Lao-Seng-Eul/Coup d’œil

COUP D’ŒIL
SUR
LA COMÉDIE DES CHINOIS
ET
SUR LEURS RÉPRÉSENTATIONS.

Parmi les communications précieuses et intéressantes que l’Europe doit aux jésuites et aux autres ordres moins éclairés du culte catholique qui se sont établis dans la Chine il y a plus de deux siècles, on ne trouve que peu de chose concernant le goût de cette nation extraordinaire pour la poésie lyrique et les jeux de la scène. Le petit nombre des voyageurs qui ont pu pénétrer dans cette région reculée nous a laissés tout à fait dans l’obscurité à l’égard de la nature de cette espèce de composition, comme aussi sur l’état actuel de la comédie et sur cette partie de la littérature désignée en général par le nom de belles-lettres[1]. Ces écrivains, égarés par les préjugés chinois, et adoptant les sentimens de ce peuple pour ses anciens livres, ont tellement rempli les communications qu’ils nous ont faites de panegyriques excessifs sur la beauté des quatre King, et la sagesse et la vertu de Yao et de Chun, qu’il ne leur est resté ni place ni temps pour faire des recherches sur l’état de la littérature moderne. À la vérité le père Cibot nous apprend, et sa remarque est répétée par Grozier, « que le mérite de faire de beaux vers attire peu l’attention du gouvernement, et qu’on dit ici qu’un homme de lettres fait bien des vers, comme on dit en France qu’un capitaine d’infanterie joue bien du violon. »

Cependant ils contredisent l’un et l’autre cette assertion en citant divers morceaux de poésie, tant ancienne que moderne, et en s’efforçant de démontrer leur influence sur les passions, ainsi que l’estime qu’ils ont obtenue depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. La vérité est que les plus anciens monumens historiques de la Chine sont en vers. Le symbole même qui désigne les compositions de cette espèce indique leur antique origine ; c’est chi, caractère formé de parole et de sale ou temple, lieu d’où les magistrats délivraient leurs instructions au peuple, les paroles du temple ; elles consistent en sentences courtes et mesurées, généralement composées de quatre caractères choisis de manière à être chacun plein de signification et de force, et à s’imprimer aisément dans la mémoire[2]. Le livre des odes, l’un des plus renommés et des plus anciens de leurs ouvrages classiques, est principalement composé de cette sorte de vers.

Cependant il n’est point nécessaire de se plonger dans les profondeurs de l’antiquité, ou de recourir à de vieilles compositions pour prouver le goût général des Chinois pour la poésie épique et lyrique. Khian-loung, l’un de leurs derniers empereurs, s’est amusé à écrire un poëme épique, intitulé : Moukden, deux ou trois autres grands poëmes et une foule d’odes, de chansons et d’épigrammes, ainsi que peuvent l’attester la moitié des tasses à thé manufacturées dans son empire. Son malheureux favori, dont le pouvoir et l’opulence attirèrent sur lui la vengeance de l’empereur aujourd’hui régnant[3], composa des vers dans sa prison, le jour qui précéda son exécution, et l’éditeur de la présente traduction possède une pièce de vers intitulée : Londres, écrite par un Chinois qui avait accompagné en Angleterre un de nos compatriotes en qualité de domestique, et dans laquelle il décrit d’une manière concise, mais caractéristique, ce qu’il a vu, et plus particulièrement les choses en contraste avec les manières et les apparences de son propre pays[4].

Il n’est donc pas exact de dire que les Chinois n’aiment pas la poésie ; et comment pourraient-ils s’empêcher de l’aimer, puisque chaque symbole de leur langue écrite est poétique, et que chaque caractère présente à l’esprit, par l’intermédiaire de l’œil, la peinture de l’idée qu’il est destiné à représenter. Il est vrai que quelques-uns des missionnaires font une exception en faveur de la poésie ancienne. Les bons vieux temps sont loués en bien d’autres pays qu’à la Chine, et avec tout aussi peu de naissance de ce qui constituait leur bonté. Mais M. Morrison, dans sa Grammaire, cite un auteur chinois qui paraît avoir eu sur ce sujet des notions plus positives que le père Cibot, ou que l’abbé Grozier ; il compare les progrès de la poésie chez ses compatriotes à la croissance graduelle d’un arbre : — « L’ancien Chi-king » (livre d’odes) peut être considéré comme la racine ; les bourgeons parurent sous le règne de Sou-li ; au temps de Kian-an, les feuilles se déployèrent en abondance ; mais sous la dynastie des Thang beaucoup d’hommes se reposèrent sous l’ombrage de l’arbre qui fournit alors d’amples moissons de fleurs et de fruits. »

Les deux écrivains français que nous avons déjà cités prétendent aussi que, depuis l’instant où les jeux scèniques commencèrent à faire partie des amusemens domestiques et à s’introduire dans les fêtes de la cour, les lettres n’ont cessé de publier des observations philosophiques sur les dangers du théâtre et sur sa funeste influence sur les mœurs. « La comédie, dit un de ces philosophes, est une espèce de feu d’artifice de l’esprit qui brille dans la nuit du désordre. Il salit et met en danger ceux qui le font partir ; il fatigue la vue délicate du sage ; il occupe dangereusement les esprits oisifs ; il est nuisible aux femmes et aux enfans qui y assistent ; il leur donne plus de fumée et de mauvaise odeur que de lumière ; il n’a enfin qu’un éclat d’un instant, mais qui souvent cause d’horribles incendies. » Cependant on nous dit dans la même page que la plupart des comédies et des tragédies chinoises semblent avoir été écrites dans le dessein de montrer la difformité du vice et les charmes de la vertu. L’écrivain aurait pu ajouter que ces pièces sont jouées à la cour et devant les chaumières ; que les Chinois aiment si passionnément les représentations théâtrales qu’il y a dans la plupart des maisons des grands une salle qui leur est destinée ; qu’on ne donne point à la Chine de repas de cérémonie sans qu’une troupe de comédiens ne soit appelée pour amuser les convives ; qu’ils constituent enfin une partie essentielle de toutes les fêtes publiques et des amusemens invariablement offerts aux ambassadeurs étrangers lors de leur réception à la cour. Il aurait pu ajouter qu’il n’est pas vrai que les théâtres publics soient considérés du même œil que les maisons de prostitution, et confinés, à cause de cela, dans les faubourgs des villes[5].

Dans le fait, il n’y a rien à la Chine qui ressemble à un théâtre public. Une troupe de comédiens construit en tout temps un théâtre dans une couple d’heures. Quelques bambous pour supporter un toit de nattes, quelques planches posées sur des tréteaux, et élevées de six à sept pieds au-dessus du sol, quelques pièces de toile de coton peintes pour fermer trois des côtés de la place destinée à la scène, laissant entièrement ouverte la partie qui fait face au spectateur, suffisent pour dresser et construire un théâtre chinois, qui ressemble alors beaucoup, quoiqu’il soit moins solide, aux barraques de nos foires. À la vérité, il ne faut qu’un appartement ordinaire pour jouer une pièce chinoise. Ils ne recourent point, comme sur nos théâtres modernes, à l’illusion des décorations, et les expédiens singuliers dont ils sont quelquefois, à leur défaut, obligés de s’aviser, ne sont pas d’un genre beaucoup plus relevé que le buisson d’épines et la lanterne de Nick-Bottom pour représenter ou défigurer le personnage de la Lune, et l’homme barbouillé de plâtre ou couvert d’une étoffe grossière pour signifier une muraille. Ainsi, sur un théâtre chinois, lorsqu’un général reçoit l’ordre d’une expédition vers une province éloignée, il monte à cheval sur un bâton, agite un fouet, ou saisit les courroies d’une bride, et après avoir fait trois ou quatre fois le tour de la scène au milieu d’un bruit effroyable de gongs, de tambours et de trompettes, il s’arrête tout court, et annonce à l’auditoire qu’il est arrivé en tel endroit. S’il faut donner l’assaut aux murs d’une ville, trois ou quatre soldats se couchent l’un sur l’autre pour représenter le rempart. On peut se former une idée assez juste du peu d’assistance que tirait anciennement des illusions de la scène l’imagination du public anglais, par la description que sir Philip Sidney fait de l’état du théâtre et de la comédie de son temps (vers l’an 1538).

« Maintenant, dit-il, vous allez voir trois dames qui se promènent en faisant semblant de cueillir des fleurs, et vous devez croire que le théâtre est un jardin. Bientôt après on viendra dans le même lieu vous raconter un naufrage, et vous êtes seul à blâmer si vous ne vous imaginez pas y voir un rocher ; ensuite un monstre hideux vomira du feu et de la fumée, et les spectateurs tremblans sont obligés de penser qu’ils sont dans une caverne, tandis qu’au même instant deux armées s’élanceront, représentées par quatre épées et quatre boucliers, ce qui doit transporter le plus incrédule au milieu d’un champ de bataille. »

Il paraît que c’est Inigo Jones qui eut le premier l’idée de peindre sur toile des décorations mobiles, dont on fit usage à Oxford en 1605.

Il est vrai que les comédiens ne sont pas tenus en grande estime par les Chinois, et le père Cibot avait probablement lu dans le Taï-thsing-liu-li le statut contre les officiers civils et militaires du gouvernement, ou contre les fils de ceux qui possèdent un rang héréditaire et qui fréquentent la compagnie des prostituées et des actrices, ce qui l’avait conduit à assimiler mal à propos leurs professions ; et son erreur est d’autant plus probable, qu’il avoue franchement lui-même qu’il s’entend très-peu à tout cela, et que ce sujet ne l’intéresse aucunement. Il faut nous garder cependant d’apprécier la conduite des Chinois d’après leurs préceptes légaux ou leurs maximes morales ; il n’y a pas de peuple sur la terre qui diffère si fort dans la pratique des principes qu’il professe, et on peut se rappeler, comme un exemple frappant de cette remarque, que l’empereur Khian-loung, en dépit du statut que nous venons de citer, admit une actrice au nombre de ses femmes inférieures ou concubines. On dit que depuis lors il a été défendu aux femmes de paraître sur le théâtre, et que leurs rôles sont remplis par de jeunes garçons ou par ces créatures qui ne sont d’aucun sexe. Aucune femme ne paraissait sur les théâtres des Grecs et des Romains, et chez ces derniers, comme à la Chine, leurs rôles étaient quelquefois remplis par des eunuques. Les personnages doux et délicats de femmes des pièces de Shakespeare n’ont point eu de son vivant l’avantage d’être représentés par une actrice. Mistriss Betterton fut la première ou à peu près qui, vers l’an 1660, joua les rôles de Juliette et d’Ophelie. Dans le prologue du More de Venise on fait la remarque, en parlant de la première actrice qui joua le rôle de Desdemona,

Qu’il est possible qu’une femme vertueuse
» Abhorre toute dissolution, et cependant paraisse sur la scène. »

Néanmoins on ne trouve dans le code chinois aucun article qui défende aux femmes de monter sur le théâtre ; mais on y lit « que tout comédien ambulant qui se rendra coupable de l’achat de fils ou de filles de personnes libres, pour les élever comme acteurs ou actrices, ou qui épousera ou adoptera des enfans de telles personnes libres, sera dans chacun de ces cas puni de cent coups de bambou. » La même punition est étendue à ceux qui vendent des personnes libres, et aux femmes nées de parens libres qui épousent des comédiens ambulans.

On rapporte que, quand la cour est à Pékin, il у a dans cette capitale plusieurs centaines de troupes de comédiens qui, en d’autres temps, voyagent d’une ville à l’autre. Une compagnie est pour l’ordinaire composée de huit à dix personnes qui sont, à la lettre, les domestiques ou les esclaves du maître ou directeur. Ces troupes vont de lieu en lieu dans une barque couverte qui leur sert d’habitation, et dans laquelle le directeur leur enseigne leurs rôles. Lorsqu’elles sont appelées pour jouer devant une société, la liste des pièces qu’elles sont prêtes à jouer est remise à la personne qui donne la fête, afin qu’elle consulte le choix de ses hôtes. On lit ensuite les noms des personnages du drame, et s’il s’en trouve qui corresponde à celui d’un des convives, on choisit aussitôt une autre pièce pour éviter toute allusion offensante. Il est possible que cette restriction délicate ne se trouve que sur le papier, et ne soit point suivie dans la pratique, de même qu’on enfreint chaque jour la loi, qui défend aux chanteurs et aux comédiens de représenter dans aucune de leurs pièces « les empereurs, les impératrices, les princes fameux, les ministres et les généraux des siècles passés. » Car c’est là, au contraire, précisément le sujet favori et le plus ordinaire des pièces chinoises. Il est vrai qu’il existe dans le Code un article additionnel portant : « Que l’intention de la loi n’est pas de défendre de mettre en scène le caractère fictif d’hommes justes et vertueux, de chastes épouses et d’enfans pieux et obéissans, lesquels tendent tous à disposer l’esprit des spectateurs à la pratique de la vertu. »

Quand le bas peuple désire de voir jouer la comédie, il forme une souscription suffisante pour défrayer la dépense modique de la construction d’un théâtre temporaire et de la rétribution due aux acteurs. M. Deguignes dit (Voy. à Pékin, tom.2, pag. 322,) « que les temples ou pagodes servent quelquefois de salles de spectacle. » Ce qui n’est pas impossible, puisqu’ils servent de rendez-vous aux joueurs, et d’hôtelleries aux ambassadeurs étrangers et aux officiers qui voyagent pour le service public ; d’ailleurs cette coutume des Chinois ne serait pas singulière, puisque, comme on le sait, nos anciens mystères étaient souvent joués dans les églises. Les cabarets de la Chine ont aussi une grande salle réservée pour y jouer la comédie devant les amateurs, de même qu’en Angleterre, au temps de la reine Élisabeth, des comédiens dressaient par fois des théâtres dans les cours des principales auberges.

Si les missionnaires nous ont appris peu de choses sur l’état actuel de l’art dramatique chez les Chinois, les descriptions que nous ont faites quelques voyageurs des représentations auxquelles ils ont assisté, nous ont donné une idée assez exacte de ce qu’elles doivent être ; et certes ce qu’ils en ont dit n’est pas de nature à fournir une notion élevée de l’art et du raffinement du peuple ; mais ce qu’il y a de plus singulier et de plus inexplicable à ce sujet, c’est que ces représentations paraissent devenir d’un genre plus bas et plus vulgaire, en raison inverse du rang des spectateurs à l’amusement desquels elles sont destinées. Ainsi, à la cour de Pékin, et en présence de l’empereur, Ysbrandt Ides, ambassadeur de Russie, assista en 1692 à des spectacles de bateleurs, d’escamoteurs et d’arlequins, tandis que sur sa route, et non loin de la grande muraille, le gouverneur d’une ville avait fait jouer devant lui une pièce régulière.

« En premier lieu, dit-il, parut sur le théâtre une belle dame magnifiquement vêtue de drap d’or, ornée de joyaux, et portant une couronne sur la tête. Elle chanta son rôle avec une voix charmante, des attitudes gracieuses, et en jouant avec ses mains, dans l’une desquelles elle tenait un éventail. Le prologue étant fini, la pièce commença. Elle avait pour sujet l’histoire d’un empereur mort depuis longtemps, qui avait bien mérité de son pays, et en l’honneur duquel la pièce était composée. Tantôt ce personnage paraissait en habits royaux, avec un sceptre d’ivoire à la main, et tantôt ses officiers se montraient avec des drapeaux, des armes et des tambours. Une sorte de farce était jouée dans les intermèdes par leurs laquais, dont les vêtemens antiques et les visages peints étaient aussi agréables qu’aucun de ceux que j’ai vus en Europe. Autant qu’on a pu me l’interpréter, leur farce était très-amusante, surtout la partie qui représentait un mari dupé par une femme débauchée, et qui, s’imaginant qu’elle lui était fidèle, avait le déplaisir de voir un autre homme lui faire l’amour en sa présence.)

M. Bell, qui, en 1712, accompagna à Pékin un autre ambassadeur russe, décrit les amusemens de la cour comme consistant en luttes, en tours de force, en attitudes et en feux d’artifice.

Le spectacle fut un peu meilleur dans une fête, donnée à l’ambassadeur par un des fils de l’empereur. En le décrivant, M. Bell dit : « Nous vîmes entrer sur le théâtre sept guerriers, tous revêtus d’armures, portant diverses armes dans leurs mains, et le visage couvert de masques terribles. Après qu’ils eurent parcouru le théâtre plusieurs fois, et qu’ils se furent regardés l’un l’autre, ils commencèrent à se prendre de querelle, et l’un des héros fut tué dans le combat. Alors un ange descendit du milieu des nuages à la lueur des éclairs ; il tenait dans sa main une énorme épée, et il sépara les combattans en les chassant du théâtre. Après cela, il remonta de la même manière qu’il était descendu, dans un tourbillon de feu et de fumée. Cette scène fut suivie de plusieurs farces comiques qui me parurent fort divertissantes, quoique dans un langage que je ne comprenais pas. » — Mais la pièce qui fut jouée devant eux dans une taverne de Pékin, par une troupe de comédiens entretenue dans cette maison, et à l’occasion d’une fête que leur donna un jeune seigneur chinois, fut ce qui leur fit le plus de plaisir ; les acteurs étoient des hommes et des femmes tous bien vêtus, et jouant avec décence.

Lord Macartney décrit, dans son Journal particulier, les luttes, les tours de force, les danses sur la corde, les jongleries, les feux d’artifice auxquels il assista lors de sa présentation à la cour de Khian-loung, et il semble en parler avec un grand mépris ; il rend cependant justice au talent des Chinois pour donner au feu toutes sortes de formes et de couleurs. Il décrit de la manière suivante ce qu’il appelle leurs drames misérables. « Les représentations consistaient en une grande variété de sujets tragiques et comiques. Plusieurs pièces furent jouées successivement, quoique sans liaison apparente entre elles. Le sujet des unes était historique, et celui des autres de pure imagination. Les personnages récitaient, chantaient ou parlaient tour à tour sans aucun accompagnement de musique. L’action abondait en batailles, en meurtres, et offrait tous les accidens ordinaires des drames. Le spectacle fut terminé la grande pantomime, qui, d’après les applaudissemens qu’elle excita, est, je présume, considérée comme un chef-d’œuvre d’invention et d’esprit. Autant que je pus en comprendre le sujet, il s’agissait du mariage de l’Océan et de la Terre. Cette dernière étala ses richesses et ses diverses productions, telles que des dragons, des éléphans, des tigres, des aigles, des autruches, des chênes, des pins et d’autres arbres de différentes espèces. L’Océan ne resta pas en arrière, et il versa sur le théâtre les trésors de son empire sous la figure de baleines, de dauphins, de tortues, de léviathans et autres monstres marins, accompagnés de vaisseaux, de rochers, de coquillages, d’éponges, de coraux, dont les rôles étaient remplis en perfection par des acteurs déguisés. Ces régimens de terre et de mer après avoir séparément, et dans une procession circulaire, défilé pendant un temps considérable, se réunirent enfin, et, se formant en un seul corps, s’avancèrent vers le front du théâtre. Après diverses évolutions, les rangs s’ouvrirent à droite et à gauche pour laisser un passage à la baleine qui semblait être l’officier commandant. Celle-ci s’étant approchée et placée à l’opposé de la loge de l’empereur, vomit dans le parterre plusieurs tonnes d’eau qui disparurent promptement à travers les trous pratiqués dans le plancher. Cette aspersion excita les plus vifs applaudissemens, et deux ou trois grands personnages qui étaient à mes côtés m’invitèrent à у faire une attention particulière, s’écriant en même temps : Hao ! Houng Hao ! charmant ! délicieux ! »

M. Barrow, en décrivant les fêtes données en 1795, aux ambassadeurs hollandais, d’après le journal d’une personne de leur suite, parle de tours de force, de danses sur la corde, et d’une pantomime dans laquelle les principaux rôles étaient remplis par des hommes couverts de fourrure, et marchant à quatre pates pour figurer des bêtes fauves, tandis qu’une troupe d’enfans en habits de mandarins leur donnaient la chasse. Dans une autre occasion, après que la cour impériale se fut remise d’une grande frayeur que lui avait causée une éclipse de lune, on représenta en pantomime, dans une fête, le combat du dragon et de la lune. Dans cet engagement, deux ou trois cents prêtres, portant des lanternes suspendues au bout de longs bâtons, firent une multitude d’évolutions en dansant et en cabriolant, tantôt sur la terre, tantôt sur des chaises, au grand plaisir de sa majesté impériale et de ses courtisans. Deguignes, qui accompagna ces ambassadeurs, décrit aussi cette scène comme puérile et triviale.

Il paraît cependant que la bassesse et la trivialité des sujets ne sont pas encore les plus grands reproches qu’on puisse faire aux représentations du théâtre chinois ; quelques-unes sont obscènes et d’une grossièreté révoltante. M. Barrow cite l’exemple d’une pièce où une femme est condamnée à être écorchée toute vive pour avoir assassiné son mari, et où elle paraît sur le théâtre non-seulement toute nue, mais encore entièrement dépouillée de sa peau, Il ajoute que les Européens établis à Canton sont quelquefois si dégoûtés de l’obscénité et de l’indécence révoltante des pièces, qu’ils sont obligés de quitter le spectacle, « Leurs comédies, dit M. Deguignes, ayant fréquemment pour sujet des histoires de maris trompés par leurs maîtresses, présentent quelquefois des situations si libres, et dans lesquelles les acteurs mettent tant de vérité, que la scène devient de la dernière indécence. » Et il cite à cette occasion l’exemple d’une pièce à laquelle il assista, où l’héroïne devint grosse, et accoucha sur le théâtre. Cette pièce s’appelait la Pagode de Si-hou, et avait pour sujet l’histoire de la destruction de cette pagode, située sur le fameux lac décrit par M. Barrow, sous le nom de Louï-foung-tha, le temple des vents tonnans, « Plusieurs génies montés sur des serpens et marchant le long des bords du lac ouvrirent la scène. Un bonze voisin vint bientôt après faire l’amour à une des déesses, qui, malgré les remontrances de sa sœur, écouta le jeune homme, l’épousa, devint enceinte, et accoucha sur le théâtre d’un enfant qui fut peu d’instans après en état de marcher. Courroucés de cette aventure scandaleuse, les génies chassèrent le bonze, et finirent par frapper la pagode de la foudre, et par la réduire à l’état de ruines dans lequel elle est maintenant. »

Comme des scènes de cette nature transportent de plaisir les auditeurs, M. Deguignes conclut naturellement que le caractère des Chinois est vicieux. Il ne faut point cependant nous hâter de juger trop sévèrement des productions, de la licencieuse plaisanterie desquelles nous pourrions trouver des exemples dans notre propre histoire, et à une époque plus récente encore de quelques centaines d’années. Warton a fait la remarque, que les obscénités les moins voilées abondaient dans nos anciens mystères ou pièces religieuses ; que dans une pièce intitulée : l’Ancien et le Nouveau-Testament, Adam et Ève paraissaient sur le théâtre, d’abord entièrement nus, et ensuite avec leurs feuilles de figuier. Malone rapporte que ce spectacle d’un genre primitif eut encore lieu sous le règne de Jacques Ier, diverses personnes ayant paru toutes nues dans une pastorale, représentée à Oxford devant le roi, la reine et toutes les dames de sa suite.

M. Barrow a conjecturé que les amusemens bas et vulgaires de la cour peuvent avoir été introduits par les Tartares, parce qu’ils s’accordent mieux avec leurs mœurs ignorantes et grossières ; tandis que les chants et la mélopée du drame régulier sont plus conformes au génie et à l’esprit du Chinois cérémonieux. Les deux Mahométans qui visitèrent la Chine ont gardé le silence sur ce sujet, et Marc-Pol remarque seulement que, dans les fêtes de l’empereur, on voyait des bouffons, des joueurs d’instrumens et des mimes. Il est vrai qu’à cette époque le trône était aussi occupé par une dynastie tartare.

Les divers voyageurs que nous avons cités n’ont pu se tromper en ce qui concerne purement le spectacle ; il est probable cependant qu’on doit rabattre quelque chose de leurs récits, à cause de leur ignorance de la langue. Ils ont pu peindre avec exactitude les absurdités qui frappent la vue, mais faute de comprendre le dialogue du drame régulier, ils ont dû n’y prendre aucun intérêt ; les Européens n’ont donc eu jusqu’ici que peu de moyens de porter un jugement correct sur ses défauts ou ses mérites. Avant la pièce que nous offrons aujourd’hui au public, la traduction abrégée d’un seul drame, publiée par le père Prémare, de l’ordre des jésuites, était l’unique échantillon de cette espèce de composition. Ce drame, intitulé l’Orphelin de Tchao, est pris dans la collection des cent pièces écrites sur la dynastie des Youan[6] dans le quatorzième siècle. Voltaire qui en adapta le sujet aux règles de la scène française, la considère comme un monument précieux de la littérature chinoise à une époque reculée ; et, en effet, quelque barbare qu’elle soit, si on la juge d’après les progrès modernes de l’art dramatique en Europe, elle est infiniment supérieure à tout ce que l’Occident avait produit à l’époque contemporaine. Il pense qu’elle égale au moins toutes les tragédies anglaises et espagnoles du dix-septième siècle, et il fait la remarque, qu’ainsi que dans les farces monstrueuses de Shakespeare et de Lopez de Vega, qui ont été appelées tragédies, l’action de la pièce chinoise dure vingt-cinq ans.

Quelque monstrueuses cependant qu’elles puissent être, il est peu d’Anglais qui voulussent échanger la plus médiocre des farces de Shakespeare contre la monotonie pesante et la déclamation ampoulée de la meilleure tragédie de Voltaire[7]. Il admet, qu’en dépit de l’improbabilité des circonstances de l’action, on trouve dans l’Orphelin de Tchao quelque chose qui nous attache et qui nous intéresse, et que, malgré la foule innombrable d’événemens, ils sont tous exposés d’une manière claire et distincte ; mais voilà seulement, selon lui, en quoi consiste son mérite, car il n’y trouve d’ailleurs ni unité de temps et d’action, ni sentimens, ni caractères, ni éloquence, ni passions. Il est vrai que la traduction du père Premare est à peu près dépourvue de tout cela, parce qu’il a omis toute la partie poétique de l’original, c’est-à-dire ces passages que l’on a comparés aux chœurs du théâtre grec, et dans lesquels se trouvent effectivement du sentiment, de la passion et de l’éloquence ; négligeant ainsi de traduire ce qu’il y a de mieux dans la pièce. Notre compatriote le docteur Hurd, dans son Traité sur l’Imitation poétique, a porté sur cette tragédie un jugement bien différent de celui de Voltaire. Il lui semble qu’elle réunit les deux qualités essentielles de la poésie dramatique, c’est à savoir : l’unité, l’intégrité de l’action et la liaison non interrompue des incidens. « Car d’abord, dit-il, l’action en est strictement une. La destruction de la maison de Tchao est le seul événement qui fixe notre attention dès le commencement de la pièce ; nous la voyons préparée et conduite graduellement, et la tragédie finit dès qu’elle est complète. En second lieu, l’action marche avec autant de rapidité qu’en exige Aristote lui-même. » Le docteur fait ensuite remarquer sa ressemblance sur plusieurs points avec l’Électre de Sophocle, « principalement, ajoute-t-il, par l’introduction dans les endroits passionnés de chants poétiques qui s’élèvent pompeusement jusqu’au sublime, et qui ont le caractère du chœur des anciens. » Si le père Prémare nous avait donné dans sa traduction un plus grand nombre de ces morceaux lyriques, il est probable que le docteur Hurd aurait trouvé la ressemblance encore plus frappante.

La comédie du Vieillard, auquel il naît un héritier, est la représentation d’une action prise dans la vie domestique. C’est une histoire simple, simplement exposée, dans laquelle les mœurs et les sentimens des Chinois sont peints et exprimés avec fidélité, d’une manière naturelle et dans un style convenable. Le lecteur européen doit cependant, pour bien entrer dans l’esprit de cette pièce, se pénétrer de deux idées. La première c’est que parmi les Chinois la piété filiale est la plus essentielle des vertus, que le plus grand des crimes est d’en manquer[8] ; qu’elle est la base sur laquelle reposent toutes les institutions religieuses, morales et civiles de l’empire ; que le plus grand malheur qu’un homme puisse éprouver, c’est de n’avoir point de fils pour honorer et consoler ses parens parvenus à la vieillesse, et pour visiter annuellement leurs tombeaux après leur mort. — La seconde c’est que, pour lui fournir les moyens d’avoir un fils[9], les lois permettent à un homme de prendre des femmes d’une condition inférieure, ou des concubines qui sont, pour l’ordinaire, achetées de parens pauvres ; ces femmes n’ont aucun droit personnel ; leurs enfans sont considérés comme appartenant à la femme légitime à laquelle ils donnent le nom de mère, et ils jouissent des mêmes rang et priviléges que les siens propres.

Les personnages de cette comédie sont tous membres de la même famille, et choisis dans l’ordre moyen de la société. L’action en est une et entière, et tous les incidens sont étroitement liés à la fable qui roule sur le malheur de n’avoir point d’héritier pour remplir les devoirs que la piété filiale commande envers les vivans et les morts. La durée de l’action est de trois ans ; mais les événemens se suivent d’une manière si naturelle et avec tant de rapidité, qu’on ne s’aperçoit point du temps qui a dû s’écouler entre le commencement et la fin, si ce n’est par l’âge de l’enfant qui paraît au dénouement. La division des scènes et des actes est aussi convenable que celle d’un drame européen. Les sentimens sont exprimés d’une manière naturelle, souvent douce et touchante, et toujours conforme aux principes de la vertu. Le traducteur annonce qu’il a supprimé un petit nombre de passages d’une indécence grossière. Les Chinois, malgré leur extrême politesse, ne sont point délicats dans leurs expressions, et nous avons déjà dit que, par une peinture trop exacte de la nature et des faits, leurs spectacles blessent fréquemment la décence, et, comme dit M. Deguignes, « ils mettent dans leurs scènes trop de vérité. »

Les morceaux de poésie lyrique, plus nombreux dans la tragédie que dans la comédie, et qui ont tant de ressemblance avec les chœurs du théâtre grec, sont chantés de même avec accompagnement. Le traducteur semble croire que leur but principal est de plaire à l’oreille, et que le sens у est souvent sacrifié au son. Si cette idée est fondée, il ne nous faudra pas aller aussi loin de chez nous pour trouver des exemples du même genre. Peut-être que l’obscurité de ces morceaux lyriques est causée par la nature de la langue écrite, dans laquelle les associations d’idées sont plutôt présentées à l’œil et à la mémoire qu’à l’oreille, par une combinaison de signes ou de symboles, du choix desquels doit dépendre la force de l’expression. M. Morrison remarque, « que sans une grande connaissance de leur ancienne poésie, ainsi que du pays, il est très-difficile de comprendre leurs compositions poétiques. Souvent la beauté et le sens du passage dépendent uniquement d’une allusion qu’un étranger ne peut apercevoir. À cette difficulté se joint en outre celle de la concision particulière du style et de l’emploi de mots peu usités. » (Morrison’s Chinese Grammar, pag. 275.)

Le prologue d’un drame chinois, dans lequel les principaux personnages viennent décliner leurs noms et faire connaître l’argument de la fable sur laquelle l’action est fondée, ressemble beaucoup également à celui des pièces grecques, et particulièrement à ceux d’Euripide.

Le dialogue de la comédie chinoise est dans le ton de la conversation ordinaire ; mais dans le genre supérieur des pièces historiques et tragiques, la voix s’élève beaucoup au-dessus de ce ton naturel, et se maintient dans une sorte de monotonie plaintive qui a de l’analogie avec le récitatif italien, mais qui manque de ses modulations et de ses cadences. Les sentimens de joie, de chagrin, d’amour, de haine, de vengeance, etc., sont ordinairement exprimés en vers lyriques, et chantés sur des airs doux ou éclatans, suivant la situation du personnage. Un orchestre placé au fond du théâtre accompagne les voix avec une musique bruyante.

Quels que soient du reste les défauts ou le mérite de la comédie des chinois, elle est sans aucun doute de leur invention. Le seul peuple auquel ils auraient pu en emprunter quelque chose, est celui de l’Hindoustan, de chez lequel ils ont importé la religion de Bouddha ; mais si pous en jugeons par la seule pièce Hindoue que nous connaissons, celle de Sakountalâ[10], traduite du sanskrit en anglais par sir W. Jones, d’une manière, dit-on, assez libre, il n’y a pas la moindre raison de supposer que l’une a été imitée de l’autre, puisque la pièce Hindoue diffère encore plus des pièces chinoises que celles-ci des tragédies ou comédies des Grecs, des Romains, des Anglais, des Italiens, etc. On trouve en effet, entre leurs genres, une différence très-caractéristique : le Chinois s’attache très-strictement à la nature, et peint des mœurs locales et des sentimens humains, tandis que l’Hndou, au contraire, s’élance au-delà de ces bornes naturelles dans le labyrinthe d’une mythologie compliquée et inextricable.

  1. M. Abel-Rémusat, rendant compte de la traduction de M. Davis, dit : « L’auteur paraît vouloir profiter des progrès qu’il a faits dans l’étude du Chinois pour transmettre à ses compatriotes quelques-unes de ces productions légères que les missionnaires et les autres savans ont trop négligées. C’est là sinon une des plus utiles, au moins une des plus agréables applications de l’étude des langues. On voit avec plaisir les personnes qui se trouvent au milieu des naturels entreprendre ces sortes de travaux ; ils n’exigent pas ce genre de recherches auxquelles il serait impossible de se livrer dans ces contrées lointaines où l’on est privé du secours de nos bibliothèques, et ils demandent au contraire, par rapport aux expressions populaires, aux proverbes, aux allusions, ces notions locales auxquelles les connaissances les plus profondes acquises dans les livres ne peuvent suppléer qu’imparfaitement. »
    (Journal des Savans, janvier 1918.) (T. F.))
  2. Le révérend Morrisson dit (dans l’Introduction de sa Grammaire, page xj) : « Pour transmettre les idées à l’esprit par l’intermédiaire de l’œil, l’écriture chinoise convient aussi pleinement que les systèmes alphabétiques de l’Occident, et les surpasse peut-être à quelques égards. Comme la vue est plus prompte que l’ouïe, les idées arrivées par l’œil à l’esprit sont plus subites, plus frappantes et plus vives que celles qui lui parviennent par les progrès moins rapides du son. Le caractère forme un trait qui est réellement beau et expressif, ou que de hardies associations font considérer comme tel. L’écriture chinoise darde sur l’esprit ainsi qu’un éclair, et elle a une force et une beauté dont le langage alphabétique n’est pas susceptible. Elle est surtout plus permanente que ce dernier système qui varie continuellement ses sons, suivant la prononciation toujours changeante de chaque voix. Peut-être la langue écrite des Chinois a-t-elle en quelque mesure contribué à l’unité de cette nation, » (T. F.)
  3. Ho-tchoung-loung, ou Ho-kouen, favori de l’empereur Khian-loung, était un Tartare de basse extraction ; il avait d’abord servi dans la garde impériale en qualité de soldat. Un jour qu’il était en faction aux portes du palais, sa bonne mine ayant frappé l’empereur, il le rapprocha de sa personne par un de ces caprices si communs chez les despotes de l’Orient. Cependant les talens du soldat justifièrent bientôt le choix du monarque ; sa faveur n’eut plus de bornes, et il posséda jusqu’à l’abdication de son maître presque tout le pouvoir de l’empire. Néanmoins la prudence et la fermeté de Khian-loung surent contenir dans les limites de la dépendance le génie ambitieux et entreprenant de son favori, et si celui-ci abusa de son influence, ce ne fut que lorsque l’âge avancé de l’empereur ne lui permit plus de tenir d’une main ferme les rênes du gouvernement. Kia-Khing, l’empereur aujourd’hui régnant, ayant succédé à son père, signala le commencement de son règne par la disgrâce éclatante de Ho-kouen, qui fut bientôt arrêté, plongé dans une prison, et renvoyé ensuite par un décret impérial devant le conseil suprême extraordinaire, pour y être jugé sur seize chefs d’accusation énumérés dans le décret. Ce tribunal le trouvant, conformément au vœu du prince, coupable du crime de haute trahison, le condamna à subir une mort lente et douloureuse ; mais le céleste empereur considérant le poste éminent qu’il avait rempli, et n’écoutant que sa clémence, daigna commuer sa peine, et sa royale indulgence permit à Ho-kouen d’être lui-même son propre exécuteur. C’est ainsi que perit cet homme, le plus opulent sans doute de tous les favoris des rois ; car, indépendamment de la valeur de ses terres, de ses maisons et de ses immenses propriétés, on trouva dans son trésor, en bijoux et en espèces, environ quatre-vingt millions d’onces, ce qui revient à-peu-près à cent soixante millions de notre monnaie. (T. F.)
  4. Le Quarterly Review, no XXXII, avril 1817, contient ce qui suit relativennent à ce poëme :
     « L’éditeur de la traduction du drame chinois, intitulé : Laou seng-uhr, fait mention d’un poëme écrit par un Chinois, et intitulé : Londres, lequel a été aussi traduit par M. Davis. Nous nous sommes procurés une copie de ce poëme, ou plutôt de la portion que M. Davis en a traduite. Quoique les observations de l’auteur soient en général justes, cependant, comme il ignorait notre langue, elles proviennent entièrement de ce qui a été communiqué à son esprit par l’intermédiaire de ses yeux. En voici quelques passages :
     » Les salles de spectacle des Anglais, dit-il, toujours fermées pendant le jour, ne s’ouvrent que la nuit. Le visage de leurs acteurs est très-beau ; leurs habits sont brodés et magnifiques ; ils chantent en accord parfait avec la musique, et dansent au son des tambours et des flûtes. Ces représentations sont délicieuses à l’extrême, et tous les spectateurs en sortent l’air satisfait et avec le sourire sur les lèvres. » Il ajoute dans une note « que tous les rangs se mêlent à ces spectacles, et paient un prix fixe pour y assister ; que les décorations sont peintes et représentent des maisons et des arbres ; qu’on les change souvent, et que les rôles de femmes sont remplis par des actrices. » — Il dit d’un pont de la « Tamise qu’il résiste au courant, forme une communication de l’une à l’autre rive ; les navires et les bateaux passent sous ses arches ; les hommes et les chevaux qui le traversent marchent parmi les nuages ; mille masses de pierres s’élèvent l’une sur l’autre, et la rivière coule par neuf canaux. Le pont de Lo-yang, qui surpasse tous les autres ponts du monde, à la même forme que celui-ci. » Cependant il ajoute en note « que le pont de Lo-yang dans Fo-kien est le plus beau qui existe. »
     Il fait la remarque « que les maisons en Angleterre sont si hautes que de leurs toits on peut cueillir les étoiles ; que dans les quatre jours sacrés du mois le peuple se pare de ses meilleurs habits et se rend dans les temples ; que les vertueux lisent leur livre saint, qu’ils appellent Petee to kot (Pray to God. Prier Dieu) ; que l’apparence du pays est superbe, les collines s’élevant les unes au-dessus des autres d’une manière charmante à voir ; que les petites filles ont des joues de rose et un très-beau teint ; que les hommes et les femmes se marient selon leur choix ; qu’ils s’aiment et se respectent, et qu’il n’y a pas de secondes femmes ; qu’on fauche l’herbe, et qu’on la fait sécher pour nourrir les bestiaux durant l’hiver, lorsqu’il y a de la gelée et de la neige ; que les hommes et les femmes se promènent ensemble dans les champs pour y cueillir des fleurs ; que les pauvres femmes, au temps de la moisson, ramassent les épis qui sont restés à terre, et chantent en s’en retournant à la maison ; et qu’au printemps et en automne on se recommande les uns aux autres de rentrer de bonne heure, de peur de s’égarer au milieu des brouillards, etc., etc. » (T. F.)
  5. « Si le théâtre, dit M. Abel-Rémusat (Journal des Savans, janvier 1818), a été depuis longtemps établi à la Chine, il n’y a jamais été en honneur, et loin qu’on le considère comme une école de morale et de vertu, on n’y voit qu’un amusement frivole et dangereux, contraire à la gravité, à la décence, et pernicieux aux bonnes mœurs. Les lettres n’ont jamais cessé de déclamer contre les jeux des bateleurs et des comédiens, car la même expression les désigne indifféremment ; mais ces déclamations n’empêchent pas qu’il n’y ait partout des comédiens ambulans qui vont, chez ceux qui les appellent jouer des farces, ou représenter des tragédies ; il est même du bel usage de les faire venir dans les repas de cérémonie, pour divertir les convives, et ils sont admis jusque dans le palais de l’empereur, où ils servent, concurremment avec les marionnettes, les ombres mécaniques et les danseurs de corde, à l’amusement de la cour et des ambassadeurs étrangers. C’est qu’à la Chine on ne fait aucune difficulté de se montrer peu conséquent à ses principes, et qu’on y est, comme ailleurs, beaucoup plus sévère en théorie qu’en pratique.
     Néanmoins, comme il n’y a jamais eu de théâtre public dans l’empire, et comme une telle institution est trop en opposition avec les lois, les usages et les préjugés nationaux pour pouvoir jamais s’y introduire, on conçoit que l’art dramatique a dû souffrir du peu d’importance qu’on met à ses productions. Ce n’est pas une simple tolérance ou l’accueil secret de quelques particuliers qui peut faire naître des chefs-d’æuvre en ce genre : Il faut aux auteurs et aux comédiens des fêtes solennelles, le concours d’un grand nombre de spectateurs, des éloges publics, des applaudissemens universels. La police chinoise serait renversée de fond en comble si des histrions obtenaient ces encouragemens. Les auteurs comiques se ressentent de la même influence, et si ceux qui jouent les pièces de théâtre sont assimilés aux bateleurs, ceux qui les composent sont relégués, avec les romanciers et les auteurs de poésies légères, dans la dernière classe de la littérature. Quoiqu’en dise l’éditeur anglais, les ouvrages de pur agrément sont comptés pour peu de chose par les Chinois, etc. » (T. F.)
  6. Cette dynastie paryint au trône en 1260, et cessa de régner en 1333.
  7. Voici encore un exemple de ces exagérations produites par l’amour-propre national, dont l’excès, comme celui de toutes les passions, ne saurait être approuvé par la raison et par la critique éclairée. Ce n’est point ici le lieu d’examiner lequel des deux systèmes dramatiques, de celui des Français ou des Anglais mérite la préférence, et laquelle doit l’emporter de la littérature classique ou romantique. Nous nous plaisons à reconnaître toutes les qualités élevées du génie de Shakespeare, dont la hardiesse, la sublimité et le pouvoir même d’expression sont dans une foule de passages comparables à tout ce que les plus grands poètes ont produit d’achevé ; mais on ne saurait disconvenir que, pris très-souvent d’un sommeil léthargique, il se prive du secours du flambeau divin qui l’éclairait, et qu’il tombe alors de toute sa hauteur dans les abîmes de la bassesse et du mauvais goût. Son excuse se trouve tout naturellement dans son défaut d’éducation et dans son ignorance de tous les modèles, et, le compare aux autres auteurs dramatiques de son temps, on le voit par les seules forces de son esprit planer au-dessus d’eux comme l’archange de Milton, pétri de lumières et de ténèbres. Voltaire a quelquefois rendu justice à ce qui, dans Shakespeare, est digne d’une admiration indépendante des lieux et des temps, mais plus fréquemment sans doute, condamnant ses écarts et ses défauts, d’après les principes d’une civilisation supérieure, il en a parlé avec ce mépris insultant et ironique qui lui est très-familier, et qu’il a de même prodigué avec une frivolité condamnable aux choses les plus respectées. Il nous semble que lord Byron, l’un des poètes anglais les plus remarquables de nos jours, a peint avec une précision et une vérité singulière cette disposition d’esprit de Voltaire, et qu’on ne saurait combiner avec une plus juste mesure le bien et le mal qu’on peut dire de lui.

    …(He) was fire and fickleness ; a child,
    Most mutable in wishes, but in mind
    A wit as various gay, grave, sage, or wild
    Historian, hard, philosopher, combined ;
    He multiplied himself among mankind,
    The proteus of their talents : but his own
    Breathed most in ridicule, which as the wind
    Blew where it listed, laying all things prone
    Now to o’erthrow a foul, and now to shake a throne.

    Childe Harold. Canto III).

    — « Composé d’ardeur et de légèreté, enfant inconstant dans ses désirs, et bel esprit aussi variable. — Grave, enjoué, sage ou fou ; tout à la fois historien, poète et philosophe, il se multipliait lui-même aux yeux des hommes, et semblait être le Protée de leurs talens. Mais le sien respirait mieux dans le ridicule, et, tel que le vent soufflant au gré de son caprice, il renversait tout indistinctement devant lui, soit qu’il n’eût qu’à faire tomber un sot, soit qu’il voulût ébranler un trône. »
     Un système moderne de littérature qui, comme tous les systèmes, est composé de vrai et de faux, a prétendu diviniser, pour ainsi dire sans exception jusqu’aux vices les plus saillans de toutes les pièces de Shakespeare, que Voltaire appelait des farces monstrueuses, à cause surtout du mélange de tous les tons et de l’ignorance des règles que nous avons, à tort ou à raison, empruntées des anciens. Remplis d’estime pour les beautés éclatantes et nombreuses des chefs-d’œuvre de Shakespeare, nous ne lui savons point mauvais gré de s’être livré aux seules impulsions de son génie natif, de n’avoir suivi aucun modèle, de ne s’être point attaché aux formes et aux convenances particulières de tel ou tel théâtre ; d’être demeuré fidèle à ce qu’on a voulu appeler la réalité du siècle où il vivait, sans songer à satisfaire le goût des autres peuples, ou à s’offrir à l’admiration des races futures. Nous pensons aussi que nul n’a mieux réussi que lui à pénétrer dans tous les replis de l’âme humaine, et à y chercher toutes les modifications des passions et des caractères ; mais nous osons croire en même temps qu’il a poussé, sans s’en douter lui-même, la liberté romantique jusqu’à la licence la plus effrénée, et qu’il a allié trop souvent tout ce qu’il peut y avoir de plus haut et de plus sublime dans les conceptions humaines, avec ce qui doit le plus dégoûter par sa bassesse repoussante, non seulement un lecteur poli, mais tout esprit pur, droit et ami impartial de la beauté véritable, qui consiste invariablement dans l’ordre, la régularité et l’harmonie. Sans doute que la vertu et le vice sont éminemment poétiques, et Shakespeare les a peint avec les couleurs les plus exaltées ; mais peut-on de bonne foi soutenir qu’il n’a individualisé dans ses peintures qu’un beau idéal. Et qu’ont de commun avec le beau idéal les scènes du portier de Macbeth, des fossoyeurs d’Hamlet, des viles courtisanes amies de Falstaff, et tant d’autres représentations de mœurs et de caractères ignobles, qui, loin de s’élever à l’idéal, ne sont que des tableaux trop réels choisis parmi ce que nos dégénérescences sociales ont de plus trivial et de plus immonde ? Vainement pour excuser ces défauts de l’art voudra-t-on alléguer l’effet piquant des contrastes ; on ne peut, dans aucune composition, en admettre d’aussi discordans. Rubens et le Titien ne passent d’une couleur à l’autre que par des teintes intermédiaires. Il est un choix heureux à faire dans ce qui est haut, comme dans ce qui est humble. Un mendiant vieux, faible et demi-nu peut, avec ses membres défaillans et ses longs cheveux blanchis par l’âge et la souffrance, figurer noblement et poétiquement aux genoux d’une vierge de Raphaël rayonnante d’une beauté céleste et d’une jeunesse immortelle ; mais un savetier de Bega, le front empreint de toutes les couleurs de la débauche, mais un hideux ivrogne de Crasbeck satisfaisant aux plus sales besoins, quelle que soit d’ailleurs l’odieuse vérité de leur attitude et de leur individualité, ne seraient qu’une tache abominable dans un tableau du divin élève du Perugin.
     En résultat, et pour ne pas nous enfoncer dans une discussion qui, comme tant d’autres, n’apporterait aucun changement dans les opinions exagérées des partis, nous nous bornerons à professer notre admiration sincère pour tout ce qu’il y a de grand et de louable dans Shakespeare ; et, sans établir de ces comparaisons dans lesquelles la palme de l’excellence est toujours décernée d’avance par les préjugés, les principes ou les motifs particuliers de celui qui les fait, nous nous bornerons à croire, malgré l’assertion de l’éditeur anglais, que tout esprit sain et non prévenu, à quelque pays qu’il appartienne, préférera la monotonie pesante et la déclamation ampoulée de Mérope, d’Alzire, d’Oreste, etc., à la confusion et à la barbarie de Troïle et Cresside, d’Antoine et Cléopâtre, de Titus Andronicus et de beaucoup d’autres pièces aussi médiocres du poète anglais. (T. F.)

  8. Les Annales historiques de la Chine sont remplies des traits les plus touchans de l’amour et du dévouement des enfans envers leurs parens ; c’est sur ce sentiment et sur la hiérarchie de famille qu’est fondée toute la constitution de l’empire. Les moralistes chinois placent le type de cette harmonie dans l’union du ciel et de la terre qui produit et nourrit toutes les créatures.
     La première maxime de l’Édit sacré de l’empereur Khang-hi, lu au peuple assemblé le 1er et le 15 de chaque mois, est celle-ci :
     — « Observez avec respect tous les devoirs filiaux et paternels, afin de donner une importance convenable aux relations de la vie. »
     l’empereur Young-tching, fils du précédent, a paraphrasé cette belle maxime de la manière suivante :
     « Notre père sacré, le bienveillant empereur, a régné soixante-un ans il imita ses ancêtres, il honora ses parens, et sa piété filiale n’eut point de bornes, Il commenta le Hiao-king ; il en expliqua le texte ; il en éclaircit la doctrine. Il pensait que l’unique ressort du gouvernement était la piété filiale. De là vient que la première maxime de son Édit sacré en recommande les devoirs. Ayant succédé aux soins de sa puissance, en rappelant les conseils que nous en avons reçus, nous avons développé le sens de ses instructions, et, à son exemple, nous commençons maintenant par proclamer devant vous, soldats et peuple, la doctrine des devoirs filiaux et fraternels.
     » La piété filiale est fondée sur les décrets immuables du ciel, sur les opérations correspondantes de la terre, et sur les obligations imposées à tous les hommes. Ceux qui manquent de cette vertu n’ont-ils jamais réfléchi à l’affection naturelle des parens pour leurs enfans ?
     » L’enfant qui n’a point encore été privé des tendres embrassemens de ses parens a faim, il ne peut lui-même trouver sa nourriture ; il a froid, il ne saurait se vêtir : mais son père et sa mère sont là : ils sont attentifs à ses moindres cris ; ils examinent le ton de sa voix ; ils contemplent sa physionomie et observent son teint. S’il sourit, leur cœur est rempli de joie ; s’il pleure, les voilà tout contristés. S’il s’essaie à marcher, ils suivent ses moindres mouvemens sans en perdre un seul pas ; s’il est malade, le repos et l’appétit sont perdus pour eux. Ils le nourrissent, ils l’instruisent jusqu’à ce qu’ils en aient fait un homme ; ils le marient alors, ils lui donnent une maison ; ils se tourmentent en cent façons pour l’établir, pour assurer son existence ; toutes les forces de leurs corps s’épuisent. Oh ! la vertu d’un père et d’une mère est vraiment infinie ; elle est comme le ciel suprême. »
     (Voyez l’Édit sacré, traduit du chinois en anglais, par le révérend W. Milue, missionnaire-protestant à Malacca, Londres, 1817.) (T. F.)
  9. Les Chinois craignent si fort de mourir sans laisser de fils qui garde leur mémoire et accomplisse sur leurs tombeaux les rites funèbres, que les magistrats eux-mêmes prennent quelquefois pitié du sort des criminels qui se trouvent dans ce cas. On en voit des exemples dans les histoires chinoises, et en voici une qui se trouve consignée dans la compilation de Duhalde. Un homme avait commis un meurtre, et il avait été jeté en prison. Tchin, alors magistrat du lieu, voyant que ce malheureux serait infailliblement condamné à mort, et sachant qu’il n’avait point d’enfans, ordonna que la femme fût réunie à son mari et enfermée avec lui. Avant la fin de l’année, elle eut un fils ; et tout le monde loua la bonté du magistrat, qui allait jusqu’à prendre soin de procurer à un criminel la consolation de ne pas mourir sans postérité.
    (Description de la Chine, éd. in-4o, 1.3, p. 228.) (T. F.)
  10. Sakountalâ, ou l’Anneau enchanté, drame en six actes, de Kâlidasâ. Il en existe une traduction française, faite d’après la version anglaise de sir William Jones.
     Sir William Jones nous apprend que les pièces du théâtre indien (désignées par le nom générique de Nàtaka, et qui font partie des Kàvia, ou écrits poétiques,) sont aussi nombreuses que celles de nos théâtres européens. Elles étaient autrefois représentées devant les rajàha dans leurs assemblées publiques. L’art dramatique chez les Hindous paraît remonter à une époque très-reculée, et ils en attribuent l’invention à un sage inspiré, nommé Bherêt, également auteur d’un système musical qui porte son nom. Les pièces indiennes sont mêlées de prose et de vers, et écrites à la fois en plusieurs dialectes. Les dieux et les personnages élevés parlent sanskrit ; les femmes, les bons génies, le prakrit ; les mauvais génies, païsàtchî ; les hommes des basses tribus et les autres, mâgadhi. Tous ces divers dialectes sont dérivés du sanskrit.
     On attribue à Kâlidasâ deux autres poëmes dramatiques, savoir, un drame intitulé : Ourvasi, nom d’une des nymphes du Swerga (ou ciel inférieur,) et une comédie appelée Hasyârnava, ou la Mer des railleries. Il est en outre l’auteur d’un grand nombre de poëmes très-estimés sur différens sujets, dont deux seulement sont connus en anglais, savoir : Le Mégha doûta, ou Nuage voyageur, traduit en vers par M. H. Wilson, et la Nalodaya, poëme en quatre chants, comprenant deux cent vingt couplets ou stances sur les Aventures de Nala et Damayantí. À proprement parler, l’Histoire de Nala et Damayantí n’est point la traduction du poëme de Kâlidâsa, mais une version anglaise, faite par M. Kindersley de Madras, de cette même fable, d’après un auteur qui l’a écrite dans un dialecte provincial.
     Il serait à désirer que les savans anglais versés dans la connaissance du sanskrit nous donnassent quelques traductions des meilleures pièces du théâtre indien, que le judicieux M. Colebrooke lui-même considère comme la partie la plus agréable de la littérature de ce peuple. Cependant depuis la publication de Sakountalâ par sir William Jones, il n’a paru en Europe que le Pradobh Tchandrodaya, ou le lever de la lune de l’intelligence, drame allégorique, traduit du sanskrit et du prakrit par le docteur Taylor, et imprimé à Londres en 1812. Ce drame est une satire piquante contre les sectes qui prévalaient dans l’Inde au temps où il fut composé par un poète nommé Krichna Misra, qui y ridiculise leurs erreurs, y expose leurs vices et y réfute leurs systèmes. Ces sectes présentées et combattues comme hérétiques, sont les Jainas, les Bouddhistes, et celles qui s’adonnent au culte exclusif de Bâgbesa. Il y a dans la conception, ainsi que dans l’exécution de cet ouvrage quelque chose qui rappelle la manière d’Aristophane.
     À l’exception de ces deux drames hindous, nous ne connaissons plus que les titres de quelques-unes de leurs pièces et un petit nombre de passages du chef-d'œuvre de Bhavabhûti, intitulé : Málatimádhava, extraits par M. Colebrooke, et cités dans son Essai sur la poésie sanskrit et prakrit. Recherches asiatiques, tom. 10. (T. F.)