Lausanne à travers les âges/Aperçu/10

Collectif
Librairie Rouge (p. 42-45).


X

Marasme économique. — Arrivée des réfugiés français.

Si LL. EE. savaient entourer de certains égards leurs sujets et entretenaient les populations dans le sentiment du respect dû à la morale et aux autorités, elles ne favorisaient point le développement du commerce et de l’industrie ; elles y apportaient même, parfois, des entraves, en sorte que, privée des pèlerinages qui amenaient naguère des foules à Notre-Dame, la ville de Lausanne végétait. Les biens ruraux que ses habitants possédaient dans le voisinage constituèrent longtemps leur principale ressource.

Vers la fin du dix-septième siècle, l’arrivée des réfugiés français, que la révocation de l’édit de Nantes obligea à chercher une nouvelle patrie, opéra de grands changements dans les mœurs de la plupart des villes de la Suisse romande, notamment à Lausanne. « On comptait parmi les réfugiés, dit l’historien Verdeil, plusieurs familles nobles, qui apportèrent cette urbanité française, cette élégance de mœurs, qui pendant le dix-huitième siècle, distinguèrent la population lausannoise ; des savants, des ministres, des orateurs, des littérateurs, suscitèrent le goût de l’étude. L’un d’eux, le jurisconsulte Barbeyrac, devint professeur à l’Académie, et donna un nouveau lustre à cette institution. Des protestants d’une autre classe contribuèrent à développer l’industrie dans les villes où ils se fixèrent. Ce furent des Français qui créèrent des chapelleries, des imprimeries, des poteries, des fabriques d’indienne, de cotonne, de bas, des tanneries ; d’autres ouvrirent des boutiques et rendirent la prospérité à Lausanne. Jusqu’à l’arrivée des protestants français, le commerce intérieur dans le pays de Vaud ne se faisait, en général, qu’au moyen de colporteurs ; presque toutes les marchandises provenaient de Bâle, de Zurich ou de Genève. L’activité des réfugiés changea ce système, excita une grande émulation dans toutes les branches du commerce et même dans l’agriculture, qui reçut de nombreux perfectionnements, grâce à l’esprit d’initiative des paysans français. »


Hôtel de ville. Façade reconstruite en 1674.

Après la révocation de l’édit de Nantes, plus de soixante mille protestants français vinrent dans le pays de Vaud ; 4500 environ s’y fixèrent, dont 1500 à Lausanne ; les autres se dirigèrent sur le Wurtemberg, le Palatinat, la Hesse, le Brandebourg, etc. Pour suffire aux besoins matériels de ces malheureux, on créa, à Lausanne, sous la présidence du pasteur Barbeyrac, une direction des pauvres français réfugiés, connue plus tard sous le nom de bourse française, et dont nous reparlerons plus loin. Cette institution fut confirmée par privilège de LL. EE. de Berne en date du 16 janvier 1688. Ses statuts, ses délibérations et ses registres sont encore aux archives communales.

Les écoles de théologie de Saumur, de Montauban, de Sedan, et Nîmes ayant été supprimées, Lausanne, en raison de son Académie, devint une des métropoles du protestantisme français. Au moyen de dons collectés en Angleterre et en Suisse, grâce à la généreuse initiative du primat d’Angleterre Wake, archevêque de Cantorbéry, et du professeur de théologie Alphonse Turrettini de Genève, on y créa un séminaire français, dont le prédicateur du Désert, Antoine Court, vint en 1729 prendre la direction. Cet établissement dépendait financièrement d’un comité genevois, tandis que la direction morale était confiée à un comité lausannois où nous voyons figurer le banneret Loys de Cheseaux, le major de Montrond, les professeurs G. de Polier, Leresche, de Bons, Durand, Levade, les pasteurs Polier de Bottens, Bugnion-de Saussure, E.-L. et César Chavannes, Samuel Secretan, Verrey, le boursier Seigneux, le banneret Seigneux de Correvon, Polier de Loys (plus tard préfet national), le baron de Montolieu, etc. Antoine Court et son comité exerçaient une sorte d’épiscopat sur les Églises de France ; ils entretenaient avec elles une correspondance suivie, apaisaient leurs différends, et, service inestimable en ces temps troublés, tenaient registre des baptêmes et des mariages célébrés au Désert.

Le nombre des élèves du séminaire varia de 12 à 30. L’enseignement qu’ils recevaient était distinct de celui de l’Académie ; il était plus élémentaire. Leurs études terminées, ces jeunes gens allaient ensuite exercer le ministère en France au péril de leur vie : le dernier des martyrs du Désert fut François Rochette, qui périt sur l’échafaud à Toulouse, en 1762, à l’âge de 26 ans, en même temps que les trois frères Grenier, gentilshommes verriers, qui avaient généreusement tenté de venir en aide à leur pasteur et ami.

La réunion de Genève à la France et la création de l’école de théologie de Montauban ôtèrent au séminaire français de Lausanne sa raison d’être ; aussi prit-il fin en 1812 ; les fonds, qui avaient longtemps assurés son existence, furent consacrés à l’entretien des étudiants français de la Faculté de théologie de Genève.

Le Sénat de Berne se considérait comme le protecteur attitré des protestants persécutés. Il avait pris en mains au dix-septième siècle, de concert avec le roi d’Angleterre et les États généraux des Pays-Bas, la cause des Vaudois du Piémont ; il montra également les meilleures dispositions pour le séminaire français. L’existence, dans un siècle d’autorité et de privilèges, d’une école libre, ne relevant que de l’initiative privée, méritait d’être mise en évidence[1].

Les réfugiés français conservaient pour la plupart leur situation d’étrangers, un tiers seulement (513) acquirent la bourgeoisie de Lausanne ; d’autres retournèrent plus tard en France ; d’autres furent incorporés à la bourgeoisie de Lausanne en 1860.

  1. Voir dans le Chrétien évangélique de 1872, Nos 1 à 4, l’importante étude consacrée au Séminaire de Lausanne par Jules Chavannes, sous ce titre : « Une école de théologie des temps passés. »