Leçons sur les hypothèses cosmogoniques (Poincaré, 1911)/Chapitre 13

Libraire scientifique A. Hermann et fils (p. 267-269).

CHAPITRE xiii.

FORMATION DES NÉBULEUSES SPIRALES D’APRÈS M. SEE.


201.Dans l’Ouvrage que nous avons déjà cité[1], M. See s’est occupé de la formation des nébuleuses, en particulier de l’origine des nébuleuses spirales.

Imaginons deux nuages cosmiques N, N′ à peu près égaux et cheminant en sens inverse (fig. 41.1). Lorsqu’ils viennent à s’approcher l’un de l’autre, leurs extrémités les plus voisines s’allongent l’une vers Figure 41
fig.41.
l’autre par suite de l’attraction mutuelle (fig. 41.2) et peuvent même finir par se réunir (fig. 41.3) en un seul corps, vers le milieu duquel l’attraction, jointe aux frottements, tendra à produire une condensation, une sorte de noyau central. Les deux nuages primitifs N, N′, tourneront dans le sens des flèches autour de ce centre, comme deux ailes de moulin.

Telle serait, d’après M. See, l’origine des nébuleuses spirales. Le noyau central aurait tendance à s’enrichir de plus en plus aux dépens de la matière des deux branche spirales N, N′. On voit donc que, pour M. See, le mouvement de la matière, dans les deux bras de la nébuleuse spirale, serait centripète, et non centrifuge, contrairement à l’opinion habituelle. Que le mouvement soit d’ailleurs convergent ou divergent, la loi des aires explique aussi bien dans les deux cas le retard de l’aile marchante sur le pivot, c’est-à-dire la forme spirale des deux ailes.

Il peut arriver que les deux extrémités des deux nuages N, N′ qui s’approchent l’un de l’autre ne se réunissent pas, mais soient seulement déviées par l’attraction : alors la phase qui suit la phase 2 de la figure 41 n’est pas la phase 3, mais la phase 4 (fig. 42), puis la phase 5. Nous assistons à la naissance d’une nébuleuse annulaire telle que la nébuleuse de la Lyre. M. See voit dans les deux parties floues diamétralement opposées que présente l’anneau de la Lyre un argument à l’appui de cette théorie : les extrémités des deux nuages N, N′ ne se seraient pas parfaitement soudées. Figure 42
fig.42.

Une nébuleuse annulaire se forme donc, d’après M. See, par le même mécanisme que les nébuleuses spirales, dont elle se trouve ainsi être en quelque sorte un cas particulier. Mais la forme annulaire est fort rare, parce que les conditions de formation d’un anneau parfait ne sont pas souvent réalisées.

On peut faire à cette théorie une grave objection. Les deux bras d’une nébuleuse spirale sont en général à peu près symétriques. Dans l’hypothèse habituelle où l’on suppose le mouvement sur ces bras divergent, cette symétrie peut s’expliquer puisque les deux bras ont une origine commune. Dans l’hypothèse de M. See, on ne voit aucune raison pour en rendre compte, car les deux nuages cosmiques N et N′ qui engendrent la nébuleuse et qui se sont rencontrés par hasard, ne seront pas égaux en général : ils devraient donc donner naissance à une nébuleuse dissymétrique.

202.M. See pense qu’à l’origine le système solaire était une nébuleuse spirale d’une grande extension. La matière, à son intérieur, s’est d’abord agglomérée en particules qui, la résistance de milieu aidant, par le mécanisme exposé au Chapitre VI, se sont condensées en astéroïdes, puis en planètes, celles-ci se nourrissant par bombardement[2].

Par analogie, M, See est amené à croire que les nébuleuses spirales, moins avancées dans leur évolution que le système solaire, sont remplies d’un très grand nombre d’astres très petits comme les planètes ou même la Lune. Si nous ne pouvons pas « résoudre » ces nébuleuses, ce serait à cause de la petitesse extrême des composantes, et non pas parce que ces objets célestes sont excessivement éloignés : M. Bohlin a essayé de mesurer la parallaxe de la nébuleuse d’Andromède (qui est une nébuleuse spirale à spectre continu), et il l’a trouvée égale 0″,17, de sorte que cette nébuleuse serait relativement très près de nous. Mais, étant donné le peu de précision que comportent les pointés sur les nébuleuses, doit-on considérer cette observation comme définitive et certaine ?


  1. T. J. J. See : Researches on the Evolution of the Stellar Systems, vol. II : The capture Theory of cosmical Evolution, Ch. XIX.
  2. M. See voit, dans les cratères lunaires, les empreintes d’un bombardement produit à la surface de la Lune par la chute d’un grand nombre de petits satellites. Il compare ces cratères aux empreintes laissées par de grosses gouttes de pluie sur le sol (loc. cit., p. 312, Planche XII).