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§. IV.


des Réfléxions qui compo-
sent cet Ouvrage.


Ennuïé de voir le Bon-Sens mépriſé, je formai le Deſſein de prouver à une Perſonne aimable chés qui j’allois ſouvent paſſer quelques Jours à la Campagne, que ſon Chapellain, grand Sectateur d’Ariſtote, n’étoit qu’un Ignorant. Cette Dame, qui avoit beaucoup de Génie & d’Eſprit, mais qui, nourrie loin des Gens qui puſſent l’inſtruire de certaines Sciences, n’en entendoit parler que les ſix Semaines qu’elle alloit paſſer dans ſes Terres toutes les Années, crût que j’entreprenais une Choſe impoſſible. Savez-vous bien, me dit-elle, que mon Aumonier entend le Grec, & qu’il dit que vôtre Des-Cartes n’eſt qu’un Benêt & un Rêveur. Il dépendra de vous, lui dis-je, Madame, que je vous montre, non ſeulement que vôtre Chapellain ne ſait rien, mais même qu’Ariſtote, ſon grand Ami, ne ſavoit pas grand-choſe. En vérité, me dit-elle, vous me feriés plaiſir d’entreprendre une Choſe auſſi extraordinaire : & ſi vous me perſuadez qu’Ariſtote ne ſavoit rien, je ne doute pas que vous ne veniés à bout de me faire croire que tous les Hommes ſont des Ignorans. Je ſerai peu en peine, lui répondis-je, de vous prouver qu’ils n’ont de Certitude, que de très peu de choſe dans, la plus grande Partie des Sciences aux quelles ils s’appliquent. Ah ! je vous prens au Mot, dit cette Dame ; & je ſuis bien aiſe de vous voir rompre une Lance contre tout le Genre-Humain. Vous vous trompez, répliquai-je. Je n’aurai rien à déméler avec les véritables Savans : & les Perſonnes, dont le Génie eſt doué de Justeſſe & de Bon-Sens, ſeront au contraire de mon Opinion, & m’aideront à vous prouver, que la plûpart des Hommes ignorent entièrement ce qu’ils croïent ſavoir. Mais encore, me répondit-elle, quelles ſont les Sciences, dans lesquelles vous bornez ſi fort la Connoissance Humaine ? Toutes celles, repris-je en riant, que votre Chapellain croit ſavoir, la Logique, les Principes généraux de la Phyſique, la Métaphyſique, l’Aſtrologie Judiciaire. Vous étes, me dit-elle, étrangement fâché contre mon Chapellain. Mais, enfin, du moins ne lui diſputerez-vous pas la Certitude des Faits qu’il a acquis par l’Hiſtoire. Pardonnez-moi, Madame, repliquai-je. Je vous prouverai, que bien des Connoiſſances, qu’il a acquiſes par l’Hiſtoire, ſont auſſi incertaines que les autres.

Le Défi, que me fit cette Dame, d’éxécuter la Promeſſe que je lui donnois, me fit réſoudre d’emploïer quelques Heures de Tems à repaſſer les principaux Articles dont je voulois lui montrer l’Incertitude. Je couchai quelques Penſées ſur le Papier ; &, inſenſiblement entrainé par les nouvelles Matieres qui s’offroient, je fis les cinq Eſpeces de Diſſertations qui composent cet Ouvrage. Je les montrai à quelques-uns de mes Amis, qui parurent en être ſatiſfaits. Ils m’engagérent à le donner au Public ; & j’ai taché, en le revoïant avec toute l’Exactitude poſſible, qu’il pût en être reçu favorablement. J’ai penſé, que je devois rendre la Lecture de mon Ouvrage agréable à deux Sortes de Perſonnes ; aux Dames, pour qui il a d’abord été commencé ; & aux véritables Savans, au Tribunal desquels tous les Ecrits doivent reſſortir.

Pour réüſſir dans mon Deſſein, j’ai tâché de me rendre le plus clair & le plus intelligible qu’il m’a été poſſible. J’ai traitté, le moins ſérieuſement, & le moins abſtraitement, que j’ai pû, des Matières qui n’étoient pas ſuſceptibles par elles-mêmes de trop d’Enjoûment. Et j’ôſe me flater, que tout Homme du Monde, qui aura lû mon Livre avec un peu d’Attention, ne craindra pas le pédantesque Orgueil d’un Savant hériſſé de Grec & de Latin, quand il voudra diſputer avec lui des Sciences dont j’ai montré l’Incertitude. Je ne demande pourtant pas aux Dames & aux Cavaliers, qui liront mon Ouvrage, d’avoir pour mes Sentimens la moindre Prévention. Je leur conſeille, au contraire, d’avoir auſſi peu de Croïance en moi, que j’en ai eu dans les autres. La Raiſon, ou la Lumière Naturelle, étant un Don du Ciel, qui nous a été donné pour nous conduire, je les exhorte à en faire Uſage. C’eſt le Moïen le plus sûr pour connoitre la Vérité.

J’espere que mon Ouvrage ſera de quelque Utilité aux véritables Savans ; quoiqu’il ne contienne rien à quoi ils n’aient peut-être déjà réfléchi eux-mêmes. Cependant, s’ils n’apprennent rien de nouveau, je crois qu’ils me ſauront quelque Gré d’avoir mis dans un ſeul Point de Vûe toutes les Raiſons capables de faire voir aux Hommes de quelles Précautions ils doivent uſer avant d’ajouter Foi à certaines Opinions.

J’ai rapporté, avec toute l’Exactitude qu’il m’a été poſſible, certains Paſſages des plus grands Hommes, que j’ai rendu comme les Garans de mes Sentiment. Ceux, qui n’ont pas une grande Littérature, m’auront Obligation d’avoir trouvé le Moïen de leur mettre ſous les Yeux des Paſſages qu’ils n’euſſent point été chercher dans les Originaux ; & de leur faire parcourir les Ecrits des plus illuſtres Savans, ſans qu’ils aient la peine de les concilier eux-mêmes ; en ſorte, qu’ils apprendront ſouvent les différentes Opinions ſur une Question, selon les différens Auteurs qui l’ont agitée. Les Savans trouveront auſſi leur Utilité dans ces Citations : elles leur rapelleront avec plus de force les Sentimens des Ecrivains dont je fais mention, & qu’ils connoiſſent eux-mêmes très parfaitement. J’ai moi-même retiré un grand Profit des Paſſages que j’ai citez. J’aurois été ſouvent obligé d’affoiblir mes Raiſons par trop de Prolixité ; au lieu que je me ſuis servi de certaines Citations comme d’une Surabondance de Droit. Au reste, je voudrois que ceux, qui n’ont pas une certaine Connoiſſance des Sciences dont je parle, lûſſent d’abord mon Ouvrage ſans s’arrêter aux Paſſages citez, & ſans y faire Attention, afin de prendre une prémiere Notion des Choſes dont je parle : enſuite, ils le liroient une ſeconde fois avec les Remarques, & verroient d’un ſeul Coup d’Œuil, & ſans peine, les Sentimens des différens Auteurs dans leurs propres Ecrits.

Comme il eſt bien de Gens, qui n’entendent que le François, j’ai traduit tous les Paſſages que j’ai citez ; & la Traduction s’en trouve, ou dans le Corps de l’Ouvrage, ou au deſſous de la Citation. J’ai tâché de ne mettre que le moins de Latin qu’il m’a été poſſible dans l’Ouvrage même, pour ne point interrompre inutilement la Lecture de ceux qui ne comprennent point cette Langue. Quant aux Citations Greques, comme elles ſont uniquement pour les Savans, je n’ai mis que celles que j’ai cru abſolument eſſentielles pour vérifier l’Autorité d’un Paſſage dont on auroit pû chicaner le Sens dans la Traduction, comme dans celui que je cite de Diodore de Sicile ; quelques Écrivains de nos Jours aiant soutenu, que les Egyptiens avoient crû, qu’il n’y avoit qu’un Dièu ſuprême, un ſeul Etre parfaitement intelligent, & un unique Auteur de toutes Choſes.