Éditions Document 47 (p. 81-98).

IV

Dans la chambre de Ruby, l’inspecteur principal Neyrac, inlassablement, poursuivait ses interrogatoires.

Sur un guéridon, près de lui, se voyaient les reliefs du déjeuner improvisé qu’il avait pris tout en poursuivant sa tâche. Un demi était encore à moitié plein.

Tous les locataires avaient déclaré leur complète ignorance. Neyrac les avait laissés un à un partir à leur travail. Il ne restait plus à interroger qu’Eleanor, la vedette américaine qui, en ce moment, conduisait la revue des Folies Bergères avec un dynamisme qui n’excluait pas la sensualité. C’était une petite bonne femme à laquelle on n’aurait pu donner un âge. Son corps extraordinairement mince était celui d’un enfant, et la frange soyeuse de cheveux qui tombait bas sur son front donnait également à son visage une expression puérile. On savait cependant qu’elle avait déjà derrière elle un assez long passé de renommée et elle était loin d’être une inconnue quand elle avait traversé l’Atlantique avec ses cinquante malles.

Elle vivait seule, fréquentant de temps en temps quelques compatriotes, mais évitait de se mêler aussi bien à la pègre qu’à la bohème de Montmartre.

D’une manière très désinvolte, elle s’était juchée sur une table, et, tout en fumant cigarette sur cigarette, répondait à Neyrac en balançant ses jambes qu’elle savait être parfaites.

Son accent amusait Neyrac.

— Yes, dit-elle, je suis rentrée chez moi cette nuit vers minuit. Tout de suite après les Folies.

— Vous êtes revenue à pied ?

— Non, en taxi. Pourquoi ?

— Pour vérifier si votre notion de l’heure était exacte. Poursuivez.

— Quand j’ai voulu entrer, je me suis heurtée à un homme devant la porte.

— Un homme… Vous le connaissiez ?

— Très bien. C’était Tonio Savelli, le mari de Liliane.

— Vous êtes sûre qu’il s’agissait bien de Savelli ?

— Il y a six mois que j’habite ici. Je l’ai souvent vu. Nous bavardions parfois ensemble.

— Il sortait ou il entrait ?

— Je ne sais pas. Il était devant la porte. Quand il m’a vue, il n’a plus bougé.

— Il ne vous a rien dit ?

— Non, il a fait comme s’il ne me voyait pas.

— Vous ne lui avez pas adressé la parole non plus ?

— Non. Ce n’eût pas été convenable. C’était à lui de me dire bonsoir le premier. C’est la manière française, n’est-ce pas ? Et en France je veux être traitée en Française !

— Évidemment. Mais c’était bien Tonio Savelli ?

— Voilà deux fois que vous dites ça. Pourquoi je dirais, moi : c’est Tonio, si ce n’était pas Tonio ?

— Voulez-vous demeurez ici un moment…

Neyrac s’adressa à l’agent qui était sur le pas de la porte.

— Dites à Chancerel de m’amener Savelli.

En entrant dans la pièce, Savelli eut un mauvais regard de bête traquée. Le sourire dont Neyrac l’accueillit ne lui paraissait pas de bon augure. D’autant que l’inspecteur se mit tout de suite à gouailler.

— Ainsi, Savelli, vous persistez à soutenir que vous n’avez pas paru ici de toute la nuit.

— Je vous l’ai dit. J’étais à Montparnasse.

— Qu’y faisiez-vous ?

— Des affaires.

— Quel genre d’affaires ?

— Des tuyaux pour les courses. C’est pas défendu de jouer aux courses.

— Non certes, ce n’est pas défendu. Mais ce qui est défendu, ou du moins peu recommandé, c’est d’essayer de se payer ma tête et de prétendre qu’on était à Montparnasse quand on était rue Clauzel.

— Je n’étais pas rue Clauzel cette nuit.

— Et pourtant on vous y a vu.

— Qui ça ?

— Mademoiselle.

Tonio se tourna vivement vers Eleanor qui balançait toujours tranquillement ses jambes.

— C’est impossible. Elle ment.

— Je ne mens pas, Tonio, protesta calmement l’Américaine. Vous étiez devant la porte quand je suis rentrée à minuit.

— Ce n’est pas vrai.

— Je vous ai bien reconnu.

— Saleté, tu dis cela pour me compromettre, pour te venger, parce que je n’ai jamais fait attention à une espèce de mauviette comme toi.

Neyrac intervint.

— Du calme, Tonio, du calme. Je vous ai connu plus galant avec les dames.

— Mais aussi c’est malheureux de se voir abîmer par des filles de music-hall qui montrent leurs fesses à tout le monde.

— Laissons cela ! Que vous importe au fond ce que dit mademoiselle Eleanor, puisque vous êtes certain d’avoir été à la même heure chez Freddy. rue Vavin.

— Ah ! cela, inspecteur, c’est la pure vérité. Tenez, même que je vais vous donner les tuyaux qu’il m’avait refilés. Pyrrhus et Frotti-Frotta dans le handicap, et Bergeronnette dans la quatrième, avec Macaque dans la dernière si Homer le montait. C’est-y une preuve, cela. Vous n’avez qu’à voir Paris-Courses.

Et Tonio, par bravade, alluma une cigarette.

Neyrac sortit à son tour une gauloise, la mit à sa bouche, demanda :

— Voulez-vous me donner un peu de feu, s’il vous plaît, Savelli.

Et quand sa cigarette fut allumée, il poursuivit :

— Bergeronnette, Macaque, évidemment, c’est troublant. Ce sont des précisions.

Tonio triompha.

— Ah, vous voyez !

Neyrac sourit.

— Je vois, je vois ; mais je vois moins bien comment Freddy, le barman du Pélican, a pu vous les donner cette nuit puisque depuis hier matin il est au Dépôt. Eh oui, il s’est fait pincer dans une histoire de coco. Vous n’étiez pas au courant ? Dommage. Alors, hein, Macaque, Bergeronnette, c’est raté.

Tonio baissa la tête.

— C’est tout de même pas une raison pour me chercher des crosses.

— Je ne dis pas. Mais c’est tout de même fâcheux. Freddy vous claque dans la main, et mademoiselle vous voit devant cet hôtel.

Chancerel s’approcha vivement de lui. Tonio protesta.

Les menottes avaient déjà encerclé son poignet.

— Vous n’allez tout de même pas m’arrêter.

Neyrac fit, durement :

— Je m’y vois contraint. Mettez-vous à ma place.

Et Chancerel en l’entraînant lui glissa :

— Faudra dire à votre dame qu’elle parle moins haut. Ce n’est pas épais une cloison dans ces maisons-là.

— Charognes, fit Tonio entre ses dents.

Comme Chancerel et Tonio atteignaient la porte d’entrée, un cri désespéré retentit dans l’escalier.

— Ne l’emmenez pas… Il n’a rien fait.

C’était Liliane qui guettait sur le palier depuis que son mari avait été appelé près de Neyrac et qui le voyant partir avec l’inspecteur, comprenait qu’il était arrêté.

De toute la vitesse de ses jambes agiles, elle dégringola les marches, hurlant :

— Ne l’emmenez pas… Tonio, Tonio !

Un agent lui barra la route. Elle se jeta sur lui. C’était un colosse. D’une bourrade, il la repoussa. Liliane entendit claquer la portière de la voiture qui emmenait son mari.

Elle tomba assise sur les premières marches de l’escalier et se mit à sangloter bruyamment. Des locataires vinrent l’entourer.

— Faut pas te mettre dans des états pareils. On te le rendra s’il n’a rien fait.

— Bien sûr que c’est pas lui. Mais il fallait bien qu’ils arrêtent quelqu’un pour ne pas avoir l’air cloche.

— C’est malheureux tout de même de voir cela.

— Allons, Liliane, rentre dans ta chambre. Cela ne sert à rien de se manger les sangs comme cela.

Ce fut la petite acrobate blonde qui emmena Liliane dont les larmes délayaient les fards sur le visage ravagé.

Les femmes demeurèrent à jacasser.

— Je ne le vois pas bon, le Tonio. Il était déjà repéré.

— Mais il a de la défense.

— Je ne te dis pas. Mais t’as vu l’inspecteur. Il n’a pas l’air non plus tombé de la dernière pluie.

— En attendant, moi, les enfants, j’ai les foies. Je n’oserai plus sortir de chez moi.

Une fille ricana :

— Sortir, c’est rien. C’est ramener quelqu’un chez moi qui me fout la frousse.

Une autre intervint :

— Alors, comment qu’on va faire ? Si ce n’est pas Tonio qui a fait le coup, le type qui a tué Ruby, il peut bien revenir par là.

— Ah ! ne m’en parle pas. Tu me fous les jetons.

— Faut pourtant aller au turbin, à moins que tu aies les moyens…

— Tu parles. Un passe-lacet, oui.

Et elles se mirent à rire quand même. Mais elles riaient mal. Elles avaient peur.

Neyrac referma son carnet. Dans ses enquêtes, il prenait très peu de notes, se fiant plus volontiers à sa mémoire. « En matière policière, aimait-il énoncer, l’instinct vaut mieux que la méthode ». Il remit son pardessus, son chapeau, finit son verre de bière.

Dans le corridor, il dit aux agents :

— C’est fini. Vous pouvez vous en aller.

En rentrant à son bureau de la Police Judiciaire, il trouva le rapport du médecin légiste.

— La victime, disait-il, a été déflorée avant le meurtre. Il n’y a eu de ce fait aucune violence. Le meurtre remonte à environ trois heures avant la découverte du cadavre.

Neyrac calcula.

— Découverte du cadavre : vers sept heures. Le crime aurait donc été commis vers quatre heures.

Il paraissait soucieux.

 

Les garçons, en veste blanche, circulaient, portant des seaux à champagne d’où émergeaient les cols dorés enturbannés d’une serviette immaculée. Un gros maître d’hôtel en habit les dirigeait avec des clignements d’yeux et de petits appels qui claquaient contre ses bajoues molles.

Frénétiquement, les musiciens noirs s’abandonnaient à la joie de la musique, la batterie scandant les syncopes du jazz. Sur la piste, les couples se balançaient en cadence sans échanger une parole.

Puis, sur un coup de cymbale, l’orchestre se tut. Les couples désunis regagnèrent leurs tables. Un roulement de tambour et l’extinction des tubes lumineux qui couraient sur les corniches annoncèrent que l’attraction allait avoir lieu.

L’orchestre préluda, puis, surgie on ne sait d’où, une danseuse s’élança, aussitôt prise dans le bras d’un projecteur. Elle était vêtue d’une large robe blanche qui mettait des voiles flottants à chacun de ses gestes et parfois la faisait disparaître entièrement dans une vaste corolle mouvante.

Le projecteur la vêtait tour à tour d’orange, de vert, de rouge, et chacune des couleurs donnait à sa danse un rythme différent. Sous la lueur orange, elle allait calmement, traînant derrière elle comme des nageoires géantes de poisson japonais, semblant évoluer dans une trouble atmosphère sous-marine, puis, accentuant insensiblement la vitesse de ses gestes, elle se donna à de lentes voluptés. cueillant les caresses et les baisers de mille bouches offertes comme celles de la mer, et s’inclinant en arrière comme sur la courbe d’une vague.

Peu à peu, la couleur virait au vert, et la danseuse devint une onde frisselante sous le souffle de la brise ; elle s’enfla, tumultueuse, écumeuse. Un instant, elle se brisa contre un invisible rocher, puis repartit, harcelée par l’ouragan. Et elle n’était plus océan, mais bien ramures de la forêt furieusement secouées par la tempête. Sous la rafale, elle pliait, puis se redressait, follement secouée par le tourbillon, et tout à coup, devenant rouge, elle fut flamme frénétique, déchiquetée, flamme haute qui bondit et saccage, embrase et dévaste ; elle fut la passion luxurieuse qui ne laisse point de repos, poursuit, ravage le corps, brûle l’âme.

Et soudain, dans le silence obtenu d’un strident coup de cymbale, la robe blanche s’abattit et en émergea, immobile et roide, le corps nu de la danseuse. Elle ne portait qu’un très étroit cache-sexe qui se confondait avec sa chair. Rien ne venait altérer la pureté de ses lignes : rien ne masquait l’offrande qu’elle faisait de son corps.

Sous la masse des cheveux, on ne distinguait pas son visage.

Un instant, elle demeura ainsi, rigide, statuette d’ambre clair sous la lumière dorée. Les bras rejetées en arrière, elle se dressait comme une figure de proue et n’eût été le très léger battement de sa gorge que soulevait sa respiration un peu essoufflée, on eût pu croire que c’était bien là une effigie taillée par le ciseau d’un incomparable artiste.

Puis la lumière s’éteignit. Quand elle revint, presque aussitôt, la danseuse avait disparu. L’orchestre attaqua un one-step. Les danseurs reprirent possession de la piste.

Dans l’étroite loge du « Chantilly » — Liliane se laissait éponger par une vieille femme obèse. Son visage, malgré le maquillage, avouait sa lassitude.

— Tu as du cran, Liliane, lui disait une petite femme en enlevant ses bas. Faire un numéro comme cela après ce qui t’arrive…

— Ça a marché ?

— Si ça a marché, je te crois ! Ils en étaient comme deux ronds de flan. Ce que je vais avoir l’air tarte, moi, avec mes claquettes. Pour du succès. tu as du succès.

— Fous-toi à poil, ils t’applaudiront toujours.

— C’est pas vrai. Il faut avoir ton corps pour cela. Et puis, il faut savoir s’en servir.

— Et pourtant, j’avais pas le cœur à l’ouvrage, je te le dis.

— Dame, après un coup pareil… Pauvre Ruby tout de même.

Liliane, qui se démaquillait, eut un geste d’impatience.

— Laisse Ruby là où elle est… J’ai gagné le gros lot, tiens, le jour où je suis allée la chercher celle-là… C’est pas elle qui m’inquiète pour le moment, je t’assure.

L’autre hésita un peu.

— C’est Tonio ?

— Naturellement, fit Liliane, c’est Tonio. Tu parles d’une poisse. J’avais un numéro au Casino, ça marchait bien, très bien. J’allais avoir le bel engagement. Il va falloir tout recommencer ; encore heureux si je trouve une partenaire. Ça ne court pas les rues les filles qui savent danser et qui ont un corps comme le mien. Et puis, on flanque mon mari en prison. Il faut que je l’en sorte, pas vrai ?

— Bien sûr, approuva l’autre qui dégourdissait ses jambes et répétait ses claquettes.

— J’ai été voir un avocat, pas une mazette, un grand. Si tu savais la provision qu’il m’a demandée pour s’occuper de l’affaire, tu en resterais au lit une semaine. Et j’ai pas le rond.

La voix de Liliane se fit plus âpre.

— Il me faut du fric, et vite.

— Ils te donnent un bon cachet ici ?

— Des haricots, oui. Mais je peux faire la salle après.

— Oh ! bien alors, tu ne seras pas longue à te rebecqueter.

— Question de veine, ça, ma petite. Et puis, tu sais, ce boulot-là, je comptais bien lui avoir dit adieu. Je m’étais mariée ; j’étais rangée des voitures.

— Enfin, bonne chance, Liliane. Je me sauve. Ça va être à moi.

Liliane enfila sa combinaison.

— Vous n’allez donc pas dans la salle, fit la vieille qui apportait une robe du soir.

— Pourquoi dites-vous cela ?

— Dame. V’là que vous avez mis votre combinaison à c’te heure. C’est pas pour aller avec cette robe-là.

— Ah ! non, pas ce soir, pas ce soir.

— Comme vous voudrez. Faudra pourtant bien vous y montrer.

— Demain. Ce soir, je rentre.

— Vous n’avez pas peur ?

— Peur de quoi ?

— J’sais pas. Une rue où qu’il y a du sang, c’est pas bon.

— Vieille folle. La rue est surveillée.

— Ça vaut pas mieux

Liliane était prête. Elle sortit du « Chantilly », s’engagea dans les rues désertes. Il était deux heures du matin. Elle ne rencontra personne, si ce n’est au moment de rentrer chez elle, deux agents qui, résignés, se promenaient de long en large devant l’hôtel Minerva. Quand ils la croisèrent, ils la dévisagèrent. Ils ne dirent rien, mais sous la pèlerine l’un d’eux toucha du coude son camarade et eut un geste de tête pour lui témoigner qu’il l’avait reconnue.

Liliane ne vit pas cette mimique. Elle monta dans sa chambre, puis, avant d’ôter son manteau, elle se dirigea vers la fenêtre demeurée ouverte. Elle n’avait pas allumé l’électricité.

Elle se pencha sur la rue

Les deux agents s’éloignaient. Leurs pas lents martelaient le pavé. Ils finirent par disparaître au coin de la rue.

Alors, de l’ombre que projetait une encoignure de mur, un homme sortit. Il avait attendu le départ des agents pour quitter sa retraite : c’était certain.

Rasant les murs, il vint jusque devant l’hôtel Minerva. Arrivé là, il s’arrêta, s’adossa à la devanture close de la boutique qui faisait vis-à-vis et se mit à examiner la façade de l’immeuble.

Liliane se blottit contre le rideau dont les plis lourds pendaient sur un côté de la fenêtre. L’homme ne pouvait la distinguer. Au contraire, elle pouvait tout à son aise le détailler.

Elle ne distinguait pas ses traits sous le bord du chapeau rabattu, mais elle devinait sous le pardessus confortable un corps solide. L’inconnu tenait ses deux mains dans les poches de son manteau et il poursuivait son examen.

— Un poulet, pensa Liliane.

Mais il lui vint en mémoire que l’homme avait évité de se faire voir aux agents. Ce n’était donc pas quelqu’un de la police. Et elle pensa soudain que les assassins sont souvent hypnotisés par le lieu de leur crime, qu’ils sont ramenés presque malgré eux là où ils ont commis leur méfait. Si c’était là le meurtrier de Ruby ?

La pensée de Tonio fulgura dans sa tête. Faire arrêter l’homme, c’était sauver son mari, démontrer son innocence.

La décision de Liliane fut vite prise. Elle quitta sa chambre, descendit rapidement l’escalier, gagna la rue… L’homme n’était plus là. À l’autre extrémité de la rue, les agents, qui avaient fait le tour du pâté de maisons, apparaissaient, arrivant du même pas indifférent.

L’homme ne pouvait pas être loin. Sans doute se cachait-il dans quelque recoin proche. Adoptant la démarche indolente et rythmée d’une professionnelle en quête d’amateur, Liliane se mit à sa recherche. Elle n’était pas sans crainte, mais l’idée d’arracher Tonio à la prison la soutenait. Elle atteignit ainsi la rue Henri-Monnier Elle ne vit personne. Elle fut sur le point de faire demi-tour, de rentrer. Mais il lui parut lâche d’abandonner aussi vite ses recherches.

Elle avança encore.

Soudain, elle tressaillit. Elle venait de dépasser un réverbère et sur le trottoir, elle vit que son ombre était doublée d’une autre ombre, celle d’un homme qu’elle n’avait pas entendu venir derrière elle.

Surprise, elle s’arrêta, s’attendant au pire. N’allait-il pas la tuer là, dans cette rue déserte, et sa mort ne servirait à rien pour Tonio ? Mais non. L’homme s’arrêtait également à sa hauteur, un instant demeura immobile, les mains dans les poches.

Accrochant péniblement sur ses lèvres un pauvre sourire, Liliane se risqua à tourner la tête vers lui. C’était bien l’homme qu’elle avait vu devant l’hôtel Minerva.

— Bonsoir, fit-elle.

D’une voix agréable, l’homme répondit.

— Vous êtes seule ?

— Vous le voyez bien.

— Je vous tiendrais volontiers compagnie.

— Pourquoi pas ?

En même temps, elle le regardait. Elle pouvait maintenant considérer ses traits. Il n’avait vraiment rien d’effrayant ; son sourire était même timide et il y avait une grande douceur dans ses yeux bleus.

Intérieurement, Liliane sourit de sa frayeur. Qu’avait-elle été imaginer ? Ce n’était pas un assassin. C’était un homme qui en avait assez d’être seul cette nuit. Pourquoi n’accepterait-elle pas ce compagnon que le hasard lui envoyait ? L’avocat de Tonio réclamait de l’argent. Il fallait que Liliane trouvât tout de suite de quoi lui faire l’avance qu’il demandait sur ses honoraires. Le pardessus était de belle étoffe, de bonne coupe. L’homme était aisé.

— Venez chez moi boire un verre, dit Liliane…

— J’allais vous le demander, fit très simplement l’homme.

— C’est tout à côté, dit encore Liliane.

L’homme inclina légèrement le buste en signe d’acquiescement.

Ils se mirent en route. Ils marchèrent silencieusement côte à côte. En descendant un trottoir, Liliane trébucha. L’homme, solidement, la rattrapa par le bras. Mais il ne lâcha pas prise ensuite. Liliane sentit sa main qui descendait le long de l’avant-bras, gagnait la main et y glissait quelque chose qu’elle sut immédiatement être un billet de banque. Elle le prit. L’homme s’écarta, reprit son allure indifférente.

Liliane était si impatiente qu’au premier réverbère rencontré, à la dérobée, elle regarda ce que l’inconnu avait placé dans ses doigts. C’était un billet de cinq mille francs. Le cœur de Liliane sauta dans sa poitrine. L’avocat lui avait demandé moins que cela. Cette rencontre fortuite la tirait miraculeusement d’embarras.

Lorsque Liliane ouvrit la porte, les agents étaient à l’autre bout de la rue et ne virent pas le couple entrer.

— Je passe devant, dit-elle. Je vous montre le chemin.

Dans le couloir, elle remarqua que la porte de madame Amandine n’était pas tout à fait fermée. Il lui sembla qu’on épiait derrière le vantail.

— Elle n’est donc pas couchée à cette heure-ci, la vieille chouette, pensa-t-elle. Qu’est-ce qu’elle peut guetter ?

Mais elle ne s’occupa pas autrement de ce détail et commença à monter.

— Faites attention, dit-elle à son compagnon ; l’escalier est mal éclairé.

Quand ils furent dans la chambre, l’homme jeta son manteau, son chapeau, puis demeura là immobile. Liliane se débarrassa également.

— Alors, fit-elle pour rompre le silence, je vous plais ?

— Beaucoup.

— Vous êtes gentil.

— Peut-être.

Liliane retrouva tous les gestes de la comédie à laquelle elle croyait avoir pour toujours renoncé. Elle sut donner à son regard une feinte langueur pour murmurer :

— Vous me plaisez aussi.

— Tant mieux, répondit l’homme.

— Et puis vous êtes généreux.

— Je sais la valeur des choses.

— Flatteur… Je vais me mettre à mon aise.

Elle quitta rapidement sa robe. Sa combinaison légère accusait les formes dures dont elle était fière. Elle tendit les mains vers un peignoir.

L’homme s’approcha et arrêta son geste.

— Comme vous êtes belle, fit-il.

Liliane sentit ses mains robustes qui se plaquaient sur ses épaules nues. Elle ferma les yeux…