◄  XX.
II.  ►

RÉFLEXION CINQUIEME,
concernant
L’ASTROLOGIE JUDICIAIRE.

§. I.

Introduction.


Nous voici, enfin, arrivez, Madame, à la Science, en laquelle vous paroiſſez avoir le plus de Confiance. Oſerai-je vous le dire ? C’eſt, cependant, la plus fauſſe, & la plus trompeuſe. Les Préjugés vous ont empéchée juſqu’ici de faire Uſage de votre Raiſon. Vous avez ajouté une entiere Croïance aux Contes & aux Fables, qu’on vous avoit dit dans votre Jeuneſſe. Mais, j’ôſe me flatter de vous convaincre évidemment de l’Erreur où vous êtes : & je vous montrerai ſi clairement le Ridicule de l’Aſtrologie Judiciaire, que vous aurez pour elle autant de Mépris qu’en ont eu les plus grands Hommes anciens & moderne. Cette Science trompeuſe a été regardée de tout Tems comme le Partage de quelques Menteurs, qui, par un ſale Intérêt, duppent les autres, & ſe duppent eux-mêmes. Ils enveloppent leurs Prédictions de tant d’Obſcurité, il les annoncent dans des Termes ſi ambigus, que, ſemblables aux anciens Oracles, elles ont toujours deux ou trois Sens différens, & peuvent être expliquées ſuivant les Tems & les Perſonnes, & ſelon le Commentaire qu’il leur plaît d’en donner.

Il y avoit autrefois à Alexandrie une Coutume, par laquelle les Aſtrologues étoient obligés de païer un certain Impôt, qu’on appelloit le Tribut des Fous, parceque le Produit en étoit aſſigné ſur le Gain que les Aſtrologues & les Diſeurs de Bonne-Fortune faiſoient à la faveur de la folle Crédulité de leurs Sectateurs. Que penſeriés-vous, Madame, d’un Homme, qui décideroit de ſes Affaires par le Sort des Dez ? Vous vous mocqueriés ſans doute de ſa Folie. La Déciſion de l’Aſtrologie eſt auſſi peu certaine, que celle des Dez. Quiconque a Deſſein de piper le Monde, dit un Auteur célébre, eſt aſſuré de trouver des Perſonnes, qui ſeront bien aiſes d’être pipées : & les plus ridicules Sottiſes rencontreront toujours des Eſprits auxquels elles ſont proportionnées, après que l’on voit tant de Gens infatuez de l’Aſtrologie Judiciaire… Il y a une Conſtellation dans le Ciel, qu’il a plu à quelques Perſonnes de nommer Balance, & qui reſſemble à une Balance comme à un Moulin-à-Vent. La Balance eſt le Signe de la Juſtice. Donc, ceux qui naitront ſous cette Conſtellation ſeront juſtes & équitables… Quelque extravagans que ſoient ces Raiſonnemens, il ſe trouve des Perſonnes, qui les débitent, & d’autres qui s’en laiſſent perſuader[1].

On étoit autrefois bien plus attaché à l’Aſtrologie Judiciaire, qu’on ne l’eſt actuellement : peu-à-peu, beaucoup de Gens ſont revenus de cette Foibleſſe ; & l’Etude de la bonne & ſaine Philoſophie a beaucoup ſervi à guérir les Eſprits de cette Maladie. Les Grands-Hommes ſe ſont plaints dans tous les Tems de la Crédulité des Peuples & de la Fourberie des Aſtrologues. Ce font des Gens, dit Tacite, infidelles aux Grands ; menteurs auprès de ceux qui les croient ; qu’on éxilera toujours de Rome ; & qu’on y laiſſera toujours vivre, malgré les Ordonnances[2].

La plus grande Partie du Monde aime à être duppée, & l’on conduit les Peuples aiſément, lorſqu’on les amuſe par des Chimeres & des Hiſtoires extravagantes. Le Vulgaire eſt plus frappé par des Idées vagues & giganteſques, que par la ſimple Vérité. Il pardonne tout à ceux qui ſavent le ſéduire agréablement, & exciter ſa Curioſité. Un Menſonge perd la Réputation d’un honnête Homme ; il le fait ſoupçonner de Fauſſeté, lors même qu’il dit la Vérité. Mais, un Aſtrologue a le Droit de mentir impunément. Loin qu’on lui faſſe un Crime de ſes Impoſtures, bien des Gens cherchent à l’excuſer. Il ſuffit qu’il rencontre une fois par un par Hazard ſur un Fait de Conſéquence : c’en eſt aſſez, pour faire croire toutes les Impertinences qu’il débitera pendant tout le Cours de ſa Vie. On n’éxaminera point les Menſonges qu’il aura aſſurez : on ne parlera que de la Prédiction que le Hazard aura rendu véritable. Un Aſtrologue prédit-il la Mort d’un Prince ? Si elle n’arrive point, perſonne ne s’aviſe de tourner en ridicule le prétendu Prophete. Le Prince vient-il à mourir ? Chacun court en foule apprendre du Devin le Sort dont il eſt menacé. Peu de Gens s’aviſeront d’éxaminer avec attention la Réalité de la ſcience de l’Atrologue : ils s’empreſſeront au contraire à fournir les Moïens de dupper plus aiſément leur Crédulité. Combien de fois, dit Cicéron, ai-je enendu les Aſtrologues prédire à Pompée, à Craſſus, à Céſar, qu’ils mourroient dans un Age très avancé, au milieu de leur Famille, comblez de Gloire & d’Honneur ? Il leur eſt arrivé tout le contraire de ce qu’on leur avoit aſſuré : & je ne puis comprendre comment, après des Marques ſi viſibles de la Fauſſeté de l’Aſtrologie Judiciaire, il peut encore ſe trouver quelqu’un aſſez crédule, pour y ajouter Foi[3].

À quoi ſert de vouloir ſavoir ce que nous ne pouvons connoître ? Dieu n’a point voulu nous révéler certains Secrets. N’eſt-il pas ridicule de croire qu’il les a écrits dans les Aſtres ? Une impertinente Curioſité n’a pas peu ſervi à mettre en vogue l’Aſtrologie Judiciaire, & à lui donner un grand Crédit. Chacun croit avidemment ce qui le flatte. Elle promet des Richeſſes, des Honneurs, des Tréſors. N’eſt-il pas naturel qu’on aime à lui donner la Croïance ? Et, quant à ceux qu’elle ménace de quelques Dangers, la Crainte, la Superſtition, l’Envie d’éviter le Péril, ſuffiſent pour leur faire regarder ſes Prédictions comme des Inſtructions eſſentielles. Il eſt peu de Perſonnes, qui, ſatiſfaites du Préſent, n’aiment point à s’embarraſſer de l’Avenir. Cette ſage Conduite eſt le Partage des Philoſophes. Ils ſavent, qu’ils ne gagnent rien à ſavoir ce qui doit néceſſairement arriver, & qu’il eſt triſte de ſe tourmenter inutilement#1. Jupiter, dit Horace, enveloppe dans une Nuit obſcure tous les Evénemens à venir, & ſe rit d’un Mortel qui porte ſes Vûes inquiétes plus loin qu’il ne devroit.

  1. Art de Penſer, premier Diſcours, pag. 2.
  2. Genus Hominum, potentibus inſidum, ſperantibus fallax, quod in Civitate noſtrâ, & vetabitur ſemper, & retinebitur. Tacitus, Hiſtor. Libr. I.
  3. Quam multa ego Pompeio, quàm multa Craſſo, quàm multa huic ipſi Cæſari, à Caldæis dicta memini, neminem eorum, niſi Senectute, niſi cum Claritate, eſſe moriturum : ut mihi permirum videatur quemquam extare qui etiam non credat iis quorum Prædicta quotidie videat Re & Eventu refelli. Cicero de Divinatione, Libr. II.