Leçons élémentaires de chimie agricole/Chapitre VI

CHAPITRE VI

FIXATION PAR LE SOL DE L’AZOTE ATMOSPHÉRIQUE.


Il convient tout d’abord de consulter l’expérience et de rechercher comment varie d’une année à l’autre la richesse azotée de champs laissés en inculture ou cultivés sans addition d’aucun engrais.

Appauvrissement du sol en azote. — Dans un grand nombre de cas, on trouve que la terre s’appauvrit en azote.

À Rothamsted, Lawes et Gilbert ont, sur un même champs cultivé du blé sans engrais pendant plus de quarante années consécutives. D’après leurs calculs, la couche arable, épaisse de 23 centimètres, renfermait à l’hectare, en 1840, 3,360 kilogrammes d’azote ; une couche égale située au-dessous en contenait 2,460 kilogrammes. La production moyenne de blé était alors de 11 à 12 hectolitres par hectare.

Ce rendement a diminué constamment, et, en 1880, il n’était que d’environ 7 hectolitres (en moyenne). Cette décroissance de la récolte a été corrélative de l’abaissement de la quantité d’azote, qui n’était plus pour le sol actif que de 2,200 kilogrammes au lieu de 3,360, la variation ayant été assez faible dans la couche Inférieure. La déperdition d’azote avait donc, pendant ces quarante années, dépassé 1,100 kilogrammes ; les récoltes en ayant enlevé environ 800, c’est au drainage principalement qu’il conviendrait de rapporter la différence.

Ici l’appauvrissement est manifeste ; les causes naturelles d’enrichissement en azote n’existent pas, ou, si elles s’exercent, sont incapables de lutter contre les causes de diminution.

Enrichissement du sol en azote. — Au contraire, un certain nombre de résultats agricoles fort bien établis conduisent à des conclusions complètement opposées. Diverses cultures pratiquées sans engrais enrichissent le sol en azote, alors même qu’on y prélève de copieuses récoltes. Ce sont principalement les légumineuses fourragères, sainfoin, trèfle, vesce, jarosse, luzerne, et, chose bien digne de remarque, ces plantes sont précisément celles dont la récolte enlève le plus d’azote :

80 kilogrammes (par hectare), pour le sainfoin ;
90 pour les vesces ;
160 pour le trèfle ;
200 et jusqu’à 300 kil. pour la luzerne.

Malgré ces prélèvements énormes, on constate que la quantité d’azote s’accroît réellement dans le sol actif. Dans une terre de Grignon, cultivée en sainfoin sans engrais, la proportion d’azote s’est élevée, en cinq ans, de 1gr47 à 1gr7 par kilogramme (P.-P. Déhérain). De là le nom de plantes améliorantes qu’on donne fréquemment aux légumineuses fourragères.

Les gains d’azote ainsi réalisés par la couche arable et par les récoltes qu’elle supporte, sont ici fort grands et semblent démontrer la réalité de causes naturelles favorables, dont l’exemple tiré des cultures de blé nous avait fait douter.

En présence de faits aussi dissemblables, l’opinion s’est divisée entre plusieurs théories opposées qui ont suscité de vives discussions et provoqué de nombreuses expériences contradictoires.

Théorie de la fixation de l’azote sur les plantes. — D’après M. Georges Ville, les plantes vertes, et plus spécialement les légumineuses, sont capables de fixer directement dans leurs tissus l’azote atmosphérique, qui, au contact de la matière hydrocarbonée, s’y transforme en substances azotées. La sève descendante emporte celles-ci jusqu’aux racines disséminées dans les profondeurs du sol ; la récolte enlevée, les racines se changent en matière humique, accroissant ainsi la teneur azotée du sol.

Cette opinion n’a pas été adoptée. Les expériences de Boussingault ont établi d’une manière à peu près certaine que l’azote gazeux ne peut pas se fixer sur les plantes et contribuer ainsi à leur nutrition azotée.

Tout au plus, pour expliquer la propriété caractéristique des légumineuses, serait-il possible de leur attribuer une aptitude toute particulière à fixer l’ammoniaque de l’air ; mais cette affinité spéciale n’est pas démontrée et, le serait-elle, nous ne pourrions raisonnablement admettre qu’elle soit plus que suffisante pour l’alimentation azotée de ces végétaux et permette au surplus l’amélioration de la terre.

Théorie opposée à toute fixation d’azote. — Un grand nombre d’agronomes, parmi lesquels Boussingault, MM. Schlœsing, Müntz, Lawes, ont été amenés à penser que l’azote de l’air ne peut en aucune manière ni être absorbé par les plantes, ni se fixer sur la terre pour en accroître la richesse. D’après eux, tout sol cultivé sans engrais s’appauvrit constamment en azote, et les apports restreints d’ammoniaque et d’acide nitrique atmosphériques ne sauraient empêcher cette diminution incessante. Le sol est comme une mine, un gisement plus ou moins riche de matière azotée, qui finira fatalement par s’épuiser, comme s’épuiseront un jour les gîtes métallifères ou les houillères que nous soumettons à une exploitation ininterrompue.

Les plantes dites améliorantes contribuent tout aussi bien et même plus puissamment que les autres à cet appauvrissement du sol en azote. L’amélioration n’est qu’apparente ; elle a bien lieu réellement pour le sol actif, mais c’est aux dépens des couches profondes et du sous-sol.

Les racines de trèfle ou de luzerne pénètrent très abondamment jusqu’à des profondeurs considérables et vont jusque dans le sous-sol chercher l’azote qui y est en réserve et que les céréales y laisseraient. Parfois aussi, sans doute, elles arrivent jusqu’à la couche des eaux souterraines provenant du drainage de champs voisins, et là, elles trouvent des nitrates qu’elles absorbent et utilisent pour se nourrir. Grâce à cet azote puisé très bas, les radicelles se développent nombreuses dans le sol de surface, et les débris végétaux qui en résulteront sont une vraie fumure azotée originaire des parties profondes de la terre. La luzerne, le trèfle sont pour ainsi dire les appareils extractifs de l’azote du sous-sol ; grâce à ce transport d’azote inaccessible aux céréales, le sol proprement dit est amélioré, mais c’est au détriment des couches inférieures devenues pauvres.

C’est pour cela que les légumineuses ne peuvent jamais être cultivées indéfiniment dans une même terre dont elles épuisent assez vite les profondeurs. À Rothamsted, on n’a pu maintenir du trèfle pendant une longue période, même avec le concours de fumures intenses.

Théorie de la fixation d’azote sur la terre végétale.Historique de la théorie. — Certains chimistes, pour expliquer la nitrification des sols, émirent l’opinion que la terre végétale peut condenser abondamment les gaz sur ses particules, et que, grâce à cette condensation, l’oxygène et l’azote de l’air peuvent se combiner directement pour fournir de l’acide nitrique. Cette explication est inadmissible, car la terre ne condense pas l’air, et la nitrification ne peut s’y développer qu’à partir d’azote déjà combiné.

D’autres savants, ayant remarqué qu’il se forme toujours de petites quantités de produits nitrés, quand on brûle de l’hydrogène, du charbon, des matières organiques, supposèrent qu’il peut en être de même dans le cas des combustions lentes effectuées à la température ordinaire, et un travail tout récent de M. Berthelot, paraît leur donner raison dans une certaine mesure. S’il en est ainsi, la combustion lente de l’humus peut être accompagnée de la fixation d’une certaine dose d’azote atmosphérique. Mais il est visible que cette dose doit être minime par rapport à la quantité de matière humique détruite, et inférieure même à l’azote perdu par le fait de cette destruction.

Les expériences de Boussingault, puis celles de M. Schlœsing, renversèrent ces hypothèses, et établirent cette opinion, que l’azote atmosphérique ne peut pas se fixer sur la terre végétale, non plus que sur les plantes.

Cependant, il y a une dizaine d’années, MM. Déhérain et Maquenne conclurent de diverses expériences indirectes, que la matière organique du sol est capable d’absorber l’azote gazeux de l’air, pour former des produits organiques azotés. Mais l’opinion n’accepta pas ces conclusions, appuyées sur des démonstrations qui paraissaient insuffisantes.

En 1887, M. Berthelot, qui avait entrepris dans la station agricole de Meudon, une série très étendue d’expériences sur la chimie végétale, a été amené à conclure à la réalité de la fixation d’azote sur la terre arable. À ces résultats positifs, M. Schlœsing a opposé des expériences personnelles négatives. D’autre part, MM. A. Gautier et Drouin ont exécuté d’autres recherches, qui ont confirmé le phénomène de fixation. L’année 1888 a été remplie par cette discussion. Au milieu de ces contradictions absolues, où se trouvait la vérité ?

Les travaux récents exécutés par MM. Hellriegel et Wilfarth en Allemagne, par M. Bréal en France, et les résultats publiés, au début de cette année, par M. Berthelot[1], semblent désormais fixer l’opinion sur ce sujet, en établissant la réalité de la fixation d’azote sur la terre végétale avec ou sans le concours de la végétation.

Cette question est tellement importante qu’il convient de donner quelques détails sur les résultats obtenus.

Fixation de l’azote sur la terre nue. — Les terres de Meudon, étudiées par M. Berthelot, sont des sols argileux, assez riches en acide phosphorique, chaux, et surtout potasse, mais médiocrement riches en azote. Elles ont toujours pu donner lieu à des fixations d’azote.

Cette fixation cesse d’avoir lieu si la terre a été préalablement chauffée pendant deux heures à la température de 100°. Ceci prouve que la faculté de fixer l’azote aux dépens de l’atmosphère n’est pas due à une action chimique proprement dite, mais est réglée par l’intermédiaire de certains organismes spéciaux infiniment petits. Ces microbes absorbent pour leur compte l’azote gazeux, et déterminent ultérieurement la production sur les particules terreuses de véritables matières albuminoïdes. Ils existent habituellement dans les terres naturelles, mais la chaleur les détruit, et enlève ainsi au sol son aptitude à assimiler l’azote.

Le gain d’azote est également énergique, si la terre est placée sous une cloche fermée, ou si elle est seulement disposée au dessous d’un abri vitré, ou même si elle reçoit librement les eaux pluviales ; et ceci établit bien nettement que les apports d’azote dus à l’ammoniaque de l’air, ou à la pluie, n’ont qu’une importance tout à fait secondaire.

Le phénomène, qui a lieu indifféremment à la lumière et dans l’obscurité, est intimement lié à la vitalité propre des microbes qui le dirigent. Il ne se produit qu’au dessus de 10° et au dessous de 40°. Il faut, en outre, une aération convenable de la terre, la présence de l’azote et aussi de l’oxygène étant absolument nécessaire à l’activité des micro-organismes. Le sol doit aussi présenter une certaine dose d’humidité, mais il en faut beaucoup moins que pour la nitrification. Les deux actions, fixation d’azote, oxydation de la matière azotée, peuvent d’ailleurs fréquemment coïncider ; toutefois, dans un milieu trop oxydant, où la nitrification est excessive, l’azote se fixe difficilement.

Les proportions d’azote qui peuvent ainsi être combinées à la terre végétale, sont d’autant plus grandes que la richesse azotée initiale était plus faible. M. Berthelot ne croit pas que la teneur azotée puisse s’élever au-delà d’une certaine limite[2] : pour les terres argilosableuses qu’il a étudiées, cette limite ne serait pas supérieure à 1gr8 d’azote par kilogramme.

Voici quelques exemples de ces variations de l’azote :

Dans un sable argileux jaune, très pauvre, la teneur azotée, qui était seulement 0gr11 par kilogramme, s’est élevée après deux ans à 0gr15 (environ).

Dans une argile, encore plus pauvre, la proportion s’est élevée en deux ans de 0gr06 à 0gr13.

Dans des terres végétales normales, le gain d’azote réalisé pendant dix à douze semaines de l’été, s’est trouvé approximativement :

Pour une terre ayant 0gr97 d’azote, de 8 %.
1gr65 7,5 »
1gr74 3,9 »

Ces derniers nombres se rapportent à des sols assez argileux, bien pourvus de l’ensemble des matières nutritives nécessaires. On conçoit que la nature de la terre exerce une influence énorme sur le phénomène, dont la facilité paraît être en quelque manière corrélative du pouvoir absorbant. Les sols pauvres en argile et humus, les sols sablonneux ou calcaires sont sans doute peu aptes à fixer l’azote atmosphérique.

L’introduction naturelle d’azote n’implique pas nécessairement l’enrichissement azoté de la terre nue. Les causes multiples de déperdition azotée, dont la plus importante est la nitrification suivie de l’entraînement des nitrates par les eaux pluviales, tendent simultanément à abaisser la proportion d’azote, et le sol ne deviendra plus riche que si l’action favorable est prédominante. Pendant un été sec, la formation des nitrates sera peu marquée, la fixation d’azote sera très manifeste. Au contraire, une succession de pluies abondantes, alternant avec des journées chaudes et sèches, réaliserait le mieux possible la production et l’élimination des produits nitriques, et, en définitive, le taux de l’azote se trouverait abaissé.

Fixation de l’azote sur les terres cultivées. — Comme on vient de le voir, les expériences de M. Berthelot sur la terre nue ont établi l’existence d’une cause spéciale de fixation d’azote, et, pour des sols argileux moyennement riches en azote, cette cause paraît en général suffisante pour compenser les déperditions naturelles et même réaliser un certain enrichissement de la terre.

Dans un champ cultivé sans engrais, l’alimentation des récoltes doit être réalisée à partir de l’azote nutritif, qui provient de la matière azotée du sol. Les pertes définitives d’azote sont beaucoup plus grandes que pour le sol nu, et on ne peut prévoir à priori si elles seront ou non compensées en quelque façon par l’action réparatrice des microbes.

Il convient de distinguer deux cas principaux :

1° La végétation n’accélère pas, ou même retarde, l’action propre des microbes chargés de fixer l’azote atmosphérique ;

2° La végétation accélère cette action.

Premier cas. — Habituellement, dans les terres de richesse moyenne, la végétation de la plupart des plantes parait être légèrement défavorable à la vitalité des microbes qui fixent l’azote, et cela tient probablement à la manière dont les racines végétales modifient le milieu nutritif où les micro-organismes doivent aussi vivre et se développer.

Dans des expériences spéciales faites sur des amarantes au laboratoire de Meudon, le gain d’azote réalisé pendant le cours de la végétation pour l’ensemble du sol et des plantes, a été trouvé égal à 13% de l’azote initial, tandis que pour la terre seule il était de 22% et même supérieur.

Néanmoins, dans l’exemple cité, la terre s’était enrichie, et c’est ce qui arrive sans doute d’ordinaire dans le cours de la végétation spontanée : la richesse azotée du sol tend à s’accroître jusqu’à une certaine limite où il s’établit un équilibre entre la cause de fixation et les causes multiples de déperdition, Mais dans les cultures toujours plus ou moins intensives où le poids des végétaux est très grand par rapport à celui du sol, la quantité d’azote enlevé par la récolte et par les actions naturelles surpassera notablement la compensation possible par les microbes spéciaux, et l’épuisement viendra assez vite. C’est ce qu’on observe particulièrement pour les céréales, comme le montrent bien les résultats de Rothamsted.

Deuxième cas.En présence des légumineuses fourragères, la fixation d’azote a lieu plus énergiquement que sur la terre nue.

Les expériences de MM. Hellriegel et Wilfarth sont sur ce point tout à fait décisives, et elles accusent bien nettement d’abord le caractère microbique du phénomène, et ensuite son allure absolument différente pour les légumineuses et les céréales.

Afin de réaliser des conditions culturales connues et toujours identiques, ces savants ont pris, au lieu de terre végétale, du sable quartzeux naturel extrêmement pauvre en azote, convenablement arrosé avec un liquide nourricier, pourvu des éléments minéraux nécessaires : acide phosphorique, potasse, magnésie, chaux, chlore, acide sulfurique, auxquels ils ajoutaient quelquefois des doses variables de nitrate de chaux.

Un échauffement préalable à 150 degrés permettait de stériliser, c’est-à-dire de débarrasser de tous les germes vivants le sable et aussi le liquide nutritif.

1° Dans ces conditions, si on n’ajoute pas de nitrates, la végétation est très mauvaise pour toutes les plantes sans exception, pour les céréales comme pour les légumineuses. La nutrition n’a lieu qu’à partir des réserves azotées de la graine ; on peut cependant atteindre la floraison et même la fructification, mais le poids total est très faible, les fruits obtenus sont excessivement petits, les racines sont fort grêles, quoique saines et ne présentant aucune nodosité.

2° Si on ajoute un peu de nitrates, le développement devient meilleur et croît proportionnellement au poids des nitrates. On peut alors réaliser des cultures normales, la racine étant volumineuse et toujours dénuée de nodosités.

3° Au sol stérilisé, maintenu privé de nitrates, on mélange quelques centimètres cubes d’un liquide obtenu en plaçant une bonne terre végétale en suspension dans l’eau distillée et décantant après un repos de dix heures. Ce liquide doit contenir un certain nombre des germes microscopiques qui existaient dans la terre végétale.

Dans ces conditions, la végétation des graminées demeure toujours misérable.

Au contraire, les légumineuses, après un début assez malingre, ne tardent pas à prendre un développement rapide, et la quantité d’azote qu’elles renferment surpasse de beaucoup celle qui se trouvait dans les graines et dans le sol. En même temps, on constate que les racines très volumineuses sont toujours couvertes de nodosités spéciales qui paraissent contenir un grand nombre de microbes. La présence de ces tubercules est corrélative de la fixation azotée, qui est ici visiblement intervenue par l’addition de germes vivants issus de la terre végétale[3].

Si on stérilise par la chaleur la délayure de terre, le phénomène n’a plus lieu, et les légumineuses croissent aussi mal que les graminées.

4° Dans une terre végétale non stérilisée et bien pourvue de nitrates, les légumineuses demandent leur azote non seulement aux nitrates, mais encore au mécanisme spécial des microbes chargés de fixer celui de l’air, et l’existence constante des nodosités caractéristiques affirme bien que les deux sortes d’alimentation s’exercent à la fois.

On arrive ainsi à une propriété spéciale assez inattendue des légumineuses fourragères : celles-ci sont bien réellement capables de déterminer une fixation d’azote, non pas sur leurs feuilles, comme on l’avait pensé jadis, mais sur leurs racines, ce gain étant d’ailleurs l’œuvre de microbes parasites de ces racines. Les microbes qui peuvent fixer l’azote sur les particules de la terre végétale nue, trouvent dans les racines des légumineuses un milieu favorable à leur développement, et entre les plantes fourragères et les microbes parasites il s’établit une sorte d’alliance intime utile aux uns et aux autres. Les micro-organismes logés dans les nodosités fixent l’azote gazeux et forment des matières albuminoïdes qu’ils fournissent au végétal supérieur ; en échange, celui-ci, par sa sève descendante, leur envoie les produits carbonés élaborés dans les feuilles.

Le grand développement des racines des légumineuses assure leur union plus intime avec le sol, dont elles accumulent en proportion énorme les matières minérales nutritives, et il offre aux parasites infiniment petits un immense champ d’action fertilisante. Les expériences de M. Berthelot, effectuées avec des terres végétales normales de composition connue, établissent d’une manière non moins parfaite l’influence favorable que la culture des légumineuses exerce sur la fixation d’azote. La quantité totale d’azote fixé, en partie sur les plantes, en partie sur le sol, surpasse habituellement celle qui se fixe sur la terre nue. Les cultures de jarosse, de vesce, de luzerne, ont donné les résultats les plus décisifs : leur développement a été très actif ; les racines vigoureuses étaient chargées de nombreux tubercules caractéristiques de la fixation d’azote.

Pendant une période comprise entre onze et vingt-deux semaines, le gain total d’azote, calculé à l’hectare pour une épaisseur de terre de 18 centimètres, a été :

Vesce. Jarosse. Luzerne
Terre à 0gr17 d’azote 316 kilog. 195 kilog. 517 kilog.
à 1gr65 328 227 589
à 1gr74 295 326 538

On voit que la grandeur absolue de ces gains s’est trouvée à peu près indépendante de la richesse azotée du sol. D’ailleurs, c’est la luzerne qui a donné lieu aux fixations les plus élevées, dépassant 500 kilogrammes à l’hectare dans tous les cas. Une fraction importante de cet azote est utilisée par la nutrition du végétal, où il se distribue diversement entre la partie aérienne et les racines. Ainsi, sur 100 parties d’azote fixé pendant une culture de luzerne, la terre en a pris environ 25, c’est-à-dire le quart ; les plantes ont profité des trois quarts, savoir : 30 centièmes pour la partie aérienne et 45 centièmes pour les racines. La proportion de matière azotée emmagasinée dans les organes souterrains de la luzerne surpasse donc notablement celle qui se trouve dans les organes visibles. L’écart en faveur des racines est encore plus considérable pour la jarosse : mais il paraît peu accusé pour la vesce.

Cette accumulation spéciale d’azote dans les racines est en relation avec le développement considérable que prennent celles-ci, et elle est corrélative d’un emmagasinement beaucoup plus marqué de matière minérale. Sur 100 parties de cendres fournies par des plants entiers de luzerne, 97 provenaient de la racine, 3 seulement des parties aériennes.

Ces divers résultats permettent très bien d’expliquer la réelle amélioration du sol, qui résulte des cultures de légumineuses fourragères. Le défrichement de la terre, opéré après l’enlèvement de la récolte de luzerne, laisse au milieu de cette terre déjà enrichie d’azote, tous les débris végétaux provenant des racines qui contiennent aussi des quantités considérables de produits azotés et aussi de matières minérales accumulées. C’est une fumure naturelle plus abondante et plus parfaite que toutes les fumures qui pourraient être apportées du dehors. Dans les exemples cités plus haut, le stock d’azote fixé sur 1 hectare par la luzerne dépassait 500 kilogrammes, dont 3 dixièmes seulement étaient utilisés par les récoltes ; le reste, soit 350 kilogrammes au moins, demeuraient dans le sol dans un état facilement assimilable pour les cultures prochaines.

La pratique vérifie très bien ces indications : le blé que l’on sème sur défrichement de luzerne verse fréquemment par excès de nutrition azotée, et on préfère habituellement y cultiver de l’avoine, qui est beaucoup moins sujette à cet accident.

Conclusions. — Les terres végétales peuvent, en général, grâce à l’intervention de microbes spéciaux, fixer des quantités notables d’azote atmosphérique. Cette fixation a lieu aussi bien sur les sols cultivés que sur les sols nus. Si la déperdition d’azote, résultant d’une nitrification active suivie du drainage, ou de la nutrition des récoltes, n’est pas trop grande, la terre s’enrichit en azote jusqu’à une certaine limite. C’est ce qui a lieu pour les cultures forestières ou les prairies naturelles de graminées.

Avec les légumineuses, la fixation d’azote se produit non seulement sur le sol, mais sur les racines elles-mêmes, où la fonction synthétique des microbes s’exerce encore plus vivement que sur le sol. Il en résulte un enrichissement de la terre beaucoup plus marqué que celui qui aurait pu être atteint en l’absence de toute culture.

On voit que les micro-organismes jouent un rôle incessant dans la nutrition azotée des plantes, et à côté du monde végétal visible, il y a tout un monde d’infiniment petits qui en règle pour ainsi dire le développement. Ce sont des microbes qui, détruisant les débris de plantes, forment l’humus et le modifient ; ce sont des microbes qui en dégagent les nitrates ; ce sont aussi des microbes qui, fixant l’azote gazeux sur leur propre substance, préparent la terre à nourrir les végétaux supérieurs.



  1. Les expériences de M. Berthelot ont été répétées avec succès par M. Frank (de Berlin).
  2. Les observations récentes de M. Tacke ont pleinement confirmé ces prévisions : ce savant a remarqué qu’une terre, très enrichie en azote par la culture des légumineuses, perd de l’azote au lieu d’en fixer davantage.
  3. Les recherches de M. Bréal l’ont conduit à des résultats semblables : il a pu obtenir des cultures de ces microbes, qui sont de petits corps allongés, très fins, renflés aux deux bouts.