Imp. Nouvelle (assoc. ouvrière), 11, rue Cadet. (p. 79-82).

XIV

De la rue aux planches, et vice-versa.

Il s’agissait de faire dans le monde une rentrée propre et écrasante.

Pour cela il fallait remonter la garde-robe et ramasser quelques bijoux.

Peu importe que les billets de banque soient gras, et de quelles mains sales ils sortent.

Elle reprit du cœur à l’ouvrage, et c’est à peine si elle trouvait quatre ou cinq heures par semaine à accorder à son marchand de beurre, tant elle était occupée.

Entre deux opérations, elle courait chez un directeur, parce que les planches reposent un peu de la rue.

Elle fréquentait les bureaux d’omnibus, elle faisait le Louvre, la Madeleine, et elle avait son numéro d’ordre et son tarif dans certaines hospitalières maisons, tenues par des dames mûres et fort respectables ; elle y séjournait dans les prix doux.

C’était vraiment une vaillante ; elle prenait sur ses heures de sommeil et de table, pour gagner de l’argent.

L’ouvrage ne manquait pas ; une femme remuante en trouve toujours aux détours des rues et le long des boulevards, sauf quand il fait trop froid ou quand il pleut trop fort.

Au théâtre, les jours de mauvais temps sont précisément les meilleurs.

Enfin, elle trouva un engagement dans un théâtre qui n’était qu’une boîte à faillites.

Marie se montra coulante sur la question des émoluments ; l’important était de ne pas se faire oublier, et d’avoir son nom au bas d’une affiche.

Les colonnes Morris doublent la valeur d’une femme.

Quelle pitoyable grue c’était.

Et encombrante ; paralysant par méchanceté ses camarades en scène, les blessant au foyer et les débinant dehors.

Aux répétitions, elle ne savait quoi inventer pour nuire aux artistes qui jouaient avec elle ; il ne devait y avoir d’effets que pour elle ; lorsque pendant une scène elle sentait qu’un mot devait porter, ou qu’un comédien pouvait être applaudi, elle s’irritait et exigeait un changement.

— « Ça me gêne, criait-elle, ça me gêne, je ne veux pas de ça. »

Chaque fois que dans un théâtre on avait eu la faiblesse de lui laisser prendre un doigt d’autorité, elle opposait son veto à tout ce qui ne lui plaisait pas, et quand elle avait lâché son : « Ça me gêne », il fallait s’incliner sous peine de voir sauter la toiture.

Je ne me donnerai pas la tâche d’analyser la comédienne : c’était la négation absolue de l’art, et c’en était aussi la honte.

Elle disait faux, la physionomie était plate et ridicule, son regard distrait ; quant à sa démarche, elle rappelait son aventure du comte aux 3,000 francs, ce qui ferait supposer que le comte ne fut pas le seul à passer par là.

La chasse à l’homme était au fond ce qui la nourrissait le plus régulièrement ; elle prenait le gibier, sans permis, avec une audace de vieux braconnier, au nez de la gendarmerie, flairant de loin l’étranger de passage, enfin se contentant de recueillir quelque bon pochard égaré plutôt que de rentrer bredouille. Aux boulevards extérieurs, cela s’appelle l’amour au poivrier.

La concierge voulait lui faire donner congé, parce qu’elle faisait de la maison un asile de nuit.

Au théâtre, elle continuait à compromettre les pièces dans lesquelles on avait la faiblesse de lui confier un rôle un peu marquant. On se souviendra toujours des deux vestes formidables qu’elle fit remporter à des auteurs par sa façon grotesque de se démener dans les scènes dramatiques.

Elle fut un instant si ridicule cabotine que cela fît du tort à son commerce de galanterie.