Lausanne à travers les âges/Aperçu/11

Collectif
Librairie Rouge (p. 45-47).


XI

Promesses faites par LL. EE. — Mesures de rigueur prises à l’égard du Clergé. — Manifeste du major Davel.

Au moment du danger, à l’époque de la guerre des paysans, LL. EE., dont l’autorité était très ébranlée, avaient, comme il a été dit plus haut, demandé la levée des contingents vaudois.

En 1653, le Bourgmestre de Lausanne, Jean-Pierre Polier, convoqua, à Lausanne, les députés de la noblesse et des villes. Cette reconstitution des anciens États de Vaud[1], qui ne s’étaient plus réunis depuis 1622, fit concevoir aux Vaudois des espérances qui les déterminèrent à fournir les secours demandés. L’assemblée fut orageuse ; plusieurs députés firent ressortir ce qu’il y avait d’anormal à prêter main forte contre les communes allemandes qui luttaient pour le maintien de leurs franchises. Le Bailli de Lausanne promit, au nom de LL. EE., que les charges seraient allégées, les privilèges des villes augmentés, et le droit d’assemblée reconnu au pays de Vaud. Sur la foi de ces engagements, cinq mille Vaudois franchirent l’Aar et tirèrent, naïvement, leurs seigneurs et maîtres de la fâcheuse situation où ils s’étaient mis. Une fois le péril passé, les promesses furent oubliées.

LL. EE. étaient très rigides en matière de doctrine. Elles exigèrent en 1679, des professeurs de l’Académie et des pasteurs l’adhésion à un formulaire théologique qui souleva une très vive opposition. Elles usèrent de rigueurs excessives à l’égard du clergé, dont plusieurs membres firent preuve d’un courage et d’un esprit d’indépendance qui fait le plus grand honneur au corps pastoral vaudois.

Les Bernois administraient avec soin leurs forêts et leurs domaines, mais ils se préoccupaient très peu du bien-être de leurs administrés : les écoles étaient négligées, les routes laissaient beaucoup à désirer, et, de plus, elles étaient très peu sûres, en sorte que les villes du pays n’avaient guère de relations les unes avec les autres : leur isolement rentrait dans le plan de la politique bernoise. On n’osait pas traverser le Jorat sans être accompagné d’une forte escorte ; les malandrins de tout pays se cachaient dans les forêts et guettaient les voyageurs ; ils tuaient pour un profit minime. En 1550 Félix Platter, en 1696 l’historien Abraham Ruchat avaient failli devenir leurs victimes. En 1702 et 1703, vingt-trois de ces brigands furent roués vifs à Vidy. Pour ramener à de meilleurs sentiments la population de cette contrée, LL. EE. appelèrent au poste de pasteur de Savigny un homme éminent, Jean-Pierre de Loys, et lui adjoignirent quatre régents de choix ; grâce à leurs efforts dévoués, l’instruction et, avec elle, la civilisation et l’aisance pénétrèrent dans les hameaux reculés du Jorat.

Ce fut dans ces circonstances qu’un héros se leva au milieu du peuple vaudois
Gargouilles de l’Hôtel de ville (1698).
et chercha à le tirer de son apathie. Sans les consulter au préalable, le major Davel revendiqua, au nom de ses compatriotes, une indépendance dont ceux-ci ne semblaient pas sentir le prix. Après s’être distingué sur maint champ de bataille, et en dernier lieu dans la campagne de Villmergen, il se crut investi d’une mission de la Providence. À l’âge de soixante-trois ans, après avoir longtemps médité son projet, après s’y être préparé par la prière et par le jeûne, il convoque, sous le prétexte d’une revue, les trois compagnies de son bataillon, pour le 31 mars, sur la place d’armes de Cully. De là, il marche sur Lausanne, il entre dans la ville enseignes déployées, au son des fifres et des tambours, se rend à l’hôtel de ville et demande une audience au Deux-Cents, lit un manifeste, qui était une critique serrée et pleine de jugement, du régime bernois, et expose son plan pour arriver à l’émancipation du pays de Vaud. Pris à l’improviste, les membres du Conseil donnent des quartiers à sa troupe et réussissent à l’en isoler. Le 1er  avril 1723, Davel est arrêté et dénoncé à LL. EE. La cour criminelle, où siégeaient les propriétaires de la rue de Bourg, appelée à le juger, le condamna à mort ; il périt sur l’échafaud de Vidy le 24 avril 1723. Un monument, érigé en 1898, marque la place où il fut exécuté. Un autre monument, plus important, lui a été élevé également, en 1898, sur la place du Château. Davel mourut en héros. Avant de livrer sa tête au bourreau, il adressa une touchante exhortation à la foule assemblée sur le lieu de son supplice. La révolution tentée par Davel était prématurée ; le peuple n’y était pas préparé. Pour juger équitablement les magistrats qui refusèrent de le suivre, il faut se replacer dans leur milieu. On a reproché à Davel d’avoir manqué à son serment d’officier. On peut répondre à cela que les premiers coupables étaient LL. EE., qui avaient manqué aux promesses faites, à réitérées fois, au peuple vaudois.


Porte des anciennes archives de l’Hôtel de ville.

Quoique manquée, la tentative de Davel produisit d’heureux effets. L’avoyer Christophe Steiger[2] reconnut le bien-fondé des critiques adressées par le major Davel au gouvernement bernois ; LL. EE. en tinrent compte dans une certaine mesure. Des remontrances furent adressées à certains baillis ; le gouvernement renonça à exiger des ecclésiastiques l’adhésion au formulaire théologique dont il a été question plus haut.

  1. Depuis la conquête cette assemblée se réunit douze fois : en 1570, 1590, 1591, 1594, 1595, 1603, 1608, 1609, 1613, 1621, 1622 et 1653.
  2. Voir un article intitulé : Le major Davel et l’avoyer Steiger, que nous avons publié dans la Gazette de Lausanne des 20 et 21 septembre 1889 et que M. A. Levinson a reproduit dans son étude intitulée : Le major Davel, sa vie et sa mort, Lausanne 1876, Benda éditeur, page 122.