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§. II.

Combien les Principes de
l’Astrologie Judiciaire
sont ridicules.


Les Regles de l’Aſtrologie Judiciaire différent ſi fort ſur un ſeul & même Sujet, qu’il eſt impoſſible de pouvoir former ſur ces Regles un Jugement certain. La plûpart même font ſi ridicules, qu’on ne ſçait comment les réfuter ſérieuſement. Parmi les douze Signes du Zodiaque, il y en a trois qu’on nomme le Belier, le Taureau, le Capricorne, & qu’on eut pû tout auſſi juſtement [1] appeller le Pigeon, le Chien, & le Chat. Mais, parce que le Belier, le Taureau, & le Capricorne, ſont des Animaux qui ruminent, ceux, qui prennent Médecine, lorſque la Lune eſt ſous ces Conſtellations, ſont en Danger de vomir. Il faut être bien Aſtrologue, pour donner dans de pareilles Folies ; & bien aveuglé, pour ſe les perſuader. Car, c’eſt un pur Caprice, & une Fantaiſie, qui a fait donner aux Signes de Zodiaque certains Noms plûtôt que d’autres. Et, dans le fond, il ne reſſemblent non plus à ceux qu’on leur a attribué, qu’un Moulin-à-Vent, à une Hirondelle. Les Anciens, pour s’accommoder aux Fictions des Poëtes, croïoient que la Juſtice, dégoutée d’un Monde auſſï corrompu que le nôtre, s’en étoit allée au Ciel : &, ſur cette Idée chimérique, on a aſſuré, que ſous ce Signe les Femmes ſeront ſtériles, ou feront de fauſſes Couches. Eh quoi ! Si les anciens Poëtes avoient appellé Chienne le Signe qu’ils ont appellé Vierge, les Femmes auroient couru riſque d’enrager, lorſque la Lune, ou quelque autre Planete, nous auroit paru répondre à cette Conſtellation !

Je voudrois bien qu’un Aſtrologue me fit le Plaiſir de me dire, comment il ſçait, qu’un tel Signe reſſemble plûtôt à une Vierge qu’à un Clocher ; & comment il a pû trouver d’aſſez bons Téleſcopes, pour diſcerner cette Reſſemblance d’une Diſtance peut-être de plus de trente millions de Lieues. Juſqu’alors, je ne ſçai ſur quoi il aſſure, qu’on vomit aiſément, lorſqu’on prend Médecine quand la Lune eſt ſous le Bélier. Je ſuis en Droit de lui ſoutenir, qu’on doit au contraire être ſujet à ſe donner une Entorſe, ſi l’on vient à danſer alors, parce que le Signe, qu’il croit reſſembler au Bélier, a la Figure d’un Danſeur de Corde. Sur cette Suppoſition, je ferai, s’il m’en prend envie, des Prédictions tout comme lui, où, parmi une infinité de fauſſes, il y en aura par hazard quelques-unes de véritables. Il ne reſtera plus après cela, qu’à ſavoir ſi ma Science vaudra mieux que la ſienne, & ſi le Danſeur de Corde éxiſtera véritablement dans le Ciel.

Monsieur Bernier a recueilli la même Moiſſon de Gloire, que tous les Grands-Hommes qui ont écrit contre l’Aſtrologie Judiciaire : & voici, Madame, un Paſſage de cet Auteur, qui ſuffira pour vous démontrer évidemment le Ridicule de ces Maiſons, ſous les Noms deſquelles les Aſtrologues ont diviſé le Ciel en douze Régions, qui communiquent leurs Vertus aux Planettes. D’où eſt-ce que les Maiſons, dit ce Philoſophe, tirent leur Vertu ? Sera-ce du Ciel mobile ? Mais, pourquoi la même Partie du Ciel, qui eſt heureuſe dans une Maiſon, ſerat-elle incontinent malheureuſe dans une autre ? Cela lui vient il du Lieu & de l’Eſpace dans lequel elle eſt ? Mais, pourquoi de purs Eſpaces auroient-ils tant de Vertus ſi différentes entre elles ? Et qu’ils ne diſent point, que ce ne ſont pas les Maiſons, mais que ce ſont les Planetes, qui, dans les Maiſons, produiſent divers Effets. Car, puiſqu’une Planete, qui eſt bonne de ſa Nature, nuit dans une Maiſon malheureuſe, & que celle qui eſt mauvaiſe, y multiplie ſes Forces, on demande d’où lui vient cette Malignité, qui lui eſt imprimée par la Maiſon[2] ?

Prenez garde, Madame, que voilà toute l’Aſtrologie Judiciaire ruinée de Fond en Comble par ce Paſſage. Eſt-il rien de ſi ridicule, que de ſoutenir, que de purs Eſpaces puiſſent communiquer un Nombre de Vertus différentes, & donner ce qu’ils n’ont point ? Vous êtes actuellement trop philoſophe, pour accorder votre Contentement à de pareilles Chimeres, qui ne ſont fondées que ſur les Idées extravagantes d’un Nombre de Gens, qui n’ont aucune Notion de la véritable & ſaine Philoſophie.

  1. Ne utile quidem eſt ſcire quid futurum ſit : miſerum eſt enim nihil proficientem angi. Cicero de Natur. Deor. Libr. III. Chap. VI.
  2. Bernier Abrégé de la Philoſophie de Gaſſendi, Tom. IV, pag. 457.