d’esprit » ? Ou bien est-il vraiment un grand poète, l’égal d’Eschyle et de Dante, mais incompris de la foule à cause de sa grandeur même ?

Il faut se garder également d’une admiration aveugle et d’un mépris trop prompt[4].

Paul Claudel est un auteur « difficile », et « son œuvre est moins lue que son nom n’est célèbre. Elle passe pour absconse et n’est goûtée véritablement que dans quelques milieux littéraires distingués, mais assez restreints »[5].

Comme tous les auteurs difficiles, il doit se résigner à ignorer toujours les grands succès et se contenter du culte d’un petit nombre.

Quant à nous, efforçons-nous d’être équitables et impartiaux. Si je lui consacre cette étude, ce n’est point pour le ranger parmi les auteurs classiques, comme d’aucuns prétendent le faire[6]. Je désire tout simplement faire connaître un peu la pensée et l’art très original de ce chef d’école à qui la foi catholique a inspiré des pages d’une incontestable grandeur. Sans pourtant les nier, j’insiste fort peu sur les défauts : il se trouvera toujours assez de critiques, impartiaux ou malveillants, pour les rechercher et les souligner.

Paul Claudel naquit dans un village de Picardie, le 6 août 1868. « Bien que rattachée des deux côtés à des lignées de croyants qui ont donné plusieurs prêtres à l’Église », sa famille était indifférente et, étant venue se fixer à Paris, devint nettement étrangère aux choses de la Foi[7]. Paul fit pourtant une bonne première communion, mais qui marqua, hélas ! le terme de ses pratiques religieuses. Il fut élevé, — ou plutôt instruit, dit-il, — d’abord par un professeur libre, puis dans des collèges laïcs de province, enfin à Louis-le-Grand. Dès son entrée dans ce lycée, il avait perdu la foi. La lecture de la « Vie de Jésus » de Renan, la philosophie kantienne qu’enseignait alors Burdeau, n’étaient point faites pour l’y ramener. Il vivait d’ailleurs dans l’immoralité, et peu à peu tomba dans un état « de désespoir et d’asphyxie » morale. Or, le jour

de Noël 1886, il se rendit à l’église Notre-Dame pour y assister aux offices… Oh ! en dilettante seulement ! Poète âgé de dix-huit ans, il espérait y trouver « la matière de quelques exercices décadents. » Mais la grâce l’attendait là, comme elle avait attendu un autre Paul, son patron, sur la route de Damas. « C’est alors, dit-il, que se produisit l’événement qui domine toute ma vie. En un instant, mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée n’ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, de l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable. En essayant de reconstituer les minutes qui suivirent cet instant extraordinaire, je retrouve les éléments suivants qui cependant ne formaient qu’un seul éclair, une seule arme dont la Providence divine se servait pour atteindre et s’ouvrir enfin le cœur d’un pauvre enfant désespéré : « Que les gens qui croient sont heureux ! — Si c’était vrai, pourtant ?… — C’est vrai ! — Dieu existeIl est là. C’est quelqu’un, — c’est un être aussi personnel que moi ! — Il m’aime, il m’appelle ! » Les larmes et les sanglots étaient venus, et le chant si tendre de l’Adeste ajoutait encore à mon émotion. »

Pourtant Claudel ne se rendit pas encore à la grâce. Il résista pendant quatre ans. Il craignait surtout que son talent fût étouffé par la foi. Et puis, il y avait le repect humain… Mais il ne négligea point l’étude de la religion. Il lut la Bible, les Pensées de Pascal, les Élévations sur les Mystères et les Méditations sur l’Évangile de Bossuet, la Divine Comédie, les récits de Sœur Catherine Emmerich. Mais surtout il suivait assidûment les offices à Notre-Dame. La liturgie le captivait. Et la grâce ne le lâcha point. De jour en jour ses objections devenaient plus faibles et l’exigence de Dieu plus implacable. Enfin il céda. Il se confessa, et le jour de Noël 1890, il fit, à Notre-Dame, sa seconde communion. Depuis lors, comme nous le verrons en analysant son œuvre, il fut un chrétien d’une seule pièce, sans peur et sans reproche. « C’est un croyant, — écrit Léon Daudet, son ancien condisciple — c’est un croyant qui ne barguigne pas avec sa croyance. Il a tôt fait de rembarrer les sots et les railleurs, d’une formule rude comme il en trouve sans effort. » Désormais il possède la force et la fierté du chrétien, la joie de croire, le « gaudium de veritate » qui éclate si fréquemment dans ses œuvres lyriques.

Au sortir de Louis-le-Grand, Claudel était entré à l’École des Sciences politiques. Il y prépara le concours du Ministère des Affaires étrangères, qu’il réussit brillamment. Il fut successivement consul général aux États-Unis, en Extrême-Orient (à Fou-Tchéou et à Ti-en-Tsin), à Prague, à Francfort-sur-le-Mein, à Hambourg, d’où la guerre le fit rappeler en 1914. En 1915-16 il fut chargé d’une mission commerciale à Rome, et en décembre 1916 nommé ministre plénipotentiaire au Brésil.

Chose qui peut paraître étrange : Claudel n’est pas un rêveur, c’est un homme doué de sens pratique, un fonctionnaire clairvoyant et exact. Son extérieur n’est pas celui d’un esthète. C’est un homme robuste, qui a les épaules hautes, la tête solide, la figure ronde, le front très large, les traits simples, les yeux clairs et enfoncés, la moustache rude, les façons vives, la voix brève — voix de commandement mystique, dit Léon Daudet, — une extrême simplicité et une parfaite bonhomie. Nulle pose. C’est un brave homme sans façon et un peu primitif.

La robustesse de son physique se retrouve dans son œuvre et dans son style. Eux aussi ont une forte carrure, et pour ainsi parler, du poing et du biceps. La grâce en son œuvre est passagère ; la force, l’abondance, la solidité y sont permanentes et essentielles.

Étudions d’un peu plus près cette œuvre imposante.

Paul Claudel est, par-dessus tout, un poète religieux. Nourri de la Bible, de la liturgie, de la philosophie et de la théologie catholiques, il a une vision vraiment chrétienne du monde ; « il aperçoit la création entière enveloppée par une atmosphère infinie, imprégnée et imbibée de surnaturel, envahie par la présence et l’action de Dieu. » Il ne voit pas le mouvement universel sans le premier Moteur, les êtres contingents sans l’Être nécessaire, les conséquences et les lois sans la Cause première et le Suprême Législateur. Au sein des apparences il sait la substance à laquelle elles inhèrent, et à l’origine des essences Celui par qui elles sont. Constamment en contemplation devant le monde créé, il y découvre Dieu présent partout par son opération, sa puissance et son essence. Et ce n’est pas une vague déité qu’il adore, mais le Dieu personnel, « le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » qu’invoqua Pascal dans la « Nuit de feu », le Dieu Un et Trine de l’Église catholique. « Et voici que Vous êtes quelqu’un, tout à coup », s’écrie-t-il dans son Magnificat. Dieu est quelqu’un, présent et agissant, — établissant dans l’intimité de l’âme en état de grâce sa demeure. « En un instant mon cœur fut touché et je crus — écrit Claudel dans le bref récit de sa conversion. — Dieu existe, il est là. C’est quelqu’un, c’est un Être aussi personnel que moi. »

Claudel est le chantre de la présence de Dieu. « En dehors des ascètes et des mystiques, dit le P. de Tonquédec, peu d’écrivains que je sache se sont laissé voir plus pénétrés que Claudel du sentiment de Dieu, et plus abîmés en lui. »

Tout son être, toute son œuvre tend vers Dieu comme la fleur vers le soleil et le fer vers l’aimant. On peut répéter au sujet de son œuvre ce qu’Ernest Hello écrivait de la Bible : « Elle parle de tout, et toujours de la même chose. L’unité de préoccupation resplendit dans cette variété d’objets. La présence de Dieu est le sous-entendu qui éclaire de sa lueur terrible les objets les plus insignifiants. »

C’est en mystique que Claudel étudie le monde des âmes et le monde des choses. Pour lui, « être » c’est rendre témoignage, c’est louer l’Être dont on tient l’essence et l’existence. Les choses, par le fait qu’elles existent, sont en « état de prière ». Quant à l’homme doué d’entendement, il doit traduire leurs inconscientes louanges. Il doit dégager de la création matérielle le sens spirituel qu’elle a réellement. « Nous ne comprenons les choses, dit-il, que si nous nous mettons avec elles dans un même état de prière. »

La création apparaît à Claudel comme une « vaste liturgie », dont tous les gestes sont sacrés et semblables à des rites pleins de sens. Quant à la vie humaine, avec ses passions et sa raison et son libre vouloir, elle s’agite sous l’œil terrible de Dieu, et les moindres actes, les plus infimes pensées ont un écho qui se répercute dans les abîmes de l’éternité. Nul poète sans doute, si l’on en excepte peut-être Dante, n’a de la vie une conception aussi élevée et aussi grave. Et il chante sa foi avec une telle conviction, avec une telle joie tranquille et forte dans l’immuable certitude, que cette foi en devient comme rayonnante et conquérante. Claudel n’est pas un apologiste, et pourtant il attire certaines âmes à Dieu. Son verbe magnifiquement affirmatif devient impératif ; il contraint à regarder Dieu. Des incroyants, qui ne lui ont pourtant pas obéi, ont très bien senti cela : Georges Duhamel en fait l’aveu avec beaucoup de franchise, et Jules Rivière écrit : « Qu’on ne pense pas pouvoir lui consacrer une froide admiration. Ce n’est pas l’assentiment de notre goût qu’il désire, mais il exige notre âme, afin de l’offrir à Dieu ; il veut forcer notre consentement intime ; il veut nous arracher, malgré nous, à l’abjection du doute et du dilettantisme… Refuser le christianisme de Claudel, c’est se condamner à n’avoir plus recours qu’en le néant. »

Ce poète-philosophe, qui plonge si avant dans les arcanes de la pensée et du sentiment, est loin d’être insensible à la beauté matérielle du monde extérieur. Sa sensibilité est attentive et frémissante. La nature l’enivre de ses couleurs et de ses lignes, de ses sons et de ses parfums ; et s’il se meut avec une aisance extraordinaire dans l’abstraction pure et la métaphysique la plus élevée, cet étonnant génie n’en saisit pas avec moins de minutieuse précision, dans les êtres corporels, tous les traits, et principalement ceux qui typent et individualisent et caractérisent. Et c’est là une qualité éminemment propre au poète.

Envisageons en Claudel le poète et l’artiste, maintenant que nous avons admiré le chrétien et le penseur. À vrai dire, ce ne sont là qu’aspects différents d’une même forte personnalité en qui s’interpénètrent la foi, la science et la poésie. Claudel appelle lui-même ses ouvrages philosophiques « des poèmes » ; ses poèmes proprement dits sont lourds de pensées philosophiques ; et la Foi est l’âme de toute son œuvre.

Paul Claudel a écrit plusieurs drames : Tête d’Or, la Ville, l’Échange, le Repos du 7e Jour, Partage de midi, l’Otage, l’Annonce faite à Marie, le Pain Dur ; des poèmes lyriques : Processionnal, Cinq grandes Odes, Poèmes pendant la Guerre, Corona Benignitatis Anni Dei, Une Messe là-bas, etc.

Les drames de Claudel, qui constituent la majeure partie de son œuvre, ne sont guère accessibles aux lecteurs ordinaires. Ils déconcertent, surtout ceux composés avant 1910, par leur étrange structure, l’abstraction des personnages, le ton du dialogue ; on ne peut suivre ; on ne comprend pas toujours. On se sent transporté dans un monde de rêve, qui a sa beauté, certes, mais qui diffère par trop de côtés du monde tel que nous le connaissons. « Tout, dit Georges Duhamel, semble étranger au monde des proportions courantes. Il nous faut jeter la vieille balance et le vieux compas, s’il nous plaît d’entretenir commerce avec cet homme. Nous lisons, et nous devons tout aussitôt désavouer les lois d’une perspective estimée jusqu’alors judicieuse. Pour ne pas dire que Claudel n’est pas à notre mesure, je dirai qu’il n’est à la mesure d’aucun autre. » Mais ses derniers drames, l’Otage, l’Annonce faite à Marie, le Pain Dur, sont plus humains et plus réalistes ; la forme s’est clarifiée ; l’action s’est animée et condensée ; la psychologie est plus fouillée ; les singularités de tout genre ont disparu, ou à peu près.

Pourtant, même dans ses drames, Claudel est avant tout et essentiellement un lyrique.

On chercherait en vain dans la littérature française un génie lyrique de sa trempe ; les plus impétueux sont encore faibles à côté de lui. Aucun n’a sa verve et sa longueur d’haleine, pas même Hugo et Verhaeren, chez qui les sentiments violents semblaient atteindre parfois au paroxysme et battre le record de la durée.

Doué d’un tempérament impétueux et d’une imagination colossale, il s’élève d’un puissant coup d’aile et plane très haut, parmi l’azur et le soleil, — et, il faut l’avouer, souvent aussi dans une ombre impénétrable, mais brusquement éclairée de temps en temps par un éblouissant éclair. C’est à Pindare et aux grands prophètes hébreux qu’il fait songer. Comme on est loin, ici, de ces poètes français, si peu lyriques après tout, qui vont de Malherbe aux Préromantiques, et chez qui tout, même le désordre, est un effet de l’art. Chez Claudel, nous assistons à ce qu’il a appelé lui-même « la déflagration de l’Ode soudaine ».

Dans l’Ode intitulée « les Muses » il y a cinq versets magnifiques qui résument les lois de son lyrisme :

« Ô mon âme, il ne faut concerter aucun plan ! Ô mon âme sauvage, il faut nous tenir libres et prêts,

« Comme les immenses bandes fragiles d’hirondelles quand sans voix retentit l’appel automnal !

« Ô mon âme impatiente, pareille à l’aigle sans art ! Comment ferions-nous pour ajuster aucun vers ? À l’aigle qui ne sait pas faire son nid même ?

« Que mon vers ne soit rien d’esclave, mais tel que l’aigle marin qui s’est jeté sur un grand poisson :

« Et l’on ne voit rien qu’un éclatant tourbillon d’ailes et l’éclaboussement de l’écume ! »

Pour avoir une idée de sa manière, comparez par exemple son « Hymne du Saint-Sacrement » au « Lauda Sion » de Thomas d’Aquin qui traite le même sujet. Chez l’un et l’autre, même richesse d’idées, même précision dogmatique, — mais quelle opposition quant à leur art ! Chez le Docteur Angélique, les phrases sont ordonnées, symétriques, soigneusement rythmées, mais trop étudiées, trop repolies, trop concises — de vrais comprimés de doctrine ; l’émotion est figée, trop resserrée dans les rives d’une sagesse un peu trop raisonnante ; les images manquent de spontanéité ; elles ont plus de justesse que de force, plus de netteté que d’éclat. — Chez Claudel, au contraire, la phrase, tantôt récitative, très ample, s’épand en nappe comme un beau fleuve et miroite de flots d’images ; tantôt gonflée d’émotion, bondit comme un torrent avec une force majestueuse ; les images et les sentiments sont tour à tour sublimes et familiers ; ce n’est pas seulement une intelligence qui contemple et adore : c’est un homme tout entier, avec ses sens, son imagination, son cœur et son esprit, qui crie sa ferveur frémissante.

La qualité la plus saillante du génie claudélien, c’est la force. Un cerveau extraordinairement puissant, une imagination féconde, une sensibilité suraiguë, une volonté qui dirige et utilise tous les apports de ses facultés d’ailleurs admirablement équilibrées, s’affirment dans chaque phrase qu’il profère.

Des mots lourds de sens, des métaphores taillées toutes vives dans le réel, peu d’épithètes et peu d’auxiliaires ; mais des substantifs et des verbes actifs — les substances et les activités — tout cela bondissant comme des flots trop pressés dans le torrent véhément de son éloquence puissante et large. Et cette force, cette verve, ce mouvement de tempête se soutiennent ; sans faiblir en des poèmes d’une extraordinaire longueur d’haleine. On pourrait citer, à l’appui, son beau poème de guerre : « Tant que vous voudrez, mon général ! » où la satire véhémente atteint et dépasse les hauteurs de la grande Ode.

D’ailleurs, dans l’ironie, brutale ou nuancée, Claudel est un maître. Il y touche aisément au sublime. D’autres fois, il cache une ironie presque cruelle sous la gravité comique du pince-sans-rire, et l’on devine que, derrière ses grandes lunettes, ses yeux clairs pétillent de malice :

« Le mystère premier, c’est la proposition aux Rois qui sont en même temps les Sages.

« Car, pour les pauvres, c’est trop simple, et nous voyons qu’autour de la crèche, le paysage tout d’abord avec force moutons ne comporte que des bonnes femmes et des bergers,

« Qui d’une voix confessent le Sauveur sans aucune espèce de difficulté.

« Ils sont si pauvres, que cela change à peine le bon Dieu,

« Et son Fils, quand II naît, se trouve comme chez Lui chez eux.

« Mais pour les Savants et les Rois, c’est une bien autre affaire !

« Il faut, pour en trouver jusqu’à trois, remuer tout la terre.

« Encore est-il que ce ne sont pas les plus illustres ni les plus hauts,

« Mais des espèces de magiciens pittoresques et de petits souverains coloniaux.

« Et ce qu’il leur a fallu pour se mettre en mouvement, ce n’est pas une simple citation,

« C’est une étoile du Ciel même qui dirige l’expédition !

« Quand une étoile, qui est fixe depuis le commencement du monde, se met à bouger,

« Un roi — et je dirai même un savant — quelquefois peut consentir à se déranger !… »

— Il est difficile de citer une page de Claudel où ne détonne, au milieu d’une phrase très fière d’allure, une expression familière. Et il est surprenant de rencontrer si souvent la simplicité chez un poète dont la caractéristique est la magnificence.

Cette simplicité se revêt parfois d’une grâce exquise, comme dans ces jolis versets sur le baptême d’un enfant :

« Ô enfant né sur un sol étranger ! ô petit cœur de rose ! ô petit paquet plus frais qu’un gros bouquet de lilas blanc !

« Il attend pour toi deux vieillards dans la vieille maison natale toute fendue, raccommodée avec des bouts de fer et des crochets,

« Il attend pour ton baptême les trois cloches dans le même clocher qui ont sonné pour ton père, pareilles à des anges et à des petites filles de quatorze ans,

« À dix heures, lorsque le jardin embaume et que tous les oiseaux chantent en français ! »

— D’autres fois, elle donne une saveur toute particulière aux traits pittoresques de petits tableaux comme celui-ci, qui se trouve dans son Chant de la Présentation :

« Je vois Marie sans forme ni visage sous son capuchon et son manteau tout trempé de laine grise,

« Tel à peu près qu’en portent aujourd’hui les Petites Sœurs des Pauvres et les Clarisses.

« Je vois le ciel noir avec à l’Est une seule raie couleur de citron,

« Je vois Joseph avec (le prix est dessus encore) les deux colombes dans une cage de jonc… »

— Parfois elle descend jusqu’à une bonhomie toute proche de la trivialité, mais qui est drôle, et dont on sourit sans oser formuler un reproche :

« Joseph, avec l’humble Marie sur le petit âne, s’en va de porte en porte.

« L’aubergiste… refoule avec sa serviette sur le perron et sous la branche de sapin

« Saint Joseph qui n’a pas son auréole sur la tête, mais une vieille casquette en peau de lapin… »

— Cette simplicité rappelle quelquefois, par la gaucherie et l’anachronisme (évidemment conscients et volontaires) les procédés de ces ravissants Primitifs flamands, qui confondent si savoureusement les temps et les lieux, et qui, jusque dans les tableaux religieux de la plus haute signification, glissent des détails du plus charmant réalisme quotidien. Ces traits d’une familiarité ou d’une bonhomie un peu poussée semblent parfois de mauvais goût. Mais qu’on ne s’y méprenne point. Par l’anachronisme naïf et le détail terre à terre, Claudel veut autre chose qu’imiter consciemment ce que faisaient naïvement les Primitifs.

Dans le fait individuel, il distingue la loi générale. Si, par exemple, il peint Renan parmi les bourreaux de la Passion :
 « Le valet d’Anne soufflète Jésus, et Renan le baise[8] »
il veut montrer que la Passion n’est pas un fait historique seulement, mais un fait permanent : la lutte, jusqu’à la fin des temps, du péché contre la vertu, du démon contre le Christ. Ainsi donc, comme Molière et Racine faisaient de leurs personnages des types d’humanité, Claudel, en suggérant, sous l’événement isolé, une signification profonde et universelle, en fait le type de tous les événements analogues.

Et c’est là le don du symbole. Le fait individuel est, par ce regard pénétrant, perçu directement dans ce qu’il a d’essentiel et de général ; et si, — peintre d’une part, Claudel décrit toujours à l’aide de traits choisis qui campent son individu, distinct de tout autre, — philosophe d’autre part, il ne néglige jamais de dégager du concret le sens universel ou symbolique. Il ne voit pas les choses comme nous, c’est-à-dire qu’il les voit mieux, qu’il les pénètre davantage ; et il nous force à penser en regardant. « Nous revenons de chez lui bouleversés et méditants », a dit Georges Duhamel. Et lui-même écrit :

Dieu, faites que je sois un semeur de solitude
Et que celui qui entend ma parole
Rentre chez lui inquiet et lourd.

Le symbolisme de Claudel enrichit et féconde la pensée. Sous l’influence des décadents ses premiers maîtres, ce symbolisme se fait parfois nébuleux, mais d’autres fois, par exemple dans ses Hymnes sacrées, il est transparent.

Voici les symboles qu’il trouve dans la crucifixion de saint Pierre la tête en bas :

« Saint Pierre, le premier pape, est debout sur le Vatican,

« Et de ses mains enchaînées il bénit Rome et le monde dans le soleil couchant.

« Puis on l’a crucifié la tête en bas ; vers le ciel sont exaltés les pieds apostoliques.

« Christ est la tête, mais Pierre est la base et le mouvement de la religion catholique.

« Jésus a planté la croix en terre, mais Pierre l’enracine dans le ciel.

« Il est solidement attaché au travers des vérités éternelles.

« Jésus pend de tout son poids vers la terre ainsi qu’un fruit sur sa tige,

« Mais Pierre est crucifié sur une ancre au plus bas dans l’abîme et le vertige.

« Il regarde à rebours ce ciel dont il a les clefs, le royaume qui repose sur Céphas.

« Il voit Dieu, et le sang de ses pieds lui tombe goutte à goutte sur la face. »

Comme je l’ai dit plus haut, le don d’abstraction qui est un attribut de l’intelligence, s’allie merveilleusement chez Claudel au don d’intuition. Ses sens perçoivent le monde des couleurs, des lignes, des bruits, des sons, des parfums et des saveurs avec une acuité extraordinaire, ce qui dénote une nature admirablement douée et saine. Mais ce qui dépasse tous les exemples connus, c’est la maîtrise avec laquelle il rend, palpitantes de vie, ses sensations. Expression directe, neuve par conséquent et frappante ; images hardies, sans apprêts qui défigurent, servies toutes fraîches.

— Voici saint André qui jette le filet à la mer, et le retire plein de poissons :

« Soudain, comme un grand nuage de tous côtés, sur la paix rase de l’eau,

« Le filet, savamment replié à son bras, part, s’épand, s’épanouit,

« Tombe, file, fond, comme un aigle, à pic, et comme un orage de plomb,

« Boit d’un seul trait sa corde, et rabat son envergure invisible vers le fond.

« La barque évite… ; il n’y a plus qu’à attendre et à surveiller

« La ligne, aussi raide que du fer, qui s’enroule aux grosses mains endommagées.

« Mais, grand Dieu ! que c’est lourd, cette fois, à remonter ! Il tire…

« — Son frère l’aide… — la prise est grande, et tous deux n’y peuvent suffire.

« Et soudain la poche énorme apparaît, pleine de choses vivantes qui bouillent,

« Le bruit gras, cher au pêcheur, du poisson qui reluit et qui grouille. »

« Claudel pense avec ses sens », a dit Jules Rivière, et rien n’est plus vrai : l’abstraction elle-même s’incarne, prend corps et vêtement, sous sa plume.

Je ne connais point de pittoresque plus dru, plus intense, plus vigoureux que le sien. Il ne procède pas par tableaux détaillés aux traits soigneusement coordonnés ; sa description est ramassée. Il a le don de peindre fortement, en quelques traits essentiels et définitifs, des tableaux en raccourci d’une grande intensité, qui suggèrent autant qu’ils décrivent. Ses expressions drues nous enfoncent dans les yeux ce qu’il faut que nous voyions. « Rien de vague, tout est concret et circonstancié à l’extrême. »[9] Il faudrait rappeler ici les métaphores et les comparaisons par lesquelles il veut nous donner la sensation exacte de ce qu’il voit ou entend : « les profondes fumées grelottantes des avoines », le chœur des grenouilles semblable « à une lente ébullition de voyelles », les paupières closes des bonzes qui sont « des mèches de rides » ; — ou celles par lesquelles il concrétise des idées ou des sentiments ; par exemple : Sur la voie douloureuse, Marie rencontre son divin Fils, elle le regarde, et « son âme violemment va vers lui comme le cri du soldat qui meurt. » — et ailleurs : « Notre effort arrivé à une limite vaine, se défait lui-même comme un pli. » On n’en finirait pas, surtout, si l’on voulait citer les expressions d’une concision hardie, qui sont parfois d’une grande beauté : « On l’a tiré de son fourreau comme un glaive » (saint Barthélémy écorché vif.) — Saint Jean communiant « boit jusqu’au fond son ami, il boit son maître, il boit son Dieu. » Et ces beaux vers immenses, simples et profonds, « qui s’enfoncent dans la mémoire comme des clous d’or » :

… « Des prêtres qui nous donnent l’âme et le corps de Dieu à manger, et les leurs avec ! »

… « Plus de crime sans un Dieu dessus et plus de croix sans le Christ. »

… « Ce Dieu est assez pour moi qui tient entre quatre clous ! »

Avec des phrases simples, des mots familiers, il arrive à d’étonnants effets, et surtout à faire vivre des personnages, avec leur geste et leur attitude typiques et symboliques, et, derrière eux, comme un fond de tableau qui fait rêver, une pensée profonde :

« Simon… est l’Apôtre éternellement qui part et qu’on ne voit que de dos…

« … Il traverse le Tanaïs, et c’est lui qu’on voit tout seul qui est assis

« Près d’un petit feu d’argols dans ce désert qui est entre l’Oural et l’Obi,

« Avec pour spectacle devant lui toute la courbure de la planète…

« … Tout son bagage est le nom de Jésus dans sa bouche, dans son sac un peu de vin et de farine,

« Dans sa main droite la croix, et la pierre de la messe sur sa poitrine.

« … Il va vers toute fumée humaine…

« … Les baptisés camards le regardent, bouche béante,

« Qui part, car il faut partir, quand il se retourne vers eux,

« Tout riant dans le soleil, avec des larmes plein les yeux ! »

Peut-on rendre avec plus d’intensité ses sensations que Claudel ne le fait :

« Le froid matin violet

« Glisse sur les plaines éloignées, teignant chaque ornière de sa magie.

« C’est l’heure où le voyageur, blotti dans sa voiture,

« Se réveille en regardant au dehors, tousse et soupire.

« … Le jour blafard éclaire la boue des chemins,

« Et sous les haies, les feuilles de choux et les fleurs

« Versent sur la terre jaune leur charge de pluie. »

Et quelle évocation puissante que cette « entrée de Josué dans la Terre-Promise :

« Après la longue montée, après les longues étapes dans la neige et dans la nuée,

« Il est comme un homme qui commence à descendre, tenant de la main son cheval par le bridon.

« Et il entend derrière lui dans le brouillard le bruit de tout un peuple qui marche.

« Et voici qu’il voit le soleil levant à la hauteur de son genou comme une tache rose dans le coton,

« Et que la vapeur s’amincit et que tout à coup

« Toute la Terre-promise lui apparaît éclatante, toute verte et ruisselante d’eaux…

« … Et l’on voit ça et là, du fond du gouffre, de grandes vapeurs blanches, comme des îles qui larguent leurs amarres, comme des géants chargés d’antres…

« Il est difficile, a dit fort bien un critique, de définir en quoi consiste ce don de la vie qui échappe à tout enseignement comme à tout calcul. Tout au plus peut-on dire qu’il se manifeste par l’expression immédiate et totale de l’objet au moyen de certains traits essentiels et distinctifs qui suppléent aux indications absentes. »

Mais il nous faut examiner ce qui fait l’étrange puissance de ce pittoresque condensé, quel est le secret de la force de ce style nerveux, comme aussi la cause de l’obscurité et de l’incohérence qui ça et là déparent son œuvre : Paul Claudel est un génie synthétique. « Il n’analyse pas, il ne décrit pas son objet avec méthode, il ne développe rien. Il n’examine point les choses par parties et successivement ; il les veut d’emblée et tout entières. C’est un esprit intuitif, et non discursif ; brusque, et non patient. En sa marche hâtive, il néglige de marquer les transitions et de compléter les détails[10]. » De là, ces raccourcis d’expression, ces vers synthétiques, substantiels, et lourds de pensée condensée, ces métaphores directes et violentes, ces sauts lyriques, ces ellipses hardies, ces anacoluthes, ces heurts de mots, parfois étranges et parfois d’une saisissante beauté ; — bref, cette marche impétueuse à travers tout, en bousculant les idées, le goût des lecteurs — et la syntaxe !

Et de mentionner ces coups de poings à la syntaxe m’amène à vous dire quelques mots de la langue de Claudel et de sa métrique ; — parce que c’est précisément elles qui rendent à beaucoup son œuvre inabordable ou déplaisante. Il n’écrit point comme tout le monde ! — Est-ce un mal ? Neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf lecteurs sur mille ne lui pardonnent pas cette originalité, — ne lui pardonnent surtout pas de leur imposer un effort sérieux et long pour entendre sa langue. Mais comme il aurait tort de se soucier de leur paresse intellectuelle ! « Je me contente d’un seul lecteur, disait Montaigne ; je me contente de pas un ! » Claudel n’a besoin que de l’élite. Et je crois qu’il n’écrit que pour elle. Ses « Cinq grandes Odes » ne furent tirées qu’à 200 exemplaires. Il ne sera jamais la pâture du « profanum vulgus. »

Claudel connaît admirablement le français : l’actuel et l’ancien, celui de l’académie et celui du peuple, celui des provinces, celui des arts et des métiers, de la marine et de la guerre. Son vocabulaire est des plus riches et des plus variés. Il connaît l’anatomie des mots, en a scruté le sens jusqu’au fond, les a pris à leur origine, leur restitue souvent leur sens primitif : par exemple : nous appelons les choses, c’est-à-dire nous les évoquons. Il invente même parfois des étymologies ingénieuses autant que fantaisistes, qui les bourrent de sens. Ainsi connaître, pour lui, c’est co naître, naître en même temps, parce qu’une chose que nous connaissons commence à exister pour nous ; naître, c’est n’être, commencer à être ; le nom, c’est le non, le non autre, ce qui marque en quoi tel être n’est pas tel autre. Le mot soi implique essentiellement l’idée de séparation et est apparenté à sanctus, sans, sceau, scindere, etc.

Pour la syntaxe il a peu d’égards quelquefois. Outre les tournures archaïques, hébraïques, latines, etc., il faut signaler ses ellipses et inversions insolites, la suppression de verbes, l’abandon subit d’une construction pour une autre, etc. Et de ces singularités nous n’allons pas le louer. Quant à sa prosodie, elle est tout aussi curieuse et déconcertante. Ce défenseur de l’ordre et de la tradition a montré, il est vrai, son respect du vers classique et son habileté à s’en servir par quelques poèmes en alexandrins d’une grande pureté et d’une harmonie profonde et pleine ; mais le plus souvent il emploie le verset ou bien le vers libre de structure très spéciale qu’on est convenu d’appeler le vers claudélien. Ce vers est basé sur la théorie du rythme respiratoire[11]. La longueur d’un verset correspond à une longueur d’haleine, et la longueur d’haleine varie avec l’émotion : quand celle-ci devient intense, la respiration devient saccadée, et le vers se brise en tronçons.

Cette théorie est fondée en nature et en raison. Mais il faut avouer que Claudel ne l’a pas toujours fidèlement suivie ; et il se rencontre chez lui pas mal d’excentricités inexplicables. Il a évolué toutefois ; dans ses dernières œuvres, son verset est ample, et d’un nombre admirable ; la rime ou du moins l’assonance le terminent presque toujours ; on voit qu’il est fait pour être lu à haute voix. Comme l’a fort bien dit R. Vallery-Radot, il « rappelle certaines proses liturgiques du Moyen Âge. » Il faut tenir opiniâtrement à ce « vieux gaufrier » (comme disait Huysmans) de l’ancienne métrique, pour prononcer une sentence sans appel contre le vers claudélien ! Il faut être insensible à toute musique, pour ne pas sentir la riche et savante harmonie de ces belles phrases balancées selon un rythme qui s’accorde si bien avec la pensée !

… Mais voilà ! Nous avons « perdu l’habitude de la vénération. » Nous trouvons plus de plaisir au dénigrement qu’à la louange. Il faut croire qu’il y a une certaine volupté à « chercher les poux dans la crinière du lion ! »

Et cela explique sans doute le silence insultant ou la pitié dédaigneuse dont on paie aujourd’hui les plus grands d’entre les hommes.

Eh ! oui ! Claudel a d’énormes défauts, comme en ont Shakespeare et Corneille. Je ne demande pas qu’on les lui pardonne. Mais qu’ils n’empêchent pas de voir ses qualités splendides qui font de lui un très grand poète. La postérité, plus juste, aura soin de le venger.

  1. Pierre Lasserre. Les Chapelles Littéraires : Claudel et le Claudélisme.
  2. Léon Bocquet. La Poésie catholique (dans la Revue Générale d’avril 1915). — La critique de M. Bocquet est trop peu nuancée pour être équitable. Il avoue ne découvrir chez Claudel ni le cri parti du cœur, ni les grands thèmes de poésie, ni les images neuves. M. Lasserre, plus juste, reconnaît dans l’œuvre de ce poète « cyclopéen », comme il l’appelle, « un irrécusable courant de poésie et de génie, d’images neuves et créées, de traits moraux d’une délicatesse exquise, d’inventions dramatiques mal réalisées mais appartenant à l’espèce la plus grande, de sentiment élevé, fier et haut. »
    Ailleurs, M. Bocquet semble prendre P. Claudel pour un charlatan et blâme l’édition luxueuse des Cinq odes comme une « affirmation presque insolente de l’importance orgueilleuse qu’il attache à ses moindres conceptions ». — M. Lasserre affirme au contraire que P. Claudel est « un caractère probe et noble entre tous, incapable d’affectations publiques et de mises en scène, supérieur à l’emploi des moyens de plaire ».
  3. Fortunat Strowski. La vie catholique dans la France contemporaine : La littérature.
  4. Nul ne s’en est mieux gardé que le P. de Tonquédec dans son étude sur Paul Claudel (L’Œuvre de P. Claudel. — Beauchesne, éditeur, 1917), que Fortunat Strowski appelle « magistrale », et Pierre Lasserre « la seule étude raisonnable qui ait été jusqu’ici écrite sur ce poète. »
  5. P. Lasserre. Les Chapelles Littéraires. — Léon Bocquet « doute qu’il dépasse un jour cette notoriété de cénaculets ». J’estime qu’il la dépasse déjà. En tout cas, il a connu d’autres triomphes que « l’applaudissement des snobs ».
  6. Ni pour engager les jeunes gens de nos collèges à le lire ; il ne leur convient pas à plus d’un titre, et d’abord parce qu’il manque souvent de clarté, de mesure et de goût. Ils pourront trouver de beaux fragments de son œuvre dans l’  « Anthologie de la poésie catholique », par R. Vallery-Radot (Crès, 1916), et dans les « Morceaux choisis des auteurs français du xe au xxe siècle », par l’abbé J. Calvet (de Gigord 1920). Il serait souhaitable qu’on édite à l’usage des classes et du grand public un recueil des plus belles pages catholiques de Jammes, Claudel et Péguy.
  7. Pour les détails biographiques, j’ai utilisé le récit que M. Claudel a fait lui-même de sa conversion aux lecteurs de la Revue de la Jeunesse (octobre 1913), — récit qu’on peut retrouver dans le livre du R. P. Mainage : Les Témoins du Renouveau catholique, — ainsi que l’étude de Julien Laurec (Le Renouveau catholique) et un article de l’Evening Standard du 10 avril 1915.
  8. Cfr. Chant de la Présentation :
     « C’est en vain que Daniel a prédit le temps, et Michée le lieu, et que l’histoire complète,
     « Avec le nom même de Jésus à chaque ligne, se trouve dans David et dans Isaïe,
     « Tout ça, c’est des histoires de bouquins et des superstitions de sacristie !
     « C’est bien plus intéressant de lire le journal et de faire de la politique contre les Romains ! »
    — Ou encore : Chemin de la Croix. Ire Station :
     « C’est fini. Nous avons jugé Dieu et nous l’avons condamné à mort.
     « Nous ne voulons plus de Jésus-Christ avec nous, car il nous gène.
     « Nous n’avons plus d’autre roi que César ! d’autre loi que le sang et l’or !
     « Crucifiez-le, si vous le voulez, mais débarrassez-nous de lui ! qu’on l’emmène !
     « Tolle ! Tolle ! Tant pis ! puisqu’il le faut, qu’on l’immole et qu’on nous donne Barabbas ! »…
    — Cela n’est-il pas le langage des « sages » d’aujourd’hui tout autant que celui de ces autres « sages » que le Christ « gênait ? »
  9. J. de Tonquédec. Op. cit.
  10. J. de Tonquédec.
  11. Claudel l’a défini lui-même dans « la Ville » :
     « Ô mon fils, lorsque j’étais un poète entre les hommes
    J’inventai ce vers qui n’avait ni rime, ni mètre,
    Et je le définissais, dans le secret de mon cœur, cette fonction double et réciproque
    Par laquelle l’homme absorbe la vie et restitue, dans l’acte suprême de l’expiration,
    Une parole intelligible. »