La philosophie du bon sens/VI/III

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§. III.

Qu’il est impossible que
l’Influence des Astres
puisse déterminer le
Bonheur ou le Mal-
heur des Hommes.


Considérez, Madame, que ſi les Regles de l’Aſtrologie Judiciaire étoient certaines, Dieu ſe ſeroit lié les Mains, & nous les auroit liées à nous-mêmes. Toutes nos Actions, nos plus ſecretes Penſées, nos moindres Mouvemens, ſeroient gravez dans le Ciel en Caracteres ineffaçables, & il ne nous reſteroit plus rien de libre. Nous ſerions néceſſitez au Mal comme au Bien, puiſqu’il faudroit que nous fiſſions abſolument ce qui ſeroit écrit dans le prétendu Regiſtre des Aſtres ; ou bien le Livre ſeroit faux, & la Science des Devins incertaine. Notre Sort dépend des Lieux, des Perſonnes, des Tems, & de notre Volonté ; & non pas des Conjonctions chimériques imaginées par des Charlatans. Deux Hommes naiſſent ſous la même Planete : l’un eſt Porteur-d’Eau, & l’autre Souverain. D’où vient donc cette Différence ? Jupiter le vouloit ainſi, répondra un Aſtrologue. Mais, qu’eſt-ce que Jupiter ? C’eſt un Corps ſans Connoiſſance, & qui ne peut agir que par ſon Influence. D’où vient donc, agit-elle, dans le même Moment, dans le même Climat, d’une Maniere ſi différente ? Comment cette Influence peut-elle avoir lieu ? Comment peut-elle percer la vaſte Etendue des Airs ? Un Atome, la moindre Portion de Matiere, arrête, détourne, diminue ces prétendues Particules, qu’on veut que ces Planetes nous envoient. D’ailleurs, les Aſtres influent ils toujours, ou n’influent ils que dans certaines Occaſions ? S’ils n’influent que dans certains Momens, & lorſque les Particules qui s’en détachent viennent à nous rencontrer, comment l’Aſtrologue peut-il connoître le Tems précis où cela arrive, pour décider de leur Effet ? Et ſi les Influences ſont continuelles, comment peuvent-elles être aſſez promtes, pour percer la vaſte Etendue des Airs, forcer la Matiere qui les arrête ou les détourne, & s’accorder avec la Vivacité de nos Paſſions, d’où naiſſent les principales Actions de notre Vie ? Car, ſi les Aſtres reglent tous nos Sentimens, & toutes nos Démarches, il faut que leurs Influences agiſſent avec autant de Rapidité que notre Volonté, puiſque ce ſont eux qui la déterminent : enſorte que, lorſqu’un Amant prend le deſſein d’abandonner ſa Maîtreſſe, ſur un Coup d’Oueil qu’elle donne à ſon Rival, il faut qu’il y ait un Nombre d’Influences, qui agiſſent auſſi vîte que le Coup d’Oeuil de la Maîtreſſe, & la Penſée de l’Amant piqué, pour qu’elles puiſſent déterminer l’une à la Coquetterie, & l’autre au Dépit & au Deſeſpoir. Car, les Aſtrologues veulent, que les moindres Choſes ſoient gouvernées par les Aſtres. Les Brouilleries & les Raccommodemens des Amans ſont auſſi de leur Diſtrict. C’eſt-là une des meilleures Piéces de leur Sac, & qui leur donne le plus de Crédit dans le Monde. Chaque Amant veut connoître ſi ſa Maîtreſſe eſt fidelle : le Beau-Sexe eſt encore plus curieux que le nôtre ; & les Faiſeurs d’Horoſcopes n’ont point d’auſſi bonnes Pratiques que les Amoureux & leurs Dames. L’Aſtrologie Judiciaire eſt auſſi trompeuſe que l’Amour ; & je me crois obligé en Conſcience d’avertir les Belles, de ne ſe point fier d’avantage aux Prédictions des Aſtrologues, qu’aux Sermens des Petits-Maîtres.