LEÇON TROISIÈME.
Fonctions dérivées des puissances. Développement d’une puissance quelconque d’un binôme.
Puisque toute fonction dérivée du premier ordre n’est autre chose que le coefficient de dans le développement de la fonction primitive après la substitution de à la place de il s’ensuit que la recherche de la fonction dérivée d’une puissance quelconque se réduit à trouver le terme affecté de dans le développement de la puissance suivant les puissances de
Lorsque l’exposant est un nombre quelconque entier ou fractionnaire, positif ou négatif, on démontre facilement, par les premières opérations de l’Algèbre, que les deux premiers termes de la puissance du binôme sont ainsi, lorsque ou étant un coefficient quelconque, on aura
étant un nombre quelconque rationnel.
Comme tout nombre irrationnel peut être renfermé entre des limites rationnelles aussi resserrées que l’on veut, on en pourrait conclure tout de suite la vérité du résultat précédent pour une valeur quelconque irrationnelle de puisqu’on peut, en resserrant les limites, diminuer l’erreur à volonté. Mais, comme il est plutôt question ici de la forme même de la fonction dérivée que de sa valeur absolue dans chaque cas particulier, nous croyons, pour ne rien laisser à désirer sur cette proposition fondamentale, devoir en donner une démonstration aussi générale que rigoureuse.
Puisque
par les règles de l’Algèbre, si l’on fait pour abréger il s’agira de trouver le coefficient de dans le développement de quel que soit l’exposant Or, quel que puisse être ce coefficient, comme il doit être indépendant de il est clair qu’il ne peut être qu’une fonction de puisque l’expression ne contient que les deux indéterminées et On pourra donc le représenter en général par la caractéristique désignant une fonction déterminée, mais inconnue. Ainsi, comme en faisant nul, la quantité devient on aura
On aura donc aussi, pour un autre exposant quelconque
Multipliant ensemble ces deux équations, on aura
Car la théorie des puissances repose uniquement sur ce principe que quelles que soient les quantités et l’on peut même dire que c’est dans ce principe que consiste l’essence des puissances, lorsque les exposants ne peuvent être expriméspar des nombres.
Ainsi sera le coefficient de dans le développement de la puissance Mais ce coefficient doit être représenté par puisque la fonction devient en y substituant pour Donc il faudra que la fonction désignée par la caractéristique soit telle que l’on ait
et étant des quantités quelconques.
Pour trouver d’une manière générale la forme de la fonction diaprés cette condition, je supposerai que la quantité soit changée en et que la quantité le soit en étant quelconque ; alors la fonction demeurera la même, et les fonctions deviendront
donc l’équation précédente donnera
Or, par le développement, la fonction
devient
comme on l’a vu plus haut ; et la fonction deviendra de même, en prenant négativement,
donc l’équation précédente se réduira à celle-ci
laquelle devant avoir lieu quelle que soit la valeur de on aura nécessairement
La première de ces conditions donne
d’où l’on conclut d’abord que la valeur de la fonction doit être indépendante de la variable puisqu’elle demeure la même en changeant la valeur de cette variable, et qu’ainsi cette valeur doit être constante relativement à la même variable.
On aura donc
étant une constante ; et cette valeur de satisfera aux autres conditions, puisqu’on aura
et de même
Tout se réduit donc à trouver la valeur de la fonction primitive d’après la fonction dérivée
Or il est facile de voir que ne peut être que de la forme étant une constante arbitraire ; car on peut se convaincre qu’il n’y a que cette expression qui puisse donner pour sa fonction dérivée.
On peut d’ailleurs le démontrer directement comme il suit puisqu’on a en général
on aura, dans le cas présent,
et, comme peut être une quantité quelconque, si l’on fait alors la quantité deviendra zéro ; donc la valeur de sera indépendante de elle sera par conséquent égale à une constante On aura ainsi
d’où
Substituant cette valeur de on aura en général
quelle que soit la valeur de et étant des constantes indépen-
dantes de
dont la valeur doit se déterminer par la considération de quelques cas particuliers.
Pour cela, on fera d’abord et l’on aura
donc On fera ensuite et l’on aura
donc
D’où l’on conclura enfin
Donc, puisque
étant on aura
quel que soit le nombre de sorte que la fonction dérivée de sera de comme nous l’avons trouvée d’abord pour le cas de rationnel.
La démonstration précédente ne laisse rien à désirer pour la rigueur et la généralité. Elle ne dépend que des fonctions dérivées de la forme la plus simple, et fournit, dès le commencement, un exemple remarquable de leur usage dans l’Analyse.
On peut donc établir pour règle générale que la fonction dérivée d’une puissance quelconque d’une variable est égale à la puissance d’un degré moindre d’une unité de la même variable, multipliée par l’exposant de la puissance donnée.
De là et de la loi du développement des fonctions résulte une démonstration aussi simple que générale, et peut-être la seule rigoureuse qu’on ait encore donnée de la formule du binôme pour un exposant quelconque.
En effet, puisqu’on vient de trouver que
donne
on aura de même, en prenant la fonction dérivée de cette dernière quantité,
et, par la même raison, on aura, en prenant de nouveau la fonction dérivée,
et ainsi de suite.
Donc, puisqu’on a trouvé, en général,
on aura, pour le cas de la série
Si l’on divise toute l’équation par et qu’on y mette ensuite à la place de on aura
Cette formule résulte de la précédente en y faisant mais il n’aurait pas été rigoureux de l’en déduire de cette manière, puisqu’on a déjà remarqué que le développementde la fonction en puissances entières de peut cesser d’être exact dans des cas particuliers de la valeur de
Si maintenant on multiplie l’équation précédente par et qu’on y substitue ensuite à la place de on aura
quelques valeurs qu’on attribue aux quantités
La méthode, que nous avons employée plus haut pour trouver directement la fonction primitive d’une quantité constante, peut être appliquée à d’autres cas. En effet, si dans la formule générale
on fait
la fonction deviendra indépendante de et sera par conséquent égale à une constante laquelle sera proprement la valeur de lorsque On aura donc ainsi
d’où l’on tire
Si maintenant on aura
donc
Si on aura
donc
Si on aura
donc
et ainsi de suite.
En général, si on aura, en prenant les fonctions dérivées,
donc, substituant ces valeurs,
Or on a, par le développement,
donc
et, par conséquent,
quel que soit le nombre donc on aura
En effet, la fonction dérivée de cette quantité sera, par la règle générale,
la constante ayant zéro pour fonction dérivée.