La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe/38

La vie et le sport sur la Côte Nord du Bas Saint-Laurent et du Golfe (Life and sport on the north shore of the lower St. Lawrence and gulf, 1909)
Traduction par Nazaire LeVasseur (1848-1927).
Garneau (p. 299-303).

Autre chasse facile au loup dans le Wyoming



AU mois d’octobre 1882, au cours d’une excursion de chasse dans ce territoire, nous campions un soir près d’une petite source sur le flanc nord de la Owl Creek Range (chaîne de la Crique-au-Hibou), sorte de saillie des montagnes de Wind River (Rivière du Vent) dans le Wyoming. L’altitude de notre camp était d’environ huit mille pieds au-dessus du niveau de la mer. Le lendemain matin, en errant à l’aventure dans les environs, je découvris des traces de gibier, daim et élan. Le baron de la Grange que j’accompagnais, prit la décision de demeurer là quelques jours pour nous approvisionner d’un peu de gibier pour notre usage et aussi pour en apporter ou en envoyer au Mess des officiers du fort Washakie.

Cette même après-midi-là, nous faisions tomber deux daims mâles, que nous paquetâmes tout entiers sur nos chevaux. En arrivant au camp, je leur enlevai la peau et j’en dépeçai les carcasses. Puis, suivant la coutume des trappeurs, j’érigeai une petite plate-forme au moyen d’arbres en fourche, pour y suspendre ces quartiers de viande, attendu qu’alors il faisait froid dans les montagnes. Durant la matinée suivante, j’abattis un autre daim, et en allant au même endroit les vider et les préparer, je remarquai que tous les débris et les pattes que j’avais jetés au rebut, avaient disparu. En continuant de plus près mes investigations je vis des pistes ou de loups ou de coyotes, mais le sol était trop dur et trop herbu pour pouvoir les bien distinguer.

Nous fîmes ensemble une sortie dans l’après-midi, mais nous n’eûmes pas de chance. À notre retour, en cheminant le long d’un petit bois, je fis lever une couvée de ce que les gens du pays appellent perdrix bleue. C’était, en effet, des perdrix au plumage foncé, Tetras obscurus. Nous n’avions pas de fusil à plomb, mais avec mon révolver j’en tuai quatre, et je les attachai aux courroies de ma selle.

En arrivant au camp, je dis à Lannigan, notre cuisinier, que nous désirions les avoir pour déjeuner le lendemain matin. Je déposai ma selle près d’une boîte en dehors de la tente du cuisinier et je m’en allai attacher mon cheval au piquet au pâturage. Nous prîmes le souper, et peu après nous nous livrions au sommeil, car nous avions à faire une sortie de bonne heure le lendemain matin.

Vers 3.30 heures du matin, j’entendis notre cuisinier aller de ci de là. Peu après, il vint à notre tente nous demander ce que nous avions fait des perdrix. Je lui répondis qu’elles étaient attachées à la selle et que je ne leur avais pas touché depuis que je les avais mises à terre avec la selle. Il me dit qu’elles n’y étaient pas, et, m’étant levé pour aller voir, je constatai en effet que c’était bien le cas. Les cordes et leurs nœuds étaient intacts, mais les perdrix étaient parties. Il y avait çà et là des plumes éparpillées, indiquant que quelqu’animal nous avait volé les perdrix.

On nous prépara autre chose pour le déjeuner et nous partîmes, mais je jurai de ne pas être en reste de politesse avec le voleur, le soir même, si c’était possible.

Nous tuâmes un autre daim ce jour-là, et le baron tira deux coups de carabine sur un élan, dans le bois, mais le manqua. Je suivis ses pistes sur une certaine distance, comptant qu’il avait pu être touché, mais je ne découvris aucune trace de sang.

Tout ceci cependant, nous avait pris du temps, et ce ne fut qu’au moment de la brune, que nous fûmes de retour au camp. Je mis de côté selle et gibier, y laissai ma carabine, et me pressai d’aller mettre nos chevaux au piquet et à l’herbe. Chemin faisant avec une longe à la main, je me mis à réfléchir à ce que je pourrais bien préparer pour cette nuit-là, à l’intention de notre voleur de perdrix. Je n’avais pas de piège d’acier ajustable pour les loups ; je décidai donc de tendre un collet, ce qui fut vite fait. Soudain, à moins de dix pieds de moi, se leva un coyote. Je vis une ligne blanchâtre se glisser dans l’herbe et sortant mon Colt, je lui envoyai deux balles, ce que je regrettai tout aussitôt : en effet, il faisait trop sombre pour être assuré de pouvoir toucher une cible fuyante aussi rapide. Je regrettai d’autant plus la chose que j’avais effrayé l’animal, et ainsi perdu la chance d’avoir mon voleur, car j’étais sûr que c’était lui qui était revenu chercher d’autres perdrix.

Quand le temps était au beau, nous prenions toujours nos repas en dehors de la tente, près d’un feu de camp, c’était plus confortable et plus gai. Ce soir-là, nous jouissions d’un bon feu très brillant, qui répandait beaucoup de clarté à certaine distance dans les environs. Ayant eu la curiosité d’aller jeter un coup d’oeil du côté ouest de la coulée, j’aperçus un gros coyote assis sur le bord d’une pente. Il était à une quarantaine de verges de moi. Je revins au foyer, sortis mon révolver, le visai avec soin et tirai. J’entendis un hurlement de douleur et la forme blanchâtre disparut derrière la hauteur. Je courus chercher mon fusil, dans l’intention d’essayer de trouver le coyote à l’aide d’une lumière, quand, à ma grande surprise, je fis lever un autre coyote près de nos selles. Ça devenait assez piquant. Ma carabine n’était pas chargée, de sorte que l’animal put s’esquiver avant que je fusse prêt.

N’ayant plus aucun indice du premier, je crus devoir ne pas m’en occuper pour le moment, mais plutôt d’essayer de rattraper le deuxième. Apparemment, le premier coup de feu ne l’avait pas effrayé et je m’imaginai qu’il allait revenir. L’idée me prit de lui tendre un appât. Je coupai un morceau du cou du daim et l’attachai solidement par le milieu avec l’une de nos longes de corde d’un demi-pouce, et de soixante pieds de long. Déposant l’appât sur le sol, à l’extrémité de la longe je fixai l’autre bout de la corde à l’une de nos selles, et je me mis au guet.

Je n’eus pas à attendre longtemps. Bientôt, on se mit à tirer sur la corde, et je pus voir le coyote à travers le clair-obscur qu’il faisait, car nous avions laissé tout exprès, notre feu baisser. Mon fusil était prêt cette fois. Je fis feu, et l’animal n’eut pas même le temps d’échapper un gémissement. Le coyote avait au cou une blessure, qui l’avait presque complètement décapité. La carabine était une Winchester Express, calibre 50 !

Le sport était devenu trop intéressant pour en rester là, et successivement jusqu’à dix heures et demie je tirai deux autres coyotes et un renard croisé. Le lendemain matin, je partis à la recherche du premier coyote ; je trouvai son cadavre dans l’herbe à peu de distance du camp. La balle l’avait frappé sur le flanc en lui cassant l’os de l’épaule et quelques côtes, et était ressortie par le dos.

Nous avions souvent entendu des coyotes hurler pendant la nuit, et d’assez près, nous semblaient-ils ; le soir, ces hurlements vous trompent beaucoup sur leur distance ; mais je les avais toujours crus trop peureux pour s’approcher près d’un feu ou d’une tente. Il est possible que notre provision de viande de daim ait attiré ceux-ci, ou qu’ils étaient bien affamés.

Les peaux des coyotes furent préparées pour être montées et emportées par le baron et être installées chez lui. Quant au renard croisé, j’en vendis la peau douze piastres, à Monsieur J.-R. Moore, traiteur au fort Washakie.

J’ai fait d’autres fois la chasse au loup, mais ces deux dernières chasses ont été les plus faciles et les plus heureuses de toutes celles que j’ai faites.