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§. II.


que notre Raison ne peut
nous tromper en ce que
nous appercevons distinc-
tement, et quelle doit
prévaloir sur toutes
les Autoritez.

Il faut d’abord poſer ce premier Principe, que notre Raiſon, qui eſt un Préſent que Dieu nous a fait pour nous conduire, ne ſauroit nous tromper dans les Choſes qu’elle apperçoit & qu’elle diſtingue évidemment[1]. Car, ſi ce Diſcernement & cette Faculté de concevoir nous trompoit, Dieu ſeroit lui-même un Trompeur, qui nous préſenterois le Faux ſous les Apparences du Vrai. Notre Raiſon ne nous ſerviroit plus à aucun Uſage : elle ſeroit un Don pernicieux, qui tendroit plûtôt à nous égarer, qu’à nous conduire[2]. Or, vous ſentez parfaitement, Madame, que Dieu ne peut nous tromper. La Fourbe, & l’Injuſtice, ſont des Attributs indignes d’un Etre ſouverainement parfait. Il faut donc, que la Raiſon, ou la Faculté de connoître, que nous avons reçue en naiſſant, n’apperçoive aucun Objet qui ne ſoit vrai en ce qu’elle aperçoit clairement & diſtinctement. Quelque Autorité, quelque Exemple, qu’on nous allegue, nous ſommes en Droit de les rejetter comme des Fables, dès que nous les voïons oppoſez à la Lumiere Naturelle ; & ſi nous les éxaminons avec Attention, nous Connoîtrons aiſément leur Abſurdité.

La plus grande Partie des Opinions Humaines ſont fondées, ou ſur l’Hſftoire, ou ſur la Tradition, ou ſur l’Autorité des Savans. Il en eſt très peu, qui ne ſoient appuïées que de la Raiſon. Avant d’aller plus avant, & pour vous montrer la Neceſſité de n’embraſſer & de ne croire un Sentiment évident, qu’autant qu’il eſt conforme à la Lumière Naturell, j’éxaminerai, ſi vous le voulez bien, l’Incertitude qui regne dans toutes autres Choſes ſur leſquelles on pouroit l’appuïer.

  1. « La Faculté qu’il nous a donnée, que nous appelions Lumiere Naturelle, n’apperçoit jamais aucun Object, qui ne ſoit vrai en ce qu’elle apperçoit, c’eſt-à-dire en ce qu’elle connoit clairement & diſtinctement : pour ce que nous aurions ſujet de croire, que Dieu ſeroit trompeur, s’il nous l’avoit donné telle que nous priſſions le Faux pour le Vrai, lorsque nous en uſons bien. » Des-Cartes, Principes de la Philoſophie, I Part. pag. 22.
  2. « Notre Raiſon eſt un Don de Dieu, & qui ne ſauroit nous tromper. C’eſt un Preſent, qu’il nous a fait, pour nous donner le Moïen de le connoitre & le ſervir. Si cette Raiſon, dans les Choſes évidentes, nous égaroit, Dieu nous tromperoit ; ce qui ne peut ſe ſourenir, Dieu étant la Vérité même. » Lettres Juives, Lettre, XXXIII pag. 18.