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§. IV.

Que les Cometes ne sont
point des Signes qui pré-
sagent de Evénemens
futurs.


Vous m’avez promis, Madame, de lire avec attention les Penſées Diverſes de Bayle ſur les Cometes, dès que vous aurez achevé le charmant Livre des Entretiens ſur la Pluralité des Mondes[1], qui vous rend, dites-vous, ſi aiſées les Connoiſſances Aſtronomiques. Si vous le faites, l’agréable Fontenelle vous fournira des Lumieres pour gouter utilement le ſavant & profond Bayle ; & rendue Aſtronome par l’un, l’autre achevera de vous perſuader de la Ridiculité des Influences Aſtrologiques. Il vous montrera démonſtrativement, que ces Cometes, dont on fait tant de Bruit, ne ſont que des Phénomenes ordinaires dans le Cours de la Nature, & dont le Pouvoir, eſt auſſi borné que celui des Etoiles & des Planetes. Vous ſerez convaincue, lorſque vous aurez lû ſes Penſées, qu’il n’eſt pas plus extraordinaire, qu’il arrive des Malheurs après l’Apparition des Cometes, qu’il l’eſt qu’il en arrive après le Coucher ou le Lever du Soleil : puiſque, ſelon le Train ordinaire du Monde, dans quelque Année que ce ſoit, il arrive de grandes Calamitez ſur la Terre, ou en un Lieu, ou en un autre. Il eſt probable, dit cet illuſtre Auteur, qu’à quelque Heure du Jour que ce ſoit qu’un Bourgeois de Paris regarde par ſa Fenêtre ſur le Pont Michel, il voit paſſer des Gens dans la Rue. Cependant, les Regards de ce Bourgeois n’ont aucune Influence ſur les Gens qui paſſent ; & chacun paſſeroit tout de même, encor que le Bourgeois n’eut pas regardé par ſa Fenêtre. Donc, la Comete n’a aucune Influence ſur les Evénemens. : & chaque Choſe ſeroit arrivée comme elle a fait, quand même il n’auroit paru aucune Comete, puiſque ſes Influences ne peuvent avoir aucune Vertu[2].

Il ſeroit aiſé de prouver, qu’il eſt faux qu’il ſoit arrivé plus de Malheurs dans les Années qui ont ſuivi de près les Cometes, que dans les autres Tems : &, pour être perſuadé du Train ordinaire des Choſes, on n’a qu’à ſupputer, par le Moïen de l’Hiſtoire, le Bien & le Mal qu’on a reſſenti ſur la Terre pendant l’Eſpace de quinze ou vingt Ans, lors de l’Apparition d’une Comete. On trouvera, que, l’un comportant l’autre, la Supputation ſe trouvera égale avec celle qu’on fera de quinze ou vingt autres Années éloignées des Tems où l’on aura vû des Cometes.

Et quant aux Sentimens de quelques Hiſtoriens & de quelques Poëtes, grands Amateurs de Prodiges, je vous ai fait voir dans ma prémiere Réfléxion combien on doit y avoir peu d’égard. En effet, ſi l’on écoutoit tous les Contes que débite ridiculement un Nombre de Génies ſoibles, & peu éclairés par la bonne Philoſophie, il faudroit, par la même Raiſon, autoriſer les Superſtitions & les Fables de toutes les Vieilles. On n’oſeroit plus ſe mettre à Table, lorſqu’on ſe trouveroit treize à la fois : & l’on ſeroit dans l’Attente des plus grands Malheurs, dès qu’on auroit renverſé une Saliere, ou caſſé un Miroir. Mais, dans des Matieres de Philoſophie, le Sentiment d’un Auteur tel que Bayle, ou Gaſſendi, eſt préférable au Témoignage de vingt Hiſtoriens, qui ne connoiſſent de la Nature des Cometes que ce qu’ils en ont lû dans quelques autres Hiſtoriens auſſi ſuperſtitieux qu’eux. Auſſi voïons-nous, que les Auteurs les plus eſtimez ſont généralement peu favorables aux Prodiges.

  1. Je n’ai point fait de Réfléxion particuliere ſur l’Aſtronomie ; parce qu’il m’eut été impoſſible de rien dire ſur les Corps Céleſtes, qui pût approcher de la Beauté & de la Clarté de ces Entretiens. Quiconque voudra ſavoir autant d’Aſtronomie qu’il convient à un Homme du Monde d’en ſavoir, pourra aiſément trouver dans cet agréable Livre de quoi ſe ſatiſfaire. J’ai taché, dans ces Réflexions, d’imiter cet Ouvrage, pour lequel j’ai cette profonde Vénération, que Stace avoit pour l’Eneïde.
  2. Bayle, Penſées diverſes ſur les Cometes, &cc Tom. I, pag. 42.