Leçons élémentaires de chimie agricole/Chapitre V

CHAPITRE V

NUTRITION AZOTÉE DES PLANTES.


Les plantes, comme tous les êtres vivants, contiennent nécessairement des matières organiques azotées, constituées à la fois par du carbone, de l’hydrogène, de l’oxygène et de l’azote. La substance vivante des cellules végétales ou animales, le protoplasma, renferme toujours de l’azote. Il est donc impossible qu’un végétal vive et se développe sans en recevoir. Les matières azotées végétales, gluten, légumine, albumine végétale, sont l’unique source d’azote pour les tissus de l’homme et des animaux, qui, à ce titre, dépendent absolument des plantes. Le végétal est, en réalité, l’intermédiaire entre l’animal et le règne minéral ; en même temps que des substances minérales contenant de l’azote, il élabore ces produits complexes, que nous appelons des matières albuminoïdes, qui plus tard nourriront l’animal. Où doit-il prendre cet azote ?

La première idée qui vient à l’esprit, c’est que la plante, vivant dans l’air, c’est-à-dire dans un mélange d’oxygène et d’azote, va lui demander l’azote dont elle a besoin. La quantité de cet élément disponible dans l’atmosphère est énorme puisqu’elle constitue les de la masse totale de l’air. Les faibles doses d’acide carbonique qui se trouvent disséminées dans l’atmosphère suffisent, nous l’avons vu, a l’alimentation carbonée des végétaux ; la nutrition azotée paraît devoir être encore mieux assurée. Malheureusement pour ces prévisions bien naturelles, cette alimentation directe par l’azote de l’air n’a pas lieu, ou si elle a lieu, elle est si faible, si exceptionnelle qu’elle ne peut être regardée comme un mode normal de la nutrition végétale.

C’est là une question capitale qui a provoqué de nombreuses recherches. M. Georges Ville avait conclu d’expériences personnelles, que les plantes peuvent assimiler directement une certaine quantité d’azote atmosphérique, et les doses ainsi fixées seraient même assez grandes, surtout pour certains végétaux privilégiés.

Mais les assertions de M. Ville soulevèrent les plus vives contradictions, et M. Cloëz qui avait assisté personnellement aux expériences de M. Ville, en repoussait les conclusions et attribuait à la présence négligée des nitrates la plupart des effets qui avaient été rapportés à l’azote atmosphérique.

Les observations rigoureuses de Boussingault en France, de Lawes, Gilbert et Pugh en Angleterre, conduisent à une conclusion absolument opposée à celle de M. Ville, c’est-à-dire à l’absence de toute assimilation directe. Cette opinion s’impose, et nous devons dire : l’azote de l’air n’est pas fixé directement par les plantes. Nous verrons qu’il peut l’être par l’intermédiaire du sol.

Ammoniaque de l’air. — Mais il y a dans l’air de petites quantités d’azote combiné, ammoniaque et acide nitrique. Ces petites quantités d’ammoniaque (1 à 2 milligrammes par 100 mètres cubes d’air) peuvent sans doute, dans une certaine mesure, collaborer à la nutrition azotée des végétaux. Les travaux de MM. Ville, Sachs, Schlœsing ont établi que la végétation est plus prospère dans une atmosphère riche en ammoniaque. M. Schlœsing a pu élever un plant de tabac en ne lui fournissant d’autre élément azoté que du carbonate d’ammoniaque diffusé dans l’air environnant.

La surface absorbante des plantes est très grande, et l’air se renouvelle fréquemment sur cette surface, apportant toujours des doses minimes, il est vrai, mais constamment renouvelées, d’ammoniaque.

M. Boussingault a calculé la surface utile d’absorption offerte par les feuilles dans diverses cultures. Pour la pomme de terre, il a trouvé, par hectare, environ 40,000 mètres carrés, c’est-à-dire quatre fois la surface du sol ; pour le froment, au moment de la floraison, 35,000 mètres carrés ; pour le topinambour (en septembre), environ 140,000 mètres carrés, soit quatorze fois l’étendue du champ.

M. Müntz a essayé d’évaluer directement le poids d’ammoniaque qui peut être arraché à l’air par un hectare de topinambours dont la surface ne cesserait d’exercer son pouvoir absorbant[1]. En six mois de végétation, cette quantité atteindrait 97 kilogrammes, contenant 80 kilogrammes d’azote, alors que la récolte totale n’en fixe guère que 180 kilogrammes.

Mais ce nombre, 80 kilogrammes, est certainement beaucoup trop fort, puisqu’il suppose les feuilles douées d’un pouvoir absorbant parfait exercé sans relâche. Pratiquement, la fixation d’ammoniaque serait lente, et sa valeur atteindrait tout au plus quelques kilogrammes.

Néanmoins, ces expériences nous apprennent que l’ammoniaque de l’air concourt pour une certaine part à l’alimentation azotée des plantes, cette part étant d’ailleurs fort petite. La majeure partie des produits azotés de l’air est recueillie par l’eau des pluies, qui apporte directement à la terre de l’ammoniaque et de l’acide nitrique et peut contribuer ainsi à l’enrichir en matière azotée.

Azote du sol. — Puisque l’azote des plantes ne leur vient pas de l’air, puisque celles-ci n’en reçoivent que fort peu de l’ammoniaque atmosphérique, c’est du sol que provient à peu près totalement cet azote. Il faut donc que la terre végétale contienne, non pas de l’azote libre, dont les racines ne tireraient pas meilleur parti que les feuilles, mais des substances azotées.

Dans un sol privé d’azote et qui n’en recevrait jamais, toute végétation serait sinon impossible, du moins fort précaire, puisque la nutrition azotée devrait se faire exclusivement par l’ammoniaque de l’air. Mais, en réalité, tous les sols renferment de l’azote combiné à dose d’ailleurs assez variable : il y a moyennement 1 gramme d’azote par kilogramme de terre fine, mais la proportion s’abaisse quelquefois jusqu’à 1 décigramme ; parfois, au contraire, elle s’élève à 2 ou 3 grammes, et dans les terreaux de jardinier atteint jusqu’à 10 grammes par kilogramme.

D’ordinaire, les sols les plus fertiles sont les plus riches en azote, et on a pu dire, avec quelque raison, que la fertilité d’une terre est à peu près mesurée par la quantité l’azote qu’elle renferme.

Pourtant, il ne faudrait pas adopter cette règle en toute confiance. En Bretagne, on trouve de vastes étendues de terrains très riches en azote, et malgré cela fort peu fertiles. Il peut donc arriver qu’une terre très azotée soit fort mauvaise, alors qu’un sol peu azoté sera productif. C’est que l’azote se trouve dans la terre sous diverses formes dont les unes conviennent immédiatement à la nutrition végétale, tandis que les autres ne peuvent y concourir qu’après avoir subi certaines transformations. Ces formes se ramènent à trois : azote nitrique, azote ammoniacal, azote organique.

L’azote nitrique, qui existe à l’état de nitrates, peut directement être utilisé par les racines.

L’azote ammoniacal, que contiennent l’ammoniaque et les sels ammoniacaux, paraît également susceptible d’être consommé par la végétation.

L’azote organique, qui entre dans la constitution des matières organiques azotées, n’est pas immédiatement assimilable ; il peut le devenir en se transformant plus ou moins vite en azote ammoniacal ou en azote nitrique.

Examinons l’une après l’autre ces trois manières d’être de l’azote.

Azote organique.La majeure partie de l’azote combiné du sol (environ les ) se trouve à l’état de combinaison organique, contenant, avec l’azote, du carbone, de l’hydrogène et de l’oxygène. Cette matière, analogue aux substances albuminoïdes des êtres vivants et à peu près insoluble dans l’eau, forme la plus grande portion de cet élément brun qui existe toujours dans les sols arables, l’humus.

Formation de l’humus. — L’humus est le résultat de la transformation lente des résidus de végétaux morts, racines de plantes détruites, débris de feuilles et de tiges. Il peut également être produit par la modification analogue des matières végétales ou animales ajoutées à la terre par les soins des agriculteurs, telles que, par exemple, le fumier de ferme.

Les détritus organiques disséminés dans le sol ne tardent pas à subir une sorte de putréfaction due à la présence d’agents microscopiques vivants. Aucune matière enfouie n’échappe à l’action destructive de ces microbes : ils attaquent de la même manière les substances azotées et celles qui sont principalement formées par des hydrates de carbone, comme la paille où le bois. Ces microbes ne font jamais défaut dans la terre végétale, quelle que soit sa nature, et habituellement ils s’y trouvent en nombre immense. D’après Adametz, 1 gramme de terre n’en renferme pas moins de 400,000 à 500,000 !

Le plus souvent, l’air pénétrant assez bien à travers le sol, l’œuvre destructive peut être accomplie par des êtres aérobies, par des mucédinées, qui provoquent activement la combustion de la matière : le carbone passe à l’état d’acide carbonique, l’hydrogène donne de l’eau, l’azote fournit une certaine dose d’ammoniaque qui demeure fixée sur la portion de matière non transformée. Le produit de ce travail est l’humus, mélange complexe de substances plus ou moins azotées, fréquemment acides et à ce titre solubles dans les alcalis comme la potasse ou l’ammoniaque, quelquefois alcalines et capables d’être dissoutes par les acides.

Ces matières brunes ont été quelquefois nommées les peptones du sol, et, en effet, comme les peptones, elles résultent de la digestion partielle des matières organiques et peuvent être utilisées en quelque manière pour nourrir les plantes. Comme les peptones aussi, elles sont de nature fort complexe et difficiles à définir au point de vue chimique.

Quand le sol est très compacte et n’est pas rendu perméable par les labours, l’air n’y pénètre pas et les micro-organismes ne peuvent accomplir leur fonction comburante. C’est ce qui arrive aussi assez souvent sur la terre des bois, recouverte d’une couche épaisse de mousse : les débris végétaux s’accumulent à sa surface, formant une sorte de tapis imperméable à l’air. Dans ce cas, des putréfactions s’établissent encore, mais elles sont l’œuvre d’autres êtres vivants infiniment petits, capables de subsister sans oxygène aérien aux dépens de l’oxygène des matières organiques. Sous l’action de ces microbes anaérobies, il se dégage encore un peu d’acide carbonique, mais celui-ci est accompagné d’un gaz inflammable, formé de carbone et d’hydrogène ; c’est l’hydrogène protocarboné ou formène. On l’appelle souvent gaz des marais, parce que dans la vase des étangs les fermentations anaérobies en dégagent fréquemment ; c’est le même gaz que dans les houillères on nomme le grisou, et dont les mélanges avec l’air possèdent des propriétés explosives si funestes.

Par suite de cette élimination d’hydrogène, la matière organique acquiert une teneur croissante en carbone, et c’est de cette manière que se forme la tourbe, très riche aussi en matières azotées.

Constitution de l’humus. — Chimiquement, nous savons assez peu de chose sur la vraie nature des produits azotés de l’humus ; pourtant, les travaux de M. Berthelot nous ont renseignés dans une certaine mesure sur la fonction chimique de ces corps. Comme la plupart des matières albuminoïdes, ce sont des principes amidés. Sous l’influence des divers agents, acides, alcalis, et même sous l’action de l’eau, les principes amidés, d’abord insolubles, se dédoublent lentement en donnant de l’ammoniaque et d’autres principes amidés solubles qui paraissent alors susceptibles de concourir directement à l’alimentation végétale.

Nous voyons donc qu’au contact de l’eau plus ou moins chargée d’acide carbonique et de matières salines, les substances humiques, incapables de servir immédiatement à nourrir les plantes, subissent incessamment des transformations lentes qui les changent en principes analogues solubles et principalement en ammoniaque. Ces matières albuminoïdes solubles peuvent, sans doute, contribuer pour une certaine part à l’alimentation des végétaux ; c’est par elles probablement que les champignons vivent et se développent. Les champignons dénués de chlorophylle sont incapables de prendre le carbone à l’atmosphère, et ils le demandent en même temps que l’azote à ces principes d’origine humique. Les microbes, ces êtres vivants infiniment petits, qui jouent un rôle si important dans les modifications de la terre arable, utilisent aussi cette nourriture mixte, qui fournit à la fois l’azote et le carbone nécessaires à leur développement et à leur multiplication.

Quant à l’ammoniague, qui se trouve ainsi dégagée dans le sol d’une façon continue, elle se fixe sur les particules terreuses, où une portion sera utilisée directement par la nutrition végétale. Une certaine dose pourra aussi s’échapper dans l’atmosphère, compensant en quelque manière l’apport ammoniacal dû aux pluies. Mais si les circonstances sont favorables, la majeure partie se changera en nitrates, forme la plus parfaite pour l’alimentation azotée des plantes.

L’azote organique de la terre arable est, comme on vient de le voir, une source lente d’azote nutritif. C’est un capital dont la végétation ne peut utiliser que le revenu.

On peut prévoir déjà, étant donnée la variété des sols, que ce capital sera plus ou moins productif. Certains capitaux très considérables pourront ne donner qu’un revenu médiocre, si la transformation de la matière azotée est très lente : l’azote fourni aux cultures sera insuffisant, la terre sera peu fertile.

Si la transformation est prompte, les aliments azotés seront abondants ; mais on pourra craindre un épuisement rapide de la richesse azotée du sol.

Azote ammoniacal. — L’ammoniaque du sol provient de trois sources distinctes : l’atmosphère, l’humus, les engrais.

On a parlé plus haut de l’ammoniaque atmosphérique, dont une fraction importante recueillie par les pluies vient à la terre. Nous avons vu dans le paragraphe précédent que l’ammoniaque est un des produits des transformations subies par la matière humique. L’ammoniaque issue de ces deux origines s’unit à l’acide carbonique pour former du carbonate d’ammoniaque, qui demeure fixé sur les particules terreuses grâce au pouvoir absorbant que possèdent l’humus et l’argile.

On admet généralement que les sels ammoniacaux sont directement absorbables par les racines et peuvent ainsi concourir à la nutrition azotée des récoltes.

Quelques agronomes pensent au contraire que cette utilisation ne peut d’ordinaire avoir lieu qu’après la transformation des sels ammoniacaux en nitrates[2]. Quoi qu’il en soit, cette dernière ayant lieu promptement, la question n’a, la plupart du temps, qu’un faible intérêt pratique.

Azote nitrique. — On sait depuis longtemps que le sol contient fréquemment des nitrates. Dans certaines contrées, la terre est imbibée de solutions assez concentrées de nitrate de potasse, et quand la sécheresse survient, déterminant une évaporation active, le nitre, appelé par capillarité, apparaît sur la surface des champs en efflorescences blanches cristallines. Dans l’Inde, on recueille ainsi des masses énormes de salpêtre, et, pendant plusieurs siècles, le salpêtre employé pour la fabrication de la poudre, vint surtout de la vallée du Gange, où on se bornait à le ramasser sur le sol. En Espagne, en Amérique, il existe des nitrières assez nombreuses où le nitre se forme en abondance. Dans les caves, dans les grottes, sur les parois des murailles que pénètre l’humidité, nous voyons grimper des efflorescences nitreuses. L’eau des puits contient souvent des nitrates, et Boussingault en a signalé jusqu’à 2 grammes par litre dans certains puits de Paris.

Cette production de nitrates est un phénomène tout à fait général. Elle est plus facile à constater quand il y a dans le sol beaucoup de potasse, car il se forme alors du nitrate de potasse, qui donne lieu aux efflorescences qu’on aperçoit. La nitrification s’accomplit d’une façon à peu près permanente dans toutes les terres végétales, sauf les terres acides. On peut comparer la surface tout entière des continents à une nitrière immense, où prennent naissance des nitrates, principalement de soude et de chaux. Ces derniers sont déliquescents, et par suite incapables de donner des efflorescences visibles ; mais l’eau les dissout fort bien, et, comme on l’a vu antérieurement, les eaux de drainage contiennent toujours des proportions notables d’acide nitrique combiné.

Il y a peu de temps encore, on n’attachait aucune importance aux nitrates du sol. Au commencement du siècle, on croyait, et Liebig professa longtemps cette doctrine, que l’ammoniaque seule est capable de fournir l’azote aux plantes. Mais les expériences de MM. Ville, Cloëz, surtout celles de Boussingault, établirent de la manière la plus péremptoire qu’on peut assurer la nutrition azotée des végétaux par l’emploi exclusif des nitrates (sans intervention de matière organique ou d’ammoniaque). Bien plus, c’est le nitrate qui est la forme la plus parfaite pour l’assimilation de l’azote, et même, nous l’avons dit plus haut, ce serait la seule pour certains expérimentateurs.

Mode de production des nitrates. — Les nitrates se produisent dans le sol à l’aide de l’ammoniaque ou des sels ammoniacaux, par une oxydation spéciale de ces matières, effectuée dans un milieu convenable.

L’oxydation de l’ammoniaque, donnant de l’acide nitrique et de l’eau, peut être réalisée dans les laboratoires de chimie : elle a lieu quand le mélange d’ammoniaque et d’oxygène est maintenu à une température élevée en présence d’un corps poreux spécial qu’on nomme la mousse de platine. Il se produit alors de l’acide nitrique facile à reconnaître par sa réaction acide très intense, ou par les fumées qu’il dégage avec un excès d’ammoniaque[3].

Il semble au premier abord que la nitrification naturelle est assez comparable à l’expérience que nous venons de décrire. L’ammoniaque qui se trouve dans le sol, perméable à l’air atmosphérique, peut subir sans doute son action oxydante, grâce à la porosité de la terre elle-même, qui jouerait ici le même rôle que la mousse de platine.

Cette manière de voir fut adoptée, et on s’appliqua à créer des nitrières artificielles réalisant les conditions les plus favorables au phénomène. On mélangeait des matières organiques dégageant de l’ammoniaque avec des débris poreux permettant la libre circulation de l’air au sein de la masse, en ayant soin d’ajouter une certaine dose d’alcalis, potasse ou soude, destinés à fixer l’acide nitrique produit. Or, les résultats de ces tentatives furent extrêmement variables : de deux nitrières installées de la même manière, l’une était productive, l’autre refusait de fournir la plus petite dose de nitrates.

C’est qu’en réalité le phénomène exige la présence d’un microbe spécial qu’on nomme le ferment nitrique. Ce ferment n’existe pas dans l’air, ou du moins s’y trouve très affaibli ; mais on le trouve toujours dans la terre arable. Il est extrêmement petit : il se présente en corpuscules arrondis ou légèrement allongés, isolés ou réunis deux par deux, assez semblables au ferment qui produit le vinaigre (le mycoderma aceti), et selon les observations de M. Duclaux, rappelant l’idée de bâtonnets grêles, tronçonnés en fragments plus ou moins courts dont on aurait abattu les angles.

Ce ferment, placé dans un milieu nutritif, c’est-à-dire pourvu de matières hydrocarbonées et minérales convenables, fixe l’oxygène de l’air sur l’ammoniaque pour donner de l’acide nitrique, qui forme des nitrates avec les alcalis présents dans le système. C’est par un mécanisme analogue que le ferment acétique fixe l’oxygène sur l’alcool en produisant l’acide acétique.

Pour que la nitrification puisse avoir lieu, c’est-à-dire pour que les nitrates se forment aux dépens des sels ammoniacaux du sol, il faut que le ferment se trouve dans ce sol ; il faut, en outre, que le milieu soit favorable à son développement ; enfin, il est nécessaire que l’air lui arrive en quantité suffisante. Ce sont là des conditions nécessaires, sur lesquelles il convient d’insister.

Présence du ferment nitrique. — Il faut avant tout que la terre contienne le ferment, car il ne peut en aucun cas s’y développer spontanément.

MM. Schlœsing et Müntz ont fait à ce sujet des expériences péremptoires : la terre stérilisée par la calcination qui tue tous les germes vivants, devient inapte à toute nitrification. Mais pour rétablir le phénomène, il suffit d’introduire une petite quantité de terre fraîche qui apporte le ferment.

Les anesthésiques, tels que le chloroforme, suspendent le phénomène et même le suppriment tout à fait, si leur action se prolonge trop. Le sulfure de carbone produit des effets semblables : dans l’air chargé de vapeurs sulfocarbonées, la nitrification est à peu près nulle. On peut se demander à ce sujet si une partie des souffrances des vignes traitées par le sulfure de carbone ne provient pas de cette cause. Le ferment nitrique ayant été tué ou au moins engourdi, la nutrition azotée y serait pénible ou même complètement nulle.

Conditions de la nitrification. — Les conditions de milieu ont une importance fort grande. La nitrification ne pourra évidemment être active que si la terre arable est riche en substances nitrifiables, c’est-à-dire en sels ammoniacaux, ou du moins en matières organiques azotées capables d’en fournir par leur transformation.

Le ferment nitrique doit trouver un milieu favorable à son développement, et pour cela il faut une dose convenable d’humidité ; il faut, en outre, que le sol contienne une certaine quantité de calcaire. La présence du calcaire est indispensable à la vie du microbe nitrificateur. Les terres exemptes de calcaire (carbonate de chaux), même très riches en matières organiques, nitrifient mal, et les débris de la végétation s’y accumulent sans profit pour la culture ; c’est ce qui arrive assez souvent pour les sols granitiques de la Bretagne. C’est aussi ce qui a lieu dans les terres de landes, les terres de bruyère, les sols tourbeux, qui peuvent contenir parfois jusqu’à 10 % d’azote organique, riche capital qui demeure à peu près improductif. Pour remédier à ce défaut grave, il suffit d’amendements calcaires convenablement distribués.

Il faut aussi que l’air pénètre lien au travers du sol, ce qui exige que celui-ci soit bien perméable et ameubli. Dans les terres légères, où l’air circule facilement, la nitrification est rapide, les fumiers se consomment promptement. Dans les sols argileux, beaucoup plus imperméables, le phénomène ne se produit qu’avec lenteur.

L’activité du ferment nitrique ne s’exerce qu’entre certaines limites de température. Au-dessous de 5°, l’action est minime, sinon tout à fait nulle : elle ne devient appréciable que vers 12°. Pour des températures croissantes, la nitrification devient plus rapide ; elle atteint son maximum vers 37°, puis elle diminue très vite et cesse complètement à 55°. Vers 100°, le ferment nitrique est tué.

On voit que pendant l’hiver le sol nitrifie fort peu ; on peut donc sans inconvénient notable fournir à la terre avant l’hiver des engrais organiques ou même ammoniacaux. Ce n’est qu’au printemps, c’est-à-dire au moment de l’activité végétative, que la nitrification se produira ; les pluies hivernales ne donneront lieu qu’à des pertes assez faibles.

Dosage de l’azote des terres. — Il est fort important de connaître avec quelque précision la richesse azotée d’une terre arable ; mais cette détermination ne peut être réalisée que par une série d’opérations rigoureuses, qui exigent l’outillage d’un laboratoire de chimie. L’analyse sait fort bien évaluer à part les doses d’azote contenu dans le sol sous les trois formes : ammoniacale, nitrique et organique.

On mesure par des opérations spéciales et indépendantes les poids d’ammoniaque et d’acide nitrique renfermés dans un poids connu de terre fine. On en déduit les quantités correspondantes d’azote[4].

D’ailleurs, certaines méthodes (méthode de Dumas) fournissent la quantité totale d’azote contenu sous les trois formes. En retranchant de ce total la somme des poids d’azote ammoniacal et nitrique on obtient l’azote organique, qui comprend habituellement les 97 ou 98 centièmes de l’azote total.

Dans les laboratoires agricoles, on emploie le plus souvent pour doser l’azote total le procédé dit par la chaux sodée ; ce procédé, qui suffit d’ordinaire pour la pratique, n’est pourtant pas tout à fait exact et donne des nombres un peu trop faibles, parce qu’une certaine quantité d’azote nitrique y échappe à l’évaluation.

M. Berthelot a montré qu’on peut appliquer cette méthode même à des recherches précises, à condition d’opérer sur la terre préalablement lessivée avec quatre fois son poids d’eau pure et froide, puis séchée à l’air. Le dosage fournit alors l’azote organique insoluble, c’est-à-dire celui dont la connaissance importe le plus.

Les nombres obtenus pour l’azote nitrique et ammoniacal dans une terre arable sont assez variables selon les circonstances où l’échantillon a été prélevé. Si peu de temps auparavant, le sol avait subi d’abord une période chaude et moyennement sèche, très favorable à la nitrification, puis une période pluvieuse où la pluie a lavé la terre en emportant les nitrates, on ne trouve plus dans le sol que fort peu d’azote nitrique et aussi d’azote ammoniacal. Au contraire, l’analyse faite avant les jours de pluie aurait accusé beaucoup d’azote nitrique.

La teneur absolue d’une terre en azote ammoniacal et nitrique, c’est-à-dire en azote assimilable, ne peut en réalité nous renseigner exactement sur les aptitudes nutritives de cette terre, puisque l’analyse recommencée à huit jours d’intervalle donnera peut-être des résultats bien différents.

Toutefois, si la proportion d’azote nutritif est grande dans un sol, il y a tout lieu de penser que la transformation de l’azote organique s’y produit vite ; mais on ne peut immédiatement affirmer qu’elle a lieu lentement, si dans une analyse on trouve très peu d’azote assimilable. Dans ce cas, il faudrait recommencer l’analyse après une période sèche de jachère estivale.

Il y aurait peut-être un assez grand intérêt à instituer dans les laboratoires, à côté du dosage de l’azote organique, une mesure directe de l’aptitude des terres à transformer cet azote en azote nutritif. Il est vrai que, le plus souvent, les expériences culturales fournissent une solution pratique de ce problème.

Richesse azotée de la terre. — Nous avons vu dans ce qui précède que la nutrition azotée des plantes est assurée principalement par l’azote nitrique, celui-ci provenant de la matière organique du sol, soit directement par nitrification immédiate, soit indirectement avec formation temporaire d’ammoniaque. C’est donc en définitive la terre arable qui est chargée de fournir l’azote comme l’atmosphère fournit le carbone. La ressemblance entre ces deux réservoirs nutritifs est-elle parfaite ? L’air est pour les végétaux un magasin inépuisable de carbone : la terre est-elle aussi une source intarissable d’azote ?

Cherchons à évaluer d’une manière approchée la quantité totale d’azote que le sol met à la disposition des récoltes. En moyenne, 1 kilogramme de terre fine contient 1 gramme d’azote.

Considérons tout d’abord seulement la couche de sol actif remué par les labours, d’une épaisseur voisine de 20 centimètres ; on voit que cette couche sur l’étendue totale d’un hectare, soit 10,000 mètres carrés, occupe un volume de 2,000 mètres cubes. Le poids d’un mètre cube de terre est, en moyenne, de 2,000 kilogrammes… La couche active d’un hectare pèse donc 4,000,000 de kilogrammes et renferme par conséquent 4,000 kilogrammes d’azote. C’est là une valeur moyenne, mais on peut trouver]des écarts énormes. Dans certains sols sablonneux, cette première couche ne contient que 400 kilogrammes d’azote ; dans quelques terres de marais, on atteint, au contraire, la masse énorme de 72,000 kilogrammes.

C’est de cette manière que beaucoup d’agronomes calculent les doses d’azote qui se trouvent contenues dans un hectare. Mais c’est une méthode assez mauvaise qui peut conduire à des résultats trompeurs : elle suppose, en effet, que la végétation n’utilise que le sol actif, c’est-à-dire environ 20 centimètres d’épaisseur de terre, tandis, qu’en réalité, les racines s’enfoncent à des profondeurs beaucoup plus grandes et vont demander leur nourriture au sol vierge et au sous-sol, dont la richesse azotée est loin d’être négligeable ?

Ainsi, dans certaines prairies de Rothamsted, la couche supérieure de terre, épaisse de 23 centimètres, celle correspondant au sol actif dont nous parlions, contenait à l’hectare 6,400 kilogrammes d’azote.

Une couche égale placée au-dessous en renfermait 2,800 kilogrammes.

Enfin dans une épaisseur de 1 mètre, située sous ces deux premières couches, on trouvait 6,500 kilogrammes d’azote. Au total, la quantité d’azote contenu dans le champ sur une hauteur de 1m46, atteignait 14,600 kilogrammes, au lieu de 6,000 qu’indiquerait le calcul borné au sol actif tout seul.

Les terres noires de Russie, qui conservent une composition semblable sur une profondeur moyenne de 90 centimètres, contiennent ainsi par hectare de 40 à 50,000 kilogrammes d’azote qui, en réalité, peuvent tous concourir à l’alimentation végétale.

Causes de déperdition d’azote. — Supposons la terre livrée à une culture normale : la végétation s’y développe prenant son azote à la terre, puis on enlève la récolte pour la consommer ailleurs. On prend ainsi au sol des quantités d’azote qui varient beaucoup avec la nature des récoltes et avec leur poids absolu. Elles sont comprises entre 30 et 300 kilogrammes par hectare : 30 à 40 kilogrammes pour les plantes peu exigeantes en azote, comme l’avoine ; 250 à 300 kilogrammes, pour la luzerne.

Une certaine dose d’azote provient sans doute de la fixation par les feuilles de l’ammoniaque atmosphérique, mais nous avons fait observer antérieurement que cette dose était peu importante.

Après l’enlèvement de la récolte, il reste dans le sol les racines qui portaient les plantes, et fréquemment la quantité d’azote contenue dans ces racines, sans être aussi considérable que celle de la plante proprement dite, est cependant fort grande.

La matière organique de ces racines subit l’action destructive des microbes qui forment l’humus. Mais il arrive toujours que certains microbes dépassent le but et brûlent trop profondément la substance végétale en dégageant de l’azote gazeux, qui retourne à l’atmosphère et se trouve désormais perdu pour la terre. Cette perte atteint environ de l’azote total de la matière.

Dans l’intervalle qui sépare l’enlèvement des récoltes de la culture consécutive, l’humus du sol continue à se modifier. Si la nitritication est peu active, une certaine quantité de l’ammoniaque produite se dégagera à l’air en pure perte. Si, au contraire, la terre nitrifie rapidement, il se formera des nitrates abondants ; mais, en l’absence de végétaux capables de s’en nourrir, ils seront emportés par les eaux pluviales et iront inutilement aux rivières et à la mer.

À Rothamsted, un champ de blé perdait ainsi annuellement par le drainage 17 à 20 kilogrammes d’azote nutritif.

Voilà donc des causes nombreuses et superposées de déperdition d’azote :

1° L’azote qu’enlèvent les récoltes, soit 30 à 300 kilogrammes par hectare ;

2° L’azote dégagé à l’état gazeux pendant la destruction lente des résidus végétaux ;

3° L’azote éliminé à l’état d’ammoniaque dans l’atmosphère des champs ;

4° L’azote emporté par le drainage sous la forme de nitrates.

Il est assez difficile d’apprécier d’une manière même approchée les pertes dues à ces trois dernières causes ; elles doivent varier énormément avec la nature des récoltes, la qualité des terres, les conditions climatériques. On peut toutefois prévoir que leur effet sera peu important pour les cultures persistantes, telles que les cultures fourragères. Elles seront au contraire les plus intenses pour les céréales, surtout dans des sols perméables à l’air et à l’eau et capables de nitrifier activement.

La perte totale d’azote doit être annuellement, par hectare, de 50 à 300 kilogrammes ; en moyenne, on peut l’évaluer à 100 kilogrammes. Une bonne terre normale contenant de 4,000 à 10,000 kilogrammes d’azote par hectare, nous voyons que la déperdition annuelle est loin d’être négligeable. Après une série de récoltes semblables obtenues pendant moins d’un siècle, tout l’azote aurait disparu. En réalité, le sol s’appauvrira et deviendra assez rapidement incapable de nourrir de bonnes récoltes, à moins qu’il ne lui soit rendu de l’azote, soit artificiellement, soit par des causes naturelles.

Existe-t-il de telles causes, et si elles existent, sont-elles capables de compenser les pertes d’azote subies par la terre ? Peut-il arriver que la compensation soit dépassée et que la richesse azotée se trouve devenir plus grande ?

Nous connaissons déjà, il est vrai, une source naturelle d’azote : c’est l’ammoniaque et l’acide nitrique fournis par la pluie qui les recueille dans l’atmosphère. Mais l’azote ainsi apporté à la terre ne constitue le plus souvent qu’une fraction très petite de la quantité qui serait nécessaire pour remplacer l’azote perdu.

Y a-t-il une autre cause d’enrichissement azoté ? L’azote atmosphérique peut-il dans certaines conditions se fixer sur le sol ou sur les récoltes qui s’y trouvent ? C’est ce que nous allons examiner dans le chapitre suivant.

  1. Il se servait de plantes artificielles ayant des feuilles en papier d’amiante imprégné d’une solution étendue d’acides végétaux.
  2. M. Müntz a publié l’année dernière des expériences directes qui semblent établir avec certitude l’aptitude de l’ammoniaque à la nutrition directe des végétaux. Les essais, tous concordants, ont porté sur des plantes très diverses, orge, maïs, fèves, chanvre.
  3. L’ozone produit immédiatement à froid la même oxydation, sans le secours de la mousse de platine.
  4. 1 gramme d’ammoniaque contient 0gr823 d’azote ; 1 gramme d’acide nitrique (anhydre) contient 0gr259 d’azote.