Leçons sur les hypothèses cosmogoniques (Poincaré, 1911)/Chapitre 08

Libraire scientifique A. Hermann et fils (p. 191-227).

CHAPITRE viii.

SUR L’ORIGINE DE LA CHALEUR SOLAIRE
ET DE LA CHALEUR TERRESTRE.


I. — Chaleur solaire.

139.Jusqu’ici c’est surtout au point de vue mécanique que nous avons envisagé le problème cosmogonique. Nous ne nous sommes pas encore préoccupé du point de vue thermodynamique. Nous allons aborder cette face du problème, et rechercher l’origine de la chaleur solaire.

Cette question s’est imposée lorsque, vers le milieu du siècle dernier, on est arrivé à se rendre compte de la quantité énorme de chaleur que le Soleil perd par an. Les différentes mesures que l’on possède de la constante solaire, c’est-à-dire de la quantité d’énergie rayonnée par le Soleil, sont loin d’être d’accord ; mais les nombres, tout en variant du simple au double, nous renseignent sur l’ordre de grandeur de cette quantité d’énergie. Nous adopterons ici les chiffres de Pouillet bien qu’ils paraissent un peu trop faibles.

Un mètre carré de surface terrestre, exposé normalement aux rayons du Soleil, reçoit de cet astre une quantité de chaleur égale à 0,3 grande calorie par seconde. En multipliant ce chiffre par le rapport du carré de la distance du Soleil à la Terre au carré du rayon du Soleil, on trouve que, de chaque mètre carré de surface du Soleil, il sort par seconde 13 900 grandes calories : cela représente une perte de 6 millions de kilogrammètres par mètre carré de surface solaire et par seconde. En multipliant le chiffre 13 900 par la surface du Soleil, évaluée en mètres carrés, et par le nombre de secondes contenues dans une année, ou trouve que le Soleil perd 2,7.1020 grandes calories par an.

Si nous supposions que le Soleil a la même chaleur spécifique que l’eau, il serait aisé de calculer de combien s’abaissera par an la température du Soleil par suite de cette perte de chaleur, à supposer que cette chaleur ne se renouvelle pas. Il suffirait de diviser le chiffre précédent 2,7.1020 la masse du Soleil en kilogrammes 1,9.1020 : on trouverait ainsi 1°4 comme taux actuel du refroidissement annuel. Or, la température actuelle du Soleil d’après les mesures les plus récentes, est généralement évaluée à 6 000° environ. Donc, si la chaleur solaire ne se renouvelait pas par quelque procédé, nous arriverions à cette conclusion qu’avant 6 000 ans d’ici le Soleil serait gelé. Mais il faut observer que la température de 6 000° est celle de la photosphère du Soleil, et tout nous porte à croire que l’intérieur de l’astre est incomparablement plus chaud, la température augmentant rapidement avec la profondeur. La photosphère serait donc maintenue à une température voisine de 6 000° par des courants de convection qui lui amèneraient constamment de la chaleur empruntée aux couches plus profondes et plus chaudes de façon à compenser les pertes dues au rayonnement. La chaleur rayonnée serait donc, en dernière analyse, prise à la masse solaire interne, et ce serait l’intérieur du Soleil qui verrait sa température s’abaisser.

Quoi qu’il en soit, le Soleil ne contient pas une provision de chaleur indéfinie et il perd annuellement une quantité de chaleur considérable. La plus grande partie de cette chaleur se dissipe dans l’espace céleste et est entièrement perdue. Ce n’est qu’une très faible portion de l’énergie rayonnée qui est reçue et utilisée par les planètes. Ne pourrait-on pas supposer que le rayonnement ne peut se faire qu’entre doux corps matériels différents, et que, par conséquent, dans les directions où l’on ne rencontre aucune matière pondérable, il ne se produit pas de rayonnement ? Dans celle hypothèse, un corps absolument seul dans l’espace ne rayonnerait pas, ne trouvant aucun autre corps avec lequel il puisse échanger son énergie. Le Soleil ne rayonnant que dans les directions des planètes ne perdrait pas beaucoup d’énergie. Cette hypothèse permettrait donc de prolonger énormément, dans le passé comme dans l’avenir, la durée d’existence du Soleil en tant que source de chaleur. Malheureusement, malgré son ingéniosité, cette hypothèse est à rejeter, car au moment où l’énergie quitte le Soleil, elle ne peut évidemment pas deviner si elle rencontrera ou non une planète.

Force nous est donc d’admettre que la chaleur solaire se dissipe, dans tous les sens. Puisque ce rayonnement s’est effectué sans très grands changements pendant les temps historiques et probablement aussi pendant une très grande partie des temps géologiques, nous devons en conclure que le Soleil n’est pas simplement assimilable à un corps chaud qui se refroidit, mais que sa chaleur se renouvelle et s’entretient par un procédé quelconque. Un problème se pose donc : Quelle est l’origine de la chaleur solaire ?

140.Hypothèse chimique. — La première idée qui se présente à l’esprit est que, dans le Soleil, la chaleur est peut-être entretenue chimiquement comme dans nos foyers. Mais c’est une hypothèse tout à fait insuffisante, car elle ne permet d’attribuer au rayonnement solaire qu’une durée fort limitée. Un kilogramme de charbon en brûlant dans l’oxygène dégagé 8 000 calories. On en déduit immédiatement qu’un bloc de charbon d’une masse égale à celle du Soleil, sil dégageait par an un nombre de calories égal à 2,7.1020 serait entièrement consumé en 5 600 ans. En supposant le Soleil formé par un mélange détonnant d’hydrogène et d’oxygène, ou par un bloc de coton-poudre brillant par sa surface sans déflagrer, on trouverait un nombre d’années plus grand, mais du même ordre de grandeur, c’est-à-dire encore beaucoup trop petit.

L’hypothèse chimique est donc à rejeter et nous sommes amené, avec Lord Kelvin[1], à examiner si des hypothèses mécaniques ne seraient pas plus satisfaisantes.

141.Hypothèse météorique. — D’après l’hypothèse météorique, dont la première idée remonte à Robert Mayer, la chaleur du Soleil serait entretenue incessamment par les météores qui tombent sur cet astre, la force vive de ceux-ci se transformant en chaleur. Un météore venant de l’infini sans vitesse initiale et tombant en ligne droite sur le Soleil, posséderait en arrivant à sa surface une vitesse de 624 kilomètres par seconde. La chute d’un kilogramme de matière représente, avec cette vitesse, 2.1010 kilogrammètres[2]. Or, le Soleil perd 6.104 kilogrammètres par mètre carré et par seconde. Si l’on veut que la chaleur engendrée par la chute des météores compense la chaleur radiée, il faut faire tomber à la surface du Soleil 0,3 gramme de matière par mètre carré et par seconde, soit 1 kilogramme par mètre carré et par heure. Avec la densité de l’eau, une telle pluie météorique produirait en un an à la surface du Soleil une couche d’environ 10 mètres d’épaisseur. L’augmentation qui en résulterait pour le diamètre solaire serait absolument inappréciable à nos procédés de mesure, et rien ne pourrait nous la révéler.

142.Mais il y a une autre difficulté. Ce bombardement météorique accroîtrait sans cesse la masse du Soleil, et une augmentation de la durée de l’année en résulterait. La troisième loi de Képler donne en effet

désignant la masse du Soleil, la vitesse angulaire de la Terre sur son orbite et le rayon de cette orbite. D’ailleurs, la force étant toujours centrale, la constante des aires ne varie pas ; nous avons donc

De ces deux équations nous tirons

la vitesse angulaire de révolution de la Terre varie donc comme le carré de la masse du Soleil.

Or, la pluie de 0gr,3 de matière par mètre carré et par seconde accroîtrait en un an la masse du soleil d’environ 1/32 000 000 de sa valeur. La masse du Soleil pourrait donc être représentée par l’expression

désigne le temps en années.

Soit la longitude moyenne de la Terre, nous avons

cette quantité est proportionnelle au carré de la masse du Soleil, c’est-à-dire à

Nous pouvons donc écrire (à un facteur constant près)

d’où

Si nous faisons

 années,

il vient

En 4 000 années (de nos années actuelles), la Terre aurait donc parcouru, non pas 4 000 circonférences, mais circonférences. Par suite, il y aurait, en 4 000 ans, une différence de six mois sur l’époque. Or, il est bien certain que depuis les temps historiques une telle différence ne s’est pas produite. La masse du Soleil n’a donc pas pu varier sensiblement depuis 4 000 ans.

143.Dans le calcul précédent, on a supposé que les météores tombent de l’infini sur le Soleil. On pourrait supposer aussi que les météores, dès l’origine voisins du Soleil, décrivent autour de cet astre des orbites à peu près circulaires, formant comme un essaim autour de lui. Alors, étant intérieurs à l’orbite terrestre, ces météores attireraient la Terre. Lorsqu’ils tomberaient sur le Soleil, l’attraction exercée sur la Terre resterait la même. On peut donc dire que leur chute sur le Soleil ne produirait pas d’accroissement de la masse de cet astre, en tant que cette masse attire la Terre ; partant, la longueur de l’année ne varierait pas.

Mais, pour que ces météores, décrivant des orbites circulaires, puissent tomber sur le Soleil, il faut qu’ils se meuvent dans un milieu résistant, ou bien qu’ils soient suffisamment nombreux pour se choquer assez souvent.

On sait que la vitesse qui correspond à la trajectoire circulaire est à la vitesse parabolique dans le rapport de 1 à . La force vive d’un météore qui tombe sur le Soleil par spirales de plus en plus serrées est donc deux fois moindre qu’elle ne serait, si le même météore tombait en ligne droite de l’infini. Il faudra donc, dans l’hypothèse actuelle, deux fois plus de matière pour produire le même effet. Au lieu d’admettre que la pluie météorique augmente le rayon du Soleil de 10 mètres par an, il faudra admettre qu’elle l’augmente de 20 mètres, soit une augmentation de 1 kilomètre en 50 ans. À ce taux le diamètre apparent du Soleil croîtrait de 1″ d’arc en 4 000 ans, ce qui, bien entendu, est tout à fait inappréciable.

On peut penser que la lumière zodiacale est constituée par un tel essaim de météores ; ces météores tombant peu à peu sur le Soleil, entretiendraient sa chaleur. En attribuant à la lumière zodiacale une masse égale à cent fois celle de la Terre, on trouve que la chute de sa matière sur le Soleil pourrait entretenir le rayonnement de cet astre pendant 4 700 ans, chiffre bien faible.

Lord Kelvin se demande aussi quel effet la chute de ces météores produit sur la rotation du Soleil. Si l’on admet, dit-il, que les météores se meuvent tous dans le sens direct et dans le plan de l’équateur solaire, on trouve que la durée de leur révolution est devenue moindre que 25 jours, lorsque leur orbite n’a plus pour rayon que le rayon du Soleil ; par conséquent, en tombant tangentiellement sur le Soleil, ces météores doivent augmenter sa rotation. Lord Kelvin voit là une origine possible de la rotation du Soleil[3], car cet astre aurait pu acquérir ainsi en 25 000 ans sa vitesse de rotation actuelle. Mais rien ne prouve que les météores circulent tous dans le même sens, ni qu’ils soient orientés dans un même plan.

144.Une grave objection à la théorie météorique telle que nous venons de l’exposer vient de l’étude spectroscopique. Un météore arrivant à toucher le Soleil se volatilise, mais il conserve néanmoins son énorme vitesse orbitale. D’après le principe de Döppler-Fizeau, ce phénomène devrait se traduire par un déplacement des raies spectrales ; or, le spectroscope ne révèle aucune déviation de ces raies.

En outre, nous avons dit (no 140) que l’accroissement de la masse du Soleil aurait pour conséquence une variation de la durée de l’année, si l’on ne supposait pas que l’essaim de météores est intérieur à l’orbite terrestre. Comme la durée de révolution de Mercure n’a pas varié non plus, il faut supposer que l’essaim est même intérieur à l’orbite de Mercure. La densité de ce nuage cosmique devrait donc être assez forte, et les comètes devraient être arrêtées ou tout au moins fortement retardées à leur passage au périhélie ; or, même pour les comètes passant à une distance de la surface du Soleil inférieure au rayon de cet astre, il n’y a ni arrêt, ni retard très appréciable.

Il y a donc lieu de rejeter l’hypothèse météorique, ou tout au moins de la modifier profondément, comme l’a fait Helmholtz. Ce sont les idées de Helmholtz que Lord Kelvin, abandonnant lui-même sa première hypothèse, a, dans la suite, adoptées et développées.

145.Hypothèse de Helmholtz. —Dans l’hypothèse de Helmholtz, ce ne sont pas des météores distincts qui tombent continuellement sur le Soleil et le réchauffent. L’origine de l’énergie rayonnée par le Soleil est toute différente. Le Soleil est considéré comme une masse fluide qui se contracte. La contraction rapproche les particules les unes des autres ; dans ce rapprochement, le travail de la gravitation est positif.

L’énergie potentielle d’une sphère gravitante est

représentant un élément de masse et le potentiel auquel est soumis cet élément. On a

représentant une masse attirante élémentaire et la distance de la masse attirante à la masse attirée .

Si l’on a une sphère homogène de densité , de rayon et de masse , une couche sphérique de rayon et d’épaisseur a pour masse

Quel est le potentiel auquel est soumise cette masse À l’intérieur de la sphère homogène l’attraction est proportionnelle à la distance au centre ; elle a pour valeur

à la distance du centre : on a donc

d’où l’on tire

Comme, pour on doit avoir il est facile de calculer la valeur de la constante Remplaçant alors par sa valeur on a

L’énergie de gravitation de la sphère est donc

elle est proportionnelle à

et, comme on a

on peut dire que l’énergie est proportionnelle à

Donc, si diminue, le travail est positif : une sphère gravitante homogène qui se contracte en restant homogène fournit de l’énergie. Helmholtz a calculé que, si la densité était uniforme dans tout le Soleil, une contraction de 1/1 000 en diamètre fournirait un travail égal à 20 000 fois l’équivalent mécanique de la quantité de chaleur qui représente le rayonnement annuel. Bien que le Soleil ne soit pas homogène, on conçoit qu’un processus analogue puisse mettre en jeu la chaleur nécessaire à son rayonnement.

146.On peut aussi, dans le même ordre d’idées, essayer de calculer la provision de chaleur ou d’énergie emmagasinée par le Soleil lors de sa formation et d’évaluer le temps pendant lequel il a pu rayonner au taux actuel de sa déperdition de chaleur. Nous supposerons que le Soleil et sa chaleur ont été engendrés par de petits corps, primitivement séparés les uns des autres par de très grandes distances et tombant les uns sur les autres, la quantité de chaleur totale produite étant équivalente au travail positif ainsi produit.

Considérons la sphère solaire comme formée de couches sphériques concentriques homogènes. Appelons la densité à la distance du centre, la masse de la matière solaire intérieure à la sphère de rayon et l’énergie emmagasinée par cette même matière, autrement dit le travail que produirait cette matière, d’abord disséminée à l’infini, en se condensant jusqu’à son état actuel. et sont donc des fonctions de .

Si nous donnons à l’accroissement s’accroît de

Pour calculer , accroissement correspondant de , nous devons supposer que la masse tombe de l’infini à la surface de la sphère de rayon , passant ainsi du potentiel 0 au potentiel  ; nous avons donc

Supposons d’abord, pour simplifier, la densité constante. Dans ce cas, l’intégration se fait immédiatement : on a

d’où

Si nous appelons le rayon du Soleil, l’énergie que cet astre a emmagasinée en se formant est donc

Pendant combien de temps cette énergie peut-elle suffire à entretenir la chaleur solaire au taux actuel de la radiation ? Nous avons dit (no 142i) que la chaleur perdue annuellement par le Soleil est équivalente à l’énergie que lui fournirait une pluie de matière tombant de l’infini sur sa surface et augmentant sa masse de 1/32 000 000 de sa valeur :

cette pluie augmenterait de

Telle est la quantité d’énergie que le Soleil perd par an. Comme, d’autre part, celle qu’il a emmagasinée à l’origine est

le Soleil ne peut pas rayonner, au taux actuel, depuis plus de

millions

d’années environ. Ce calcul est relatif au passé, puisque, dans l’avenir, le Soleil peut continuer à se contracter en dégageant de nouvelles quantités de chaleur.

147.Mais nous avons, dans le calcul, supposé constante la densité Cette simplification n’est pas légitime, car il est bien certain que dans le Soleil la densité croît à mesure qu’on se rapproche du centre. Admettons donc que la densité soit représentée, en fonction de la distance au centre, par la loi suivante :

et étant deux constantes positives[4]. Les formules trouvées précédemment (no 146) nous donnent alors

d’où

par suite

cette dernière égalité peut s’écrire

Dans cette hypothèse, l’énergie emmagasinée par le Soleil lors de sa formation est donc

par suite le Soleil ne peut pas rayonner depuis plus de

(1)

années.

Si nous supposons, à titre d’approximation, que la matière solaire est un gaz qui suit la loi de Mariotte, la pression devra être proportionnelle à . L’équation de l’Hydrostatique (équation d’Euler) donne

Or,

est proportionnel à ,
est proportionnel à ,

donc

est proportionnel à ,
est proportionnel à ,

Nous voulons que soit proportionnel à , c’est-à-dire à Nous devons donc poser

c’est-à-dire

Alors l’expression (1) donne, pour l’âge du rayonnement solaire, 32 millions d’années.

Cette durée calculée du rayonnement serait un maximum. Elle est d’autant plus longue que l’on suppose plus grande la condensation centrale du Soleil, mais, quoi qu’on fasse, elle est toujours du même ordre de grandeur. En mettant les choses au mieux, le Soleil n’aurait donc pas, d’après la théorie de Helmholtz, illuminé la Terre pendant 50 millions d’années.

148.Étude de la chaleur spécifique. — Nous avons dit (no 130) qu’en supposant au Soleil une chaleur spécifique égale à celle de l’eau, son rayonnement abaisserait (si la chaleur ne se renouvelait pas) sa température à 1°4 par an. Ce chiffre est évidemment beaucoup trop fort, et tout fait penser, au contraire, que la température du Soleil n’a que bien peu varié depuis des temps très reculés. Tout se passe donc comme si le Soleil possédait une chaleur spécifique très considérable, celle-ci pouvant être due à l’énormité des pressions qui existent à l’intérieur.

Étudions la question au point de vue de la Thermodynamique.

Nous assimilerons tout d’abord le Soleil à un fluide parfait, c’est-à-dire que nous supposerons en tout point la pression uniforme et normale à l’élément plan qu’elle sollicite. Considérons un élément de volume

appelons sa densité, les composantes de la force (rapportée à l’unité de masse) qui lui est appliquée. Dans un déplacement virtuel subi par cet élément, les forces accomplissent un travail

et, pour tout l’ensemble de la masse fluide, le travail accompli dans un déplacement virtuel a pour valeur

Les équations de l’Hydrostatique donnent

nous pouvons transformer par des intégrations par parties : nous avons par exemple

or, l’intégrale double est nulle parce que la pression est nulle à la surface libre du fluide. Il reste donc

d’ailleurs, comme l’équation de continuité donne

nous pouvons écrire

ou, en remplaçant dans cette dernière égalité par étant un élément de masse,

Appelant le volume spécifique, nous avons

d’où

par suite

Chaque élément de masse figure donc, dans la sommation, pour la quantité de travail

soit

par unité de masse.

Appelons l’énergie interne par unité de masse et la quantité de chaleur fournie, également par unité de masse, dans la modification virtuelle envisagée. L’équation fondamentale de la Thermodynamique[5] donne

La chaleur spécifique, dans une modification quelconque, est représentée par le quotient

de la chaleur fournie par l’accroissement de la température absolue

Supposons la pression très grande. Si la modification a lieu à volume constant, est nul, et la chaleur spécifique se réduit alors à

qui généralement est une quantité finie. Mais à pression constante (ou plus généralement à volume non constant), le terme

peut être très grand, si n’est pas très petit : il est possible en effet que pour un solide, ou pour un liquide peu compressible, ne soit pas très petit, même sous pression élevée ; toutefois ce n’est pas ce qui arrive dans le cas d’un gaz parfait[6]. Nous comprenons ainsi comment, sous de fortes pressions, la chaleur spécifique peut atteindre une valeur considérable.

149.Considérons un globe chaud qui rayonnerait, comme le Soleil. Perdant de la chaleur ce globe se contracte et cette contraction tend à le réchauffer. L’ensemble du globe va-t-il s’échauffer, va-t-il se refroidir ; sa température va-t-elle croître ou décroître ? C’est une question qui sera discutée plus loin (Section III). Faisons cependant la remarque suivante : pour que le globe s’échauffe en perdant de la chaleur, il faut que la chaleur spécifique soit négative ; nous verrons plus loin que cela n’a rien d’impossible. Il peut donc arriver ou que le globe s’échauffe, ou qu’il ne se refroidisse que très lentement si l’effet de la contraction, en accroissant la pression, est d’augmenter la chaleur spécifique.

150.Précédemment (no 148), nous avons assimilé le Soleil à un fluide parfait. Si nous l’assimilions maintenant à un solide élastique parfait, la même analyse et les mêmes résultats subsisteraient à peu de modifications près. Nous aurions, au lieu d’une seule pression en chaque point, à considérer les composantes de la pression, bien connues dans la théorie de l’Élasticité,

ces composantes se réduisent à six puisqu’on a

Les équations de l’Élasticité s’écriraient

Le travail

accompli dans une modification virtuelle, prendrait la forme suivante (comme on le voit par des intégrations par parties) :

les quatre termes non écrits dans le crochet du second membre se déduisant, par permutation circulaire, des deux termes écrits. Or, la déformation virtuelle est entièrement définie par les six déformations élémentaires (trois dilatations et trois glissements) ;

L’équation fondamentale de la Thermodynamique s’écrirait

l’ensemble des six derniers termes du second membre, représentant ici le travail externe[7], joue le rôle que jouait le seul terme dans le cas du fluide parfait. Ces six termes peuvent acquérir des valeurs très considérables à l’intérieur de la masse où les pressions sont énormes. Nous retrouvons donc bien le même résultat : la chaleur spécifique devient très grande sous les fortes pressions.

151.Si, maintenant, nous supposons le Soleil visqueux, ainsi qu’il l’est certainement dans la réalité, sa contraction aura pour effet, non seulement d’augmenter sa chaleur spécifique, mais encore de déterminer une véritable création de chaleur, car la contraction fait naître des frottements qui produisent de la chaleur. C’est le travail de la gravitation, ainsi transformé en chaleur par les frottements, qui, d’après Helmholtz, entretient la radiation solaire (no 145).

152.Dans l’intérieur du Soleil, en raison de la très haute température, la plupart des corps doivent être chimiquement dissociés. Des courants de convection amènent à la surface les matières de ces corps : là, trouvant une température moins élevée, elles se recombinent avec dégagement de chaleur ; s’étant ensuite refroidies, ces matières retombent à l’intérieur du Soleil où elles se dissocient de nouveau. On peut concevoir que le même cycle recommence et se poursuive, ce mécanisme permettant à l’énergie emmagasinée à l’intérieur du Soleil de venir se dissiper à sa surface (sans qu’il y ait là, bien entendu, création de chaleur, puisque ce sont toujours les mêmes corps qui alternativement se dissocient et se recombinent).

La dissociation des matières centrales du Soleil joue le même rôle qu’une augmentation de la chaleur spécifique. En effet, si est la chaleur spécifique, pour élever de degrés la température superficielle du Soleil, il faut fournir par unité de masse une quantité de chaleur

s’il faut, en outre, dissocier cette masse, on devra lui fournir une quantité de chaleur supplémentaire que nous pouvons représenter par

étant positif. La quantité de chaleur fournie en tout sera donc

tout se passe donc comme si la chaleur spécifique avait été au lieu de .

153.Plus la chaleur spécifique des parties centrales est grande, plus est considérable la provision de chaleur que représente la température du Soleil. Quelle température peut-on assigner au centre du Soleil ? Celle de la photosphère est d’environ 6 000° ; mais cette température n’est pas celle de toute la masse. Puisque, dans certaines parties de l’atmosphère terrestre, il s’établit une sorte d’équilibre adiabatique, on peut penser que, dans le Soleil, s’établit un régime analogue, les parties les plus comprimées étant les plus chaudes et les parties les moins comprimées, les plus froides. Dans ces conditions, le gradient de la température serait, d’après M. Arrhenius, de 9° par kilomètre pour une atmosphère d’hydrogène (en admettant que l’hydrogène soit devenu monoatomique aux hautes températures qui règnent dans le Soleil). Si l’on admet que ce même gradient se poursuit jusqu’au centre, on trouve 6 millions de degrés comme température centrale du Soleil. Il est inutile d’insister sur tout ce que des évaluations de ce genre présentent d’arbitraire et d’incertain ; mais, bien que la température superficielle soit faible, il n’en est pas moins vrai que la quantité de chaleur contenue dans le Soleil est énorme.

Ces diverses considérations nous montrent que tout a pu se passer comme si la chaleur spécifique du Soleil était très grande ; il en résulte que le Soleil aurait pu emmagasiner une provision de chaleur considérable, sans que sa température moyenne, et surtout sa température superficielle, seule accessible à l’observation, se soient élevées à des chiffres non admissibles. Mais ce n’est pas là une solution du problème ; si nous admettons que cette provision est due à l’énergie de gravitation, elle se trouve toujours limitée par le calcul de Helmholtz et la difficulté reste entière.

154.Nous avons dit que, d’après Helmholtz et d’après Lord Kelvin, le Soleil n’aurait pas, dans le passé, une durée d’existence atteignant 50 millions d’années[8]. Cette conclusion est-elle acceptable ? La plupart des naturalistes l’ont rejetée absolument, au nom du transformisme, prétendant que l’évolution des espèces a dû exiger des centaines de millions d’années ; il est vrai que cet argument a perdu de sa valeur depuis la découverte, par M. De Vries, des phénomènes de mutation. Mais d’autres arguments, moins sujets à de semblables objections, sont tirés des faits géologiques. L’épaisseur des couches déposées depuis que la vie existe à la surface de la Terre (et il est bien difficile d’admettre que la vie ait pu exister sans Soleil) exige, paraît-il, beaucoup plus de 50 millions d’années. L’examen des chaînes de montagnes des temps géologiques entièrement détruites par l’érosion conduit à la même conclusion : on a calculé que, pour raser complètement les Alpes, l’érosion aurait besoin de 27 millions d’années. Or, depuis les temps dévoniens où la vie était déjà ancienne, nous voyons surgir une chaîne pareille aux Alpes, la chaîne calédonienne, puis les phénomènes d’érosion la détruisant ; ensuite la chaîne hercynienne s’élève à son tour et est rasée par l’érosion, puis vient le calme des temps secondaires, et enfin la période tertiaire où se sont formées les Alpes. Les géologues sont donc très à l’étroit avec 50 millions d’années, et ils réclament un temps beaucoup plus long. La difficulté est d’autant plus fâcheuse que Lord Kelvin a calculé aussi combien de temps il a fallu à la Terre elle-même pour se refroidir, et qu’il est arrivé à un chiffre du même ordre que pour l’âge du Soleil.

II. — Chaleur terrestre.

155.Exposons les calculs de Lord Kelvin sur le refroidissement de la Terre. Reprenant une hypothèse faite antérieurement par Poisson, Lord Kelvin suppose que la Terre aurait autrefois parcouru des espaces chauds où elle aurait pris, dans toute sa masse, une certaine température uniforme, et que, étant arrivée ensuite dans des espaces plus froids, elle aurait commencé à se refroidir. C’est ce refroidissement que nous voulons étudier.

Prenons donc une sphère homogène dont la température initiale, à l’époque est uniforme et partout égale à et plaçons-la dans un milieu indéfini à température zéro[9]. La sphère va se refroidir par sa surface, celle-ci prenant par hypothèse la même température zéro que le milieu avec lequel elle est en contact.

Comme le rayon de la sphère terrestre est très grand, nous le supposerons infini. Le problème se ramènera ainsi à celui qu’on désigne souvent, d’après Fourier, sous le nom de problème du mur indéfini se refroidissant par contact : deux milieux I et II sont séparés par un plan ; le milieu I sera la Terre, le milieu II l’espace céleste et le plan sera le plan du sol. Prenons pour axe des une perpendiculaire à ce plan séparateur, dirigée vers l’intérieur du milieu I, ce plan séparateur ayant alors lui-même pour équation

Il s’agit de déterminer la température du milieu I (fonction de et de définie pour et ), sachant que pour cette température est uniforme et égale à et que pour la température superficielle (pour ) est .

La fonction n’est définie que pour mais nous pourrons compléter sa définition pour en convenant de prendre pour une fonction impaire de

alors la fonction (si elle est continue) s’annulera bien pour comme nous le voulons.

L’équation aux dérivées partielles à laquelle satisfait est celle de Fourier

est une constante positive (dépendant de la conductibilité du mur et de sa chaleur spécifique).

Considérons la fonction

Cette fonction satisfera évidemment à la même équation aux dérivées partielles

(2)

Comme, pour on a

pour
pour  ;

la fonction satisfera, pour aux conditions initiales suivantes :

pour
pour
pour

Il faut donc trouver une fonction , de et de qui satisfasse à l’équation (2) et qui, pour tendant vers 0, tende elle-même vers 0 quel que soit sauf pour valeur pour laquelle elle tend vers l’infini. Il est facile de voir que la fonction

(3)

satisfait à toutes ces conditions, étant une constante.

On aura alors

Pour déterminer la constante , nous écrivons que, pour le refroidissement ne s’est pas encore fait sentir et que la température est égale à  :

l’intégrale définie du second membre, qui est bien connue, a pour valeur

par conséquent la constante a pour valeur

La température a donc pour expression

156.La quantité

représente l’inverse du degré géothermique : le degré géothermique est la quantité dont il faut s’enfoncer à l’intérieur du sol pour voir croître la température de 1°. La valeur de cette quantité pour est

Or, pour c’est-à-dire à la surface du sol, nous connaissons le degré géothermique : il est, en moyenne, égal à 35 mètres environ. Nous connaissons aussi la valeur de qui dépend de la chaleur spécifique et de la conductibilité thermique du sol. Mais nous ignorons la valeur de et celle de

La valeur que Lord Kelvin adopte pour correspond à

si l’on prend pour unité de temps l’année et pour unité de longueur le mètre. Il vient donc

Faisant

nous aurons

La température uniforme à laquelle on doit supposer que la Terre a été initialement chauffée, est donc proportionnelle à la racine carrée du temps depuis lequel elle se refroidit. Si nous faisons

10 000 années

nous aurons

°,

chiffre évidemment trop faible. Si nous faisons

100 000 000 d’années,

nous aurons

3 000°,

température supérieure à la température de fusion de presque tous les corps. On peut penser que les parties profondes de la Terre n’ont pas une température supérieure à celle-là. Dans cette hypothèse, la Terre aurait donc commencé à se refroidir il y a cent millions d’années.

157.Examinons les objections qui pourraient être faites à la théorie précédente. Nous avons (no 155) remplacé la sphère terrestre par le mur plan indéfini. Cette simplification est-elle légitime ? La formule (3) montre qu’à chaque époque , le gradient de la température est proportionnel au facteur

(en adoptant pour la valeur correspondant à celle que lui attribue Lord Kelvin). Faisons

soit 1 milliard d’années ; à quelle profondeur faudra-t-il s’enfoncer pour que ce facteur devienne égal à (c’est-à-dire pour que le gradient devienne pratiquement nul) ? Pour calculer cette profondeur il faudra écrire

ce qui donne de l’ordre de et de l’ordre de . Il faudra donc descendre à 1 million de mètres, soit à 1 000 kilomètres ou à 1/6 à peine du rayon terrestre. L’influence de la courbure n’est donc pas très grande et l’assimilation de la sphère au mur plan est assez légitime.

158.Mais d’autres objections auraient plus de portée. Nous avons supposé que la sphère terrestre est partie d’une température uniforme et que le refroidissement a commencé brusquement, la superficie prenant immédiatement et conservant la température zéro du milieu froid dans lequel la sphère arrivait. Actuellement, le refroidissement n’aurait pas encore gagné les parties centrales de la Terre, qui auraient conservé leur température initiale.

On pourrait, au contraire, pour se rapprocher d’un autre problème classique de la théorie analytique de la chaleur, supposer que la sphère est partie d’une distribution initiale quelconque des températures, et qu’elle s’est trouvée plongée dans un milieu à température zéro. On sait qu’alors la température à une époque quelconque peut se représenter par une série de la forme

les étant des constantes positives de plus en plus grandes ; les étant des fonctions dépendant des coordonnées du point envisagé, mais ne dépendant pas du temps  ; les étant des coefficients constants dépendant de l’état initial. Les exponentielles décroissent très rapidement quand augmente, et, au bout d’un certain temps, la seule exponentielle non tout à fait évanouie, est la première, celle qui correspond au plus petit des nombres . Le premier terme

représente donc l’état pénultième de la sphère, état auquel elle arrive assez vite et que nous pouvons par suite supposer atteint actuellement.

Dans le cas actuel, qui est celui de la sphère, ce premier terme

se calcule facilement : la fonction ne dépend que de la distance au centre de la sphère. L’équation aux dérivées partielles de Fourier

s’écrit alors, ne dépendant que de ,

Nous avons, pour cette équation, la solution suivante

(4)

les constantes et étant liées par la relation

Pour déterminer nous écrirons, en admettant toujours que le refroidissement se fait par contact, que la superficie de la sphère est à la température zéro. Par suite, en appelant le rayon de la sphère, on doit avoir

Prenant donc

nous obtiendrons la plus petite valeur de

L’état pénultième de la sphère est alors donné par la formule (4). Nous en déduisons, pour le gradient de la température à la surface (pour ),

d’où

et

Remplaçant par (inverse du degré géothermique) et par (rayon terrestre), il vient

Quelle est la température au centre de la sphère terrestre ? Nous obtiendrons cette température en faisant dans la formule (4) :

Si, dans cette formule, nous faisions nous trouverions pour la température initiale au centre

mais observons que la formule précédente n’est valable que pour l’état pénultième et nullement pour les états voisins de l’état initial.

La rapidité de décroissement de la température avec le temps est mesurée par le coefficient

environ ; l’exponentielle décroissante est donc

Ainsi, au bout de 100 milliards d’années la température aura décru dans le rapport de à 1.

Nous nous trouvons donc dons des conditions très différentes de celles où nous étions précédemment (no 156). C’est que des hypothèses différentes ont été faites : ici nous supposons que le refroidissement s’effectue depuis longtemps et que l’état pénultième, quasi-stationnaire, est atteint ; là, au contraire, nous supposions avec Lord Kelvin, que la Terre était partie d’un état initial où la température était uniforme, et que le refroidissement n’avait pas encore eu le temps de gagner le centre. L’une des deux hypothèses n’est pas plus invraisemblable que l’autre.

159.— Jusqu’ici nous avons toujours admis que le refroidissement se faisait par contact, c’est-à-dire que la Terre arrivant dans un milieu à température zéro, sa superficie prenait immédiatement et conservait la température zéro de ce milieu. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent et en réalité le refroidissement se fait plutôt par rayonnement : la surface de la Terre ne prend pas la température zéro du milieu environnant, mais elle perd par unité de temps une quantité de chaleur proportionnelle à l’excès de la température de sa superficie sur celle du milieu ambiant. Ce flux de chaleur perdue étant lui-même proportionnel à la dérivée normale de la température, la condition qui doit maintenant être remplie à la surface est

étant une constante. Dans cette nouvelle hypothèse, la superficie n’étant pas à la température zéro, mais à une température supérieure, le refroidissement se fera plus lentement que dans l’ancienne hypothèse.

160.Dans tous les cas, c’est par sa surface que la Terre se refroidit. La croûte superficielle, l’écorce terrestre, se contracte et doit bientôt, semble-t-il, devenir trop petite pour le noyau qu’elle enveloppe. Des fentes devraient donc s’y produire, semblables à celles qui, d’après MM. Loewy et Puiseux, existent à la surface de la Lune. Or, ce sont au contraire des couches plissées que les géologues observent dans les régions tourmentées. On est donc porté à croire que la croûte est devenue trop large pour le noyau qu’elle recouvre, et que c’est le noyau qui se contracte plutôt que l’écorce.

Il ne faudrait pas dire : la croûte superficielle recevant de la chaleur du Soleil et le noyau n’en recevant pas, c’est le noyau qui doit se refroidir et non la croûte superficielle. Ce raisonnement serait défectueux, car c’est toujours par la superficie que la chaleur s’échappe. et les couches internes n’auraient aucune raison de se refroidir si les couches externes ne l’avaient pas fait avant elles.

161.M. Rudzki a calculé[10] quelle est la quantité de chaleur perdue par la Terre dans son refroidissement. Soient le degré géothermique (égal à 35 mètres ou 3 500 centimètres) et la conductibilité des roches qui forment la surface de la Terre (on a en unités C. G. S., d’après Lord Kelvin). Le flux de chaleur perdu par seconde et par centimètre carré étant , on a

calories-grammes,

soit une perte de 52 calories-grammes par centimètre carré et par an.

M. Rudzki cherche aussi[11] à se rendre compte de combien le rayon terrestre se raccourcit par suite de la contraction due au refroidissement. Soient le coefficient de dilatation linéaire de la Terre, son coefficient de dilatation cubique et la température d’un élément de volume . Dans le temps cet élément voit son volume varier de

Par conséquent la variation de volume de la Terre est

l’intégrale étant étendue à tout le volume de la Terre. La température satisfait à l’équation de Fourier

Si l’on admet que et sont des constantes, il vient

or est (au signe près) l’inverse du degré géothermique ; donc

désignant le rayon terrestre.

Mais d’autre part, on a évidemment

On trouve donc, en égalant ces deux valeurs de

En remplaçant et par les valeurs numériques qui conviennent en moyenne aux roches terrestres, on trouve

environ ;

le rayon terrestre se raccourcirait donc de 4 millièmes de centimètre par an.

Ce calcul suppose que et sont des constantes. Il n’en est certainement pas ainsi dans la réalité, surtout pour qui dépend de la chaleur spécifique. Nous avons exposé plus haut comment le coefficient de dilatation et la chaleur spécifique doivent dépendre de la pression qui est énorme dans les parties centrales.

Certains plis montagneux donnent une idée du rétrécissement de la croûte terrestre et par suite de la diminution du rayon. Comparant les résultats de ses calculs et les résultats donnés par l’observation de ces plis, M. Rudzki croit pouvoir conclure que la Terre se refroidirait depuis 3 milliards d’années.

162.D’autres méthodes ont été proposées pour évaluer l’âge de la Terre.

a) La salure de la mer doit augmenter peu à peu, puisque l’eau qui s’évapore à sa surface est pure, tandis que l’eau que lui apportent les fleuves contient en solution des sels qui ont été dissous dans leur trajet, évaluant la quantité de sel dont la mer s’enrichit ainsi par an. M. Joly a calculé qu’elle a dû mettre 100 millions d’années à atteindre son état de salure actuel.

b) Depuis l’époque cambrienne il a pu se déposer 30 000 mètres de sédiments ; or, comme, d’après les géologues, la formation d’un mètre de sédiment exige de 3 000 à 20 000 années, il se serait donc écoulé de 90 millions à 600 millions d’années depuis l’époque cambrienne.

c) L’uranium dégage de l’hélium avec une rapidité connue. Mesurant donc la quantité d’hélium contenue dans les roches uranifères, on en a déduit que ces roches pouvaient avoir 400 millions d’années d’existence.

d) Le radium émet constamment de la chaleur en se transformant en émanation ; d’après Curie, 1 gramme de radium émet 100 petites calories par heure. N’est-il pas permis de voir là l’origine de ce flux de chaleur que révèle le degré géothermique ? Les roches granitiques renferment une fraction de radium qu’on a évaluée à 4.10-12 de leur masse totale. Si l’on admettait que toute la Terre possède autant de radium, on aurait 74 fois trop de chaleur pour réparer la perte de chaleur due au refroidissement. C’est pourquoi on a proposé, pour rétablir l’équilibre, d’admettre que le radium n’existe que jusqu’à une profondeur de 72 kilomètres.

Il est vrai que le radium ne dure pas très longtemps : en l’espace de 1 200 à 1 900 ans il est presque complètement détruit. On a admis alors que le radium n’est qu’un produit de transformation de l’uranium qui, lui, ne se transforme que très lentement.

163.Les considérations précédentes ont été étendues au Soleil et l’on a proposé d’admettre que l’énergie qu’il rayonne est d’origine radioactive. On pourrait augmenter ainsi dans des proportions considérables la quantité d’énergie que le Soleil contient en réserve, et prolonger de beaucoup sa durée, aussi bien dans le passé que dans l’avenir. Malgré ce que cette théorie a d’hypothétique et de prématuré, elle suffit à nous convaincre que les chiffres de Lord Kelvin et de Helmholtz, qui refusent au Soleil un âge supérieur à 50 millions d’années, ne doivent pas être acceptés sans les plus expresses réserves. Un fait entièrement inconnu de Helmholtz suffit pour que son raisonnement perde sa force probante ; il y a sans doute beaucoup d’autres sources ou réservoirs d’énergie que nous ne pouvons pas plus soupçonner que Helmholtz ne soupçonnait le radium.

III. — Équilibre adiabatique d’un gaz parfait[12].

164.Nous avons posé (no 149) la question suivante : une masse chaude qui rayonne tend à se contracter, la contraction tend à l’échauffer ; la masse va-t-elle finalement s’échauffer ou se refroidir en perdant de la chaleur ? Nous allons approfondir cette question en supposant que la masse est formée par un gaz parfait en équilibre adiabatique : nous entendons par là un état tel que l’équilibre des températures ne soit pas altéré par la circulation, sans gain ni perte de chaleur, d’une partie de la matière dans un tube fermé sur lui-même.

La masse gazeuse va prendre évidemment, sous l’action de sa propre gravité, une forme sphérique formée de couches concentriques homogènes. Soient le rayon d’une couche sphérique d’épaisseur , sa densité, la masse gazeuse intérieure à la sphère de rayon Nous aurons

(5)

Appelant la pression, l’équation de l’Hydrostatique donne

(6)

D’ailleurs, puisqu’on suit la loi adiabatique, la pression est proportionnelle à ( désignant le rapport des deux chaleurs spécifiques du gaz à pression constante et à volume constant) :

d’où nous déduisons

(7)

Les trois équations (5), (6) et (7) forment un système de trois équations différentielles du premier ordre, propres à déterminer et en fonction de moyennant les conditions suivantes servant de conditions initiales :

pour on devra avoir et
pour on devra avoir

désigne le rayon de la sphère et la masse totale.

L’intégration s’effectuerait sans difficultés, mais nous n’en avons pas besoin,

Demandons-nous ce qui se passera si la sphère se contracte, c’est-à-dire si l’on fait varier Nous allons appliquer le principe de similitude mécanique. Remarquons que si l’on remplace

(8)

les équations (5), (6) et (7) ne changent pas. C’est dire que, si le rayon de la sphère varie, la pression varie comme l’inverse de la quatrième puissance du rayon, et la densité comme l’inverse du cube du rayon (cette variation de la densité était facile à prévoir d’après le principe de conservation de la masse).

Mais comment variera la température L’équation caractéristique des gaz parfaits est[13]

Puisque, par la substitution (8), se trouve multiplié par et par se trouve multiplié par La température varie donc en raison inverse du rayon : quand la sphère se contracte la température s’élève ; autrement dit, le coefficient de dilatation est négatif.

Si l’on avait effectué l’intégration, avec les données relatives au Soleil, on aurait obtenu, en admettant que le Soleil est formé de gaz hydrogène, supposé monoatomique aux hautes températures, les résultats donnés par le Tableau suivant :

Distance au centre en fonction du rayon Densité Pression
en atmosphères
Températures
en degrés
0 8,44 0,018.109 24.106
0,5 3,54 0,012.109 14.106
0,9 0,24 0,017.109 22.106

165.Étudions maintenant la chaleur spécifique de la masse gazeuse. L’équation fondamentale de la Thermodynamique donne, en appelant la quantité de chaleur que reçoit l’unité de masse,

désignant l’augmentation d’énergie interne et le travail externe dû à l’accroissement du volume spécifique.

Pour un gaz parfait, on a

et d’ailleurs

Dans le cas d’équilibre adiabatique, varie en raison inverse du rayon, c’est-à-dire qu’il est proportionnel à  : on a donc

par suite

Il vient donc

Cela revient à dire que la chaleur spécifique de la masse gazeuse, dans les conditions d’équilibre adiabatique que nous supposons, est

Son signe dépend de la valeur du rapport

1o Pour les gaz monoatomiques (comme sont l’hélium, la vapeur de mercure, et comme sont probablement tous les gaz aux hautes températures du Soleil), on a

ce qui donne, comme chaleur spécifique de la masse,

quantité négative. Donc, quand le gaz rayonnera, c’est-à-dire perdra de la chaleur, sa température augmentera. Comme le coefficient de dilatation est aussi négatif, le volume du gaz diminuera en même temps.

2o Pour un gaz diatomique, on a

ce qui donne à la chaleur spécifique la valeur

quantité encore négative. Nous aurons donc les mêmes conclusions.

3o Pour un gaz triatomique ou polyatomique on trouverait une chaleur spécifique positive : la masse perdant de la chaleur, sa température diminuerait ; mais, le coefficient de dilatation étant négatif, son volume augmenterait en même temps,

166.Telles sont les conclusions, d’allure paradoxale à première vue, auxquelles nous conduit la théorie des gaz parfaits. Il ne faut pas se hâter d’en déduire que ces conclusions sont applicables au Soleil, parce que celui-ci est sans doute fort loin de l’état de gaz parfait.

167.Il est intéressant de retrouver les mêmes résultats en s’appuyant sur la théorie cinétique des gaz. Rappelons-nous que le théorème du viriel (no 74) nous a fourni l’équation[14]

(9)

représente la demi-force vive de translation des molécules et leur viriel. Dans le cas d’un gaz renfermé dans un récipient, le viriel a pour valeur

mais lorsqu’il s’agit, comme ici, d’une masse gazeuse libre dont les molécules soumises à l’attraction newtonienne, le viriel est égal à l’énergie potentielle (no 76) : on a donc

désignant la distance qui sépare les deux molécules quelconques et

Supposons que la masse gazeuse reçoive une quantité de chaleur . À ce gain de chaleur, correspond un accroissement de la demi-force vive de translation et un accroissement de l’énergie potentielle. L’énergie potentielle étant égale au viriel nous écrivons

(10)

Cette équation n’est exacte que pour un gaz monoatomique, car pour un gaz polyatomique la force vive totale se compose, non seulement de la force vive de translation des molécules, mais encore de la force vive due aux mouvements des atomes d’une même molécule les uns autour des autres. Dans la théorie cinétique des gaz, ces deux sortes de forces vives sont proportionnelles l’une à l’autre, et la demi force vive totale peut s’écrire

désignant un coefficient égal à 1 pour les gaz monoatomiques, supérieur à 1 pour les gaz polyatomiques.

L’équation (10) doit donc être remplacée par la suivante :

et comme l’équation (9) du viriel donne

nous aurons

Comme est proportionnel à la température absolue, la chaleur spécifique de la masse gazeuse est proportionnelle à

1o Pour un gaz monoatomique, on a

la chaleur spécifique est donc négative,

2o Pour un gaz diatomique, on a

la chaleur spécifique est donc encore négative.

3o Pour un gaz triatomique ou polyatomique, on a

la chaleur spécifique est donc positive.

Comparons cette chaleur spécifique de l’ensemble de la masse gazeuse à la chaleur spécifique du gaz à volume constant, celle qu’on désigne par . S’il s’était agi de l’échauffement d’un gaz à volume constant, on aurait eu simplement

c’est-à-dire que le coefficient est proportionnel à la chaleur spécifique à volume constant

Par suite, la chaleur spécifique de la masse gazeuse libre, comparée à , a pour valeur

Pour les gaz monoatomiques, la chaleur spécifique est

Pour les gaz diatomiques, la chaleur spécifique est

Nous retrouvons donc, par la théorie cinétique des gaz, exactement les mêmes résultats que par la théorie des gaz parfaits.

Étudions de même le coefficient de dilatation de la masse gazeuse. Si nous changeons en , le viriel

se trouve multiplié par et l’équation (9) montre que est aussi multiplié par La température varie donc en raison inverse des dimensions linéaires de la masse, ce qui prouve que le coefficient de dilatation est négatif.

168.Ainsi, une masse gazeuse (monoatomique ou diatomique) entièrement libre, s’échauffera en se contractant, à mesure qu’elle perdra de la chaleur par rayonnement : ses molécules, en perdant de l’énergie, verront leur force vive de translation augmenter. On peut comparer ce phénomène à celui qui se produit lorsqu’une planète ou une comète se meut dans un milieu résistant : la perte d’énergie due à la résistance se traduit (voir no 88) par une diminution du grand axe de l’orbite (c’est-à-dire de l’énergie potentielle), en même temps qu’augmente la vitesse linéaire (c’est-à-dire l’énergie cinétique de translation).

169.Le même phénomène continuera jusqu’au moment où, par suite de la contraction et du refroidissement de la masse gazeuse, les molécules seront devenues polyatomiques. D’ailleurs, il n’est nullement certain que le raisonnement soit applicable aux gaz monoatomiques, lorsqu’on suppose que ceux-ci subissent les pressions énormes qui règnent à l’intérieur du Soleil : car alors il faudrait, au viriel ajouter des termes compliqués provenant des actions inter-atomiques ; le gaz s’éloignerait de l’état parfait, il se rapprocherait plutôt d’un liquide, et la chaleur spécifique deviendrait sans doute positive.


  1. Voir Sir William Thomson (Lord Kelvin) : Constitution de la matière (Conférences scientifiques et Allocutions, traduction de P. Lugol, avec des Notes de M. Brillouin, Gauthier-Villars, 1893, p. 225-276). Sur les matières de ce Chapitre, on peut voir aussi J. Bosler : Les Théories modernes du Soleil (Encyclopédie scientifique, O. Doin, 1910), Chap. III et IV.
  2. La combustion de 1 kilogramme de charbon ne dégage que 8000 calories dont l’équivalent mécanique, 3,4.104 kilogrammètres, ne représente que 1/6000 du chiffre précédent : on conçoit donc la supériorité des théories mécaniques sur les théories chimiques.
  3. Rappelons que, dans la théorie de Laplace, c’était plutôt la rotation solaire qui était primitive par rapport à la révolution des planètes. Ici ce serait, au contraire, la révolution des corpuscules qui aurait engendré la rotation de l’astre central.
  4. Cette loi donnerait au centre du Soleil ; elle n’est donc qu’une approximation, de laquelle la réalité peut se rapprocher plus ou moins.
  5. Cette équation traduit le principe d’équivalence : la chaleur reçue par un corps (ou un système de corps) équivaut à l’accroissement de son énergie interne, augmenté du travail externe qu’il a fourni. Dans cette équation nous ne faisons pas figurer l’équivalent mécanique de la chaleur, parce que nous supposons évalué en unités de travail, comme les quantités du second membre.
  6. Pour les gaz parfaits, le coefficient de dilatation à pression constante est constant (et égal à 1/273) : quand la pression devient très grande, le volume spécifique devient très petit, par suite le devient aussi. Pour un gaz parfait, la chaleur spécifique resterait donc finie sous les fortes pressions. Mais il n’en est pas ainsi pour les solides ou les liquides, ni même pour les gaz naturels.
  7. Rappelons que, dans la notation habituelle de la théorie de l’Élasticité, les pressions sont regardées comme positives si elles correspondent à des tensions et comme négatives si elles correspondent à des compressions : c’est la raison des signes — qui figurent dans .
  8. Nous verrons un peu plus loin (no 163) que la découverte des phénomènes radioactifs fait entrevoir le possibilité d’augmenter de beaucoup cette durée.
  9. C’est-à-dire que nous prenons pour zéro des températures la température du milieu supposée uniforme et constante.
  10. Dr M. P. Rudzki : Physik der Erde (Tauchnitz, Leipzig, 1911), p. 118.
  11. Rudzki : Loc. cit., p. 215-217.
  12. J. Homer Lane : On the theoretical temperature of the Sun (American Journal of Science, juillet 1870, t. 50, p. 57-74).
  13. désigne, dans cette équation, la constante des gaz parfaits

    la même lettre désignait plus haut le rayon de notre sphère : aucune confusion n’est à craindre.

  14. Il est bien entendu qu’il ne s’agit ici que de valeurs moyennes. Aussi nous dispensons-nous de surmonter d’un trait les lettres et