Texte établi par Louis-MichaudÉditions Louis Michaud Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 5-6).


PRÉFACE





A près la Bastille, le plus grand épouvantail de l’Ancien Régime furent les galères. La vie y est terrible. « Bailler la galère pour prison à un homme, disait Jacques Aubery, c’est le mettre là pour mourir plutôt que pour être gardé, vu l’austérité de la galère où l’on couche sur l’eau et sous le ciel, avec nourriture d’eau et de biscuit. » Si la flotte manque de bras, aujourd’hui on y met ceux qui auraient dû être condamnés à mort, « vu la nécessité que le roi témoignait d’avoir des forçats. » Demain on y mettra de simples gens sans aveu, vagabonds et bohémiens « cherchant peut-être à dérober », ramassés dans les campagnes par les dragons.

Si certains jours il faut peu de chose pour y être envoyé, une fois embarqué, on ne sait guère quand ni comment on en sortira. Que signifient les arrêts de condamnation ? On y reste au delà du terme fixé à la peine. « Reboul, dit un intendant à Seignelay, est demeuré quatorze ans en galères au delà de son temps. Sa liberté pourrait lui être accordée par grâce, si vous l’avez. Monseigneur, pour agréable. »

On gracie donc seulement ceux qui ont fait leur temps, les estropiés par suite de faits de guerre, ceux qui coûtent et ne rapportent pas. Les autres doivent mourir aux galères, malgré les protestations de Fénelon, qui estime que « la justice est préférable à la chiourme ».

Quant aux galériens pour cause de religion, même estropiés, même inutiles, ils demeureront galériens. Si Jean Marteilhe et ses compagnons d’infortune ont eu leur liberté en 1713, c’est uniquement à l’intercession de la reine Anne qu’ils l’ont due et que nous devons, nous, les pages des Mémoires réimprimés ci-après.

Michelet, qui s’y connaissait en beauté littéraire, déclarait qu’ils constituaient un livre de premier ordre par la charmante naïveté du récit, l’angélique douceur, un livre écrit comme entre terre et ciel.

Les Mémoires de Jean Marteilhe sont autre chose encore. Condamné pour avoir essayé de passer la frontière. Marteilhe a ramé tour à tour sur les galères de Dunkerque et de Marseille. Il a fait route avec la chaîne de Paris et traversé toute la France en portant les manilles et la casaque rouge. Son récit est le plus curieux écho de la vie des vaincus sous le Grand Règne. C’est le seul qui nous apporte la voix des bagnes.

L’illustration de ce volume a été empruntée aux parties de la collection des Estampes de la Bibliothèque Nationale, dont des décisions récentes, sur lesquelles il faudra revenir certainement, n’ont pas encore interdit l’accès aux photographes. Nous avons eu à regretter notamment de ne pouvoir reproduire certaines gravures de la collection Hennin qui, formée à l’étranger, contient pour le xviie siècle les estampes d’opposition les plus curieuses.