Calmann Lévy (p. 166-169).
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VI


Le mariage de Guy et d’Hélène se fit avec simplicité, l’après-midi d’un samedi. On rentra pour dîner et l’on passa la soirée comme si rien de nouveau n’était survenu dans la maison.

Romain, deux ou trois fois, prit la main d’Hélène et l’appela ma fille ! Madame, vint aussi naturellement, plus peut-être, aux lèvres des amis de la jeune femme, que mademoiselle. Martial seul prononçait ce madame avec un bonheur étonné.

Ce fut Guy le premier, ce soir-là, qui sortit de chez Hélène. Il embrassa ses amis les plus chers, et leur dit adieu, sans qu’aucun, par un mot, par un signe, essayât de le retenir. Il obtint du plus jeune d’entre eux la promesse que chaque semaine il lui écrirait le récit des samedis de sa femme, demandant à goûter, jusque dans Vérone, dit-il, la crème de l’esprit parisien.

« Démodé, poncif, exportation, bon pour l’étranger ! » lui crièrent ceux qui l’entendirent faire sa dernière phrase.

Il serra Hélène dans ses bras avec une émotion tendre, l’appelant comme toujours son cher camarade, son meilleur ami. La jeune femme le remercia gravement de l’honneur qu’il lui avait fait en lui donnant le nom de Romain, et ils se séparèrent.

Romain accompagna son fils à la gare :

— Mon enfant, lui dit-il, tu te joues de trop de sentiments et de trop de conventions respectées, tu es trop fou pour qu’il ne t’arrive pas malheur. Plus ton vain orgueil croit s’élever par la fantaisie et le caprice au-dessus des autres hommes, plus tu t’allèges des devoirs privés et publics, et plus tu deviens un être sans consistance, une malheureuse plume au vent ! Prends garde aux tourbillons de tes hauteurs, ils emportent, ils…

— Commandeur, vous n’êtes pas mort, je ne vous ai pas fait injure en vous offrant à souper, répliqua le jeune écervelé. Je donne aux pauvres sans condition, je n’épouserai qu’une femme, j’ai l’horreur des paysannes, et je n’ai point de dettes ! Enfin, je suis si peu don Juan — ceci entre nous, mon père ! — que neuf fois sur vingt, c’est moi que les belles abandonnent parce que je suis trop amoureux !

— Bon voyage ! cria Romain à son fils que le train emportait.

Celui-ci crut entendre : Va-t’en au diable !

— Je l’espère bien, pensa l’amoureux, en tirant de sa poche, pour le relire, le dernier billet de la marquise.

« Votre amour me brûle, écrivait-elle, et je ne sais si ce sont les feux de l’enfer ou les rayons du ciel qui m’enflamment. Êtes-vous le grand Lucifer en personne ? Accourez vite, traversez en tunnel les entrailles de vos sombres domaines, j’ai hâte d’être maudite ! Si vous êtes archange, volez par-dessus les Alpes, je lève les yeux pour vous voir descendre et je tends les bras ! »

Il partait à toute vitesse. Le père, les larmes aux yeux, était retourné chez sa fille.