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§. XV.

Réponse à une Objection
des Cartésiens contre la
Matérialité de l’Ame.


Si l’Ame étoit corporelle, diſent les Cartéſiens, elle ſeroit diviſible en pluſieurs Parties, dont chacune ſeroit un Ame. Ainſi, l’Ame d’un Cheval ſeroit très réellement une Multitude d’Ames, à qui l’Unité ne conviendroit que de la maniere qu’elle convient à une Machine, ou à une Confédération d’Hommes qui s’entendent bien enſemble… Il y a des Animaux, dont les Parties ſeparées retiennent chacune le Mouvement & le Sentiment. D’où l’on conclut, que l’Ame de chaque Bête n’eſt pas un Principe unique des Actions vitales… Un bon Nombre de Scolaſtiques ſuppoſent que l’Ame d’un Chien, quoique matérielle est indiviſible : cela eſt abſurde. Les autre la font compoſée de Parties intégrantes. Or, n’eſt-ce pas enſeigner réellement, qu’elle eſt un Amas de pluſieurs Ames, comme le Corps de chaque Bête eſt un Amas de plusieurs Corps ?

Ces Objections ne ſont point auſſi fortes, que ſe le figurent les Cartéſiens. Car, Dieu peut accorder, à un certain Nombre & à une certaine Quantité d’Atomes, la Faculté de la Perception & du Sentiment, lorſqu’ils ſont liés enſemble d’une certaine manière qu’il détermine ; & vouloir en même tems, que, dès que cet Aſſemblage eſt diſſous & rompu, ces mêmes Atomes deviennent inſenſibles.

Mais, dira-t-on, vous compoſez un Tout ſenſible de Parties non-ſenſibles ; & cela répugne. Je répons, que les Parties, ou les Atomes, qui forment l’Ame, ne ſont point inſenſibles tant qu’elles ſont dans cet Arrangement que Dieu leur donne pour conſtruire la Nature de l’Ame ; mais, qu’elles le deviennent, dès qu’elles ſe deſuniſſent, & que Dieu permet qu’elles ſoient détruites. Et l’on ne doit pas trouver extraordinaire, que je ſoutienne, que Dieu communique, le Sentiment à la Matiere ſubtile & déliée qui forme l’Ame des Bêtes, & qu’il le lui ôte enſuite. Car, il eſt très facile à celui qui a pû rendre cette Matiere capable de ſentir lorſqu’elle étoit dans un certain Mode, de la rendre inſenſible quand elle change de Figure, de Forme, de Situation, & qu’il arrive une Diſſolution dans l’Arrangement de Ces Parties : & c’eſt par cette Diviſibilité, qu’on comprend aiſément la Mortalité de l’Ame des Bêtes. Mais, me dira-ton, ſi vous convenez qu’une Ame matérielle périt par ſa Diviſibilité, l’Ame de l’Homme ſera donc mortelle, ſi elle eſt matérielle ; car, tout ce qui eſt Matiere peut être diviſé. En répondant à cette Objection, je vais vous faire voir, Madame, que notre Ame peut être matérielle & indiviſible, par deux Raiſons. Je montrerai enſuite, que, quoiqu’il y ait des Animaux, dont les Parties ſéparées retiennent chacune le Mouvement & le Sentiment, on n’eſt pas en Droit d’en conclurre, que l’Ame de chaque Bête ne ſeroit pas un Principe unique des Actions vitales, s’il en avoient une, & qu’elle fût matérielle.