◄  IV.

§. V.

de la Fourberie et des Fi-
louteries des Aſtro-
logues.


Les Aſtrologues ſont ſi peu perſuadez de la Réalité & de la Vérité de leur Art, qu’ils ſe traitent mutuellement de Fourbes, & s’accuſent d’Impoſture.

Cardan, fameux Aſtrologue, ſe récrie fort contre une Troupe de Fripons & de Charlatans, qu’il accuſe d’avoir gâté & corrompu, par leurs Impoſtures & leurs Sottiſes, l’Aſtrologie Judiciaire. Il ſoutient, qu’on a prété pluſieurs Choſes à Ptolomée, qui ne ſont point de lui. Mais, ce Reproche de Cardan eſt tout-à-fait plaiſant & particulier ; car, perſonne n’a inventé tant de nouvelles Chimeres qui ne ſe trouvent point dans Ptolomée, que lui[1].

Un autre Aſtrologue, apellé Morin, fort piqué contre Gaſſendi, qui ſe mocquoit de ſes Prédictions, & qui mettoit en évidence la Fourberie de ſon Art, voulut rétablir ſa Réputation delabrée aux dépens de Gaſſendi. Il choiſit le Tems où ce Philoſophe etoit incommodé d’une Fluxion très dangereuſe ſur la Poitrine : &, Croïant qu’il n’en guériroit point, il fut aſſez impudent, pour faire imprimer & répandre dans le Public, que Gaſſendi, qui frondoit ſi fort l’Aſtrologie Judiciaire, mourroit vers la Fin de Juillet ou au Commencement d’Août de l’Année 1650. L’Aſtrologue crut étonner le Philoſophe par cette Prédiction. Mais, celui-ci, non content d’avoir donné des Raiſons contre l’Aſtrologie Judiciaire, voulut encor y joindre des Preuves évidentes de ſa Fauſſeté. Car, il reprit ſi bien ſes Forces, qu’il ne ſe porta jamais mieux que dans le Tems que l’Aſtrologue l’avoit condamné à être immolé à la Réparation du Tort qu’il avoit fait à ſon Art. Si Gaſſendi fût mort par hazard, voïez, Madame, quelle devenoit la Réputation de l’Aſtrologue, & quel Triomphe c’eut été pour ceux qui aiment à être abuſez par des Idées chimériques ! Il n’eſt point extraordinaire, que les Faiſeurs d’Horoſcopes, les Charlatans, & les Diſeurs de Bonne-Avanture, prédiſent quelque-fois la Vérité. À force de mentir, il leur arrive quelque-fois de deviner véritablement ce qui arrive. Qui eſt celui, dit Ciceron, qui, s’éxerçant tous les Jours à tirer, ne donne enfin quelque-fois au But[2] ? Un Faiſeur d’Almanacs annonce, qu’il mourra un Souverain en Europe. S’il meurt, chacun parle de l’Almanac. S’il ne meurt point, on n’en dit rien, non plus que de bien d’autres, qu’on avoit fait dans divers Païs, & qui avoient prédit un Menſonge d’une autre Eſpece.

Permettez, Madame, en achevant cette Réfléxion, que je vous exhorte à mépriſer ſouverainement toutes les Sciences que vous trouverez auſſi incertaines, & auſſi ridicules, que l’Aſtrologie Judiciaire.


Fin de la Cinquieme et
derniere Réfléxion.
  1. Cardan fut la Victime de ſa Vanité. Il fit ſon Horoscope, & annonça qu’il mourrait dans un certain Tems, qu’il fixa. Cependant, ce Tems approchoit beaucoup, & Cardan ſe portoit toujours bien. Pour conſerver ſa Gloire, & celle de l’Aſtrologie Judiciaire, il ſe laiſſa mourir de Faim. Scaliger, & l’illuſtre Monſieur de Thou, certifient la Vérité de ce Fait. Le même Cardan dreſſa, avec beaucoup de ſoin, l’Horoſcope de ſon Fils. Il l’avertit par un long Ecrit de ce qui lui devoit arriver, & ne lui parla jamais qu’on le pendroit à vingt-quatre Ans, pour avoir empoiſonné ſa Femme.
  2. Quis eſt enim, qui, totum Diem jaculans, non æliquando conlineet. Cicero de Divinatione Libr. II, Cap. LIX.