Leçons sur les hypothèses cosmogoniques (Poincaré, 1911)/Chapitre 04
CHAPITRE iv.
HYPOTHÈSE DE FAYE.
57.Dans le système cosmogonique de Hervé Faye[1], l’espace est dès l’origine rempli par « un chaos général excessivement rare, formé de tous les éléments de la Chimie terrestre plus ou moins mêlés et confondus. Ces matériaux, soumis d’ailleurs à leurs attractions mutuelles, étaient dès le commencement animés de mouvements divers qui en ont provoqué la séparation en lambeaux ou nuées Ceux-ci ont conservé une translation rapide et des gyrations intestines plus ou moins lentes. Ces myriades de lambeaux chaotiques ont donné naissance, par voie de condensation progressive, aux divers mondes de l’univers. » (p. 258.)
Les gyrations intestines, placées par Faye dans ses lambeaux chaotiques, sont analogues aux mouvements tourbillonnaires que nous observons aujourd’hui dans les nébuleuses spirales.
Des résultats fort différents pourront se produire suivant l’intensité de ces mouvements gyratoires, et suivant la forme des lambeaux.
Si le lambeau est un amas sphérique homogène, sans mouvements intérieurs d’aucune sorte, sa condensation donnera une étoile sans satellites et sans rotation. Si, étant sphérique et homogène, ce lambeau est le siège de mouvements de gyration se compensant réciproquement, il produira soit un amas sphérique d’étoiles décrivant toutes dans le même temps des ellipses ayant leur centre au centre de gravité et de figure de l’amas, soit une étoile centrale accompagnée d’une foule de petits corps rapidement éteints, la condensation centrale l’ayant considérablement emporté sur les condensations partielles. Dans les deux cas, les gyrations se compensant, le moment de rotation totale est nul ; les orbites sont orientées dans des directions diverses et décrites aussi bien dans un sens que dans l’autre.
Un cas beaucoup plus général sera « celui d’un amas non sphérique, non homogène et animé de tourbillonnements susceptibles de se résoudre en une gyration unique. » (p. 262.) La condensation s’opérant alors autour de quelques centres d’attraction, finira par former deux ou trois globes séparés : d’où la formation d’une étoile double ou multiple. « Et comme, dans la série des mouvements des corpuscules se précipitant vers des corps distincts, il n’a dû se présenter aucun moyen de régularisation capable d’imprimer la forme circulaire à leurs trajectoires, les étoiles finales, associées par couples, décriront des ellipses plus ou moins excentriques, ayant leur foyer commun au centre de gravité. » (p. 263.)
Abordons maintenant la formation de notre système solaire. Ce système présente cette remarquable particularité que les orbites des planètes sont presque circulaires. « Il faut donc que, parmi les conditions initiales de notre lambeau chaotique, il s’en soit trouvé une qui ait empêché les gyrations de dégénérer en mouvements elliptiques, et qui ait rectifié d’abord et fermement conservé ensuite la forme à peu près circulaire à travers toutes les péripéties. » (p. 265.) Faye suppose que le chaos partiel, le lambeau d’où est sorti le système solaire, était à l’origine une sorte de nébuleuse sphérique et homogène et que cette nébuleuse possédait un lent mouvement tourbillonnaire affectant une partie de ses matériaux. Il pense qu’à l’intérieur de cette nébuleuse se formeront des anneaux concentriques animés d’un mouvement de rotation commun, semblables à l’anneau dont la nébuleuse de la Lyre nous offre un exemple :
« Les mouvements tourbillonnaires que ce lambeau chaotique emporte dans son sein affectent une forme spiraloïde avec des vitesses dirigées à peu près perpendiculairement au rayon vecteur. Ces vitesses vont en croissant vers le centre. Il y aurait donc peu à faire pour transformer, en partie, un mouvement de ce genre en une véritable rotation, si cette dernière était compatible avec la loi de la pesanteur interne.
« Or, c’est précisément le propre de ce genre d’amas chaotique de ne permettre aux corps qui s’y meuvent que des révolutions elliptiques ou circulaires concentriques et de même durée. Des portions notables dos tourbillons intérieurs pourront donc y prendre l’allure d’un anneau plat, tournant autour du centre avec une même vitesse angulaire, exactement comme si cet anneau nébuleux était un cerceau solide, il n’y a à cela qu’une condition, c’est que la durée de la gyration de ces particules soit égale à la durée commune de tous les mouvements elliptiques ou circulaires qui se produisent sous l’influence de la force centrale.
« Ainsi toutes les particules qui auront la vitesse convenable, dans le plan des gyrations, s’arrangeront immédiatement sous l’influence de la gravité en anneau plat, animé, autour du centre, d’une véritable rotation. Les autres, à vitesses trop grandes ou trop petites, se mouvront dans le même plan, en décrivant des ellipses concentriques à l’anneau. Si ces ellipses sont très allongées, les matériaux qui les parcourent se rapprochent beaucoup du centre où s’opérera une condensation progressive ; ils finiront par y être englobés, tout en communiquant au globe central naissant une rotation dans le plan même de la gyration primitive. Si elles diffèrent peu d’un cercle, la faible résistance du milieu suffira pour uniformiser la vitesse et disposer les matériaux en anneaux tournant comme le premier. » (p. 366-367.)
58.Nous constatons ici une première différence essentielle entre la conception de Faye et celle de Laplace : les anneaux de Laplace se formaient à l’extérieur de la nébuleuse, ceux de Faye se forment à l’intérieur. Seulement, tandis que Laplace rendait parfaitement compte de la faiblesse des excentricités et des inclinaisons mutuelles de ces anneaux, Faye donne de ce phénomène une explication beaucoup moins nette. Le but principal que Laplace s’était proposé ne se trouve ainsi qu’imparfaitement atteint. Dans les deux théories, c’est la rupture des anneaux, devenus instables, qui donne naissance aux planètes.
59.Mais suivons l’évolution de la nébuleuse de Faye. Au début, elle était sphérique et homogène ; l’attraction à l’intérieur était proportionnelle à la distance au contre et pouvait être représentée par
désignant une constante. Plus tard, l’attraction mutuelle des parties, jointe aux chocs et aux frottements inévitables entre particules, produisit nécessairement une condensation centrale ; celle-ci s’est peu à peu nourrie aux dépens de l’atmosphère nébulaire qui se raréfiait de ce fait. C’est ainsi que le Soleil s’est finalement formé vers le centre par la réunion de tous les matériaux non engagés dans les anneaux, faisant ainsi le vide autour de lui. Dans cet état final, qui est l’état actuel, l’attraction est inversement proportionnelle au carré de la distance ou centre ; elle a pour expression
étant une nouvelle constante.
Dans la période intermédiaire, Faye admet que la loi d’attraction, en fonction de la distance r, peut se représenter par l’expression
(E) |
où va en diminuant de à 0 et en augmentant de 0 à
Cette loi correspondrait exactement à une nébuleuse formée d’un noyau central d’une certaine masse qu’envelopperait une atmosphère parfaitement homogène. Il est peu vraisemblable que la nébuleuse solaire ait offert cette constitution dans la période intermédiaire. La loi d’attraction réelle avait sans doute une forme beaucoup plus compliquée ; la loi simple proposée par Faye nous donne donc simplement une idée approchée de la façon dont pouvait varier la pesanteur à l’intérieur de la nébuleuse primitive.
60.Étudions maintenant comment se comportent les anneaux de Faye au point de vue de leur rotation.
Considérons une molécule quelconque d’un anneau. Sa trajectoire est circulaire et sa force centrifuge fait équilibre à l’attraction. Si l’on appelle sa vitesse angulaire, on a, d’après l’expression (E)
d’où l’on tire
Or, est la vitesse linéaire de la molécule : si cette vitesse croît avec , les molécules externes auront une vitesse supérieure à celle des molécules internes, et l’anneau, après sa rupture, donnera une planète à rotation directe. Au contraire, si est une fonction décroissante de la planète issue de l’anneau aura une rotation rétrograde.
Voyons donc dans quel sens varie , c’est-à-dire dans quel sens varie l’expression
Ce sens dépend du signe de la dérivée
Tant qu’on aura l’inégalité
(1) |
l’anneau engendrera une planète à rotation directe. La rotation de la planète sera indirecte si cette inégalité n’est pas vérifiée. Or, au début, est nul, donc l’inégalité est satisfaite partout. Mais, avec le temps, croît et décroît, donc à chaque distance il arrivera un moment où l’inégalité cessera d’être vérifiée. Une planète formée après cette époque aura une rotation rétrograde.
Les rotations sont donc directes lorsque est grand et petit, c’est-à-dire au commencement. Ainsi, d’après Faye, les planètes à rotation directe sont les plus anciennement formées : l’âge relatif des différentes planètes est inverse de celui que leur assignait Laplace.
61.Dans cette hypothèse, la Terre serait non seulement plus vieille que Jupiter ou Neptune par exemple, mais beaucoup plus vieille même que le Soleil, puisqu’un moment où elle s’est formée, était grand et petit ; par suite, la condensation centrale de la nébuleuse était très faible.
Les géologues estiment que le dépôt des sédiments terrestres, depuis le début de l’ère primaire, a exigé un minimum d’une centaine de millions d’années. Or, nous verrons plus tard qu’Helmholtz et Lord Kelvin, au nom de la Thermodynamique, assignent au Soleil un âge qui ne dépasse pas une cinquantaine de millions d’années. Faye regardant la Terre comme beaucoup plus ancienne que le Soleil espère faire disparaître cette contradiction inquiétante. Mais observons que l’étude des fossiles de l’époque cambrienne nous invite à penser que les conditions générales de la vie n’étaient pas alors extrêmement différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui, et il paraît assez difficile d’admettre que les êtres de cette époque aient vécu sans soleil, ou mieux encore, à l’intérieur de l’atmosphère solaire.
62.Les comètes, d’après Laplace, étaient des corps étrangers au système solaire, mais appelés dans ce système par l’attraction. D’après Faye, ces astres appartiennent originellement au système solaire : « Parmi les matériaux non engagés dans le tourbillon primitif, et décrivant en tous sens des ellipses allongées autour du centre, il a dû s’en trouver qui échappèrent à la condensation centrale. Ces matériaux, partis des limites du chaos primitif, ont continué à se mouvoir dans des courbes allongées. » (p. 273.) Ils ont donné les comètes dont les orbites sont devenues des ellipses presque paraboliques ayant leur foyer à l’endroit où les premières avaient leur centre.
63.Nous avons exposé les points essentiels de la théorie de Faye. Cette théorie fut imaginée principalement pour expliquer ce fait que les systèmes planétaires intérieurs sont directs tandis que les systèmes planétaires extérieurs sont rétrogrades. Faye croit ce fait absolument inconciliable avec l’hypothèse des anneaux de Laplace, car ces anneaux doivent, selon lui, donner des planètes toujours rétrogrades[2]. Les planètes se séparent donc ici en deux catégories très nettes : les planètes directes (les plus rapprochées) dont la formation est antérieure à celle du Soleil, et les planètes rétrogrades (les plus éloignées) dont la formation est postérieure à celle du Soleil[3].
Laplace, n’ayant connaissance que de mouvements directs, avait annonce que si l’on venait à découvrir une nouvelle planète ou un nouveau satellite, il y aurait des milliers de milliards à parier contre un que la circulation de ce satellite ou la rotation de cette planète serait directe. Personne ne tint le pari, mais Laplace l’aurait perdu : la découverte de Neptune et de son satellite lui ont donné un démenti. Aux yeux de Faye, c’était là la faillite de la théorie de Laplace et c’est ce qui l’engagea à en proposer une autre. Pour lui, les diverses planètes peuvent aussi bien tourner sur elles mêmes dans un sens que dans l’autre — cela dépend de l’époque de leur formation ; — mais il aurait volontiers parié à son tour que les satellites se mouvront toujours autour de leurs planètes respectives dans le sens de rotation de celles-ci. Lui aussi, il aurait perdu : on connaît aujourd’hui des satellites qui circulent autour de Jupiter et de Saturne dans le sens rétrograde. Restant dans l’ordre d’idées de Faye, on pourrait essayer d’expliquer le mouvement rétrograde de ces satellites autour de leurs planètes par des considérations analogues à celles que nous avons données à la fin du Chapitre précédent. Les premiers satellites de Jupiter, par exemple auraient été formés pendant la période directe, c’est-à-dire quand l’inégalité (1) était encore vérifiée à la distance de Jupiter, le dernier aurait été capté plus tard, pendant la période rétrograde, comme nous l’expliquions au no 56 (p. 67).
64.Examinons à présent un point capital pour la théorie. Au moment où chaque planète se forme, son orbite est circulaire, puisque, par hypothèse, la planète provient d’un anneau. Nous avons vu que sur ce point les explications de Faye ne sont pas entièrement satisfaisantes ; nous ne reviendrons pas là-dessus, et nous les admettrons provisoirement. Mais la loi d’attraction varie avec le temps. À supposer que l’orbite ait été initialement circulaire, a-t-elle pu rester circulaire ? Montrons qu’il en est bien ainsi.
Représentons par la loi d’attraction, variable avec la distance de la planète au centre, et variable aussi, lentement, avec le temps Le rayon vecteur satisfait à l’équation
où désigne la vitesse angulaire. La force étant centrale, nous avons l’équation des aires
étant une constante. L’équation précédente s’écrit alors
(2) |
Introduisons une fonction définie par l’équation
(dans l’hypothèse de Faye, où nous avons
la fonction serait
mais nous restons ici dans le cas général où est une fonction quelconque connue de et de ). L’équation (2) s’écrit alors
(3) |
Dans le cas où ne dépend pas de , cette équation, multipliée par , et intégrée, donne immédiatement l’équation des forces vives
(4) |
où est une constante.
Dans le cas actuel où dépend de , nous posons cette même équation (4) : elle servira de définition à , qui n’est plus une constante, mais une quantité qui dépend du temps. Calculant la dérivée de par rapport au temps, on trouve
La parenthèse du second membre étant nulle d’après l’équation (3), est égal à la dérivée partielle de par rapport au temps :
Dans le cas où l’attraction ne dépend pas du temps, nous obtenons la distance aphélie en écrivant que
Si nous appelons la valeur de pour , l’équation
(5) |
définit alors la distance aphélie et aussi la distance périhélie.
Dans le cas où l’attraction varie lentement avec le temps, nous pouvons continuer à dire que cette même équation (5) définit, à chaque instant , la distance aphélie osculatrice, c’est-à-dire la distance aphélie de l’orbite que décrirait la planète si la loi d’attraction cessait de varier à cet instant .
Cette définition semblera justifiée si l’on remarque qu’à l’instant où la distance passe par un maximum on a et que par conséquent à ce moment on a également et par conséquent
Ce qui caractérise un mouvement circulaire, c’est que la distance aphélie est égale à la distance périhélie, c’est-à-dire que l’équation
a une racine double ; cette racine double satisfait aussi à l’équation
Inversement si la distance aphélie annule , l’équation précédente a une racine double et l’orbite est circulaire.
Supposons donc qu’à l’instant initial les deux équations
et
ont une racine commune , rayon de l’orbite circulaire de la planète. Si, à une époque un peu ultérieure , l’orbite a cessé d’être circulaire, sa distance aphélie sera donnée par l’équation
Étudions les variations de , et pour cela différentions la dernière équation par rapport à . Nous obtenons
(6) |
Or, différant peu de nous avons
et
Portons ces valeurs dans l’équation (6) en nous souvenant que est nul ; nous trouvons l’équation
Comme diffère peu de , l’équation précédente s’écrit
Le premier membre est la dérivée totale de par rapport au temps. Cette dernière équation nous montre que , nul à l’époque , reste nul à l’époque . L’orbite initialement circulaire reste donc circulaire, mais son rayon varie avec le temps.
65.Il y a un cas où nous pouvons étudier la question de beaucoup plus près. Supposons que, dans la formule de Faye
soit nul : ce serait, par exemple, le cas où la nébuleuse de Faye posséderait un noyau déjà très condensé, avec une atmosphère de densité négligeable, mais de masse importante vu la grande distance où elle s’étend ; cette atmosphère tombe peu à peu sur le noyau central pour augmenter sa masse. En d’autres termes, nous allons étudier le mouvement d’une planète attirée suivant la loi de Newton par un soleil dont la masse (que nous désignerons par ) varie lentement avec le temps.
Dans ce cas, la fonction que nous appelons a pour expression
par suite
Or, est la constante des forces vives qui, dans le mouvement képlérien, a pour valeur étant le grand axe de l’orbite ; nous avons donc
ou
(7) |
Nous pouvons admettre que, pendant le temps d’une révolution de la planète, reste sensiblement constant. Calculons ou plutôt sa valeur moyenne pendant une révolution. En désignant par et le moyen mouvement et l’anomalie excentrique de la planète, par l’excentricité de son orbite, nous avons
d’où nous tirons, et ne variant que très lentement,
d’ailleurs, une formule bien connue du mouvement elliptique donne
donc
Or, pendant une révolution, est une constante, et a pour valeur moyenne donc
La formule (7) donne par conséquent pour la variation séculaire du grand axe
ou
et par suite
Le grand axe varie donc inversement à la masse du Soleil,
D’ailleurs, si nous appelons le petit axe de l’orbite elliptique, la constante des aires a pour valeur
nous avons donc :
et
étant lui-même constant, l’est aussi. Les deux axes et de l’orbite de la planète varient donc proportionnellement l’un à l’autre. L’orbite de la planète — et ici nous n’avons pas eu besoin de supposer son excentricité très petite — reste donc constamment semblable à elle-même. Elle se rapetisse à mesure que la masse du Soleil augmente.
66.Ainsi, dans l’hypothèse de Faye, l’orbite d’une planète reste toujours quasi-circulaire, mais le rayon de cette orbite va en diminuant ; les planètes s’approchent de plus en plus du Soleil à mesure que celui-ci augmente de masse[4].
Demandons-nous quelles pouvaient être, à l’origine, les distances des diverses planètes au centre de la nébuleuse. Pour une planète dont est le rayon de l’orbite actuelle et dont est la vitesse angulaire, le moment de rotation est
ce moment de rotation n’ayant pas dû varier, si est la vitesse angulaire et le rayon de l’orbite de la planète à l’origine, on a
(8) |
Or, à l’origine, la nébuleuse de Faye était sphérique et homogène, l’attraction était donc proportionnelle à la distance au centre, par suite était le même pour toutes les planètes. Supposons, par exemple, que la nébuleuse primitive homogène ait eu le rayon de l’orbite actuelle de Neptune (ce qui est un minimum) : alors son attraction sur Neptune aurait été la même que si toute sa masse avait été concentrée en son centre. Sa condensation ultérieure en un Soleil central n’a rien dû changer au mouvement de Neptune, qui lui restait toujours extérieur. La valeur de est donc, dans cette hypothèse, la vitesse angulaire actuelle de Neptune, et la formule (8) permet de calculer la distance initiale de chaque planète au centre de la nébuleuse. On peut ainsi former le Tableau suivant, où l’on a mis en regard la distance actuelle et la distance initiale des planètes au Soleil, le rayon actuel de l’orbite terrestre étant pris comme unité :
Planètes | Distance actuelle | Distance initiale |
Mercure |
0,4 | 10 |
Vénus |
0,7 | 11 |
la Terre |
1 | 13 |
Mars |
1,5 | 14 |
Jupiter |
5,2 | 20 |
Saturne |
9,5 | 22 |
Uranus |
19,1 | 27 |
Neptune |
30 | 30 |
Nous voyons, par exemple, que Mercure se serait formé à peu près à la distance où se trouve aujourd’hui Saturne. Si le rayon de la nébuleuse homogène primitive avait été encore plus grand, les distances se trouveraient encore augmentées. L’attraction est initialement représentée par , étant proportionnel à la densité de la nébuleuse, c’est-à-dire à ; égal à est donc proportionnel à comme a une valeur constante, nous concluons que est proportionnel à
Donc, si la nébuleuse primitive a eu un rayon double de la distance actuelle de Neptune, c’est par qu’il faut multiplier les nombres de la dernière colonne du Tableau ci-dessus. Si l’on admet que la nébuleuse solaire touchait à l’origine celle de l’étoile la plus voisine ( du Centaure), qui se trouve éloignée à une distance de l’ordre de 200 000 rayons de l’orbite terrestre, c’est par un nombre de l’ordre de qu’il convient de multiplier les distances . Dans l’hypothèse de Faye, c’est donc à d’énormes distances que les planètes se seraient formées.
L’hypothèse de Faye présente en résumé un caractère ingénieux ; mais elle rend moins facilement compte que celle de Laplace de la faiblesse des excentricités et des inclinaisons. Elle a été imaginée à la suite de certaines objections qui avaient été opposées à la théorie de Laplace ; nous avons vu plus haut comment la plupart de ces objections avaient pu être écartées et avaient été victorieusement réfutées par les partisans des idées de Laplace. La principale difficulté, ignorée d’ailleurs de Faye, provient du mouvement rétrograde des satellites extérieurs de Jupiter et de Saturne ; mais elle n’est pas mieux expliquée par la nouvelle théorie que par l’ancienne.
- ↑ H. Faye : Sur l’Origine du Monde, 4e édit. (Paris, Gauthier-Villars, 1907), Chap. XIII et XIV.
- ↑ Nous avons vu que l’effet des marées solaires permet de répondre à cette objection.
- ↑ La planète Uranus se serait formée à une époque de transition, intermédiaire entre celle des planètes à satellites franchement directs et celle de Neptune à satellite franchement rétrograde. La rotation, d’abord directe, aurait été forcée ensuite de devenir rétrograde, de là serait résulté un conflit, contraignant l’équateur de la planète naissante à s’incliner sur le plan de l’orbite, jusqu’à lui devenir perpendiculaire et à dépasser même un peu cette position vers le sens rétrograde.
- ↑ Si la planète a un satellite ou plusieurs, ce rapprochement entraîne, comme effet secondaire, une légère augmentation de la distance du satellite à la planète : conséquemment, la durée du mois augmente, tandis que celle de l’année diminue.