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§. II.

que les plus grands Hommes
ignorent bien
des Choses.


Les plus grands Hommes, & ceux qui ſe diſtinguent le plus dans les Sciences auxquelles ils s’appliquent, avouent ingénument, qu’il est un grand Nombre de Choſes au-deſſus de leur Connoiſſance, & auxquelles l’Eſprit-Humain ne ſauroit jamais atteindre. Par cet Aveu, ils abregent un Nombre de Difficultez, qui arrêtent inutilement ceux qui veulent les approfondir, & qui, après avoir étudié long-tems, croient ſavoir quelque-chose, lorsqu’ils n’ont acquis que le Talent d’embrouiller leurs Idées, & de communiquer leur Ignorance & leur Prévention à ceux qui ſont aſſez malheureux pour recevoir leur Instruction.

Ces Demi-Savans n’ont jamais examiné, s’il n’étoit pas abſolument néceſſaire, ou de tomber dans l’Erreur, ou de n’accorder un entier Conſentement qu’à des Choſes entiérement évidentes. La Fauſſeté, dit le Pere Mallebranche, & la Confuſion regnent dans la Philoſophie ordinaire, à cauſe que les Philoſophes ſe contentent d’une Vraiſemblance fort facile à trouver, & ſi commode pour leur Vanité & leurs Intérêts. N’y trouve-t-on pas, preſque par-tout, une infinie Diverſité de Sentimens ſur les mêmes Sujets, &, par conſéquens, une Infinité d’Erreurs ? Cependant, un très grand Nombre de Diſciples ſe laiſſent ſéduire, & ſe ſoumettent aveuglément à l’Autorité de ces Philoſophes, ſans comprendre leurs Sentimens[1].

La Facilité de croire, & la Vanité de vouloir tout connoitre, ſont les deux Sources de l’Erreur, & de l’Ignorance. Les véritables Savans parlent douteuſement des Choſes douteuses, & avouent ingénument leur Incapacité touchant celles qui ſont au-de-là de la Portée de l’Eſprit de l’Homme. Il est vrai, qu’ils croient ſavoir beaucoup moins de Choſes, que ceux qui prétendent les connoître toutes : mais, du moins, ils ſont certains de celles qu’ils ſavent ; & les autres ignorent celles mêmes qu’ils croïent connoître.

  1. Mallebranche, Recherche de la Vérité. Livr. I. Chap. III, pag. ii. Voi. ſur la fin.