Texte établi par Louis-MichaudÉditions Louis Michaud Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 7-10).


Jean Marteilhe





P ubliés à Rotterdam, en 1757, par Daniel de Superville, les Mémoires d’un protestant condamné aux Galères de France pour cause de religion écrits par lui-même, demeurèrent à peu près inconnus en France jusqu’au milieu du xixe siècle.

C’était un ouvrage que sous le règne même de Louis XVI, il n’eût pas fait bon de posséder dans sa bibliothèque. Les Mémoires étaient, par contre, très répandus dans l’émigration protestante, car on les réimprima plusieurs fois[1], et des traductions hollandaise, anglaise et allemande les avaient popularisés dans les pays de ces diverses langues[2]. On en avait même sous le titre impropre de : Die Flucht des Camisarden (La fuite du Camisard), publié à Stuttgart un abrégé édifiant à l’usage de la jeunesse et ce fut la traduction de cet abrégé, faite par un pasteur de l’église réformée de Bergerac, M. F. Vidal, qui, en 1862, attira l’attention sur l’œuvre originale de Jean Marteilhe.

C’est à partir de 1778 seulement que le nom de l’auteur avait été restitué aux Mémoires d’un protestant[3]. D’ailleurs, les Mémoires contenaient à peu près tout ce que nous savons de la vie de Jean Marteilhe. On ne peut ajouter aux renseignements qu’ils fournissent que quelques traits, grâce aux recherches de l’érudition[4].

Un des ancêtres de Jean Marteilhe était consul de Bergerac en 1563, lors de la plainte qu’élevèrent les consuls et le syndic de cette ville contre les exactions des soudards qui dévastaient la région[5].

En 1710, Jean Marteilhe et son compagnon de chaîne Bousquet informaient le consistoire de Rotterdam par lettre du 10 juillet que, pour 600 livres (273 florins), on pourrait les tirer de l’esclavage. Le magistrat, l’église d’Amsterdam et même le pensionnaire Heinsius conférèrent à ce sujet. C’était probablement une fausse espérance. D’ailleurs, certains blâmaient le rachat des galériens. La rigidité protestante le jugeait une faiblesse et aussi une faute de tactique. Court écrivait plus tard : « Si les commis de Versailles y avaient vu un moyen de s’enrichir, les galères eussent bientôt regorgé de plus de protestants qu’on n’eût pu en libérer[6]. » On ne se préoccupa donc que d’assurer la remise de secours aux galériens réformés, tandis que les intendants exerçaient leur police à découvrir les personnes qui visitaient et assistaient les forçats pour cause de religion.

S’il en faut croire M. Mestre, allié à une des arrière-petites-nièces de Jean Marteilhe, après sa libération, l’ancien forçat ne se fixa point à Amsterdam, mais établit une maison de commerce à Londres. D’après d’autres, il serait décédé à Cuylenberg en 1777, mais il semble y avoir ici confusion avec un autre Marteilhe, Daniel Marteilhe, marié à Lydie François en 1725[7].

Il semble par contre résulter d’une lettre d’août 1718 que Jean Marteilhe habitait Amsterdam à cette époque. Il Un cadran à plusieurs faces qui marquent toutes la même heure sous le soleil.
Estampe publiée en 1685.
(Bibliothèque Nationale. Estampes.)
écrivait alors à Jean Festus van Beugel et à Judith du Peyron, sa femme, nièce de ce Jacques du Peyron qui, par son testament du 9 février 1713, avait légué à son parent Jean Marteilhe sur les galères la somme de 500 florins[8]. « Ayant plu à Dieu de retirer à soi ma très honorée mère, étant décédée à Bergerac le mois dernier, je ne veux pas manquer de me rendre au devoir de vous participer mon affliction. J’ose me flatter que vous et Madame votre épouse aurez la bonté d’y prendre part. Dieu veuille par sa grâce vous conserver longues années et prospérité. Qu’il vous accorde, et à votre famille, et à tous ceux qui vous sont chers, ses précieuses faveurs dans ce monde et la gloire éternelle après la mort[9]. »

Les extraits des Mémoires d’un protestant ont été choisis parmi les pages les plus intéressantes et les plus représentatives de cet ouvrage. Il ne faut pas oublier en les lisant qu’elles sont l’œuvre d’un opposant, honnête homme et convaincu à coup sûr, mais qui pouvait moins qu’un autre échapper à ce que l’on appelait « l’esprit des Français Réfugiés ». Révoltés contre l’œuvre d’unité nationale, lésés dans leurs intérêts et dans leur liberté personnelle, ils étaient trop hostiles à Louis XIV et à ses idées de gouvernement pour nous fournir autre chose qu’un témoignage et que l’exposé du point de vue des adversaires de l’Absolutisme.

Sous ce rapport, les Mémoires de Jean Marteilhe méritent d’être lus et médités.

A. S.

  1. La Haye, 1774 ; La Haye, 1778.
  2. La traduction hollandaise parut en 1757 à Rotterdam chez J.-D. Berman et fils ; la traduction anglaise signée Willington, mais qui est une œuvre de jeunesse de Goldsmith, fut publiée la même année. La traduction allemande est insérée dans le Schicksal der Protestanten in Frankreich de F.-E. Rambach, Halle, 1760.
  3. L’édition de 1778 est augmentée d’une « clef des lettres qui signifient les noms des personnes, villes, etc. »
  4. Possesseur d’un exemplaire des Mémoires qui avait fait partie de la bibliothèque de M. Bernus, j’ai pu mettre à profit les notes dont cet érudit avait chargé les gardes et les marges.
  5. Bulletin de la Société d’histoire du protestantisme français, XXIV, 186.
  6. Bulletin de la Commission pour l’histoire des Églises wallonnes, 2e série, III, 194, article de M. Mirandolle.
  7. Note de M. Bernus.
  8. Bulletin de la Commission pour l’histoire des Églises wallonnes, I, 241, art du baron van Beugel Douglas.
  9. Bulletin de la Commission pour l’histoire des Églises wallonnes, i, 240.