Éditions Édouard Garand (56p. 29-30).

XIV

Le lendemain de ce complot, qui se trouvait un dimanche, Pit Lemieux, ou plus exactement Ernest Germain, se dirigea vers le nord de la ville, là où il savait trouver des êtres chers.

À l’expression de contentement qui recouvrait ses traits, sa mère et sa sœur ne doutèrent pas un seul instant qu’enfin, il avait trouvé le moyen de se faire restituer leur fortune.

L’atmosphère familiale, la sympathie ambiante, l’intimité tranquille de ce coin modeste et pauvre où s’écoulait deux existences de femmes, s’infiltrèrent en lui l’entourant tout entier de la chaleur bienfaisante de l’affection et du foyer.

Fatigué par les énervements survenus ces dernier jours, il éprouvait un besoin vif de communiquer ses impressions. À présent que le terme arrivait où le rêve tant caressé deviendrait une réalité, il lui venait le désir de tout avouer, de raconter sa vie et d’annoncer ses projets pour l’avenir.

Quelles autres personnes au monde, plus que ces deux êtres pourraient le comprendre ? Et puis, n’était-ce pas pour eux qu’il avait agi ainsi. Sa conduite n’avait rien de répréhensible. Qui veut la fin veut les moyens.

Aux questions nombreuses qu’on lui posait sur ce qu’il entendait faire, il répondit d’abord évasivement, puis amolli, engourdi, regardant la vie et le monde sous un angle différent, il se laissa imperceptiblement glisser vers les confidences.

Il n’y avait pas de danger qu’on le trahit. Pas sa mère surtout ! Annette encore moins. La jeune fille, dans la crainte que ne soient devinés ses sentiments et désireuse d’aider l’homme vers qui, spontanément, ses affections et ses tendresses s’étaient reportées, venait d’apporter une attitude extérieure diamétralement opposée à ce que, intérieurement, elle éprouvait et ressentait. Il n’y en avait pas de plus acharnée qu’elle, à vouloir une vengeance éclatante et complète.

Mis en confiance, Ernest démasqua ses batteries. Elle réprima les battements de son cœur, et par un effort violent, dans lequel elle tendit sa volonté comme un arc, elle écouta, calme et fière, la confidence, souscrivit au projet, et assura son frère qu’il n’aurait pas d’alliée plus sûre, plus dévouée qu’elle-même. Elle le conjura de l’intéresser plus intimement dans ses affaires, et ajouta énigmatiquement, que « ce que femme veut, Dieu le veut ».

Dans un coin du petit bureau de sa chambre de jeune fille, elle gardait la modeste photographie, parue dans les journaux, et ce soir-là, pudiquement, avant de s’endormir, elle y déposa ses lèvres, qui jamais n’avaient frémi au contact d’autres lèvres.