Leçons de gymnastique utilitaire/Chapitre XVII

Librairie Payot & Cie (p. 35-36).

TRAVAUX MANUELS

La question du travail manuel à l’école et au collège n’a jamais pu être résolue de la bonne manière. Louis XVI avait assez de temps à lui pour pouvoir se livrer aux charmes du métier de serrurier quand il en avait fini avec les affaires de l’État. L’adolescent moderne trouverait malaisément le moyen de devenir apprenti charpentier dans l’intervalle de ses leçons trop multiples. Il n’en aperçoit pas, d’ailleurs, l’utilité ; les arguments à la Jean-Jacques par lesquels on l’inciterait à accepter cette surcharge risqueraient d’être accueillis par lui sans la moindre considération. Mais sous le couvert du sport, le travail manuel s’introduira très naturellement dans sa vie parce qu’il conçoit fort bien qu’il faille être à même de réparer et d’entretenir tout ce qui sert au sport. Ce « débrouillage-là » n’a guère besoin d’avocat : c’est un complément obligé de l’éducation physique virilement conçue et conduite.

Les travaux manuels connexes aux exercices physiques peuvent être répartis en quatre leçons auxquelles nous donnerons des qualificatifs aptes à les définir et à les différencier. Il y aura, si vous voulez bien : la leçon de chantier, la leçon d’écurie, la leçon d’atelier et la leçon de campement. La première comprendra la confection des nœuds marins, la fabrication du filet, le halage d’une embarcation, le lavage, le vernissage et la peinture de la coque, le calfatage d’une voie d’eau… etc. Ce sont les besognes qu’impose le voisinage de la mer ou du fleuve ; elles ouvrent la porte à une quantité de gestes adroits qui trouveront, dans l’existence, l’occasion d’applications imprévues.

La leçon d’écurie tourne autour du cheval ; il paraît superflu d’insister sur son caractère nettement utilitaire. Seller, desseller, atteler, dételer, soins élémentaires à donner à l’animal, nettoyage et entretien du harnachement, travail du cuir… voilà des connaissances qui ne sont point académiques mais qui préparent bien le régiment de cavalerie pour celui qui y passera et le remplacent un peu pour celui qui n’y passera pas.

Vient ensuite la leçon d’atelier, consacrée à l’arme et à la machine : démontage, nettoyage, réparation sommaire des bicyclettes et des autos, soins des armes blanches et des armes à feu. C’est le contact des minuties mécaniques dont le monde moderne est plein : un autre genre d’adresse plus fin, plus délicat, plus réfléchi mais singulièrement opportun.

Et, pour finir, la leçon de campement dont l’érection de la tente est le centre ; monter la tente, autour d’elle établir une clôture, creuser un fossé puis allumer un feu, faire cuire de la viande et des légumes, laver de la toile et de la flanelle : embryon de cuisine et de lessive, rappel de vie primitive, retour aux origines, au sein de la civilisation compliquée qui nous entoure habituellement et tend à nous faire oublier les rudes principes de la lutte ancestrale.

Constatez que cet apprentissage est simple à organiser et que la pédagogie excellente en est revêtue d’une perpétuelle parure de récréation et d’agrément. Quel adolescent, à moins d’être tristement maladif ou prématurément quintessencié d’art ou de poésie, se refuserait à goûter de si amusantes initiatives ?

Que faut-il pour les lui fournir ? Pas grand’chose. Le tout est à portée dans la moindre ville. C’est la volonté qui manque : volonté du père, volonté du maître, volonté de l’enfant. Cette dernière sera la plus rapide à susciter ; les autres se mobiliseront moins volontiers. Question de routine. Pour le mieux saisir, songeons à ce qui se passe au manège. Nous y envoyons nos enfants pour qu’ils apprennent à manier un cheval, à s’en servir. Et nous tolérons qu’on amène à un grand garçon de seize ans sa monture toute sellée et bridée et qu’un palefrenier soit là à la tenir pendant qu’il daigne l’enfourcher.

Cette ineptie quotidienne suffit à faire apercevoir toute la série des habitudes routinières qui ont élevé comme une haute palissade autour de l’organisation, pourtant si naturelle (et qui aurait dû naître spontanément), de travaux manuels sportifs servant de complément à l’éducation sportive. Mais il n’est pas trop tard pour obliquer dans cette direction salutaire. La vie scolaire y puisera un nouvel intérêt, la discipline individuelle en tirera du renfort et la « débrouillardise », cette qualité dont les poilus de 1914 ont fait une vertu, sera justement honorée par un culte efficace.