Le Baron de Saint-Castin, chef abénaquis/04

Éditions de l'Action canadienne-française (p. 64-88).


CHAPITRE IV


LA GUERRE DE SAINT-CASTIN


— I —


Le retour des Français. — Dans un mémoire anonyme de 1684 sur la Coste de l’Acadie 1, on lit : « Rivière de Pentagoët autrement des Etchemins : il y avoit ci-devant un fort pour servir de barrière contre les Anglois. Il n’y a de François à cet endroit que le Sr de Saint-Castin avec quelques valets sans habitation fixe, culture de terre ny pesche, il va et vient avec les sauvages dont la nation est très nombreuse et jusqu’à 2.000. Il est marié avec une sauvage. Il fait un commerce très utile. Il faut observer que depuis le Port Royal jusqu’à Pentagouet le peu de François qu’il y a font le commerce de leur traite qui est leur unique employ avec les Anglois. »

1684. Année où l’on retrouve officiellement Saint-Castin. Année aussi où la France se ressouvient de l’Acadie. Elle y a mis le temps.

Saint-Castin n’aura pas à se réjouir outre mesure du retour des Français. Au contraire, il en éprouvera d’abord de graves ennuis, et c’est pourquoi il restera cantonné chez les sauvages.

On l’attaquera de tous côtés. Reconnaissons tout de suite que ces attaques auront peu souvent un caractère virulent, sauf de la part du gouverneur Perrot inspiré de mobiles sordides. Elles cesseront tout à fait, quand on verra dans Saint-Castin le pilier le plus solide de la défense française en Acadie.


Si depuis la défaite de Chambly les Français se désintéressaient de l’Acadie, les Anglais plus clairvoyants y avaient toujours les yeux. La colonie était perdue n’eût été de trois circonstances. D’abord, l’État-tampon de Saint-Castin sur la Pentagoët. Charlevoix déjà rendait hommage (vol. I, p. 280) aux « services essentiels » rendus par les gens de ces parages « à la Nouvelle-France, qui ne subsisteroit peut-être pas aujourd’hui, si elle ne les avoit eus pour les opposer aux Iroquois et aux Anglois ». Ensuite, la sollicitude de Frontenac, qui harcelait Versailles et nommait des gouverneurs de sa propre autorité, comme Joibert de Soulanges, puis La Vallière. Enfin, la ténacité des colons acadiens. Devenu gouverneur titulaire, en 1683, La Vallière exerça son autorité sur un pays en plein essor. Les vieux établissements se relevaient de leurs ruines. La Vallière mettait en valeur le domaine de Beaubassin, avec l’aide de familles trifluviennes. Pierre Melanson et Pierre Terriau venaient de fonder, à la Grand’Prée des Mines, une colonie immortalisée plus tard par Longfellow. Bergier et sa compagnie des pêches sédentaires exploitaient rationnellement une des plus grandes richesses de l’Acadie. Seule la sécurité due à la présence sur la frontière de Saint-Castin et de ses Abénaquis rendait possibles ces entreprises 2.

À cause de cette prospérité, Versailles, toujours en retard, se préoccupait enfin de sa colonie acadienne. Frontenac, il est vrai, lui rappelait à maintes reprises « la nécessité d’y mettre un gouverneur… et d’empêcher que la colonie qui y reste ne se détruise tout à fait ». Il écrivait encore : « Je suis obligé de vous avertir que les Anglais entreprennent beaucoup, venant pêcher et traiter le long de ces côtes… Il sera difficile de pouvoir les empêcher, et que ceux de Port-Royal ne continuent dans l’inclination qu’ils ont pour eux par la privation où ils seraient de tous les secours de France, et par les assistances qu’ils retirent des Anglais, à moins que Votre Majesté n’ait la bonté d’y pourvoir en y établissant un gouverneur et lui donnant moyen d’y subsister, et de remédier à beaucoup de désordres » 3.

La cour intervenait pour une tout autre raison, c’est-à-dire pour exercer son favoritisme.

La Vallière avait été nommé commandant de l’Acadie par Frontenac, en 1678. La cour ne confirmait cette nomination qu’en 1683. L’année suivante, elle s’empressait de congédier cet excellent fonctionnaire doublé d’un colon à poigne.

Le 10 avril 1681, François Perrot était retiré de Montréal « à cause de sa violence et de ses emportements » ; à cause, surtout, d’affaires assez louches. Mais il était neveu par alliance de l’intendant Talon. L’abandonnerait-on à son triste sort ? On le nomma gouverneur de l’Acadie, colonie dont on faisait peu de cas.

Perrot apportait à Port-Royal ses instincts chicaniers et ses talents d’homme d’affaires retors.

Saint-Castin s’en ressentit. Que se passa-t-il au juste entre les deux hommes ? Sans doute un conflit d’intérêts matériels, comme nous le verrons à propos des fameuses barriques de vin. Perrot et Saint-Castin furent aux prises dès l’abord.

Le baron se prêtait peu à certains marchandages. Aussi Perrot écrivit-il, sur son compte, un rapport défavorable. « Les peuples au lieu de s’appliquer à la culture des terres… ne songent qu’à commercer dans les bois et à mener une vie scandaleuse avec les sauvagesses… Pentagoët est le lieu qui sépare l’Acadie d’avec la Nouvelle-Angleterre. Il y avait un fort qui a esté pris et ruiné pendant les dernières guerres, il y a toujours demeuré un gentilhomme à une demie lieue en deçà avec des valets qui n’a défriché ny rien fait non plus que les autres, que de s’amuser à la traite des sauvages ».

On apprit de la sorte, en France, le sort de Saint-Castin. Ce document nuisit beaucoup à sa réputation. Menneval même, successeur de Perrot et chargé d’instituer une enquête sur son administration, accepta ces calomnies les yeux fermés.

Perrot, commerçant avant tout, s’appliquait à la ruine de son formidable concurrent, « mettant en œuvre pour arriver à ses fins son influence, personnelle ou officielle ».

En juillet 1687, Saint-Castin présentait sa défense dans une lettre fort énergique au gouverneur de la Nouvelle-France. Perrot, affirmait-il, négligeait les intérêts de la colonie. Le gouverneur pouvait se renseigner auprès de l’abbé Petit. (Petit, ami du baron, dut prendre son parti contre Perrot, puisque le commandant de l’Acadie l’accabla d’accusations : trahison envers la France, traite avec les sauvages, etc.) Saint-Castin se plaignait de traitements odieux. « Ce ne sont pas mes petites folies qui inquiètent M. Perrot, ajoutait-il. Il traite de l’eau-de-vie, même devant les étrangers. Il veut être seul marchand. Il ne m’accorde pas de congé pour l’Île Percée, de peur que j’aille à Québec ». Perrot interdisait même à son rival l’importation des meules de moulin, vendues seulement à Boston. Et pourtant, écrivait Saint-Castin, lui-même avait des relations secrètes avec les Anglais. Le ministre n’écrivait-il pas au gouverneur de l’Acadie, le 21 février 1699, que « si après tant de marques de faveur et d’avertissements il continuait son commerce défendu avec les Anglais, le roi lui ferait ressentir son indignation » ?

Jean-Vincent se vengea spirituellement de Perrot s’arrangeant pour lui faire acheter deux navires sur lesquels aucun homme de mer acadien ne voulait embarquer. Perrot embaucha des pêcheurs anglais, qui lui volèrent une bonne partie de la pêche. En désespoir de cause, il rendit les bateaux au vendeur, avec, en guise de dédommagement, le reste du poisson.


Des préoccupations d’un autre ordre jetaient bientôt dans l’ombre ces mesquines querelles. La lutte pour la possession de Pentagoët et de l’Acadie entière devenait sérieuse et Saint-Castin allait y jouer le rôle d’arbitre.

Les Anglais employèrent tous les moyens, la diplomatie comme la guerre, pour venir à bout de cet homme. Comme il entretenait forcément des relations commerciales avec eux en temps de paix, ils voulurent l’attirer de leur côté. La tactique n’avait-elle pas réussi avec Latour, qui avait accepté un titre de l’Angleterre ? Seulement, Saint-Castin n’était pas de même trempe.

Ils lui firent des ouvertures. La Barre, gouverneur de la Nouvelle-France, écrivait du camp de Lachine le 25 juillet 1684, à son collègue Dongan de Boston, qu’il avait vu une lettre, en date du 3 août 1683, dans laquelle le Bostonnais engageait M. de Saint-Castin, « qui commande pour le Roi mon maître à Pentagouët », à se ranger du côté des Anglais 4.

Saint-Castin, à vrai dire, ne commandait pas au nom du roi de France, mais la lettre de La Barre dénotait, chez les Français aussi, le désir de se l’attacher.

Les Anglais ne se tinrent pas pour battus. Menneval écrivait en 1688 : « Le sieur de Saint-Castin… est demeuré habitué à Pentagoët refusant toujours de reconnoitre les Anglois quoi qu’il ait plusieurs fois été sommé avec menaces de le faire, conservant ainsi sa possession à la France ».

Pour en finir, les gens de la Nouvelle-Angleterre décidèrent, par un coup de force, de mettre Saint-Castin devant le fait accompli.


— II —


L’affaire des vins. — Saint-Castin était en relations d’affaires avec un Anglais de Boston, Nelson, qui joua toute sa vie un rôle ténébreux, analogue à celui de Latour en Acadie. Nelson était le neveu et l’héritier de Temple, gouverneur de Boston au temps de l’occupation anglaise, avant l’arrivée de Grandfontaine. Temple, qui avait acheté les biens de Latour, s’était cru lésé par la rétrocession de l’Acadie à la France et il n’avait jamais renoncé aux droits qu’il prétendait posséder sur Pentagoët. En 1671, Talon écrivait au ministre que Temple voulait passer en Nouvelle-France, amenant avec lui les familles françaises établies chez les Anglais (Archives du Canada, rapport de 1899, p. 37.) Nelson revendiquait les mêmes droits. Incapable d’en imposer la reconnaissance aux Français, il gardait du moins le contact avec ceux-ci, fidèle à la tactique de son oncle. Il projetait même de se faire naturaliser français pourvu qu’on lui restituât « ses biens ». La présence de Saint-Castin à Pentagoët lui laissait peu d’espoir, mais il était tenace et, en attendant mieux, commerçait avec l’usurpateur, n’éprouvant du reste aucun scrupule soit à trahir les Anglais auprès des Français soit à espionner les Français au profit des Anglais.

Au mois d’août 1686, le navire la Jeanne de Piscataqua, capitaine Philippe Syuret, parti de Malgue, délivrait à Saint-Castin dans le port de Pentagoët, conformément à ses connaissements, une cargaison composée surtout de vins et destinée à « Nelson, Watkins et consorts », se croyant, comme l’écrit Holmes, en territoire français.

Les agents du duc d’York à Pemquid, c’est-à-dire le juge Palmer et le nommé West, ne partageaient pas l’avis de Syuret. En conséquence, ils envoyèrent un navire à Pentagoët, sous le commandement du capitaine Thomas Sharpe, avec l’ordre de saisir le bâtiment et la cargaison de Syuret, sous prétexte que le débarquement avait eu lieu en territoire anglais sans la formalité de la douane, ce qui constituait un délit de contrebande.

Cette affaire, assez insignifiante en somme, allait avoir des conséquences d’une grande portée pour Saint-Castin, et, en définitive, orienter sa vie.

Tout d’abord, à cette occasion, se montrait la haine inassouvie du gouverneur Perrot, qui l’accusait de complaisance envers Sharpe. En même temps, dans sa lettre au ministre, Perrot se trahissait par son indulgence pour Nelson. Sans doute, était-il en relations d’affaires avec ce louche personnage. Mais Perrot sonnait une note juste : sans les secours des Anglais, les Français de l’Acadie seraient morts de faim 5

Saint-Castin se vit forcé de prendre position. Le juge Palmer lui avait envoyé, par l’intermédiaire de Sharpe, une lettre dans laquelle il lui commandait « au nom de Sa Majesté Britannique de ne point empêcher l’enlèvement du reste des vins qui ont été trouvés sur les terres de Pentagouët », puis « de ne pas menacer les sujets du Roy d’Angleterre, entr’autres, ceux qui sont habitués à l’isle de Montinique et qu’on ne le souffrira pas dans les terres angloises s’il songe à estre secondé des sauvages ». Enfin, le juge sommait le baron, de la part de son souverain, d’indiquer les terres de son choix, en foi de quoi, avec magnanimité, « on les lui conférera sous le nom de sadite Majesté Britannique », à condition bien entendu de prêter serment de fidélité au monarque anglais dans Pemquid. Saint-Castin ne fit qu’en rire.

Par ce coup de main, les Anglais ne visaient pas seulement Saint-Castin : ils vengeaient la défaite qu’Iberville venait de leur infliger à la baie d’Hudson.

Saisi de l’affaire, M. de Bonrepaus, ambassadeur de France à Londres, obtint satisfaction et Saint-Castin rentra en possession de ses vins. Bonrepaus négligeait la question essentielle des frontières. Malgré le traité de Bréda, la Nouvelle-Angleterre réclamait toujours la rivière de Pentagoët. L’ambassadeur remit les négociations à plus tard, et, en 1689, la commission mixte des frontières reconnut les droits de la France sur les deux rives du cours d’eau contesté.

Les gens de Boston n’attendirent pas le bon plaisir des diplomates. Furieux, ils rendirent le vin à Saint-Castin (d’autant plus que les Abénaquis se montraient menaçants, prenant fait et cause pour le gendre de leur grand sachem), mais, en guise de vengeance, ils révisèrent eux-mêmes la frontière de façon à englober définitivement l’établissement de Pentagoët « dans le territoire du duc d’York » (Neal, p. 424).

Saint-Castin se rangea carrément du côté de la France. Afin de narguer Palmer, il demanda à Versailles la concession de Pentagoët : jamais pressée, la cour ne fit droit à sa requête qu’au bout de trois ans. En même temps, il proposait de fonder, avec 30 soldats joints à 400 sauvages dignes de toute sa confiance, un établissement opposé efficacement au passage des Anglais.

Naturellement, la cour ne donna aucune suite à ce projet si sensé. Elle ordonna simplement à M. de Menneval, qui venait remplacer Perrot et en même temps enquêter sur son administration, d’attirer Saint-Castin vers les Français.

Menneval s’entendait très bien avec le baron. Trompé d’abord par les calomnies de Perrot, il constata bientôt que Saint-Castin, régulièrement marié, ne menait pas la vie de débauche décrite par le gouverneur prévaricateur.


— III —


Andros contre Saint-Castin. — Sur l’entrefaite, Saint-Castin quittait l’Acadie avec un parti de ses sauvages et, ayant opéré sa jonction avec les Abénaquis réfugiés au Canada, grossissait les troupes conduites par le marquis de Denonville contre les Iroquois 6.

Là comme ailleurs, les Abénaquis montrèrent leur valeur. Composant avec d’autres l’avant-garde de l’armée en marche vers les bourgades des Tsonnontouans aux environs du lac Ontario, ils tombèrent dans la première embuscade dressée par 800 Iroquois. Ceux-ci se croyant en présence du gros de l’ennemi se jetèrent en corps sur l’avant-garde. La plupart des alliés lâchèrent pied. Mais les Abénaquis, aidés de quelques Canadiens, tinrent ferme, jusqu’à l’arrivée des renforts. Leur cran sauva l’armée. Le soir, les sauvages de Denonville se livrèrent à l’orgie, inséparable de toute victoire à leurs yeux. Ils dépecèrent le corps des Iroquois tombés dans la mêlée et s’en régalèrent.

Les Abénaquis ne prirent aucune part à ce festin, car, selon Charlevoix, « ils n’ont jamais été anthropophages, pas plus que les Micmacs » 7.

Sir Edmund Andros profita de l’absence de Saint-Castin. Inspectant les côtes à bord de la frégate La Rose, et arrivant à la baie de Pentagoët, il envoya le capitaine George prévenir le baron de sa visite, raconta-t-il plus tard. George ne trouva pas son homme et pour cause. (Le baron, affirmait Andros, avait fui dans les bois à son approche.) Le gouverneur se rendit quand même chez Jean-Vincent et pénétra en vainqueur dans sa maison, puis dans le fort, où la salle commune ne renfermait qu’un petit autel « garni de tableaux et des ornements ordinaires ». Dans une autre pièce, se trouvait un approvisionnement considérable d’armes, de poudre, de vin et d’autres marchandises. Andros « n’approuvant pas ce commerce », embarqua le tout sur le navire. Après quoi il porta à Madokawando quatorze couvertes bleues, douze chemises, trois pièces de drap et deux barils de vin. Le gendre du grand sachem, dit Andros, recouvrerait son bien, s’il le réclamait à Pemquid et prêtait le serment de fidélité au Roi d’Angleterre 8. Menneval attribuait donc avec raison l’acte d’Andros au refus de Saint-Castin « de reconnoistre les Anglois ».

Du reste, Nelson recontait, dans un mémoire du 2 juillet 1697, qu’Andros avait frété La Rose expressément en vue de ce pillage, parce que le baron, malgré toutes les objurgations, ne reconnaissait pas la souveraineté anglaise 9. Williamson (I, 586) affirme de son côté qu’Andros avait pris la mer avec la ferme intention de détruire Pentagoët.


Vers le même temps, le baron expédiait de Québec, avec l’assentiment de Denonville, une barque chargée de farine et destinée au ravitaillement de Menneval. Saint-Castin y avait joint diverses marchandises, d’une valeur de 500 livres, précise Nicholson, à l’intention de la population acadienne aux abois « qui ne comptoit que là-dessus ». Andros, croisant en vue des côtes, s’empara de cette barque.


C’était le début d’une guerre d’usure entreprise par les « marchands anglois chagrins de l’insulte qu’on leur avoit faite à la baye d’Hudson vers le nord. Ils s’en vouloient venger sur l’Acadie par représailles et (ils affirmaient) qu’ils ruineroient cette colonie ; ils assembloient des flibustiers sans aveu vers St-Domingue pour exécuter leur entreprise » 10.

Dans une lettre au gouverneur de Boston, datée de Québec le 23 octobre 1688, Denonville exprimait sa surprise « de la violence commise par ordre d’Andros sur Saint-Castin à Pentagoët ». Mieux valait, ajoutait-il, abandonner aux deux rois le règlement des prétentions sur la place que de piller l’habitation d’un particulier 11.

Le gouverneur de la Nouvelle-France ignorait que son collègue de Boston (depuis 1687, gouverneur général de la Nouvelle-York, de la Nouvelle-Angleterre et du New-Jersey) dirigeait lui-même l’expédition. Il ne savait pas non plus qu’Andros, depuis longtemps, mettait tout en œuvre pour réduire Pentagoët à l’obéissance du roi d’Angleterre. On n’en veut pour preuve que l’ordre donné en 1687 à l’enseigne Joshua Vipon, commandant de Pemquid, de se rendre en voyage d’inspection à Penobscot avec mission d’engager les chrétiens à se tenir en contact avec Pemquid. Vipon devait aussi entamer des conversations avec les Indiens et remettre à Madokawando une belle couverte et un baril de rhum « pour boire entre eux » 12.

Prévoyant l’intervention des autorités supérieures, le capitaine Nicholson écrivait de Boston, le 31 août, que, d’après certaine rumeur, Saint-Castin avait paru à Penobscot avec un ingénieur afin d’y élever un fort 13. Saccardy, de fait, étudiait à cette époque les fortifications de l’Acadie. Sans doute s’était-il rendu à Pentagoët, mais Saint-Castin se trouvait alors auprès de Denonville. Dans une autre lettre, Nicholson prétendait que la barque envoyée de Québec par Saint-Castin avait été capturée par des pirates dans le « Gulf of Cancer ».

En général, on blâmait furieusement Andros de cette inqualifiable agression. Ce fut un des griefs formulés contre lui lors de la révolution à Boston, deux ans plus tard, car on voyait dans ce geste la cause de la guerre avec les Indiens. Andros parti, le gouvernement de Boston, désireux de rétablir la paix avec Pentagoët, envoya des excuses à Saint-Castin, lui affirmant qu’il n’avait été pour rien dans l’attaque 14.

Le voyage d’Andros occupa les diplomates. Denonville en instruisit le ministre Seignelay, qui chargea Bonrepaus de protester à Londres. Les Commissaires anglais reconnurent que le fort de Pentagoët était en territoire français, mais ils revendiquaient toujours l’autre rive de la rivière, point sur lequel les Français ne cédaient pas 15.

En dédommagement des dégâts causés par Andros, Saint-Castin reçut la concession de « deux lieues de front à prendre en terres non concédées le long de la rivière Saint-Jean, joignant celles de Jemseck et sur une pareille profondeur » 16. Générosité peu coûteuse pour Versailles. Elle avait pour objet d’attacher plus solidement à la France un homme indispensable dans ce coin du monde. Quant à Jean-Vincent, s’il ne pouvait en tirer grand avantage, il avait intérêt à ménager l’avenir, car il avait plusieurs enfants.


— IV —


Saint-Castin contre Boston. — La fugue d’Andros coûta cher à Boston. De retour en Acadie, Saint-Castin poussait les Indiens à la guerre 17. Il les convainquit sans peine : ils ne demandaient qu’un prétexte, si nombreux étant leurs griefs contre les Anglais 18. Ceux-ci ne leur versaient pas le tribut spécifié dans le traité de 1678 ; ils dépeuplaient les fonds de pêche par l’emploi de seines ; leur bétail détruisait les champs de maïs ; enfin, ils s’étaient emparés du territoire de Pemquid sans aucune permission, « tandis que dans les affaires ils fraudaient les sauvages si même ils ne les volaient pas purement et simplement » 19.

L’heure était bien choisie, puisque les tribus restées en Nouvelle-Angleterre offraient leur alliance aux Abénaquis.

Les Anglais eurent vent de quelque chose et l’inquiétude envahit leur capitale. Mais le gouverneur Andros, animé d’un bel optimisme, proclamait l’impossibilité de la guerre. Quand des courriers lui firent connaître d’inquiétants mouvements dans les wigwams, il voulut entamer des négociations, par l’intermédiaire de M. Stoughton. Les sauvages lui répondirent par une attaque soudaine contre North-Yarthmouth, dans la province du Maine.

Ainsi débuta une guerre acharnée de plus de dix ans, que des historiens de la Nouvelle-Angleterre ont appelée « la guerre de Saint-Castin » 20. D’autres lui donnent le nom de « guerre du roi Guillaume ».

Dès l’été, les Indiens se répandaient en Nouvelle-Angleterre. Le capitaine-juge Blackman de Casco, au cours d’une sortie contre eux, s’empara de 18 prisonniers. Cette fugue eut des conséquences funestes 21.

C’était au mois de septembre. Le capitaine Gendal s’était rendu à North-Yarmouth, près de la maison d’un nommé Royall transformée en caserne, afin d’y élever une palissade en prévision des attaques. Tout à coup, un prisonnier anglais, échappé aux sauvages, arriva à la course, annonçant l’approche de l’ennemi. Pris de panique, les soldats s’enfuirent, traversèrent la rivière et tombèrent aux mains de 70 à 80 Indiens. De Casco, établissement situé tout près de là, des colons venus à la rescousse mirent les Indiens en fuite après un combat acharné et délivrèrent bon nombre des leurs.

Le lendemain matin à l’aurore, croyant les sauvages partis, Gendal, suivi d’un valet, se risqua hors de la palissade. Des broussailles environnantes jaillirent des Abénaquis qui tuèrent les deux blancs. Le même soir, John Royall était capturé et un autre Anglais, tué. Saint-Castin, alors commandant des sauvages, rendit la liberté à Royall en échange d’une rançon 22.

Les Indiens marchèrent ensuite sur Casco, mais ils furent repoussés. Quelques jours plus tard, ils paraissaient à Merry-Meeting. où ils incendièrent les maisons et massacrèrent les habitants. Ayant ainsi manifesté leurs intentions, ils rentrèrent chez eux.

Les Anglais hâtèrent le rétablissement de leurs garrison-houses. Rentré à New-York et désireux d’éviter à tout prix une guerre dont il aurait porté la responsabilité à cause de sa randonnée sur Pentagoët, Andros libéra les prisonniers de Blackman. Il les renvoya avec leurs armes, sans autre forme de procès.

Cet acte de clémence fit gronder la colonie, d’autant que les tribus ne répondirent en rien à ces avances. Alors, le pauvre Andros changea de tactique. Le 20 octobre, dans une proclamation, il exigeait des tribus la libération des prisonniers anglais et la comparution devant les tribunaux des sauvages coupables du meurtre de colons.

Les indigènes y répondirent en mettant Sheepscott à feu et à sang. Ils se présentèrent ensuite devant Kennebunk, où ils massacrèrent plusieurs personnes.

En novembre, Andros recrutait 700 miliciens qu’il affectait aux frontières. Falmouth reçut soixante hommes commandés par le capitaine Lockhart et Pemquid, trente-six sous le commandement du capitaine Anthony Brockhurst. Deux compagnies de soixante hommes chacune, sous les capitaines Tyng et Minot, devaient appuyer ces places. Les autres postes étaient renforcés, si bien qu’il y eut bientôt assez de troupes, au dire de Willis, « pour protéger toute la frontière du Maine ».

À l’approche de l’hiver, les sauvages s’étaient retirés dans leur territoire. Andros choisit ce moment pour marcher contre eux, à la tête de mille hommes. Les Indiens, réfugiés dans les bois, devinrent insaisissables. Ils se volatilisaient, chaque fois qu’un éclaireur les signalait et que le Bostonnais accourait avec ses soldats. La température était rude. La troupe d’Andros fondait par l’effet des fatigues et des intempéries. Ce que voyant et n’osant rentrer dans sa capitale, Andros alla compléter les fortifications de Pemquid, puis élever de nouveaux forts à Pechypscott et à Sheepscott. Mais les soldats ne se trouvèrent pas mieux de ce service et ils continuèrent à mourir comme mouches. Andros abandonna la partie.

Les sauvages sortirent alors de leurs cachettes. Le 23 janvier, une lettre apprenait au major Frost, commandant en chef de l’année coloniale, que, la veille, les Indiens avaient surpris Saco, détruit plusieurs maisons de ce poste et tué huit ou neuf personnes.


— V —


Détresse de l’Acadie. — Les affaires de l’Acadie ne s’amélioraient pas.

Louis-Alexandre des Friches seigneur de Menneval était animé des meilleures intentions du monde lorsqu’il succéda au gouverneur Perrot. Les intentions seules ne mènent à rien. Versailles s’en contentait pourtant. Comme ses prédécesseurs, Menneval manquait de soldats et d’argent. « Je commence à désespérer, écrivait-il dès 1688, de voir les navires que nous attendons toujours et qui cependant ne viennent point. Si nous passons jusqu’à la Toussaint sans recevoir de secours, je ne sais en vérité ce que je ferai, car je me vois dans des embarras dont un plus habile homme que moi aurait peine à se bien tirer ».

Il souffrait surtout de l’esprit d’intrigue répandu dans son maigre état-major et il se plaignait de ces jeunes officiers « bavards, malveillants, acrimonieux, qui assiègent le Ministère de récriminations peu fondées ». Sa lettre se terminait sur une note pathétique : « Si l’année prochaine je ne sors pas d’ici, ou j’y mourrai de chagrin, ou je ferai quelque pas qui déplaira à la cour, c’est-à-dire je sortirai d’ici sans congé, quoi qu’il puisse arriver ».

Pour toute consolation, le gouverneur vit arriver un certain Mathieu Gouttins, qui signait des Gouttins et qui, d’abord avec le titre de commis de la marine puis celui de procureur du roi, allait s’employer activement pendant de nombreuses années à contrecarrer les plans des gouverneurs et à les critiquer dans des mémoires sans nombre en vue de son avancement personnel. Tactique d’ailleurs habile. On aimait assez à Versailles ces officieux, dénonciateurs des gens en place.

Menneval reçut un homme plus utile, l’ingénieur Pasquine, employé à la réparation des fortifications. Pasquine constata les lacunes, prépara un plan, releva les ruines. Mais quand il s’avisa, avec son collègue Saccardy, de prolonger les murs de Port-Royal vers la mer, il s’attira une verte remontrance de la cour.

Dans une lettre de 1689, Menneval racontait que les Anglais avaient d’abord songé, puis renoncé à une attaque contre Port-Royal. « S’ils l’avaient fait, ajoutait-il, il serait fort à craindre que les Français n’auraient pu résister, le fort étant tout ouvert et n’ayant pas même un canonnier. »

Le pauvre gouverneur disposait à peine de 90 soldats (outre deux sergents, quatre caporaux, quatre anspessades, un ou deux officiers), dont 25 gardaient le fort Saint-Louis de Chedabouctou. « La moitié seulement sont armés, tant les armes sont mauvaises, et quelques-uns sont si vieux et si réformés qu’ils sont à la charge du pays ; l’hôpital n’a que quatre lits et pas de remèdes ». Dépourvu d’argent. Menneval prenait sur le fonds des fortifications la solde du chirurgien et des soldats 23.

Il reçut enfin du secours. Trois fils du baron de Port-neuf, Villebon, Portneuf et Neuvillette, ainsi que Dauphin de Montorgueil, arrivèrent chacun à la tête d’un détachement de 45 soldats 24.


— VI —


La révolution à Boston. — On était en 1689, année fertile en événements. Les Indiens l’avaient commencée par une attaque contre Saco suivie de ravages dans les campagnes.

La Nouvelle-Angleterre n’était guère en état de leur résister. L’avènement de Guillaume d’Orange, en Angleterre, avait été dans les colonies le signal d’une révolution qui, non seulement mettait aux prises tenants des Stuarts et partisans d’Orange, mais dressait contre les gouvernants les coloniaux exaspérés par le régime des années précédentes.

Leurs griefs remontaient à 1684, année où Charles II avait substitué aux chartes coloniales le pouvoir personnel. Andros et Dongan étaient devenus les instruments du roi.

La garnison de Pemquid se mutina, l’émeute gronda dans Boston 25. Vingt compagnies de volontaires s’y concentrèrent. Douze cents hommes, à Charlestown, attendaient le signal.

Les colons dressèrent la liste de leurs revendications dans un document solennel. Au fond, ils en avaient surtout contre la tolérance des gouvernants à l’égard des catholiques. Leur réquisitoire vibrait d’imprécations contre la popery et les papists. Ils s’élevaient aussi contre la dictature d’Andros qui avait gouverné et imposé des taxes sans consulter le conseil élu. On lui reprochait ses exigences à l’égard des occupants de terres forcés de se pourvoir de titres réguliers ou évincés au profit de personnes disposées à offrir davantage. Que ne relevait-on pas contre lui ? On le disait papiste ; on l’accusait de favoritisme dans le choix des fonctionnaires et on lui faisait un grief mortel d’avoir imposé, dans les tribunaux, le serment sur la Bible à la place du serment à main levée. Enfin, on le critiquait vertement d’avoir provoqué la guerre de Saint-Castin et, illogiquement, d’avoir libéré les prisonniers de Blackman. Beaucoup, perdant la tête, l’accusaient d’avoir aidé les sauvages catholiques pour la destruction des établissements protestants de la frontière. Un chroniqueur écrit même cette énormité : « Andros est, de quelque façon, d’origine française. Il favorise donc les intérêts français » 26. « Nous sommes devenus esclaves, proclamait le fameux document. Nous réclamons un gouvernement sorti de la voix du peuple » 27.

Andros, déposé, eut pour successeur l’ancien gouverneur Bradstreet rétabli dans ses fonctions.

Bradstreet, se flattant de conclure la paix avec les Indiens, leur envoya des plénipotentiaires et des cadeaux. Moyennant une forte somme, un sachem abénaquis prêcherait à ses compatriotes l’enterrement de la hache de guerre. Le sachem prit l’argent et s’en fut à Pentagoët où Saint-Castin modifia bien vite ses dispositions. Loin de servir les Anglais, il se mit à la tête d’un parti de guerriers 28. Bradstreet, dans un effort suprême, chargea le capitaine Greenleaf d’une ambassade solennelle auprès des sauvages. Rien ne pouvait arrêter les Indiens, décidés à laver dans le sang la vieille trahison de Waldron. Quelques-uns des sauvages capturés cette fois-là et vendus comme esclaves dans les Îles étaient rentrés à Pentagoët où ils entretenaient le feu sacré de la vengeance.

Les Pentagoëts conclurent une alliance avec leurs frères de Penacook dont le chef Hagkins « prêta l’oreille aux émissaires de Castine » 29. L’orage éclatait le 28 juin 1689.


— VII —


Le massacre de Dover. — Depuis quelques jours, les Indiens affluaient à Dover, sur la rivière Cocheco, en vue de la traite annuelle. Des rumeurs inquiétantes circulaient, les habitants de la petite ville sentaient planer une menace. Waldron, toujours alerte malgré ses quatre-vingts ans, se moquait des avertissements et se reposait sur les protestations d’amitié que lui prodiguaient les Indiens.

En réalité, les sauvages avaient conçu un plan d’une ruse infernale. La veille du jour choisi, des squaws devaient demander l’hospitalité pour la nuit dans chaque maison barricadée (ou garrison-house) de l’établissement. Au petit matin, elles devaient ouvrir les grilles et appeler les guerriers par un sifflement.

Ces garrison-houses étaient de pierre, ou de billes à peine équarries. Le chêne servait à leur construction, parce que ce bois résistait bien à l’incendie, aux balles et aux tomahawks. Refuges des habitants de la région en cas d’alerte et par conséquent très vastes, ces maisons se composaient d’un rez-de-chaussée surmonté d’un étage en encorbellement d’où l’on pouvait canarder l’assaillant. Des meurtrières s’ouvraient dans les murs et de lourds volets percés de trous garnissaient les fenêtres. Des barres intérieures fermaient les portes faites de gros madriers. Plusieurs de ces fortins se complétaient de tours d’observation à chaque coin ou bien d’avant-corps d’où l’on observait de loin le mouvement des ennemis.

D’autres, habitations ordinaires, étaient entourées d’une forte palissade. Ce moyen de défense existait dans toute la Nouvelle-Angleterre 30

Le 27 juin, deux squaws se présentaient à chaque maison désignée. On les y recevait avec cordialité. Leurs hôtes poussaient la complaisance jusqu’à leur expliquer la façon d’ouvrir les portes, en cas de nécessité, durant la nuit.

Waldron hébergeait le chef Mecondowit. Les deux hommes passèrent une soirée agréable, à fumer et à se raconter des souvenirs. À un certain moment, Mocondowit dit à son hôte : « Que ferait mon frère Waldron si les Indiens étrangers arrivaient tout à coup ? » Avec bonne humeur, Waldron répondit qu’à un simple signal du doigt, cent soldats accourraient aussitôt.

On se coucha. Le silence se fit partout. L’heure vint. Doucement les portes de toutes les garrison-houses s’ouvrirent, des squaws en sortirent et de longs sifflements troublèrent la sérénité de la nuit. Dans le clair de lune surgirent des ombres bondissantes. Des cris de terreur s’élevèrent, des lueurs d’incendie trouèrent l’ombre. Deux cents Indiens mettaient la malheureuse ville à feu et à sang.

Chez Waldron, plusieurs des assaillants avaient surpris le major dans son lit. Le solide vieillard se défendit avec vaillance, mais il fut bientôt terrassé. On l’attacha sur une chaise, dépouillé de ses vêtements. Ayant trouvé le garde-manger, les ennemis firent ripaille à son nez. Chacun, à tour de rôle, marquait d’une croix quelque coin de sa chair, au moyen d’un couteau, disant en même temps : « Je biffe mon compte ». Leurs amis entraient un instant pour assouvir eux aussi leur vengeance. Puis ils lui coupèrent le nez et les oreilles, qu’ils lui mirent dans la bouche. Ils lui tranchèrent la main droite car il avait l’habitude, en pesant les fourrures, de la mettre dans le plateau de la balance afin de diminuer d’une livre le poids des pelleteries. Enfin, plantant son sabre devant lui, la pointe en l’air, ils le précipitèrent dessus. « Ton poing va-t-il peser une livre maintenant ? » 31 s’écrièrent-ils. Les sauvages tuèrent son gendre Abraham Lee, et ils emmenèrent en captivité sa fille et ses serviteurs. Puis, ayant tout pillé, ils mirent le feu à la maison. Ainsi était vengée la trahison en 1676.

Les sauvages se retirèrent de Dover, après avoir tué 23 personnes, en avoir capturé 29 et incendié plusieurs maisons, entre autres les garrison-houses.

Le jour même arrivait à Dover une lettre, retardée en route, qui avertissait Waldron du complot.

Des troupes, parties de Boston sous les ordres du capitaine Noyes, poursuivirent activement les Indiens. Ils s’étaient égaillés dans les bois, d’où ils fondaient tout à coup sur les fermes, sur les groupes isolés. Plusieurs personnes perdirent ainsi la vie sur la rivière Merrimack. Quatre jeunes gens de Saco eurent le même sort.


— VIII —


À Pemquid. — Le 2 août 1689, un nommé Starky se promenant dans les champs aux environs de Pemquid tombait aux mains des Indiens. Mort de peur, il apprit aux ennemis que la garnison était affaiblie et privée d’un de ses meilleurs officiers, le capitaine Giles, parti pour sa ferme, sur la rivière Kennébec, avec quatorze hommes.

Les sauvages dépêchèrent un courrier à Pentagoët, puis allèrent tuer Giles et ses compagnons. Cent guerriers de Saint-Castin débarquaient bientôt de leurs canots à deux lieues de Pemquid. Ils avaient appris de trois Anglais capturés en route qu’une centaine d’hommes se trouvaient dans le fort ou le village.

Réunis, les deux partis fondirent sur l’habitation. « Ils donnèrent de furie sur les maisons, brisèrent les portes, firent main basse sur tout ce qui se mit en devoir de résister et lièrent tous ceux qui rendirent les armes ».

Le capitaine Weems, commandant du fort, fit entrer le canon en danse. Les Abénaquis, en possession de « dix ou douze maisons de pierre, bien bâties et qui formaient une rue tirée de la Place du village jusqu’au fort, se retranchèrent à l’entrée de la cave dans la maison la plus voisine du Fort », ou derrière des rochers, au bord de la mer. Ils entretinrent un feu de mousqueterie si nourri, de midi jusqu’au soir, le 14, que personne ne se risqua à découvert.

« La nuit venue, les assaillants sommèrent la place. Un Anglois ayant répondu en se mocquant qu’il étoit fatigué et qu’il alloit dormir, on commença, comme de concert, de tirer de part et d’autre ». Les sauvages investirent le fort à la faveur des ténèbres et le lendemain, « à la petite pointe du jour », le feu recommença de plus belle. « Mais après quelques descharges, les Anglois cessèrent de tirer et demandèrent à capituler ».

Le commandant parut avec quatorze hommes, des femmes, des enfants, tous chargés de nombreux paquets. Les sauvages « se contentèrent de leur dire que, s’ils étoient sages, ils ne reviendroient plus ; que les nations abénaquises avoient trop d’expérience de leur perfidie pour les laisser jamais en repos, s’ils s’avisoient de se remontrer dans leur pays ; qu’ils étoient les maîtres de leur terre ; qu’ils n’y souffriroient jamais des gens aussi inquiets et aussi entreprenans qu’eux, et qui les troubloient dans l’exercice de leur religion ».

Trait à l’honneur de la forte discipline imposée par Saint-Castin à ces enfants de la nature, « ils entrèrent dans le fort et n’y commirent aucun désordre, non plus que dans les maisons, où, ayant trouvé une barrique d’eau-de-vie, ils la brisèrent, sans en boire une seule goutte, ce qui est héroïque dans les sauvages. Quand ils eurent tout visité, ils prirent ce qui étoit le plus à leur bienséance et rasèrent le fort et les maisons ».

Ils s’embarquèrent dans deux fortes barques anglaises prises la veille au débarquement des capitaines Skinner et Farnham, venus d’une île située à un demi-mille de la côte. Équipages et capitaines avaient succombé sous les balles des sauvages 32.

À leur entrée dans le fort, les vainqueurs avaient trouvé une fosse assez profonde, toute remplie de cadavres et le commandant ennemi leur avait dit « qu’ils avoient de bonne poudre et que leurs fusils tiroient bien juste. Il en avoit fait lui-même l’épreuve, car il avoit le visage à demi-brûlé ». Les sauvages lui avaient répondu que, aidés de deux cents Français « un peu assurés », ils iraient jusque dans Boston 33.


Enivrés de leur succès, les Indiens se jetaient ensuite sur Sheepscote et Kennebunk, vidés de leurs habitants en fuite vers Falmouth 34.

Les Abénaquis poursuivirent leur marche. Il existait, écrit Charlevoix, quatorze petits forts aux environs de Kinibequi. « Ils les surprennent tous, tuent deux cents personnes et rapportent un grand butin ».

Le 28 août, le capitaine Swayne arrivait dans la région à la tête de huit compagnies envoyées en toute hâte par le Massachusetts. De son côté, Plymouth dépêchait le capitaine Church avec de nombreux volontaires. Mais ni Swayne, ni Church ne purent se mesurer avec les sauvages. Fidèles à leur tactique, dès l’apparition d’une force considérable, les Abénaquis se dispersaient dans les bois ; leurs ennemis s’épuisaient en courses inutiles. Cependant, ils fallirent tomber dans le guêpier. Sachant Casco peu défendu par le capitaine Hall, ils y mirent le siège. Le jour même où ils allaient livrer assaut, Church débarquait ses deux cents hommes. Militaire expérimenté, le nouveau venu organisa la défense de main de maître. (On verra par la suite que l’offensive ne lui réussissait pas aussi bien.) S’étant fait tuer plusieurs hommes, les Indiens abandonnèrent le terrain afin de s’attaquer à moins forte partie. Saint-Castin les commandait alors et le père Thury, à Pentagoët depuis 1684, les accompagnait.

Tout glorieux d’un exploit peu coûteux, Church rentra chez lui 35. Swayne chercha les sauvages pendant quelque temps, puis il quitta la place lui aussi.


— IX —


La vengeance de Frontenac. — 1689 ! Année sombre pour la Nouvelle-France. Soudoyés par les Anglais, irrités par les vexations stupides de Denonville et de son prédécesseur, les Iroquois envahissent la colonie. À l’aube du 5 août, 1 500 d’entre eux, poussant leurs sinistres whoop, whoop, tombent sur les habitants de Lachine.

Denonville, dans Montréal et sans ressources, perd la tête. Un des LeMoyne sauvera la situation. L’aîné des frères héroïques, Charles de Longueuil, rassemblant en hâte cent hommes de troupes et cinquante sauvages, court au-devant de quinze cents guerriers mis en appétit par un premier massacre. Dix contre un ! L’affaire est désespérée, ils se battent en désespérés. Le soir, M. de Longueuil revient sur le dos de quatre sauvages, la jambe brisée, avec un soldat et douze Indiens. Les autres ont été tués, ou pris par les Iroquois. Montréal est sauvé.

Cependant, les Anglais, afin de mettre à profit la démoralisation des Français, attaquent les forts Frontenac et Niagara et lancent des troupes contre Montréal ou Québec. Les affaires du Canada vont mal. Pour redresser la situation, Versailles pense à l’ancien général de Candie, au bouillant gouverneur aimé des sauvages et dont l’œuvre a été compromise, après son rappel en 1682, par deux maladroits, La Barre et Denonville.

Frontenac accepte l’offre de la cour, malgré ses soixante-dix ans. Il s’ennuie à Paris, où il ne connaît plus la grande faveur de jadis.

Toujours remuant en dépit de l’âge, mais toujours clairvoyant aussi, M. de Frontenac décide de frapper à la source du mal. Il comprend que les Anglais poussent les Iroquois. Aussi revient-il à sa politique d’autrefois : se concilier les bonnes grâces ou du moins la neutralité des Iroquois dont l’hostilité paralyse la colonie. Déjà, avant son départ de Paris, il a chargé Le Moyne de Sérigny de porter aux chefs prisonniers, envoyés à Marseille par Denonville, une lettre où il annonce : « Le calumet de paix ne sera plus violé, et la natte du sang sera lavée avec l’eau du fleuve ».

Dès son arrivée à Québec, il forme trois partis contre la Nouvelle-Angleterre, empêchée par la révolution et les déprédations des sauvages de poursuivre son avantage. Celui de Montréal, commandé par Sainte-Hélène, Iberville, Bienville, Mantet et Montesson, va s’emparer de Corlaer.

Commandé par Robineau de Portneuf et Le Gardeur de Courtemanche, un deuxième groupe, composé de 50 Canadiens et 60 Abénaquis du Sault-de-la-Chaudière, se met en route de Québec par la vallée de la Chaudière à la fin de janvier 1690. « On n’avoit pu leur donner que très peu de vivres, parce que la disette en étoit grande cette année dans tout le Canada, et cela les obligea de chasser pendant la route » 36.


Au mois de mai, la troupe rejoint les sauvages de Saint-Castin rentrés de leurs excursions. On se dirige vers Casco-Bay, cette place où les Indiens n’ont jamais pu pénétrer. Vu l’importance de la mission, Madokawando et son gendre ont pris eux-mêmes le commandement des indigènes 37.

« Kaskebé (Casco-Bay) est une bourgade située au bord de la mer, avec un fort très bien bâti : il a huit pièces de canon en batterie, et ne manque ni de munitions, ni de vivres » 38. C’est le Fort-Loyal commandé par le capitaine Davis et le lieutenant Thaddeus Clark. Casco compte en outre quatre garrison-houses.

La ville s’ouvre sur la forêt par un sentier bordé d’une clôture de chaque côté. Un Anglais s’y aventure et tombe sous les coups des sauvages en embuscade. Clark se porte sur les lieux avec cinquante hommes. À peine est-il sorti de la ville que « les nôtres, qui les voient venir, font leur décharge de dix pas, puis, sans leur donner le temps de se reconnaître, fondent sur eux l’épée et la hache à la main, et profitent si bien du désordre, où deux attaques si brusques les ont mis, qu’il n’en rentre que quatre dans le fort, encore sont-ils blessés ». C’est ce que raconte Charlevoix. Selon Mather, seuls Clark et treize de ses hommes restent sur le terrain 39.

Français et sauvages donnent l’assaut. L’énergique résistance des quatre fortins force les assaillants à reculer. Mais, le soir, manquant de munitions, leurs défenseurs se réfugient dans le fort, à la faveur des ténèbres 40.

Le lendemain matin. 26 mai 1690, Portneuf somme le commandant de se rendre, « lequel répond qu’il est résolu de se défendre jusqu’à la mort » 41. Portneuf est embarrassé. Frontenac ne l’a pas autorisé à entreprendre le siège d’une place, mais seulement à causer des dégâts dans les campagnes.

Sur ce, Hertel arrive. Parti des Trois-Rivières à la tête du troisième parti organisé par Frontenac, il a pris Salmon-Falls (Sementels, dans Charlevoix). Ayant appris, sur la route du retour, que Portneuf se trouve à deux journées de marche, il a résolu de lui prêter main-forte. Il annonce sa victoire à son compagnon, et celle de Sainte-Hélène à Corlaer.

Puisque les autres ont pris des places, Portneuf juge qu’il le peut aussi. « Il lui fâchoit fort de s’en retourner avec moins de gloire que ses collègues ». Et puis, avec Hertel, il a une forte troupe à sa disposition. Il attaquera. Le siège dure cinq jours.

Dans la nuit du 27 au 28, les assiégeants se postent au bord de la mer à cinquante pas de la place (nous suivons ici le récit de Charlevoix), « et se couvrent d’une espèce de morne fort escarpé, où ils n’ont rien à craindre du canon. La nuit suivante ils ouvrent la tranchée ; les Canadiens, non plus que les sauvages, n’ont nulle expérience de cette manière d’attaque ; mais le courage et le désir de vaincre suppléent à ce défaut d’habileté. Tous travaillent avec une ardeur extrême, et comme ils ont heureusement trouvé dans les forts abandonnés (c’est-à-- dire les garrison-houses) tous les outils dont ils ont besoin pour remuer la terre, l’ouvrage avance avec tant de vitesse, que dès le soir du 28 les assiégés demandent à parlementer ».

Aux Anglais qui s’informent des conditions de la reddition. les assaillants demandent le fort avec tous les vivres et munitions, et leur accordent la nuit pour réfléchir, bien que les assiégés désirent six jours. Le lendemain, des grenades tombent dans la place et la tranchée progresse. « On approchoit de la palissade, et on devoit, dès qu’on y seroit arrivé, mettre le feu à une barrique pleine de godron, et d’autres matières aisées à s’enflammer qu’on avoit toute prête. Les assiégés voyant cette machine, qui avançait toujours, et n’imaginant aucun moyen d’en empêcher l’effet, parce que ceux qui la faisoient marcher, étoient à couvert dans la tranchée, arborèrent un pavillon blanc ».

Charlevoix ajoute simplement que la garnison est faite prisonnière. Mais, dans sa relation, le capitaine Davis donne des détails plus piquants. Ayant hissé le drapeau blanc, Davis demande aux sauvages s’il y a des Français parmi eux. Rassuré sur ce point, il prie le commandant d’accorder bon quartier à la garnison, aux femmes et aux enfants, blessés ou non, et de lui fournir une escorte jusqu’au prochain établissement anglais. Portneuf jure solennellement, toujours d’après Davis suspect de partialité, mais, sitôt entré dans la place, livre soldats, femmes et enfants aux païens qui en tuent plusieurs et capturent les autres. Seuls Davis et trois ou quatre de ses hommes restent aux mains de Portneuf qui les amène à Québec où ils sont très bien reçus, avoue Davis 42


La garnison s’est à peine rendue que quatre voiles anglaises paraissent au large de Casco. Ne voyant pas le drapeau anglais, les capitaines virent de bord. Ayant pillé puis incendié le fort et la ville, Portneuf se retire.

Les morts anglais (plus de cent) ne seront enterrés que deux ans après, quand Phipps et Church, en route pour le Canada, s’arrêteront à Casco.

Portneuf rentre au Canada avec Hertel. Il mérite ces éloges, qu’on trouve dans une lettre de Frontenac au ministre, datée du 12 novembre 1690 : « Nos Canadiens et surtout les sieurs de Portneuf et de Courtemanche ont fait des choses surprenantes et qui passent la vraisemblance ; ils ont brûlé tous ces forts et quantité de maisons et bestiaux, et amené toute la garnison prisonnière avec le gouverneur que j’ai fait mettre ici au château, et qui m’a paru un bon homme » 43.


— X —


Incursions. — Les sauvages n’étaient pas rentrés dans leurs wigwams. Au contraire, ils poursuivaient la campagne vigoureusement, à leur manière.

Les Anglais retirèrent les garnisons de Purpooduck, Spurwink, Scarborough, et les colons de ces endroits se réfugièrent d’abord à Saco, puis à Wells, mieux fortifié. Cette dernière place subit pendant longtemps les assauts des sauvages. C’était, après Saco, l’établissement le plus important de la région et les colons s’y étaient particulièrement préparés à la défense. Chaque maison barricadée pouvait résister à un siège. Les forts de Wheelright, Benjamin Larrabée et Joseph Storer protégeaient les abords de la ville, sans compter de nombreux fortins. Ainsi, Wells prenait l’allure d’une véritable forteresse. Le gouvernement y envoyait des troupes en cas de danger : Wells détruit, les Indiens auraient pu ravager toute la région de Piscataqua, et même jusqu’à Boston.

Après la défaite de Casco, Wells demanda des secours car les sauvages se montraient dans les environs de Saco. Boston expédia 120 hommes de troupe, mais, avant leur arrivée, Black-Point, Spurwink et Richmond’s Island avaient été réduits en cendres et Saco bien ravagé. Trois ou quatre cents réfugiés encombraient Wells.

Divisés en plusieurs petits groupes, les sauvages saccageaient tout, à l’est et à l’ouest de Scarborough. Sous la direction du chef Wohawa, que les Anglais appelaient Hopehood, et qui était renommé pour sa cruauté, (« ce tigre, ce monstre de cruauté », écrivait Niles), ils attaquèrent Fox-Point, où ils tuèrent quatorze personnes, firent six prisonniers et brûlèrent plusieurs maisons. Selon l’expression de Cotton Mather, « ils en vinrent à bout aussi facilement que d’un poulailler ». Les capitaines Floyd et Greenleaf rejoignirent enfin les insaisissables maraudeurs et blessèrent Hopewood. Les Indiens disparurent de la région jusqu’au 4 juillet. Ce jour-là, ils massacrèrent huit faucheurs, dans les champs en bordure de la rivière Lamphrey. Le lendemain, ils se montraient à Exeter, mais l’arrivée du lieutenant Bancroft les mettait en fuite, non sans qu’ils eussent tué plusieurs soldats anglais.

Les capitaines Floyd et Wiswall les poursuivirent activement et une nouvelle bataille eut lieu à Wheelwright’s Pond. Après plusieurs heures d’une lutte acharnée, les Anglais abandonnaient le terrain. Mais les Indiens avaient eux-même subi de lourdes pertes ; ils s’en allèrent vers l’Ouest, se battant sans cesse sur leur route, tuant au moins 40 Anglais entre Amesbury et Lamphrey. Hopehood trouva la mort dans l’un de ces combats.

La guerre continua dans l’Est. À la suite de la bataille de Wheelwright’s Pond, où les Anglais avaient eu le dessous, le gouvernement du Massachusetts leva une petite armée de 300 hommes dont il confia le commandement à Church, devenu major.

Parti de Portsmouth vers la mi-septembre, Church débarqua à Casco, d’où il se dirigea vers Pejebscot. Comme il approchait de ce fort, il aperçut dans les champs Robin Dony, métis de Français et de Sokokis, qui s’enfuyait vers le fort, abandonnant sa femme à la galanterie anglaise. Il commettait une grave erreur. Moins chevaleresques que ne l’étaient d’habitude les Abénaquis, les Anglais fusillèrent la femme.

Prévenus par Dony, les quelques sauvages de l’endroit se dispersèrent dans les bois. Church n’en captura qu’un, mais trouva plusieurs femmes et des enfants dans le fort. Les malheureux promettant de livrer quatre-vingts prisonniers anglais, le major leur accorda la vie sauve. Le lendemain, il se ravisait. À l’exception de deux vieilles squaws, il fit assommer et enterrer femmes et enfants « pour l’exemple », acte d’autant plus odieux que deux prisonnières anglaises délivrées dans le fort l’avaient supplié à genoux d’épargner les Indiens qui avaient été bons pour elles. Ayant poursuivi et fusillé à divers endroits des Indiens isolés, Church rentra triomphalement à Portsmouth. N’ayant pas accompli plus qu’à Saco l’année précédente, il se vanta tout autant 44. Ce qui permet à Sylvester (vol. II, p. 151) de porter sur lui ce jugement : « Church nous apparaît comme un matamore plein de suffisance, pour qui la chasse aux Indiens à moitié armés constituait un passe-temps passionnant ».

Durant cette campagne, les Indiens avaient fait preuve d’une cruauté inusitée. Les Anglais avaient pris l’habitude, depuis la guerre des Pequots, de vendre leurs captifs comme esclaves. De même les sauvages se mirent à céder aux Français, moyennant finance, leurs prisonniers les plus considérables. Quant aux autres, ils les mettaient à mort, touchant ensuite une prime pour le scalp. Mais il est remarquable qu’ils épargnaient les femmes (Sylvester, II, 445).

Les chroniqueurs attribuaient leur ardeur à l’influence française. Saint-Castin, en effet, se donnait pour tâche de détruire tous les établissements situés trop près de Pentagoët.


La Nouvelle-Angleterre traversait une mauvaise passe. Le 4 novembre 1690, le capitaine Nicholson écrivait aux « lords du commerce et des plantations » que les colonies septentrionales étaient dans un état lamentable. Les Français et les sauvages, écrivait-il, avaient tué ou capturé un millier de colons. Plusieurs villes, forts et plantations avaient été détruits, certains à moins de trente milles de Boston.

Le 29 novembre 1690, le capitaine John Alden réussissait à conclure, dans Sagadahock, une trêve avec les Eastern Indians 45. Cependant, quand le gouverneur Danforth voulut signer avec eux un traité solennel, les sachems ne se montrèrent pas au rendez-vous 46

Les sauvages et Saint-Castin se ménageaient un simple répit afin d’étudier la tournure des événements. La Nouvelle-Angleterre venait de recevoir un homme énergique, qui annonçait de formidables expéditions. Et, en effet, s’il ne réussit guère dans ses vastes entreprises, il fit du moins d’utiles diversions.