Leçons de gymnastique utilitaire/Chapitre II

Librairie Payot & Cie (p. 6-8).

LE SAUT

Il existe une grande quantité de modalités différentes en cette matière et les Anglais, en imposant à l’univers sous le nom d’« athletic sports » certaines preuves fondamentales au programme desquelles aucun club respectable n’oserait rien changer, ont cristallisé assez fâcheusement la routine du saut. Sauts en hauteur avec et sans élan, sauts en longueur avec et sans élan, saut à la perche… c’est tout. Cette nomenclature insuffisante appelle quelques réflexions.

Le saut est un exercice qui demande de l’expérience, du jugement et de la décision. Le pire ennemi du sauteur, c’est l’hésitation ; sa maladresse a chance d’augmenter en proportion des insuccès subis. Dans bien des sports, l’insuccès est un aiguillon salutaire. Ici, son influence est néfaste. Aussi l’instructeur doit-il régler la progression de ses élèves avec une grande prudence, de façon à leur éviter des insuccès qui, en se répétant, les handicaperaient définitivement. Ceci provient de ce que le sauteur doit, d’un coup d’œil, apprécier au préalable la totalité de l’effort qu’il a à fournir. Au cours d’une course ou d’un assaut, le coureur et l’escrimeur peuvent réviser leur appréciation à cet égard et par conséquent modifier l’allure ou la tactique. Mais le sauteur ne jouit point d’un tel privilège. Si son appréciation a été erronée, il s’en apercevra en sautant et trop tard pour corriger l’erreur commise.

De là aussi ce fait que les diverses espèces de sauts veulent être étudiées et répétées séparément parce que l’une n’entraîne pas à l’autre. Or, nous l’avons dit, il y en a beaucoup.

Le saut en profondeur est généralement négligé et le saut vertical totalement oublié. Il en est de même du saut en longueur ou en profondeur — ou même vertical — exécuté avec la perche. Inutile de faire observer combien toutes ces manières de sauter sont éducatives pour le corps et combien elles sont utilitaires aussi par les applications qu’elles comportent. Le saut en profondeur s’exécute de haut en bas ; le saut vertical, de bas en haut. L’effort initial, la détente, l’arrivée sont très différents dans l’un et l’autre cas. Beaucoup d’obstacles veulent être pris en profondeur ; d’autres verticalement. Sans doute, on peut en général les aborder autrement, mais avec perte de temps et sans aisance. Et puis cela n’est pas toujours possible.

L’emploi de la perche, limité au saut en hauteur, constitue une erreur. C’est là un très beau sport, gracieux, élégant, un sport fait de coup d’œil, de sang-froid, de courage, un sport qui exige un dosage merveilleux de force et de souplesse. Mais, pratiquement, il est sans grande utilité. Il ne sera jamais bien opportun d’aborder un obstacle de cette façon-là. La perche, au contraire, est indispensable pour accroître, en cas de besoin, l’amplitude d’un saut en longueur si le fossé ou la petite rivière à franchir réclament cet adjuvant. En hauteur, on peut encore grimper, se hisser ; mais, en longueur, le saut risque d’être l’unique ressource. Selon qu’il s’agit de sauter en hauteur, en longueur ou en profondeur, la perche se manie et se pose et l’élan est pris de façon différente.

Tous ces sauts peuvent être combinés en une variété singulièrement attrayante pour l’élève. Dans un gymnase clos et couvert, on n’en étudiera en quelque sorte que le squelette ; mais dehors, le moindre espace propice sera facilement muni des installations nécessaires : murs, fossés, haies, terre-pleins… Voilà qui est bien simple, n’est-ce pas ?… Or on ne l’a jamais fait.

L’explication de cette anomalie se trouve sans doute dans la difficulté de mettre d’accord, quand il s’agit du saut, les circonstances naturelles et les circonstances artificielles. Le chef-d’œuvre de l’artificiel en cette matière, c’est le tremplin. Bizarre idée que l’emploi du tremplin. On a été jusqu’à en fabriquer qui posaient sur des ressorts métalliques !… Et le plus amusant de l’affaire est que, si cet appareil amplifie parfois le saut, il lui arrive aussi de détériorer le sauteur, en donnant à certains de ses muscles de mauvaises habitudes propres à le rendre maladroit en face d’un obstacle naturel. Même observation pour la cordelette qui « représente » l’obstacle. Elle n’est pas, ne peut pas être strictement horizontale. Quelle mauvaise éducation pour l’œil chargé d’apprécier la hauteur et de transmettre l’indication d’après laquelle se décidera l’effort !

L’artificialisme, en ce qui concerne le saut, n’est pas à combattre d’une façon absolue mais on en abuse et, si l’on veut préparer un vrai et bon sauteur, on n’y réussira qu’en recourant à la nature, au sol qu’elle fournit, aux obstacles qu’elle dresse et à la lumière dont elle les éclaire.

Je voulais encore parler des sauts avec appui des mains, d’une seule main et des deux : autre catégorie pleine d’intérêt et de diversité, celle-là aussi… Mais quoi ! C’est tout un traité qu’il faudrait rédiger sur un sujet si antique et point encore codifié. À peine ai-je pu en indiquer les principales têtes de chapitres.