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§. XV.

de la Nécessité du Vuide.


Ee Vuide ſemble être une Suite du Mouvement, & il eſt bien difficile de concevoir que dans le Plein aucune Choſe puiſſe ſe mouvoir. Les premiers Philoſophes, qui ont ſoutenu l’Exiſtence du Vuide, propoſoient leur Opinion dans ces Termes généraux. S’il y a du Mouvement, il a du Vuide. Or, il y a du Mouvement. Donc, il y a du Vuide. En effet, ſi, dans tout l’Univers, il n’eſt aucune de ſes Parties qui ſoit dénüée de Corps, il eſt donc comme une grande & vaſte Maſſe très ſerrée, dans laquelle rien ne peut agir, ni remuer. Car, un Corps ne peut ſe mouvoir qu’en prenant la Place d’un autre, qu’il en chaſſe en le heurtant. Mais, diſent les Cartéſiens, le prémier Corps, qui ſe met en Mouvement, déplace le ſecond, & le ſecond le troiſieme : ainſi, ſucceſſivement ils ſe cédent les uns aux autres. Je penſe, cependant, que, malgré toutes ces Pulſations prétendues, le prémier Corps ne pourra bouger, parcequ’il trouvera de la Réſiſtance dans le ſecond, qui en rencontrera dans le troiſieme, & ainſi ſucceſſivement juſqu’à l’infini. Il paroît donc clair & probable, que, ſans les petits Vuides, qui ſont répandus dans l’Univers, & qui reçoivent dans leurs Eſpaces étroits les Parties les plus ſubtiles de la Matiere qu’on appelle Atomes, le Mouvement eſt impoſſible.

L’astronomie nous démontre, qu’il eſt des Etoiles ſi éloignées de la Terre, qu’il faudroit, pour parcourir cette Diſtance, autant de Coups de Canon qu’on en pourroit tirer pendant le Nombre prodigieux d’Années, exprimé par ces douze Chifres 104166666636. S’il eſt vrai que l’Univers ſoit une vaſte Maſſe ſerrée & remplie de Corps, on ne pourra faire le moindre Mouvement ſans que tous ſes Corps s’en reſſentent. Mais, je dis plus : c’eſt que la Réſiſtance, qu’ils oppoſeront au Mouvement, ſera immenſe, & ne pourra être ſurmontée que par une Force que nous n’avons point. Cependant, nous voïons, que, loin que nous aïons de la Peine à nous mouvoir, nous ſentons à peine qu’il y ait des Corps qui nous réſiſtent dans l’Air. Il faut donc, qu’il y ait de l’Eſpaces vuides pour les recevoir lors que nous les déplaçons : & il paroît étonnant, que, lorſque nous remuons le Doit, nous agitions tous les Corps juſqu’aux dernieres Limites de l’Univers ; ce qui doit néceſſairement arriver, ſi tout eſt plein, & qu’il n’y ait aucun Eſpace vuide.

Voilà Madame, ce que je penſe ſur l’Eſſence de la Matiere, l’Eſpace corporel, incorporel, & les petits Vuides répandus dans l’Intérieur du Monde, pour recevoir les Atomes, ou les Parties du Corps, les plus ſubtiles & les plus déliées. Ne croïez pas, cependant, que je ſois beaucoup plus perſuadé de l’Opinion des Gaſſendiſtes, que de celle des Cartéſiens. Il eſt vrai que je la trouve plus plauſible & plus probable : mais, j’ai eu l’Honneur de vous dire déjà, qu’il s’en falloit bien qu’une Choſe probable fut une Choſe évidente.