Anonyme
s. n. (p. 7).


No. 3. LE COUCHER DE LA VAPOREUSE.

Une Fermiere-générale, qui a cru s’élever infiniment en ſe donnant tous les Seigneurs qui ont pu vouloir d’elle, s’eſt harraſſée à ce petit jeu, et prend ſon état de maraſme pour des vapeurs. Le remède qu’on oppoſe ordinairement avec ſuccès à cette maladie, eſt ſi doux que certain ſoir, le Docteur Madré, médecin de la dame, vient aiſément à bout de lui perſuader qu’elle doit, pour ſa ſanté, retenir à coucher quelqu’un des hommes qui ont ſoupé chez elle. Cependant Mad. de Pillenſac eſt fort embarraſſée. Elle eſt vivement lancée, depuis quelques jours, par le fier Duc de Bellemontre et par un gros réjoui de Comte de Lyon, dont on tait le nom par reſpect pour la calotte. Le docteur prétend que le choix étant une affaire de ſanté, la convenance déciſive doit être la plus grande aptitude de l’un de ces Meſſieurs à traiter une vaporeuſe. M. le Duc, qui ſe croit ſuperbe, étale avec beaucoup de confiance ſa pharmacie ; le Comte, avec moins de prétention, en fait autant ; mais il eſt ſupérieur à tous égards. Juſques-là, Mad. de Pillenſac avoit, in petto, donné la pomme à M. le Duc : ce n’eſt plus le cas, lorſqu’il s’agit de guérir, il faut pour le coup être raiſonnable et ſe ſacrifier : le Comte eſt préféré ; un regard furtif ſemble dire au perdant : « En ſanté, cher Duc, c’eſt vous que j’aurois gardé, mais… » La main dont la malade a ſaiſi le Comte, acheve la phraſe. Mons. Madré, qui craint de s’être fait un ennemi du Duc, eſt ſur le point de dire : « Peut être Madame feroit-elle bien de prendre cette nuit les deux remèdes ?… » Cependant il n’oſe ouvrir cet avis, de peur que Mad. de Pillenſac, qui a des mœurs, ne ſe croye offenſée, et ne le faſſe peut-être jetter par les fenêtres. L’une des femmes-de-chambre, émouſtillée à la vue du bel engin de M. le Duc, perd la tête et ſe ſoulage au moyen d’une petite manœuvre qui trompe, pour un moment, les deſirs. L’autre femme ſonge à glaner dans cette aventure après ſa maîtreſſe. Ce projet va s’exécuter ; on en voit le ſuccès dans le croquis ſuivant.