Lao-Seng-Eul/Avertissement de l’éditeur anglais

AVERTISSEMENT
DE L’ÉDITEUR ANGLAIS.

La comédie dont nous publions la traduction est tirée de la même collection que celle de l’Orphelin de Tchao. Cette traduction a été faite par M. Davis, écrivain de la factorerie de la compagnie des Indes Orientales à Canton, et fils du directeur de ce nom. On peut attendre de ce jeune homme qui s’est distingué au collége d’Hertford[1], des renseignemens précieux et pleins d’intérêt sur l’état de la littérature en Chine. M. Davis adressa de Canton sa traduction à la cour des directeurs, et le dépôt en fut ordonné à la bibliothèque de l’hôtel des Indes, comme d’une curiosité littéraire. Il est inutile de dire que cette bibliothèque est aussi accessible à tous ceux qui peuvent en faire usage qu’aucune autre bibliothèque publique du royaume, et l’Éditeur croit qu’il est de son devoir envers la cour des directeurs, d’ajouter qu’aussitôt qu’il lui eut soumis son opinion, qui était que cet ouvrage méritait d’être publié, la copie originale lui fut envoyée avec la permission de l’imprimer.

M. Davis a accompagné lord Amherst à Pékin, ainsi que sir George Staunton, M. Manning et M. Morrison, tous également versés dans la langue écrite et dans la langue parlée de la Chine. Avec de tels secours[2], quels ne sont point à tous égards les avantages de la présente ambassade sur celle de lord Macartney, dont tous les rapports et les communications avec les natifs étaient confiés à la timidité et à l’ignorance de deux missionnaires chinois élevés dans le collége de la Propagande. C’est cependant cette ambassade qui posa les fondemens de la connaissance de cette langue singulière de la Chine[3] qui fait maintenant des progrès si rapides en diverses parties du globe.

  1. C’est dans ce collége, dont l’établissement assez récent en Angleterre est dû aux avis de lord Wellesley, que s’initient à la connaissance des langues orientales, les jeunes gens destinés à remplir dans l’Inde les emplois à la nomination de la compagnie. (T. F.)
  2. On sait, tant par les nouvelles publiques que par les relations imprimées de MM. Ellis et Macleod, quel a été le peu de succès de cette mission dont on avait pu, en effet, concevoir de hautes espérances. L’ambassadeur anglais ayant refusé de se soumettre aux prescriptions incommodes du cérémonial chinois, s’est vu interdire l’approche du trône. Ses présens n’ont point été reçus, et dès son arrivée à Péking, il a reçu l’ordre de prendre le chemin de Canton, pour s’y rembarquer pour l’Europe.
     Il est juste de dire que jamais mission vers une cour de l’Orient n’avait eu à sa suite des interprètes aussi distingués et aussi instruits. Sir George Staunton, ministre plénipotentiaire d’Angleterre, résidant depuis longtemps à Canton, fils de celui qui avait accompagné lord Macartney à Pékin, est avantageusement connu par sa traduction du Taï-thsing-liu-li, ou Code pénal des Chinois, dont M. de Sainte-Croix nous a donné d’après lui une version française.
     M. Manning projetait vainement depuis quelques années de pénétrer en Chine ; la vigilance et l’instinct jaloux des Chinois avaient jusqu’ici rendu toutes ses tentatives inutiles. Son ardeur ne s’étant pas ralentie, il alla par mer dans la Cochinchine, et il rencontra chez ce peuple la même jalousie politique que chez ses voisins. Déterminé à persévérer dans son dessein, il passa à Calcutta, d’où il se rendit sur la frontière septentrionale du Bengale. Ici il fut assez heureux pour pouvoir pénétrer dans le Boutan, et il у réussit à s’engager comme médecin, au service personnel du commandant en chef des forces chinoises. Il l’accompagna jusqu’à Lassa, dans le Tibet, et il était sur le point d’en partir avec cet officier, pour aller dans la capitale de l’empire chinois, par la partie supérieure de la Tartarie, lorsqu’il arriva de Péking un ordre pour rappeler le général, et pour renvoyer sur-le-champ dans le Bengale le médecin européen qu’il avait eu la témérité coupable d’entretenir auprès de lui ; tant il est difficile d’éluder la vigilance chinoise, même dans les parties les plus reculées de ce vaste empire.
     Le révérend Robert Morrison, missionnaire anglais à Canton, s’est appliqué avec zèle à l’étude du Chinois. Il a non-seulement traduit plusieurs ouvrages écrits dans cette langue, mais il a encore imprimé le Nouveau-Testament en chinois. Il a publié un ouvrage intitulé : Horae sinicae, ou Traductions de la littérature familière des Chinois, Londres 1812 ; une grammaire chinoise imprimée à Siram pour, et trois livraisons d’un volumineux dictionnaire, dont le fond est pris du Tseu-tian de Khang-hi. (T. F.)
  3. La mission de lord Macartney et les diverses relations publiées successivement par plusieurs des personnes attachées à cette ambassade, réveillèrent la curiosité de l’Europe relativement à ce singulier pays, si souvent décrit et encore si imparfaitement connu. La révolution française et la guerre longue et désastreuse qui en a été la suite, ont pendant vingt cinq ans empêché les Français d’entretenir des rapports lointains, et pendant ce long intervalle, au contraire, les Anglais, maîtres des mers et du commerce de l’Asie, ont pu, sans interruption et sans concurrence, étendre leurs relations dans l’Orient. Nous nous faisons un devoir et un plaisir de reconnaître que la compagnie anglaise des Indes s’étant dépouillée à peu près vers le même temps de ces étroits préjugés que font naître l’esprit de monopole et les privilèges exclusifs, a noblement favorisé dans ses immenses états l’étude des langues asiatiques et de tout ce qui pouvait servir à mettre en lumière les mœurs, la littérature, les opinions et l’histoire des peuples de cette vaste partie du monde. Les Anglais de la factorerie de Canton, à l’exemple de sir George Staunton, et les infatigables missionnaires baptistes se sont adonnés à l’envi à l’étude de la langue chinoise, et ont publié depuis peu plusieurs ouvrages pour en faciliter l’intelligence ; mais est-il vrai de dire que c’est la mission de lord Macartney à la Chine qui posa les fondemens de la connaissance de la langue de cet empire, et ne peut-on louer les travaux estimables de ses concitoyens, sans méconnaitre avec autant de mauvaise foi ceux des autres nations ?
     Le critique d’Édimbourg en rendant compte de la grammaire sanscrite publiée par M. Charles Wilkins, reconnaît : « Que, dès le premier établissement des Européens dans l’Inde, l’attention des missionnaires catholiques et de tous les individus qui avaient quelque amour pour les lettres, s’était dirigée vers des études philologiques ; que cette curiosité avait passé des Indes en Angleterre, mais qu’elle avait été importée en bien plus grande quantité sur le continent européen, etc. »
     Sir William Jones, l’un des hommes qui, par l’éclat de ses travaux et les grâces de son imagination, a le plus contribué à propager en Angleterre le goût des lettres asiatiques, formait le vœu, « que le mérite de faire connaître le sanskrit appartînt à ses compatriotes, puisque déjà les autres nations continentales de l’Europe avaient cultivé avec plus de diligence les autres langues de l’Orient. » Ce vau patriotique est rappelé par M. Horace Wilson, dans la préface de sa traduction du Mégha doûta, poëme de Kâlidâsa, et bien plus à point encore par M. Marshman, missionnaire de l’établissement de Sirampour, qui, dans son Épître dédicatoire au gouverneur général de l’Inde, de sa Traduction des ouvrages de Confucius(Sirampour 1809), dit formellement :
     « Sir W. Jones a observé que c’est aux Français que nous sommes jusqu’ici redevables de toutes les tentatives faites pour éclaircir la langue et la littérature de la Chine ; cependant les intérêts de la nation anglaise, aussi bien que son honneur littéraire, paraissent demander que nous fassions aussi tous nos efforts pour cultiver cette branche de littérature. »
     Qui est-ce qui ignore en Europe que, bien longtemps avant l’ambassade de lord Macartney, les missionnaires catholiques et plusieurs savans français et allemands, tels que MM. de Fourmont, Bayer, Deguignes, Deshauteraies et autres avaient produit sur la Chine, et au moyen de leurs connaissances étendues de la langue chinoise, des ouvrages célèbres, dont ceux qui ont paru depuis quelques années en Angleterre, quelque soit leur mérite par nous loyalement avoué, sont bien loin d’égaler l’importance ? Notre orgueil national blessé par une injuste assertion, ne peut-il rappeler l’Histoire générale de la Chine, la Grammaire chinoise, l’Histoire des Huns, la Description de la Chine et de la Tartarie, le Chou-king, la vaste collection des Mémoires des missionnaires français ? Quoi qu’ait pu dire encore sur le même sujet un journal littéraire anglais, trop souvent injuste envers les étrangers, nous croyons que de nos jours plusieurs de nos savans, MM. Montucci et Klaproth ont de la langue chinoise une connaissance positive, philosophique, approfondie, qu’ils ne doivent en aucune manière aux travaux tout modernes des Anglais, très-peu répandus hors de l’Asie.
     C’est aux presses françaises que l’on doit le premier dictionnaire chinois imprimé dans l’Occident, et c’est un Français, M. Abel-Rémusat, qui, en nous donnant en 1817, le Tchoung-young, ouvrage moral de Tseu-ssé, en chinois et en mandchou, avec une version littérale latine, traduction française et des notes pleines d’érudition, a fait paraître le premier livre chinois qui ait été imprimé en Europe.
     On ne peut donc que désapprouver hautement ces assertions jalouses dictées par un amour propre national trop exclusif, et qui sortent par là même du cercle de la vérité et des convenances sociales. (T. F.)