La province de Québec/Chapitre VIII

Département de l’Agriculture de la province de Québec (p. 267-308).

CHAPITRE VIII


INDUSTRIES, CHEMINS DE FER

I



LA réunion de toutes les colonies de l’Amérique britannique du Nord en une seule et unique confédération, connue sous le nom officiel anglais de « Dominion of Canada », a été le point de départ d’un développement merveilleux de commerce et d’industrie pour les provinces confédérées.

Jusqu’à cette époque les provinces avaient grandi isolément, lentement, dans l’ignorance les unes des autres et n’ayant entre elles que des relations commerciales à peine ébauchées. Les communications manquaient ; les chemins de fer faisaient tout juste leur apparition ; les industries, à part celles de la pêche, des bois, des fourrures et des peaux, étaient encore à naître ; en un mot, les colonies étaient toutes dans un état d’enfance relative, et rien ne faisait présager ce que deviendrait, dans un avenir très prochain, la nouvelle confédération qui allait bientôt embrasser la moitié du continent nord-américain.


* * *


À l’origine, quatre provinces seulement, les quatre plus anciennes, constituèrent l’État naissant. C’étaient les provinces d’Ontario, de Québec, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, ces deux dernières composant avec l’île du Prince-Édouard, entrée dans la Confédération, le 1er juillet 1893, ce que l’on appelle le groupe des Provinces-Maritimes.

Le Manitoba et les Territoires du Nord-Ouest avaient été admis à faire partie de la Confédération le 15 juillet 1870, et la Colombie anglaise le 20 juillet 1871.

Le premier recensement général eut lieu en 1871 ; la population des sept provinces et des Territoires du Nord-Ouest y était portée à 3,635,024 âmes ; le deuxième recensement, celui de 1881, la portait à 4,324,810 et celui de 1891 à 4,833,239 âmes, près de cinq millions. On estime que lors du prochain recensement, qui aura lieu en 1901, la population aura atteint le chiffre de six millions d’âmes, grâce au développement énorme des mines, à la croissance prodigieuse des grandes industries qui attirent autant les bras que les capitaux, et à l’afflux de plus en plus considérable de l’émigration qui se déverse dans les provinces de l’Ouest.

II


En 1854 avait lieu entre les États-Unis d’une part, et, de l’autre, les deux provinces du Haut et du Bas-Canada (aujourd’hui Ontario et Québec) réunies sous un même gouvernement, le fameux traité de réciprocité qui donna un essor inouï à la production agricole des provinces, lui ouvrit un marché libre et sans limites dans les États de l’Union américaine, et l’attira tellement de ce côté que la valeur du commerce direct entre les provinces pendant l’année 1865, la dernière année de l’existence du traité, avait diminué d’un demi-million de dollars, comparativement à l’année 1853, celle qui avait précédé la mise en vigueur du traité. Pendant les dernières années que le traité avait été maintenu, le commerce total entre les provinces maritimes et les deux Canadas-Unis n’avait pas dépassé en moyenne deux millions de dollars par année.

Le traité de réciprocité ayant été dénoncé en 1865 par les Américains, les provinces furent amenées à se pourvoir différemment, à se donner un appui réciproque en cimentant leur union, et à constituer au moins des marchés intérieurs, en attendant des circonstances plus favorables. C’est ainsi que l’on fut conduit par la force des choses à l’établissement de la Confédération, en 1867, et à la construction de la grande ligne de chemin de fer intercolonial qui la suivit immédiatement et fut terminée en 1873.

* * *

Lors de la première année de la Confédération le commerce interprovincial ne représentait encore qu’environ quatre millions de dollars, et le commerce entre le Nord-Ouest et les provinces situées sur les rives du Saint-Laurent n’avait d’importance aucune.

Mais quels changements inattendus allaient s’accomplir dans le cours de quelques années seulement ! Déjà, en 1889, la valeur du commerce interprovincial était estimé à 80,000,000 de dollars, plus de 400 millions de francs. On l’établissait de la manière suivante, en la répartissant par sections, suivant la position géographique des provinces.


À l’ouest des provinces maritimes 
  
$26,000,000
Entre les provinces de l’Est via les chemins de fer des États-Unis 
  
1,500,000
Entre le Canada oriental et occidental, par le chemin de fer du Pacifique canadien et les chemins de fer des États-Unis 
  
24,500,000
À l’est d’Ontario et de Québec 
  
28,000,000

Total approximatif du commerce interprovincial 
  
$80,000,000

Cette valeur était calculée d’après le tonnage du commerce côtier, en supposant que chaque tonne représentât $4.25 (environ 22 fr. 50) et que le tonnage fût la mesure à peu près exacte du commerce interprovincial.

En 1894, cette valeur atteignait le chiffre de cent treize millions de dollars, ou près de 570 millions de francs. Aujourd’hui elle dépasse assurément 150 millions de dollars. Le commerce entre Ontario et Québec, par exemple, est énorme. Ceux qui visitent Montréal et Toronto, actuellement les deux métropoles commerciales du Dominion, savent quel immense échange de produits se fait entre les deux provinces qui constituent une des divisions de la Confédération pour l’estimation du commerce interprovincial. Les provinces maritimes représentent une autre division, et une troisième enfin est constituée par les vastes provinces et territoires situés à l’ouest de celle d’Ontario, c’est-à-dire à l’ouest du lac des Bois où commence la province de Manitoba, sous le 95° degré de longitude.


C’est la création des lignes de chemins de fer qui avait contribué pour la plus grande part au développement extraordinaire du commerce intercolonial, ainsi qu’à celui des industries nationales et du commerce extérieur. Pour servir d’instruments à ce commerce prodigieusement agrandi, il n’avait pas tardé à s’établir de nombreuses et puissantes lignes de steamers transatlantiques.

III

Jusqu’à l’établissement de la Confédération les provinces n’avaient réellement connu, en fait d’industries, que celles des bois, des pêcheries et des fourrures, à part quelques industries locales pour les besoins domestiques. Et cependant, d’incalculables trésors étaient enfouis dans les entrailles de ce domaine illimité dont on n’avait effleuré que légèrement la surface, sur des espaces bien étroits comparés à l’étendue générale.

Trois causes principales avaient empêché notamment la province de Québec de se développer industriellement : 1° l’absence d’une population suffisante pour mettre en valeur les richesses du sous-sol ; 2° la légende du froid ; 3° l’absence de chemins de fer.

Sans communications, il n’y a ni industrie ni commerce possible, tandis qu’avec les communications les industries naissent d’elles-mêmes et le besoin d’en créer de nouvelles se fait incessamment sentir. Il ne suffit pas de posséder des trésors, il faut pouvoir les transporter là où on les demande, là où ils peuvent être utilisés. Il fallait donc au Canada des chemins de fer qui transportassent les produits agricoles ou minéraux du sol, qui reliassent entre elles les différentes provinces.

« C’est du développement de leurs communications, dit M. Ferdinand Van Bruyssel, que sont nés aux États-Unis un mouvement industriel, une surproduction énorme qui ont attiré les hommes des vieux pays et même des Canadiens, surtout de la province de Québec qui, ne pouvant se déplacer pour aller gagner de l’argent dans leur propre pays, s’en allaient dans les États voisins, parce que la frontière était plus près, plus accessible pour eux que les autres provinces, et qu’ils y pouvaient gagner beaucoup d’argent dans l’industrie.

Pendant nombre d’années les Canadiens ne s’étaient guère appliqué qu’à la transformation des produits de la ferme. C’est ainsi que les États-Unis, avant de mettre en œuvre les matières premières prodigieusement abondantes qu’ils tirent de leur vaste territoire, ont été avant tout un pays de producteurs agricoles. »

On était très annexionniste autrefois, dans la province de Québec, avant que les industries eussent vu le jour. Pendant ce temps les Américains poursuivaient une politique d’émigration des plus vigoureuses, et leurs agents à l’étranger ne se gênaient pas de déprécier le climat canadien.


Mais l’ère des chemins de fer allait s’ouvrir. Déjà la compagnie du Grand-Tronc, l’une des plus puissantes du monde entier, avait construit à peu près 500 milles de voie ferrée dans la seule province de Québec. Bientôt allait suivre l’Intercolonial, reliant Lévis, devant Québec, aux extrémités des provinces maritimes, et enfin le grand Pacifique canadien, qui traverse tout le continent et qui, réunissant l’est à l’ouest, comme l’avait commencé l’Intercolonial, a détourné les yeux de se porter uniquement vers le nord où la province de Québec s’étend presque indéfiniment, ou vers le sud, c’est-à-dire les États voisins de la Nouvelle-Angleterre, dont les manufactures avaient absorbé plusieurs générations de travailleurs canadiens.



Chemins de Fer


I

Le premier chemin de fer canadien fut inauguré en 1836 ; il avait seize milles de longueur.

En 1856, on ne comptait encore que 71 milles de chemins de fer en exploitation.

En 1869, au lendemain de l’inauguration de la Confédération, le réseau des chemins de fer canadiens comprenait un parcours de 2,065 milles ; en 1870, 2497 milles ; en 1880, 6897 milles, et en 1892, 15,000 milles. En 1898 il était de 16,718 milles en exploitation ; à la fin du siècle, le Dominion comptera probablement 20,000 milles de voie ferrée, et peut-être au delà, si toutes les lignes aujourd’hui en construction, ou simplement projetées, sont terminées.

Ce développement, qui n’a de comparable que celui des voies ferrées américaines, donne une idée de la merveilleuse puissance commerciale et industrielle d’un pays comme le Canada, dont le sol et le sous-sol contiennent, en quantité inépuisable, les matières premières de la plupart des grandes industries modernes. On ne s’étonne pas néanmoins que le pays soit arrivé à un pareil développement de voies ferrées, quand on songe aux sommes énormes pour lesquelles le gouvernement fédéral a contribué à leur création, depuis la réunion des provinces, quoiqu’il n’ait la propriété et le contrôle que de deux lignes, celle de l’Intercolonial et celle de l’Île du Prince-Édouard.

* * *

Pour ouvrir un aussi vaste pays à la colonisation, pour le mettre en mesure de tirer parti de ses immenses ressources naturelles, il fallait le sillonner de chemins de fer d’un océan à l’autre. C’était une entreprise gigantesque qu’il était impossible de laisser à l’initiative individuelle, ni surtout au capital privé. Les administrations fédérales ont donc compris qu’il leur incombait de concourir largement, sans compter, à la construction des chemins de fer, d’y engager même l’avenir, ce que l’on peut faire sans crainte dans un pays jeune dont l’avenir se charge de faire fructifier les capitaux consacrés à son avancement.

Les contributions fédérales, pour chemins de fer, se sont élevées, en moins de trente années, à la somme fabuleuse de plus de 240 millions de dollars. Il y a actuellement au Canada 146 chemins de fer, dont un certain nombre sont reliés ensemble, d’autres loués à de grandes compagnies ; trente-trois lignes sont ainsi fusionnées, et trente-trois compagnies ont loué leurs chemins.

Le nombre de milles complétés, en 1898, était de 16,870 ; le nombre de milles en exploitation, de 16,718.

Le capital payé s’élevait à 942 millions de dollars, les recettes brutes à 60 millions et les recettes nettes à 20 millions 600 mille dollars.

II

Il y a trente ans, la province de Québec ne comptait encore que 575 milles de chemins de fer. Depuis lors, elle en a construit 2,803 de plus, avec l’aide des gouvernements provinciaux et souvent du gouvernement fédéral. La contribution fournie par les administrations provinciales a été de 15,550,200 dollars, soit 78 millions de francs à peu près, ce qui est un chiffre énorme, mis en regard des revenus limités que le pacte fédéral a laissés à la disposition de la province.

Plusieurs lignes très importantes et un certain nombre de lignes supplémentaires, qui se rattachent aux lignes principales, forment le réseau des chemins de fer de la province de Québec, lequel comprend 3,378 milles en exploitation. Ce réseau de chemins de fer complète le plus admirable système de voies naturelles, fleuves et lacs réunis par des canaux, que l’on puisse voir en aucun pays du monde.

Il y a :

Le chemin de fer Intercolonial, qui parcourt dans la province une longueur de 313 milles ;

Le Québec-Central, 215 milles ;

Le Grand-Tronc, 450 milles ;

Le chemin de fer du Sud-Est, 220 milles ;

Le Québec et Lac-Saint-Jean, 250 milles ;

Le Vermont-Central, 121 milles ;

Différentes sections du Pacifique canadien, 56 milles ;

Le Témiscouata, 70 milles : Le chemin de fer des Comtés-Unis, 60 milles ;

Le chemin de la Gatineau, 57 milles ;

Le Montréal et Occidental, 70 milles ;

Le chemin de fer de la Baie des Chaleurs, 100 milles.


La plupart de ces lignes sont encore incomplètes, ne sont qu’un premier tronçon de grandes lignes futures, comme le Québec et Lac-Saint-Jean, par exemple, qui se prolongera assurément quelque jour jusqu’à la mer de Hudson, et le Grand-Nord, qui est actuellement en construction et qui deviendra peut-être la plus importante ligne de toute la province, en ce qu’elle sera le prolongement de celle du Parry Sound, construite à travers la province d’Ontario afin de détourner, en faveur de la voie fluviale du Saint-Laurent, une partie importante de l’énorme production agricole des prairies de l’Ouest, production dont les steamers transatlantiques s’empareront dorénavant à Québec pour la transporter en Europe.

III

Quoique le fer abonde en Canada, il a été jusqu’ici d’une exploitation très difficile. Des 16,870 milles de voie ferrée qui composent le réseau du Canada, pas un seul rail en acier n’a été construit sur son propre territoire. Depuis 1867, la Confédération a importé, en fer, acier et produits manufacturés, pour 400 millions de dollars. On comprend aisément qu’il n’est pas possible que les capitaux canadiens soient drainés indéfiniment en pareille proportion.

La province de Québec n’a pas les houillères, mais elle a les chutes d’eau pour produire la force motrice. Elle renferme aussi des mines considérables de fer titanique. On avait commencé à les travailler vers 1869-70, mais on a dû y renoncer, à cause des difficultés d’exploitation et de communication. Un syndicat de riches capitalistes anglais se propose aujourd’hui de renouveler la tentative et d’essayer de faire avec le sable magnétique qui abonde sur la côte du Grand-Nord, en le mêlant avec de la terre glaise, une brique spéciale pour la construction et le pavage. Les dépôts de sable magnétique de Betsiamis, de Moisie, de Natashquan et de la rivière Saint-Jean, tous sur la côte du Labrador canadien, sont inépuisables, parce qu’ils se renouvellent incessamment ; chaque marée vient en déposer de nouveaux sur les grèves. Il en est ainsi aux forges de Radnor, près du Saint-Maurice. Ces forges sont les plus anciennes de la province. « La mine où elles se fournissent n’est pas chose banale ; c’est le fond d’un lac formé par le dépôt des nombreuses sources qui l’alimentent et qui lui arrivent, portant en suspension le fer qu’elles sont allées emprunter aux roches ferrugineuses des terrains d’où elles sortent. Cette mine, d’une exploitation bien facile, et dont les provisions se renouvellent constamment, est vraiment inépuisable et fournit un minerai de premier ordre. » (George Kaiser.)


Pont Victoria. Vue de l’intérieur.

Le Pont Victoria


Le pont Victoria d’aujourd’hui, qui traverse le fleuve Saint-Laurent, entre la Pointe Saint-Charles, à l’extrémité occidentale de Montréal, et l’endroit appelé Saint-Lambert, sur la rive opposée, est une métamorphose complète et prodigieuse du pont primitif qui avait été construit en 1860, et qu’on avait appelé alors « la huitième merveille du monde. »

Ce nom était assurément bien mérité à une époque où le génie civil était loin d’avoir acquis les audaces qu’il apporte dans ses constructions actuelles, et où il était absolument impossible, même pour les esprits les plus téméraires, de concevoir une extension commerciale aussi rapide et aussi extraordinaire que celle qui s’est accomplie durant les trois dernières décades de notre siècle.

Le pont primitif était une voie tubulaire, accessible aux trains de chemins de fer seulement. Il avait contribué, dans une mesure énorme, au développement des communications et à celui des relations commerciales qui en sont la conséquence. Il n’avait que seize pieds de largeur et pesait 9,044 tonnes. Le nouveau pont pèse 22,000 tonnes, a près de 67 pieds de largeur, une longueur de 6,592 pieds et compte 24 piles. Les travées sont au nombre de 25 ; la plus longue est celle du centre qui compte 330 pieds.

L’ancien pont n’avait que dix-huit pieds de hauteur ; le pont actuel en a jusqu’à soixante. Il porte des trains de passagers, des convois de fret, des tramways électriques, un chemin pour voitures et des trottoirs pour piétons.

Le nouveau pont Victoria, dont la construction a été terminée en 1899, est une des plus imposantes et des plus glorieuses manifestations du génie scientifique et industriel de notre époque.


Évolution dans les industries agricoles


Après l’abrogation du traité de réciprocité de 1854, les provinces britanniques n’en avaient pas moins continué d’écouler la majeure partie de leurs produits agricoles, et même une bonne proportion de leurs articles manufacturés, vers la république voisine des États-Unis. C’était un marché si commode, si rapproché, qu’on en venait même à le croire indispensable. Cela dura ainsi un quart de siècle, jusqu’en 1890, année où le Congrès américain crut devoir adopter le tarif McKinley, dont les clauses prohibitives excluaient virtuellement du marché des États-Unis les produits de la Confédération. Le pays allait entrer dans une nouvelle phase économique.

Il fallut tout d’abord chercher à se pourvoir ailleurs, trouver des marchés nouveaux, et c’est cette nécessité, mère de l’invention, qui a imprimé aux deux provinces d’Ontario et de Québec tout particulièrement un essor prodigieux. Les yeux se tournèrent vers la Grande-Bretagne dont la population prodigieusement accrue, resserrée étroitement sur un sol trop borné et désormais incapable de la nourrir, appelait avec instance les productions agricoles des autres pays. Les alarmistes, qui avaient cru voir dans l’inauguration du régime fiscal, connu sous le nom de tarif McKinley, un coup mortel porté aux industries agricoles du Canada, oubliaient sans doute qu’il existe des facteurs autrement importants que le tarif pour le développement de ces industries. Ils oubliaient la campagne éducative entreprise, depuis quelques années, par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, renseignement donné dans les institutions spéciales, la propagande active poursuivie par les bureaux du gouvernement, les renseignements de toute sorte répandus par les associations ayant pour objet déterminé les progrès de l’agriculture.


L’hostilité du tarif américain, en chassant les produits provinciaux du marché des États-Unis, les avait poussés vers le marché anglais et les forçait à s’améliorer de façon tout inattendue, afin de soutenir la rude concurrence qu’ils devaient attendre des pays producteurs d’Europe. Cela équivalait à amener toute une évolution dans les industries agricoles du Canada, à en nécessiter le perfectionnement, à en faire naître de nouvelles, avec un goût déterminé de la population pour les occupations dont elle n’avait pas suffisamment apprécié jusque-là la valeur lucrative.

En 1897-98, l’exportation aux États-Unis des produits agricoles des provinces était tombée à cinq millions et demi de dollars, tandis qu’elle atteignait le chiffre de 72 millions sur les marchés de la Grande-Bretagne.

Le tableau suivant donne un état comparé des exportations d’animaux et de denrées pour les huit années écoulées depuis la mise en vigueur du tarif prohibitionniste de M. McKinley :

Animaux
et leurs produits
Produits
agricoles
Total
1890 $25,106,995 $11,908,030 $37,015,025
1892 28,594,850 22,113,284
1891 25,967,741 13,666,858
1893 31,736,499 22,049,490
1894 31,851,973 17,677,649
1895 34,387,770 15,719,128
1896 36,507,641 14,083,361
1897 39,245,252 17,982,646
1898 44,301,470 33,215,177 $77,518,000


Comme on le voit, l’exportation des produits de la ferme, y compris les animaux, s’est élevée à 77,518,000 dollars, toute pour les marchés de l’Angleterre, moins cinq millions et demi, une augmentation de quarante millions sur l’exportation de 1890.

Chevaux
1890
Exportation Nombre Valeur
Grande-Bretagne 125 $17,925
États-Unis 16,118 1,887,895
1891 :
Exportation Nombre Valeur
Grande-Bretagne 1,222 $ 156,254
États-Unis 9,954 1,215,022
1892 :
Exportation Nombre Valeur
Grande-Bretagne 1,369 $ 214,785
États-Unis 9,261 1,094,461
1893 :
Exportation Nombre Valeur
Grande-Bretagne 10,606 $1,123,339
États-Unis 1,946 274,310
1894 :
Exportation Nombre Valeur
Grande-Bretagne 3,510 $ 400,507
États-Unis 4,490 480,525
1896 :
Exportation Nombre Valeur
Grande-Bretagne 17,196 $1,709,508
États-Unis 2,021 328,338


Ces statistiques démontrent que l’Angleterre importait plus de chevaux canadiens, en 1896, que les provinces n’en vendaient en 1890 aux États-Unis. Il avait suffi de six années pour renverser complètement les rôles. La France figure dans les exportations de 96 pour le chiffre très petit de 116 chevaux, évalués à $11,600, soit $100 la pièce, mais c’est presque autant que l’Angleterre en 1890 ; cultivée avec le même soin, pourquoi l’exportation en France n’augmenterait-elle pas comme le marché anglais, toute proportion étant gardée ? Il ne faut pas oublier toutefois que l’usage de plus en plus répandu de la bicyclette, de l’automobile et du tramway électrique tend à réduire le besoin des chevaux à sa plus simple expression ; c’est au point que l’exportation des chevaux canadiens a énormément diminué depuis 1896 ; elle était tombée l’année dernière au chiffre de 7,060 têtes. Le cheval ne sera peut-être plus dans l’avenir qu’un article de luxe, de fantaisie ou de sport, et son utilité ne fera que décroître, à moins qu’il ne soit accepté définitivement comme un article de consommation alimentaire.

IV

En 1890, personne n’eût cru à la possibilité de créer un marché pour les œufs en Angleterre. Cependant, six ans après, l’exportation des œufs du Canada atteignait le chiffre de cinq millions de francs. Il en était ainsi de l’avoine, des pois, du blé, dont l’exportation était décuplée ; celle de ce dernier article surtout, qui s’élevait de $440,000 en 1890 à $5,500,000 en 96-97.

De même du bétail. Le Canada exportait, en 1898, 100,000 bêtes à cornes et 40,000 moutons. La valeur de l’exportation des bestiaux était augmentée de $1,700,000. Pour cet article, les États-Unis avaient presque reconquis le terrain perdu ; ils importaient des provinces 88,600 animaux. Cette augmentation était le résultat de l’abolition des règlements de quarantaine que le gouvernement américain avait imposés sur les bestiaux du Canada.

Les jambons et le lard fumé, dont l’exportation, en 1890, ne dépassait pas la valeur de $360,000, atteignaient, en 1896-97, celle de $5,060,000, et en 1898, deux millions de dollars de plus.

C’était là une nouvelle industrie, créée de toutes pièces sous l’aiguillon du tarif McKinley, et dont l’apparition devait coïncider avec un développement énorme de l’industrie laitière. De la somme de $8,871,205 qu’elle rapportait en 1890, notre exportation du fromage en Angleterre s’élevait, en 1896-97, à la somme de $14,646,000. Quant aux beurres canadiens, leur exportation, dont le produit ne s’élevait en 1890 qu’à la somme de $174,000, se montait à tout près de deux millions de dollars en 1896-97. Elle était, cette année-là de 11,453,000 livres ; l’année suivante, pour des circonstances particulières, elle diminuait de 200,000 livres, soit pour une valeur de 42,000 dollars. En revanche, l’exportation du fromage prenait une extension extraordinaire ; elle passait de 164,220,600 livres, en 1890, à 196,700,000 en 1898, avec une augmentation dans la valeur de près de trois millions de dollars, sur un montant total de $17,600,000.

Depuis 1898, l’exportation du beurre a repris considérablement le dessus. Dans les six mois écoulés depuis le 1er décembre 1898, jusqu’au 1er juin 1899. elle a été portée à 65,163 paquets, contre 39,341 paquets pendant la même période de 97 à 98.

Ainsi, dans toutes les branches de l’industrie agricole, il y a eu, depuis 1890, un progrès absolument inattendu, de nature à éveiller l’attention des peuples européens sur ce champ magnifique de production agricole et des industries connexes, qu’on appelle les provinces d’Ontario et de Québec. Nous n’avons rien dit de la fabrication des instruments aratoires qui a pris, de même que les autres industries agricoles, un développement inouï. En présence de ces résultats, il n’y a pas lieu de s’étonner de l’esprit d’entreprise des jeunes provinces de l’Amérique britannique du Nord, ni de craindre que leurs ambitions ne les poussent au delà des buts réalisables.


Industries en général


En réunissant toutes les classes d’industries, depuis les plus petites jusqu’aux plus grandes, on trouve que la Confédération comprenait, en 91, 75,968 établissements industriels, avec un capital de $354,620,750, donnant de l’emploi à 370,256 personnes, distribuant en salaires $100,663,650 par année, et produisant des articles dont la valeur totale s’élevait à $476,258,836. Parmi les employés, il y avait 273,424 hommes, 70,280 femmes, 19,476 garçons et 7,076 filles au-dessous de seize ans.

Le tableau suivant, qui contient l’état comparé des industries en 81 et en 91, donnera une idée des progrès accomplis dans la décade comprise entre ces deux dates.


1881 1891
Nombre d’établissements 
49,731 75,968
Nombre d’employés 
254,894 370,256
Capital engagé 
$164,957,423 $354,620,750
Salaires 
59,401,702 100,663,650
Coût de la matière première 
179,929,193 256,119,042
Valeur des produits 
309,731,867 476,198,886


* * *

La province de Québec comptait pour sa part 23,037 établissements industriels.

Le capital fixe, engagé tant en terrains qu’en constructions, machines et outils, s’élevait à $58,450,000, ou environ trois cents millions de francs, et le capital flottant à près de 60 millions de dollars.

Le montant des salaires payés était de $30,700,000, et la valeur des articles manufacturés s’élevait à 153,195,583 dollars.

En ce qui concerne exclusivement la province de Québec, on n’a qu’à consulter les tableaux ci-dessous pour se faire une idée du développement industriel opéré de 1871 à 91 inclusivement.


1871 1881 1891
Nombre d’établissements 
14,079 15,763 23,037
Nombre d’employés 
66,592 85,673 117,389
Capital placé 
$27,960,122 $59,126,992 $118,299,115
Gages payés 
12,370,374 18,322,962 30,699,115
Coût de la matière première 
44,676,331 62,563,967 85,630,496
Valeur de la production 
76,832,610 104,662,258 153,195,583


Ainsi, dans les vingt années écoulées de 1871 à 91, l’augmentation dans le nombre des établissements était de 64 pour cent ; dans le capital placé, de 323 p. c. ; dans le nombre d’employés, de 76 p. c. ; dans les salaires payés, de 148 p. c. ; dans la valeur de la matière première, de 91 p. c. ; dans la valeur produite enfin, de près de 100 pour cent.

L’industrie des cuirs, de beaucoup la plus importante de toutes, et dont les deux tiers au moins de la totalité des produits sont fabriqués dans la province de Québec, rapportait en 1891, pour tout le Dominion, la somme de $35,169,742. Cette somme accuse une légère diminution sur la valeur de la production générale de 1881, qui avait été de 36,505,272 dollars. Cependant, le nombre des fabriques avait beaucoup augmenté, mais la valeur de la production avait diminué d’un peu plus de 300,000 dollars. Le capital placé était plus considérable et les salaires plus élevés, mais le nombre des employés l’était moins. Les prix des peaux crues de première qualité étaient tombés d’une moyenne de $9.70 à celle de $5.60. Enfin, on constatait une forte diminution dans le nombre des tanneries qui, de 1012, qu’il était en 1881, était tombé à 802 en 1891.

Mais l’industrie des cuirs a repris un vigoureux essor depuis cette dernière date ; les tanneries surtout se sont multipliées dans la ville de Québec, qui est le centre où la tannerie et la cordonnerie s’exploitent le plus en grand dans le Canada, et peut-être dans toute l’Amérique du Nord.

En 1881, dans la seule province de Québec, l’industrie des cuirs employait 22,558 personnes et produisait $28,269,000, avec un capital engagé de 10,850,000 dollars.

On y comptait, en 1891, 712 établissements industriels produisant, chacun, pour une valeur de $50,000 à $100,000 par année, contre 564 établissements produisant pour un même montant en 1881, et 246 établissements produisant pour plus de cent mille dollars par année, contre 190 en 1881.

L’augmentation dans le nombre total des établissements de toute espèce et de toute dimension, pour 1891 comparé à 1881, avait été de 528 pour cent.

V

Parmi les industries agricoles, qui n’existent encore qu’à l’état rudimentaire, mais dont la province pourrait désormais tirer un excellent parti, mentionnons la culture du lin et l’élevage de la chèvre.

Le lin n’a guère eu de marché jusqu’à présent, et le cultivateur se contentait d’en extraire l’huile pour en donner le tourteau au bétail de la ferme ; bien rarement il faisait rouir la tige pour en détacher la fibre et la tisser en une toile rude et résistante.

Aujourd’hui, les conditions sont changées, et le cultivateur est assuré désormais d’un marché stable et important à Montréal même. Il le devra à la « Dominion Oil Cloth Company », qui fabrique tous les ans des millions de verges de prélart et qui vient d’installer dans son usine d’énormes pressoirs pouvant écraser 500,000 minots de graine de lin par an, et dont l’huile servira à la fabrication des prélarts, des toiles cirées, etc.

À l’heure actuelle, la compagnie achète l’huile dont elle a besoin à raison de 50 centins le gallon ; elle pourra dorénavant acheter la graine de lin même et en extraire l’huile. Ajoutons qu’un arpent de terre semé en lin donne environ, bon an mal an, quinze minots ; le minot se vend au moins un dollar. Restent encore à utiliser 3000 livres de tiges de lin qui, une fois décortiquées, donneraient environ 250 livres de fibre, valant six centins la livre, ce qui représente 15 dollars de plus, soit en tout trente dollars par arpent, immédiatement réalisables.

* * *

L’élevage de la chèvre pratiqué en vue d’en faire une industrie ne tarderait pas à donner des résultats fort appréciables. La province de Québec dépense des sommes assez considérables, chaque année, pour importer des peaux de chèvres de la Russie, de la Suisse et de la Turquie, où l’élevage de la chèvre se fait en grand. Et cependant, la chèvre n’aurait pas besoin d’acclimatation dans un pays comme le nôtre, celle de Russie surtout qu’on appelle la chèvre-mouton, à cause de sa laine unique avec laquelle on fabrique, pour la classe ouvrière, des vêtements presque insensibles à l’usure. Quels revenus ne donnerait pas, sur beaucoup de nos montagnes aux trois quarts déboisées, l’élevage de la chèvre, par la vente du lait condensé, du fromage, de la peau convertie en cuir et de celle du chevreau pour la fabrication des gants ! Les colons, particulièrement, en retireraient un grand parti. La chèvre, en effet, vit là où la vache ne peut trouver sa subsistance. Elle procure un lait excellent pour les enfants, ce qui permettrait au colon pauvre de se passer de la vache dont le lait lui est nécessaire, et lui sauverait du même coup un temps précieux.

La chèvre coûte peu l’été ; elle se nourrit de feuilles et de mousses ; elle peut pâturer dans les montagnes abruptes que ne peut atteindre le gros bétail. L’hiver, elle exige peu d’entretien, vu la petitesse de sa taille. Le bouc est par excellence le cheval du colon, pour traîner ses provisions à travers le bois, cheval dont la nourriture, le ferrage et l’attelage ne représentent pas une grosse dépense. Enfin, lorsque la chèvre se fait vieille, on la livre à la boucherie ; sa viande donne une nourriture excellente et sa peau, tannée, sert à faire des chaussures. On pourrait élever également la chèvre d’Angora, moins bonne laitière que celle des Alpes et de Russie, mais dont la fourrure très recherchée donne de bons profits aux éleveurs.

* * *

En dehors des industries agricoles il en existe d’autres qu’on s’étonne de ne pas voir exploitées dans la province de Québec, et dont on tirerait pourtant un excellent parti. Parmi ces dernières, on peut compter : 1° le guano artificiel, fait avec les déchets de poisson ; 2° la fabrication de la soude avec les plantes marines, telles que le varech et le goémon : 3° la préparation des gommes et des résines. La plupart des essences forestières, surtout dans la partie méridionale du Labrador, appartiennent aux conifères, sapins, tamarins, etc. Toutes ces essences exsudent des résines et des gommes commerciales très appréciées. La fabrication du goudron, dans une contrée où le bois ne coûte que la main-d’œuvre pour l’abattre, pourrait fournir aussi des ressources précieuses.



L’industrie du coton est actuellement l’une des plus importantes du Canada. Elle remonte principalement à la guerre de la Sécession qui mit aux prises les États du Nord et ceux du Sud, de 1861 à 1865. En 1871, il n’y avait encore que huit fabriques en activité, dont cinq dans Ontario. Ces fabriques employaient en tout 745 métiers et actionnaient 95,000 broches. En 1881, on trouve 19 fabriques, avec 3,527 employés. En 1885, le nombre des filatures dans tout le Canada s’élève à 25, avec 9,702 métiers et 46,748 broches. En 1892, le nombre des fabriques est le même, mais celui des métiers est porté à 12,288 et celui des broches à 546,700.

Dès 1886, on voit les produits des filatures canadiennes soutenir avantageusement la comparaison avec ceux d’Europe et des États-Unis, et chercher des débouchés à l’extérieur.

Cette année-là même, un premier envoi était fait avec succès en Chine. Depuis lors, l’exportation s’est étendue au Japon, aux Philippines et à l’Afrique centrale.

À l’heure actuelle, il existe en Canada 21 fabriques, avec 15,401 métiers et 639,212 broches. On remarque notamment, au Sault-Montmorency, près de Québec, une fabrique immense, qui n’emploie pas moins de huit à neuf cents ouvriers et ouvrières, et qui expédie ses produits dans toutes les parties du monde.




Commerce et Navigation


I

Comme on l’a vu précédemment, par sa position géographique et à la faveur de son magnifique fleuve Saint-Laurent, immense artère par laquelle le pays reçoit la vie et qui conduit jusqu’à son cœur, jusqu’aux grandes cités de Québec et de Montréal les plus puissants navires venus d’Europe à travers l’Océan, la province de Québec commande le commerce de tout le Canada, de même qu’elle commandera un jour celui de la plus riche partie des États de l’Ouest de la république américaine. La voie du Saint-Laurent est la plus directe, la plus courte et la moins dispendieuse, pour le commerce d’importation, de l’immense contrée située à l’ouest de la province de Québec et embrassant une bonne fraction de la vallée du Mississippi. Montréal, le centre vers lequel convergent les grands réseaux de chemins de fer canadiens, est aussi le point de raccordement entre la navigation océanique et celle des lacs Ontario, Érié, Huron, Supérieur et Michigan ; elle est à la tête du commerce de tout le Canada et sert même de point de distribution à une grande partie des produits venant des États de l’Ouest américain. Aussi, presque la moitié du commerce d’importation et d’exportation de toutes les provinces du Dominion se fait par la province de Québec.

La vallée du Saint-Laurent est la plus grande voie ouverte, non seulement au transport des produits agricoles, mais aussi au transport des produits miniers et aux produits des forêts et des pêcheries.

La moitié de la production du minérai de fer aux États-Unis est extraite aux environs du lac Supérieur. Vers ce lac un nombre toujours croissant de voies ferrées apportent les récoltes des vastes champs de blé qui s’étendent entre ses rives et les versants des montagnes Rocheuses, et mettent ainsi ces céréales à moins de mille milles de Montréal, le port le plus rapproché de plusieurs centaines de milles de l’Océan, et le seul port où peuvent se rendre les vaisseaux en état de sillonner les grands lacs.

Montréal possède cinq lignes régulières faisant le service de Liverpool et un nombre égal faisant le service de Londres ; deux lignes vont à Glasgow, deux à Hambourg, et une à chacun des endroits suivants : Bristol, Manchester, Belfast et Anvers. Baltimore possède douze lignes régulières de paquebots faisant le trajet d’Europe, Boston en a neuf et Philadelphie huit. Sans doute, toutes ces lignes de transatlantiques dépassent Montréal pour le nombre et le tonnage de leurs vaisseaux, aussi bien que pour le volume de leurs cargaisons. La navigation pour elles dure douze mois, mais la navigation sur le Saint-Laurent ne dure que sept mois. L’existence des dix-huit lignes régulières de paquebots que Montréal possède est la preuve que, malgré les désavantages climatériques et les autres causes d’infériorité, la route du Saint-Laurent, pendant la saison de navigation, est la route vers laquelle se portent les produits du nord destinés à l’exportation.

* * *

En tête de ces lignes figurent celles des compagnies Allan, Elder-Dempster, Dominion, Furness, Beaver, Thompson, etc., etc. Ces compagnies font circuler entre Montréal et Londres, ou Liverpool, ou Glasgow et même Manchester, en Angleterre, des paquebots des plus grandes dimensions et du plus fort tonnage. La compagnie Elder-Dempster surtout, une des plus puissantes de l’univers et qui ne le cède qu’à la ligne « British India » pour l’importance et le nombre de ses vaisseaux, met sur la ligne canadienne 21 steamers dont trois jaugent jusqu’à 12,000 tonneaux, cinq 8,200 tonneaux, et les autres 5000 à 7,000 tonneaux.

La ligne Allan tient la tête, avec les plus beaux steamers transatlantiques qui passent par le Saint-Laurent.

Vient ensuite la ligne « Dominion », avec des steamers comme le « New-England », qui jauge 12,000 tonnes, et le « Canada » qui en jauge 9,000. Outre son service entre Montréal et les ports d’Angleterre, la ligne Thompson en maintient un autre entre le Canada et la Méditerranée, d’où elle apporte des chargements de fruits au printemps et à l’automne.

Le tonnage total des steamers transatlantiques entrés dans le port de Montréal en 1898 a atteint le chiffre de 1,212,747 tonnes, et celui des steamers côtiers, qui font le service intercolonial, le chiffre de 345,800 tonnes, ce qui représente, pour les transatlantiques, une augmentation de tonnage sur 1897 de 158,522 tonnes, et pour les steamers côtiers, de 28,000 tonnes.

* * *

Le Canada occupe le sixième rang dans le classement des marines marchandes de l’univers.

La première puissance en tête de la liste est l’Angleterre, avec une marine d’un jaugeage total de 9,760,043 tonneaux. Viennent ensuite les États-Unis, avec 1,837,730 tonneaux ; l’Allemagne, 1,572,665 ; la Norvège, 1,545,822 ; la France 801,164 ; l’Italie, 730,953, et enfin le Canada avec 693,782 tonneaux.

Le nombre total des navires inscrits sur les registres du Canada, au 31 décembre 1898, comprenant les vieux et les neufs, les voiliers, les navires à vapeur et les barges, était de 6,643, d’un jaugeage de 693,782 tonneaux enregistrés.

Le nombre de steamers portés sur les registres à la même date était de 1,969, d’un jaugeage brut de 267,237 tonneaux. En calculant d’après une moyenne de $30 par tonneau la valeur du tonnage enregistré au Canada, le 31 décembre 1898, serait de $20,813,460.

Le nombre des navires construits et enregistrés au Canada, l’année dernière, a été de 278, jaugeant 24,522 tonneaux. En portant à $45 dollars la valeur du nouveau tonneau, on obtient une valeur totale de $1,103,400 pour les navires neufs.

II

La marine marchande de toute la province de Québec comprend, en chiffres ronds, une flotte de 1,500 bâtiments de toute dimension, d’un tonnage total d’à peu près 200,000 tonneaux.

Le port de Québec, incontestablement supérieur à tous les autres ports de la province, et qui, cependant, s’est vu déserté depuis une quarantaine d’années, par suite de causes difficiles à déterminer ici, est à la veille de retrouver ses beaux jours et de redevenir le grand port d’expédition des produits agricoles et forestiers qu’il était autrefois, grâce à la construction bientôt terminée du chemin de fer « Le Grand Nord », qui lui apportera une partie considérable des grains de l’Ouest, et grâce aussi au tonnage toujours croissant des grands steamers transatlantiques, qui les mettra quelque jour dans l’impossibilité de remonter plus haut le fleuve, à cause de l’insuffisance de largeur et de profondeur du chenal.

En 1897, le commerce côtier, dans le port de Québec, était représenté par 314 steamers, 460 goélettes, 492 bateaux et 74 barges, d’un tonnage total de 390,347 tonnes. Ce port importait, la même année, des marchandises étrangères pour une valeur de $4,125,340.

Les articles exportés comprenaient surtout les animaux et leurs produits, les produits de la forêt et ceux des manufactures.

Mais le rapport de la Commission du Havre de Québec, pour l’année 1899, donne de bien autres résultats. Le commerce total de ce port, importations et exportations réunies, y est porté à 10,702.244 dollars.

Les exportations figurent pour $5,548,908, et les importations pour $5,153,336.

Dans le cours des sept dernières années, depuis 1893 inclusivement, le mouvement total du commerce dans le port de Québec n’avait pas dépassé le chiffre de $10,089,842. Aujourd’hui il atteint 611,000 dollars de plus, et tout indique que, dans le cours de 1900, ce chiffre va être considérablement augmenté, par suite des conditions nouvelles, extrêmement favorables, que le transport des grains de l’Ouest et l’établissement d’une première ligne de steamers, bientôt suivie de plusieurs autres, vont apporter au port de la vieille capitale, désormais rajeuni et en train de retrouver son ancienne splendeur.

III

Le commerce entre le Canada et les pays étrangers a reçu une impulsion merveilleuse depuis l’avènement de la nouvelle administration fédérale, en 1896. Ce commerce s’est élevé en effet au chiffre extraordinaire de 304,475,736 dollars, c’est-à-dire soixante millions de dollars, ou trois cent millions de francs de plus que pendant les années les plus prospères qui ont précédé le nouveau régime.

En 1896, le total des importations et des exportations s’élevait à la somme de $239,025,360.

En d’autres termes, de 1896 à 1898, c’est-à-dire en deux années seulement, le commence extérieur de la Confédération a augmenté de 60 millions de dollars, tandis que de 1878 à 1896, c’est-à-dire en dix-huit années auparavant, il n’avait augmenté que de 57 millions.

Ajoutons que l’augmentation qui s’est produite du 1er juillet 1898 au 31 mai 1899, s’élève à une vingtaine de millions de plus que durant la période correspondante de 1897-98.

C’est là un résultat absolument inouï dans les annales du commerce canadien.

L’exportation des produits manufacturés, pendant les douze mois écoulés du 1er juillet 1898 au 31 mai 1899, a donné $11,316,000, contre $10,482,000 pendant la période correspondante antérieure.

De même pour le commerce des animaux et de leurs produits, qui a déjà rapporté plus de 44 millions dans la dernière période susmentionnée.


Le total du commerce, pour 1898, divisé en importations et en exportations, donne pour les premières la somme de $140,323,053, ou plus de 700 millions de francs, et pour les dernières, la somme de $164,152,683, ou environ 825 millions de francs.

La valeur du tonnage maritime s’est élevée à 241,747,000 dollars, et celle du trafic côtier à près de 30 millions de dollars, ou plus de 150 millions de francs.

Les principales augmentations dans les exportations ont porté sur : les bestiaux vivants, $1,700,000 ; les grains, vingt millions ; les produits des pêcheries, 500,000 dollars ; l’or et l’argent, $1,500,000 ; le minerai de plomb, $500,000 ; les métaux, minéraux en général. $4,000,000 ; le fromage, $3,000,000 ; les jambons et lard fumé, $2,000,000 ; les bois à pulpe, $500,000.



Commerce avec la France



L’impulsion générale imprimée au commerce extérieur du Canada s’est communiquée jusqu’à la France, qui languissait depuis des années à l’arrière-plan, sans qu’on pût s’expliquer cette situation anormale autrement que par l’insuffisance de renseignements chez les commerçants français, ou par l’extraordinaire incorrection apparente des relevés de douane. À propos de ces derniers, la Chambre de commerce française de Montréal a en effet découvert, après de minutieuses recherches, qu’une moyenne annuelle de 36 à 40 millions de francs représente réellement le commerce de la France avec le Canada, soit environ sept fois le chiffre donné par les statistiques françaises et plus du double de celui fourni par les statistiques canadiennes.

L’insuffisance des statistiques françaises s’explique par le fait qu’en l’absence incompréhensible de toute ligne directe de navires entre la France et le Canada, les livraisons françaises vont chercher à Anvers, Hambourg, Londres, Liverpool, Glasgow, New-York, la voie directe, maritime ou terrestre qui les fera entrer au Canada.

C’est, en conséquence, à la Belgique, à l’Allemagne, à l’Angleterre, aux États-Unis, que la douane française donne crédit des valeurs d’exportations correspondantes, et cela s’explique tout naturellement.

De leur côté, les douanes canadiennes n’ont à se préoccuper de l’origine française réelle des marchandises que dans les seuls cas où la nation étrangère possédant le port d’embarquement ou de transmission par terre se voit appliquer un tarif différent pour les mêmes marchandises, ce qui, jusqu’aujourd’hui, n’a jamais été le cas, ni pour l’Angleterre, ni pour l’Allemagne, ni pour la Belgique.

Il saute aux yeux que le commerce français est peu porté à tourner les yeux du côté du Canada, s’il s’en rapporte aux statistiques, et que le tonnage que représentent ces statistiques est guère de nature à solliciter les armateurs. Cependant, les exportations françaises équivalent réellement à 50,000 tonnes au moins de fret de sortie de France, et, pour ce qui concerne les frets de retour, il est certain qu’à moins d’une grande inhabileté dans la gestion, une ligne de navires française trouvera toujours ses pleins chargements assurés. Il y a déjà un gros trafic actuel, il y a place pour un trafic plus important encore.

* * *

Les derniers relevés officiels des douanes, pour l’année 1897-98, ont apporté une heureuse surprise à tous ceux qui s’intéressent au développement des relations commerciales entre la France et le Canada : ils établissent en effet que le commerce total entre les deux pays a augmenté de plus de 1,700,000 dollars, soit 8,500,000 francs.

Voici le mouvement comparé de ce commerce pour


1896-97 1897-98
Importations 
$2,601,351 $3,975,351
Exportation 
690,696 1,025,262


ExCommerce total 
$3,292,047 $5,000,613


L’augmentation des importations porte surtout sur les tissus, les lainages, les soieries, les dentelles, la ganterie, les pipes, les sucres, les peaux, les peintures, etc., etc.

L’augmentation des exportations porte surtout sur les bois, les céréales, les machines, les homards, etc., etc.

En 1897-98, le Canada a importé pour $525,787 de sucres bruts, alors qu’il n’en avait pas importé du tout jusque-là.

Enfin, deux faits prouvent que les commerçants canadiens et français sont entrés en relations plus intimes que par le passé. Le premier est l’augmentation des importations en franchise ; le second est le développement des relations directes établies entre la France et les grands centres commerciaux des différentes provinces.


C’est surtout sur l’Ontario que se sont dirigés les efforts des maisons françaises. L’Ontario, qui importait pour 323,436 dollars de produits français en 1878, et pour 641,909 dollars en 1888, avait vu ce chiffre descendre à 634,401 dollars en 1897 ; cette province figure en 1898 pour 1,087,770 dollars dans le chiffre des importations de produits français.

Quant aux exportations des produits canadiens en France, signalons celle des homards, qui dépasse toutes les autres. L’exportation des bois a presque doublé ; celle des grains est passée de 27,871 dollars à 142,069 dollars et celle des machines, de 45,187 à 130,013 dollars. Tous ces chiffres montrent que les relations du Canada avec la France sont entrées dans une voie de progrès remarquable, progrès qui doit donner une confiance absolue aux promoteurs d’une ligne directe et leur prouver que le succès de cette ligne, qui décuplerait le commerce franco-canadien, est dès maintenant assuré par le volume des transactions actuelles.


Ligne régulière franco-canadienne


Après une campagne active, conduite avec persistance, pendant plusieurs années, pour assurer des relations commerciales directes entre la France et le Canada, on a enfin réussi à former une compagnie qui a établi une ligne régulière entre Bordeaux, France, et les ports de Québec et de Montréal.

C’est aux incessants efforts de la Chambre de commerce française de Montréal et au concours apporté par celle de Bordeaux que ce projet a dû sa réalisation.

La ligue nouvelle sera exploitée par la Société de navigation franco-canadienne, composée de capitalistes français et franco-canadiens.

Cette compagnie est constituée au capital de 250,000 francs, ($50,000) entièrement souscrit, et dont le quart est payé conformément à la loi française qui exige le versement du quart du capital pour l’existence légale des compagnies à fonds social.

I„a Société de navigation franco-canadienne ne touchera aucun subside, soit du gouvernement français, soit du gouvernement canadien. Elle entend tout de même réussir, parce qu’il y a assez de fret d’entrée et de sortie pour qu’une ligne entre Bordeaux et Montréal soit rémunératrice, même sans subsides.

Pour ses débuts, la nouvelle ligne comprendra deux steamers à hélice, le Roger et le Mont-Blanc, celui-ci complètement neuf, tous deux pouvant faire un service de premier ordre.

* * *

On porte de 50,000 à 60,000 tonnes la somme de fret entre le Canada et la France. Or, Bordeaux, par sa situation géographique, doit certainement en attirer la moitié à son port, soit 30,000 tonnes environ. Les navires de la nouvelle compagnie jaugeront environ 2,500 à 3,000 tonneaux, et comme il est établi que le fret n’a jamais manqué aux anciennes compagnies qui ont fait le service entre la France et le Canada, on peut en conclure que la Société de navigation franco-canadienne est appelée à faire d’excellentes affaires.



Les principaux articles d’exportation du Canada en France sont les bois, les extraits d’écorce, la pulpe, les minerais, les grains, le beurre, le fromage, les jambons, les œufs, les conserves de saumon et de homard, les chevaux, le bétail, etc.

Bordeaux est particulièrement favorable aux bois canadiens, parce que nous sommes en état d’atteindre ce port plus facilement que ne le sont les bois de Norvège.

Le succès de la nouvelle ligne franco-canadienne sera un grand sujet de réjouissance pour la population de la province de Québec, en même temps qu’elle élargira le cercle des relations commerciales entre la France et la Confédération canadienne, et rétablira toutes grandes d’anciennes communications que les circonstances avaient interrompues, mais dont l’avenir triplera le nombre et l’importance, comme il y a tout lieu de l’espérer.


Compartiments frigorifiques


Le transport des produits périssables en Angleterre est une expérience qui a donné de très bons résultats. Vingt-cinq steamers sont déjà munis de compartiments frigorifiques et ont transporté l’an dernier, du port de Montréal, des quantités énormes de beurre, œufs, viandes, fruits et fromage.

Le rapport de l’honorable ministre de l’Agriculture donne le détail de ce qui a été fait pour le transport des produits agricoles du Canada dans les compartiments-glacières.

Pour donner une idée de l’importance de ces arrangements, voici quelques chiffres indiquant les quantités des différents produits expédiés du port de Montréal, pendant la saison de navigation de 1898 :

Beurre, 209,172 colis ; viande, 7,668 colis ; fromage, 5,514 colis ; fruits, 5,564 colis ; œufs, 1,321 colis.

Les chiffres qui suivent indiquent l’augmentation considérable de l’exportation des produits de notre industrie laitière depuis quelques années ; il a été exporté, durant l’année finissant le 30 juin 1898, 11,253,787 livres de beurre, représentant une valeur totale de $2,047,686. L’Angleterre à elle seule a reçu pour $1,915,550 de cette exportation de beurre. Les États-Unis n’en ont reçu que pour $3,738, l’Allemagne pour $17,574 ; les Indes anglaises pour $27,160 ; les autres pays étrangers, pour $31,612.

Pendant l’année terminée le 30 juin 1898, le Canada a exporté 196,703,323 livres de fromage, représentant une valeur de $17,572,763. La Grande-Bretagne seule a reçu pour $17,522,681 de cette exportation de fromage, et les États-Unis seulement pour $14,604.