La philosophie du bon sens/IV/XIV

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§. XIV.

que la Puissance d’annihi-
ler prouve la Possibi-
lité du Vuide.


Il eſt très difficile de trouver des Argumens, pour prouver la Poſſibilité du Vuide aux Cartéſiens. On ne peut même ſe ſervir auprès d’eux du Pouvoir de l’Etre ſouverain. Car, plûtôt que d’avouër qu’il eſt poſſible qu’il y ait du Vuide, ils ſont obligés de dire & de ſoutenir, que Dieu ne peut annihiler aucune Partie de la Matiere, pas même un Atome. Cependant, je crois qu’il n’eſt aucun d’eux, qui nie que Dieu ne puiſſe arréter tout le Mouvement qui eſt dans la Matiere, & tenir tous les Corps dans le Repos, pendant autant de Tems qu’il lui plaira. Or, je ſuppoſe, que, dans ce parfait Repos, Dieu, pour punir ce Cartéſien, qui a voulu borner ſa Puiſſance, annihile ſon Corps, & reduiſe la Matiere dont il étoit compoſé dans le Néant ; (ce qu’il peut bien faire, car il ne doit pas être difficile à celui, qui de Rien a fait toutes Choſes, de réduire à Rien une petite Partie de ces Choſes :) il y aura donc alors du Vuide. Il eſt évident, que l’Eſpace, qui étoit rempli par le Corps du Cartéſien qui ſe trouve annihilé, ne pourra être rempli, puiſque les autres Corps, qui ſont autour, & qui devroient lui ſuccéder & occuper ſa Place, ſont fixes, immuables, & dans un parfait Repos. Le Vuide eſt donc poſſible. Il faut en convenir, ou nier que Dieu ait le Pouvoir de faire ceſſer le Mouvement, & d’annihiler la Matiere ; auquel Cas, la Matiere eſt coëternelle avec lui. Et puifqu’il n’a pas le Pouvoir de l’annéantir & de la réduire à Rien, il n’a pas eu celui de la tirer du Néant.

Voïons, ſi l’on peut apporter des Raiſons auſſi fortes pour la Neceſſité du Vuide, que pour ſa Poſſibilité.