Le Baron de Saint-Castin, chef abénaquis/00

Éditions de l'Action canadienne-française (p. 7-8).

Le 17 juillet 1670, le Saint-Sébastien longeant à tribord l’île des Monts-Déserts carguait ses voiles dans la baie de Pentagoët en Acadie.

Debout sur le pont, les passagers contemplaient le pays où les appelait le service du roi.

La baie s’étalait en une vaste nappe prolongée par un fleuve dont les méandres s’enfonçaient dans la forêt vierge. Le flot battait le pied d’un fort trop minuscule pour donner l’aspect de la civilisation à cette sauvagerie intacte encore.

D’immenses pins dominaient le fort. L’étrangeté du paysage expliquait comment les crédules navigateurs du siècle précédent avaient pu y voir la fabuleuse Norembègue, la ville aux toits d’or. À moins que, pauvre humanité écrasée par tant de grandeur, on n’eût à l’esprit le mot que La Hontan devait écrire plus tard : Tout ce pays-là n’est qu’une forêt.

Pour la plupart des hommes que portait le Saint-Sébastien, la forêt américaine n’était pas une inconnue. Ils savaient la vie qu’elle recélait ; ils avaient appris que, obstacle à la colonisation, elle était néanmoins la grande pourvoyeuse de la traite, seul soutien, avec la molue, de ces contrées nouvelles. Les vagues de verdure ondulant à perte de vue, — ils ne l’ignoraient pas, — recouvraient de leur éternelle sérénité l’existence agitée des hommes rouges au milieu de qui les nouveaux venus de France allaient vivre, commercer, se battre. Dans cette forêt à la fois inquiétante et attirante, ils allaient rencontrer leur destin.


À peine immobilisé, le Saint-Sébastien met un canot à la mer. L’état-major français se dirige vers le fortin, d’une exiguïté ridicule dans l’immensité de ce décor, afin de sommer le commandant anglais d’amener les couleurs de Sa Majesté britannique, qui flottent sur ces lieux.

Dans le canot, a pris place M. Hubert d’Andigné, chevalier de Grandfontaine, nouveau commandant en l’Acadie. À ses côtés, son lieutenant, Pierre de Joibert seigneur de Soulanges et de Marson ; puis son enseigne, Jean-Vincent d’Abbadie.

Trois hommes entrent ainsi dans l’histoire de l’Amérique française. Les deux premiers y passeront à peine, emportés bientôt comme fétus dans l’ouragan d’événements plus grands qu’eux. Seul, le petit subalterne, à peine âgé de dix-huit ans, se montrera à la mesure du sauvage continent où le jette sa destinée. Seul, il y accomplira une œuvre. Pendant trente ans, il contiendra l’Anglais et permettra à la nation acadienne de se former, d’acquérir des traditions françaises assez solides pour braver la tourmente. Il jouera un rôle si fantastique que son nom hantera bientôt les légendes d’Acadie, de Nouvelle-France, de Nouvelle-Angleterre. Le poète Longfellow chantera sa gloire et une ville des États-Unis, au vingtième siècle encore, portera son nom 1.