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§. XX.

Récapitulation.


Avouez, Madame, que les Connoiſſances que nous avons ſont bien bornées. Non-ſeulement nous ne ſavons rien des principaux Secrets de la Nature des Choſes, mais nous ſommes même, pour ce qui nous regarde, dans une parfaite Ignorance. Nous ne connoiſſons évidemment, que les Choſes qui nous ſont néceſſaires pour la Conduite de notre Vie, & pour la Regle de nos Actions. Il ſemble que la Divinité n’ait borné ſi fort notre Entendement, que pour nous donner plus lieu de nous défier de nous-mêmes & des autres. Elle nous a accordé la Raiſon, & elle y a attaché, non pas le Privilege de découvrir les Secrets des Cauſes & des Choſes, mais le Moïen de diſtinguer le Vrai qui nous eſt connu, d’avec le Mal que nous connoiſſons : enſorte que, ſi la Lumière Naturelle ne nous développe pas certains Miſteres cachés, elle nous empêche pourtant d’accorder notre Croïance à bien des Fauſſetez ; pourvû que nous voulions en faire uſage, & ne point nous laiſſer éblouïr par l’Autorité de ceux qui nous parlent. Des Gens d’un vaſte Génie tombent quelquefois eux-mêmes dans le Défaut de la Préoccupation, & adoptent pour des Véritez évidentes des Conjectures fauſſes ou douteuſes[1].

Il eſt encore un autre Ecueil, qu’il faut éviter, pour ne point s’égarer : c’eſt de ne point recevoir ſans Examen bien des Faits qu’on appuïe de l’Autorité de la Révélation : on ne doit les croire aveuglément, que dans les Matieres que la Raiſon ne ſauroit juger, ou ſur lesquelles elle ne peut porter des Jugemens probables : mais, dans celles, dont elle peut avoir une Connoiſſance certaine, elle doit être abſolue Maitreſſe, & décider en Souveraines parce qu’il eſt certain, que toute Choſe contraire & incompatible aux Déciſions claires & évidentes de la Lumiere Naturelle ne peut avoir été révélée par Dieu, qui ſeroit un Trompeur, s’il nous ordonnoit donnoit une Choſe contraire à la Regle & aux Maximes qu’il nous a données pour connoitre la Vérité. Si l’on n’établit point ce Principe comme certain, il n’eſt rien de ſi extravagant, rien de ſi abſurde, qu’on ne puiſſe dire avoir été révélé, & par conſéquent qu’on ne doive croire aveuglément[2].

Toutes les Religions ont leur prétendue Révélation. C’eſt en les éxaminant, & en les trouvant contraires à la Lumière Naturelle, qu’on les rejette & qu’on les réfute. La Raiſon eſt donc la Regle des Révélations, puiſqu’elle juge de leur Validité : & l’on ne ſauroit dire, qu’on ne doit examiner que les Révélations des fauſſes Religions car, cet Argument ſeroit commun à toutes, & chacun reſteroit éternellement dans l’Erreur, puiſqu’il n’éxamineroit point s’il peut y être.

En voilà aſſez, Madame, à ce que je crois, pour vous perſuader, que nous ſavons peu de Choſes, & qu’il nous eſt impoſſible d’eſpérer jamais, ſur certaines Marieres, d’acquérir des Connoiſſances bien certaines & bien étendues. Je ne regretterai point le Tems que je puis avoir emploïé à ces Réfléxions, ſi elles peuvent vous plaire : &, puisque vous me paroiſſez ſouhaiter que je vous diſe un mot de l’Aſtrologie Judiciaire, je vous promets, Madame, que, dès-que j’aurai un Moment de Loiſir, je ſatiſferai votre Envie.


Fin de la Quatrieme
Réfléxion.

  1. Aristotelis Docrtrina eſt ſumma Veritas, quoniam ejus Intellectus fuit Finis Humani Intellectûs. Quare bené dicitur de illo, quod ipſe fuit creatus & datus nobis à Divinâ Providentiâ, ut non ignoremus poſſibilia ſeiri. «  Averroès devôit même dire, que la Divine Providence nous avoit donné Ariſtote pour nous apprendre ce qu’il n’eſt pas poſſible de ſavoir ; car, il eſt vrai que ce Philoſophe ne nous apprend pas ſeulement les Choſes que l’on peut ſavoir ; mais, puiſqu’il le faut croire ſur ſa Parole, ſa Doctrine étant la ſouveraine Vérité, ſumma Veritas, il nous apprend même les Choſes qu’il eſt impoſſible de ſavoir. » Mallebranche Recherche de la Vérité, Livr. III, Chap, III pag. 180.
  2. « Si l’on Veut faire paſſer pour Révélation une Choſe contraire aux Principes évidens de la Raiſon, & à la Connoiſſance manifeſte que l’Eſprit a de ſes Idées claires & diſtinctes, il faut alors écouter la Raiſon ſur cela, comme ſur une Matiere qui eſt de ſon Reſſort. » Locke, Eſſai Philoſophique ſur l’Entedement Humain, Livr. IV, Chap. XVIII, pag.901.