Leçons élémentaires de chimie agricole/Chapitre IV

CHAPITRE IV

QUALITÉS PHYSIQUES DU SOL


Les fonctions du sol vis-à-vis des plantes sont multiples. La terre doit offrir aux racines un passage facile, ce qui exige une mobilité suffisante de ses particules. Inversement, elle doit retenir ces racines avec une force assez grande pour que le végétal se soutienne dans l’air et résiste aux actions mécaniques naturelles ; pour cela il faut qu’elle soit tenace et cohérente.

Elle est chargée de fournir aux racines l’air qui est nécessaire à la respiration de leurs tissus, et aussi l’eau et les aliments minéraux et azotés qui nourrissent la plante. Elle devra donc renfermer, en quantité suffisante et convenablement distribués, les principes nutritifs indispensables. Puisque l’air et l’eau proviennent de l’atmosphère, il faut que le sol les laisse passer, qu’il soit perméable, et qu’il se maintienne dans un bon état à d’humidité. La végétation ne sera prospère que si les racines subissent faiblement les variations de température, et cela n’aura lieu que si la terre est assez profonde.

Laissons provisoirement de côté ce qui est relatif à la constitution chimique. Nous voyons qu’un sol doit posséder tout un ensemble de qualités physiques ; il faut qu’il soit meuble, tenace, perméable, profond, d’une humidité convenable.

Ces conditions, qui sont plus ou moins bien réalisées dans les terres, dépendent assez étroitement de leur constitution physique.

Rôle de l’argile et du sable. — L’argile pure fixerait une quantité d’eau considérable, en donnant une pâte liante très tenace, tout à fait imperméable à l’air et à l’humidité. Par la dessiccation, qui ne se produit que lentement, elle se fendille et devient tellement dure que les instruments aratoires peuvent à peine l’entamer. Il est inutile de dire qu’un pareil sol serait tout à fait stérile ; mais on comprend que dans une terre l’argile donnera de la ténacité, diminuera au contraire la perméabilité et la facilité de travail, enfin contribuera à retenir l’humidité avec une certaine énergie.

Inversement, le sable pur conserve toujours en toute saison la mobilité et la perméabilité ; mais il n’est pas assez tenace, il se dessèche très vite, et passe promptement d’une humidité extrême à une sécheresse absolue. En dehors de quelques cas exceptionnels, la végétation n’y serait guère meilleure que dans l’argile. Mais on voit que dans un sol pourvu d’argile le sable apportera ses qualités propres, donnant ainsi une terre de qualités physiques normales bien équilibrées. D’ailleurs, le sable et l’argile n’interviennent pas seuls ; le calcaire et l’humus peuvent jouer un rôle important.

Ameublissement du sol. — Dans une terre normale, suffisamment pourvue d’argile, on augmente artificiellement l’ameublissement par les labours. Sous l’action de la bêche ou de la charrue, le sol actif est divisé en fragments séparés, au travers desquels l’air, l’eau, les radicelles, circulent plus aisément. Pour que l’effet du labour persiste, il faut que les particules de terre qui ont été soulevées demeurent retenues par une sorte de ciment. Ce ciment est le plus souvent l’argile, mais il peut aussi être l’humus.

Il faut aussi, autant que possible, que ce ciment résiste à l’action pluviale. M. Schlœsing a montré dans quels cas il en est ainsi.

La pluie tombant sur les mottes du champ labouré tend à entraîner l’argile en une sorte de coagulum ; c’est ce qui arrive dans les terres argilo-sableuses pures, où le limon descend, bouchant les pores de la terre, qui perd toute sa perméabilité.

Rôle du calcaire. — Mais si le sol contient du calcaire, la pluie en dissout aussitôt une petite quantité, et cette dose minime suffit pour que l’eau, devenue calcaire, ne puisse plus entraîner l’argile qui demeure coagulée là où elle est.

La coagulation des limons par les sels calcaires est facile à vérifier par l’expérience. Dans deux filtres identiques on place une même terre non calcaire, et on arrose l’un des filtres avec de l’eau distillée, l’autre avec de l’eau calcaire ; celle-ci traverse absolument limpide, tandis que l’eau pure s’est chargée d’argile et passe trouble.

Nous assistons quotidiennement à des phénomènes de ce genre : les eaux de rivière, pauvres en calcaire, se maintiennent longtemps troubles, mais il suffit d’un affluent calcaire pour les purifier.

Les eaux de la Seine, assez calcaires, se clarifient promptement, tandis que la Loire et la Garonne, qui renferment très peu de chaux, demeurent très longtemps limoneuses. Le Rhône, peu calcaire au sortir du Valais, arrive très trouble au lac de Genève, dont l’eau est assez calcaire, et aussitôt la clarification s’opère : le fleuve sort du lac à Genève avec une limpidité merveilleuse.

Les fleuves limoneux, parvenus à la mer, se débarrassent aussitôt de leur limon, parce qu’ils trouvent dans l’eau de mer une grande dose de sels qui coagulent l’argile.

C’est par un mécanisme tout semblable que l’argile se trouve coagulée dans les terres qui contiennent du calcaire, et grâce à cette coagulation, la perméabilité peut persister.

Rôle de l’humus. — L’humus peut remplacer l’argile pour cimenter les particules terreuses ; en l’absence d’argile, certains sols doivent à l’humus la ténacité qui permet à l’ameublissement de subsister. C’est ce qu’on a remarqué pour quelques terres de forêts, constituées par un mélange de sable et de matière humique. La vieille pratique agricole avait formulé cette observation dans l’adage connu : Le terreau donne du corps aux terres trop légères.

L’humus, qui peut en quelque manière remplacer l’argile comme ciment du sol, peut également, par une propriété inverse, tempérer les propriétés de l’argile trop tenace ; il l’empêche de trop durcir par la dessiccation ; c’est ce qu’exprime une autre maxime agricole : Le terreau ameublit les terres trop fortes.

M. Schlœsing a vérifié expérimentalement cette propriété avec des mélanges artificiels de matière humique et d’argile pure.

Le rôle de l’humus est, par suite, fort important même au point de vue purement physique. Il faut donc en assurer le maintien. L’emploi exclusif des engrais chimiques conduit fréquemment à une forte diminution de l’humus, nuisible à la fertilité du sol. Les engrais minéraux étant répandus seuls, on aura sans doute une succession de très belles récoltes ; mais, l’humus venant à manquer, il pourra arriver que la terre devienne trop forte ou trop légère, par suite inapte à une végétation prospère. L’humus, qui pendant de longues années a été considéré comme inutile, doit au contraire être regardé comme un élément capital.

Humidité du sol. — Il faut nécessairement que la terre contienne une certaine quantité d’eau. Aucune végétation n’est possible si les racines ne peuvent fournir à la plante de l’eau pour remplacer celle qui est incessamment exhalée par la transpiration des feuilles. Grâce à l’évaporation continuelle qui a lieu sur la surface des organes, un courant s’établit à travers les tiges, qui transporte jusqu’aux feuilles les matières nutritives prises dans le sol. Si la terre est trop sèche, ce courant doit s’arrêter ; le végétal se flétrit et meurt.

Le sol reçoit de l’eau par les pluies, par les rosées et les brouillards ; il peut aussi, quand il est desséché, en fixer au contact de l’air très humide.

Il perd l’eau, soit par la transpiration végétale, soit par l’évaporation qui a lieu sur sa surface, soit par l’infiltration dans le sous-sol.

Le bon état d’humidité d’un sol résulte d’un équilibre convenable entre ces gains et ces pertes.

Imbibition des sols. — Quand une pluie abondante tombe sur la terre arable, une partie la traverse sans s’y arrêter, une portion y demeure retenue par les particules terreuses. La valeur de cette imbibition est assez variable ; elle dépend non seulement de la nature physique des terres (les argileuses ou humifères s’imbibant mieux), mais encore et au plus haut degré de la ténuité des particules qui les constituent. Les sols qui retiennent le plus d’eau sont ceux dont les éléments sont très fins et incapables de s’agglomérer en particules plus grosses.

Elle est aussi en relation avec l’épaisseur du sol, la perméabilité du sous-sol et la profondeur à laquelle se trouve la couche rocheuse imperméable qui arrête les infiltrations.

Hygroscopicité des tenues. — Les terres végétales placées dans l’air humide fixent plus ou moins d’eau, mais cette dose est toujours assez minime. Schübler a trouvé, dans les conditions les plus favorables, qu’elle était nulle dans le sable siliceux, très faible dans le sable calcaire, moyenne dans l’argile ou les terres argileuses, maxima dans l’humus ou le terreau de jardinier.

Aptitude à la dessiccation. — Dans l’air sec, les terres humides se dessèchent avec des vitesses assez différentes. Toutes choses égales, la dessiccation est rapide dans le sable, beaucoup plus lente dans les sols argileux, encore moins active dans les terres riches en humus. La dimension des particules terreuses influe beaucoup sur le phénomène, qui est d’autant plus ralenti que les éléments sont plus ténus.

Pratiquement, l’évaporation se produisant à la surface, il se forme au bout de quelque temps une croûte sèche qui constitue pour les couches profondes une sorte de bouclier contre la dessiccation. Les terres argileuses ou à éléments très fins sont les plus sujettes à cette sorte d’effet.

Drainage. — Le sol doit être constamment humide, mais il ne faut pas qu’il soit imbibé d’eau : sinon l’air ne peut plus circuler autour des racines ; la respiration normale de celles-ci n’a plus lieu, et au contact des eaux stagnantes les radicelles s’altèrent et finissent par subir une sorte de putréfaction plus ou moins rapide, à laquelle résistent seuls quelques végétaux devenus par ce fait caractéristiques des terres trop humides. (Voir ci-dessus au chapitre III.)

Cet inconvénient ne se produit pas, si le sous-sol est perméable et permet l’infiltration vers les couches profondes des eaux pluviales accumulées. Quand il a lieu, il convient de pratiquer le drainage, qui crée pour ainsi dire un sous-sol perméable artificiel.

Influence du climat. — Les conditions climatériques, régime des pluies, état hygrométrique de l’atmosphère, ont une influence directe sur les conditions d’humidité des sols. Une terre argilo-calcaire à particules ténues, qui absorbe l’eau aisément et la retient avec énergie, sera très mauvaise pour les cultures dans un pays pluvieux et humide, tel que l’Angleterre, la Normandie, la Bretagne ; elle sera, au contraire, très favorable sous le climat sec de la Provence.

Température du sol. — La végétation exige que le sol reçoive une certaine quantité de chaleur, d’ailleurs fort variable avec les cultures. Cette chaleur vient à peu près exclusivement des rayons solaires. C’est à tort qu’on a pensé qu’une portion notable peut provenir de la combustion lente du fumier et des matières humiques. M. Schlœsing a montré que les masses de fumier répandues dans la grande culture ne donnent lieu qu’à un effet thermique absolument négligeable ; cet effet peut, au contraire, devenir assez grand dans la culture maraîchère, qui accumule sur certains points des poids énormes de fumier.

L’intensité de l’échauffement des terres dépend évidemment de la température de l’air et de la puissance des rayons solaires ; elle dépend aussi de l’orientation du champ et de la nature du sol qui le recouvre.

Une terre humide se réchauffe beaucoup moins qu’une terre sèche, à cause de l’évaporation plus active qui a lieu à la surface. Ainsi, Schübler a trouvé qu’une terre sèche exposée au soleil atteignait la température de 35°, alors que la même terre humide placée tout à côté n’avait que 27°.

La coloration a une influence très marquée. Les terres blanches ou de couleur claire renvoient beaucoup de rayons solaires, donc en absorbent peu et demeurent plus froides. Les terres sombres absorbent énergiquement la lumière du soleil ; elles sont plus chaudes et la végétation y est plus hâtive. L’addition à une terre blanche de matières brunes charbonneuses ou ferrugineuses lui permet de s’échauffer davantage, et cette pratique simple peut quelquefois offrir des avantages précieux.

Pouvoir absorbant du sol. — Les racines des plantes doivent trouver dans le sol les substances nutritives nécessaires, soit que ces matières aient été élaborées par le sol lui-même, soit qu’elles lui aient été apportées par les eaux pluviales ou par des engrais.

La pluie, parfois très abondante, tombe sur la surface des champs, en pénètre la terre et la traverse pour s’enfoncer dans les profondeurs du sous-sol, où elle disparaît naturellement ou par le drainage. Cette eau, qui imbibe complètement le sol dans toute sa masse, rencontre sur son passage les substances alimentaires qui se trouvent à la disposition des racines. Va-t-elle les dissoudre et les emporter, supprimant la fécondité de la terre, rendant inutiles et ruineux les efforts que l’homme a faits pour l’améliorer en y ajoutant ces principes ? En un mot, y a-t-il lieu de craindre que la pluie ou l’irrigation enlèvent au sol les aliments solubles destinés à la plante ?

C’est là une question majeure à laquelle nous pouvons heureusement répondre avec certitude. La terre arable possède en général la propriété capitale d’absorber et de retenir la plus grande partie des principes fertilisants.

Elle fixe l’ammoniaque, la potasse, l’acide phosphorique : l’eau, même très abondante, ne peut plus entraîner ces principes, ou du moins n’en peut emporter que des doses très petites. Au contraire, les nitrates ne sont pas fixés, et s’il s’en trouve dans le sol au moment de pluies importantes ou d’irrigations prolongées, l’eau les enlèvera en totalité ou à peu près. Le pouvoir absorbant de la terre a été découvert en 1848 par Huxtable et Thomson. Si on fait filtrer du purin à travers une couche de terre végétale, on recueille un liquide incolore et sans mauvaise odeur. Si au purin, liquide complexe riche en matières organiques en même temps qu’en carbonate d’ammoniaque, on substitue une dissolution d’ammoniaque ou d’un sel ammoniacal, carbonate, chlorhydrate, nitrate, sulfate, on constate qu’une partie considérable, sinon la totalité de l’ammoniaque, se trouve arrêtée par la terre et fixée sur ses particules.

En remplaçant la liqueur ammoniacale par une dissolution d’un sel de potasse, on trouve que la potasse se fixe de la même manière et ne peut plus être enlevée par un courant d’eau pure.

En vertu de quel mécanisme l’ammoniaque, la potasse, et aussi l’acide phosphorique, sont-ils ainsi arrachés aux liquides qui les renferment, et rendus insolubles, à peu près immobilisés sur les parcelles terreuses ?

La vraie cause du phénomène est assez difficile à préciser : est-on en présence d’une sorte de combinaison chimique, ou bien la fixation se produit-elle par une espèce d’attraction physique à laquelle on a donné le nom d’affinité capillaire ?

Le verre condense sur sa surface une certaine dose d’humidité, et la retient énergiquement même dans une atmosphère sèche : les machines électriques refusent fréquemment de fonctionner pour ce motif.

Dans beaucoup de réactions chimiques, des substances précipitées à l’état solide au sein d’un liquide, entraînent et conservent fortement au lavage des matières très solubles qui se trouvaient dissoutes. Par exemple, si dans de l’eau colorée en rose intense par la cochenille nous ajoutons de l’alumine blanche gélatineuse[1], par l’agitation, l’alumine prend toute la couleur : si l’on filtre, le liquide passe tout à fait incolore, l’alumine teinte en rose reste sur le filtre. C’est ce qu’on appelle une laque de carmin. La couleur y est fixée par affinité capillaire, et elle résiste aux lavages les plus prolongés.

Dans la teinture, c’est de cette façon que les matières colorantes se fixent sur les tissus. C’est aussi par un mécanisme semblable que le vin peut être décoloré par filtration sur du noir animal.

Dans tous ces exemples, la couleur est fixée, non combinée ; il en est de même sans doute dans la terre végétale : l’ammoniaque, la potasse, l’acide phosphorique s’attachent aux éléments du sol, et une fois fixés, ne peuvent être enlevés, même par un lavage prolongé.

Éléments doués du pouvoir absorbant. — Way a prouvé que le pouvoir absorbant n’existe ni dans le sable pur ni dans le calcaire pur. Au contraire, l’argile et l’humus le possèdent. L’une et l’autre de ces substances peuvent énergiquement retenir les matières fertilisantes ; une seule d’entre elles suffit. C’est ainsi que les terres noires de Russie, terres très fertiles composées d’un mélange d’humus et de sable blanc un peu calcaire, possèdent au plus haut degré, grâce à l’humus, la propriété absorbante, comme l’a montré M. Grandeau.

Les sols dépourvus à la fois d’argile et d’humus sont incapables de fixer les substances fertilisantes, et ce sera pour eux une cause puissante d’infériorité, qui subsistera tant qu’on n’aura pas artificiellement introduit l’un des deux éléments qui font défaut.

Voilà donc encore une qualité précieuse de l’argile et de l’humus, ces deux éléments dont quelques agronomes, préoccupés seulement de la composition chimique des terres, ont pu contester l’utilité !

Mais le pouvoir absorbant ne peut être exercé dans toute son étendue par l’argile et l’humus que si le sol contient aussi du calcaire (carbonate de chaux), ou, à son défaut, du carbonate de magnésie.

Quand on ajoute à la terre un sel de potasse ou d’ammoniaque, ce sel est le plus souvent un chlorure, un nitrate ou un sulfate, par exemple du chlorure. S’il y a du calcaire, il se produit entre le chlorure alcalin et le carbonate de chaux une réaction chimique qui forme du chlorure de calcium que l’eau entraînera, et du carbonate alcalin (de potasse ou d’ammoniaque) qui demeure retenu fortement par l’argile ou par la matière humique.

S’il n’y a pas de calcaire, le chlorure ne se fixera pas et les eaux pluviales l’emporteront tout entier. Dans un sol dépourvu de calcaire il faudrait, pour assurer la fixation, donner la potasse ou l’ammoniaque sous forme de carbonates.

Limites du pouvoir absorbant. — Le pouvoir absorbant de la terre est très énergique, mais il ne tarde pas à s’épuiser quand les particules terreuses ont absorbé une certaine dose de matières fertilisantes. À ce moment, l’addition d’une quantité nouvelle de ces principes est inutile, puisqu’ils ne pourraient plus être fixés.

La proportion des principes absorbés ne dépasse pas à 3 millièmes du poids de la terre ; mais cette dose, en apparence minime, est fort grande si on la compare aux exigences des récoltes. La couche de sol actif d’un hectare pèse de 3 à 5 millions de kilogrammes. Le poids de potasse qui peut être fixé par la terre ne serait-il que le millième du poids total, nous pourrions emmagasiner à 5,000 kilogrammes ; or, les plantes les plus exigeantes ne consomment guère plus de 100 kilogrammes de potasse par hectare. La réserve suffirait donc largement pour les cultures pendant plus de trente années.

Conséquences pratiques. — Nous pouvons déduire de ce qui précède quelques conséquences pratiques très importantes :

1° On peut sans crainte ajouter au sol de fortes fumures d’acide phosphorique, de sels de potasse et d’ammoniaque, pourvu que le sol contienne de l’argile ou de l’humus. Ces matières seront fixées et emmagasinées ; l’eau de pluie ne les enlèvera pas.

La nature des sels de potasse ou d’ammoniaque est tout à fait indifférente si le sol contient du carbonate de chaux ; on choisira le sel qui fournit au plus bas prix la potasse ou l’ammoniaque.

En l’absence de carbonate de chaux, il faut donner du carbonate de potasse ou d’ammoniaque.

2° La distribution de ces engrais doit se faire aussi régulièrement que possible sur la surface des champs, puisque la terre les retient là où ils ont été fournis.

3° Il ne faudrait pas ajouter à la terre plus de matière fertilisante minérale qu’elle n’en peut fixer ; le surplus serait mal utilisé ou entraîné par les eaux de drainage en pure perte.

4° Bien que l’ammoniaque se fixe sur le sol à l’égal de la potasse, sa conservation ne saurait être d’une longue durée, parce que souvent les sels ammoniacaux sont assez promptement transformés en nitrates, et que les nitrates ne peuvent être retenus. Il convient donc de ne répandre les sels ammoniacaux que lorsque la végétation peut les utiliser rapidement. Cette restriction n’existe pas pour la potasse et pour l’acide phosphorique.

Principes qui ne sont pas fixés par le sol. — Certains principes fertilisants ne sont pas retenus par la terre et peuvent être complètement emportés par l’eau, ce sont : la soude, la chaux et surtout les nitrates.

Dans un sol pauvre en calcaire, la diminution de la chaux, due non seulement aux besoins nutritifs des récoltes, mais surtout à l’entraînement par les eaux pluviales, devient assez fréquemment telle qu’il est nécessaire de la combattre par des amendements spéciaux.

Mais l’enlèvement des nitrates est encore plus important : les nitrates constituent, en effet, une des sources principales de l’azote des végétaux. Comme on le verra plus loin, la matière organique de l’humus se transforme incessamment dans le sol avec production de nitrates qui servent à la nutrition des plantes. Les sels ammoniacaux fixés sur la terre subissent assez vite un changement analogue. Il faut que les racines utilisent aussitôt en les absorbant, les nitrates ainsi formés, sinon les pluies les emporteront dans les régions souterraines. Ce départ est d’autant plus facile que le sol est plus sablonneux et plus perméable ; il est moins à craindre pour les cultures à racines profondes qui peuvent fixer plus complètement sur leur trajet les nitrates ainsi emportés. S’il en est ainsi, ces nitrates doivent se retrouver dans les eaux de drainage avec toutes les matières solubles que la terre est incapable de retenir.

Composition des eaux de drainage. — Les analyses d’un grand nombre d’eaux de drainage ont pleinement confirmé ces prévisions : elles ne renferment qu’à doses minimes les principes que le sol a la propriété d’absorber, potasse, ammoniaque, acide phosphorique, tandis qu’on y rencontre en proportions notables la soude, la chaux, les nitrates et aussi des sulfates et des chlorures.

Dans les recherches de Way, 1 litre d’eau de drainage renfermait :

Potasse de 00 à 003 milligr.
Ammoniaque de 00,1 à 000,3
Acide phosphorique de 00 à 001,7
Silice de 06 à 025
Acide nitrique de 27 à 165
Chaux de 33 à 185
Magnésie de 03 à 035
Soude de 12 à 045
Acide sulfurique très variable.
Chlore Id.

M. Berthelot a publié récemment quelques déterminations précises sur l’enlèvement des nitrates par la pluie dans un sol maintenu sans végétation pendant quatre mois d’été. Une surface déterminée de cette terre a reçu 282 litres d’eau de pluie qui lui ont apporté 14 centigrammes d’azote ammoniacal et 6 centigrammes d’azote nitrique, soit en tout 20 centigrammes d’azote. Le drainage a donné 83 litres d’eau contenant 524 centigrammes d’azote nitrique, c’est-à-dire beaucoup plus que la pluie n’en avait fourni ; les nitrates correspondants provenaient de la transformation de la matière humique du sol.

M. Warington, à Rothamsted, a poursuivi pendant neuf années consécutives des recherches sur ce sujet. Un hectare de terre maintenu sans culture a reçu annuellement une moyenne de 8,500 mètres cubes d’eau de pluie ; la quantité d’eau de drainage recueillie à la profondeur de 1m50 a été en moyenne de 4,300 mètres cubes, soit seulement la moitié, le reste ayant été restitué à l’atmosphère par l’évaporation de la surface. L’eau drainée contenait en moyenne par litre 10mmg7 d’azote nitrique, soit 41mmg2 d’acide nitrique. La dose totale d’acide nitrique emportée par le drainage se trouvait donc égale à 177 kilogrammes, quantité bien supérieure aux apports azotés de la pluie. C’est d’octobre en février, saison où les pluies sont fréquentes, que la perte de nitrates est la plus importante.

Des observations semblables ont été faites simultanément sur des sols cultivés ayant porté annuellement pendant plus de quarante ans des récoltes de blé.

L’un de ces champs n’a jamais reçu d’engrais pendant cette longue période ; l’autre a reçu chaque année par hectare 14,000 kilogrammes de fumier. La quantité d’eau drainée a été toujours plus faible que dans les champs laissés sans culture : cela tient surtout à la transpiration considérable des récoltes pendant l’été.

Un litre d’eau de drainage renfermait par litre les poids suivants d’azote nitrique :

Terre
sans engrais.
Terre fumée.
milligr. milligr.
Mars à mai 1,6 2,9
Juin à août 0,1 1,2
Septembre à novembre 4,0 8,2
Décembre à février 4,3 5,8


Moyenne générale 3,4 5,8


Ces doses sont beaucoup moindres que dans les champs laissés en jachère, ce qui montre l’importance de l’assimilation par les plantes. Au printemps, cette absorption a lieu avec beaucoup d’énergie, et dans un sol sans engrais, tous les nitrates disponibles sont alors utilisés pour la végétation : les eaux de drainage n’en emportent que des traces.

À partir de septembre, quand les récoltes ont été enlevées du sol, la proportion des nitrates emportés croit beaucoup, atteint son maximum vers le mois d’octobre, puis diminue régulièrement jusqu’au mois de mars où elle redevient assez petite.

Pour les sols fumés chaque année, les pertes de nitrates sont plus fortes, mais ont lieu de la même manière. C’est toujours pendant la jachère que ces pertes sont les plus importantes.

On n’a guère de renseignements sur la composition des eaux de drainage d’un sol qui porte des récoltes fourragères, ou d’une terre maintenue en prairie naturelle ou couverte de bois. Il est probable toutefois que la perte des nitrates doit être beaucoup moindre, parce que les racines occupent plus profondément le sol et que la végétation n’y est pas interrompue pendant les mois d’automne. Dans les forêts, cette perte doit être tout à fait nulle.

Conséquences pratiques. — 1° L’emploi des nitrates comme engrais exige quelques précautions. On ne doit les fournir au sol que lorsque la végétation est très active et capable de les consommer rapidement. Il ne faut donc pas les répandre avant l’hiver, mais seulement au printemps, en couverture ; il vaudrait encore mieux, si c’était possible, en échelonner la distribution et les répandre à petites doses au fur et à mesure des besoins de la végétation. D’après les recherches de M. Berthelot, c’est avant la floraison que l’utilisation est habituellement le plus énergique.

2° Les eaux de drainage sont généralement riches en nitrates ; on devra donc chercher à les utiliser pour l’irrigation de terres placées plus bas.

Les ruisseaux, qui reçoivent beaucoup de ces eaux souterraines, contiennent assez souvent une quantité notable d’azote nitrique, et leur valeur pour les arrosages de prairies est ainsi beaucoup accrue. Mais peu à peu les végétaux qui se développent dans leurs eaux, et aussi les algues microscopiques qui les remplissent, consomment les nitrates, dont il ne reste plus quelquefois que des doses très faibles. On a un grand intérêt à être fixé sur ce point. M. Bréal a indiqué récemment une méthode très simple, qui permet aux agriculteurs de reconnaître si une eau contient des nitrates. Nous en donnons la description dans une note placée à la fin de cet ouvrage. (Voir note 3.)



  1. Telle qu’on l’obtient en précipitant une solution d’alun par du carbonate de soude.