Edouard Garand (73 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 50-51).

CHAPITRE XVII

DERNIÈRES INTRIGUES


Lorsque De la Salle rencontra De la Durantais et le chevalier de Baugy et qu’ils lui intimèrent les commandements du gouverneur De la Barre, il leur avait donné une lettre pour Tonty, le priant de ne causer aucun trouble, nul ennui à ces deux officiers et de leur remettre la charge du fort. Cette lettre contenait aussi des directions relativement à ses engagés. De la Salle passait en France dans le plus bref délai pour faire corriger ses griefs et il mandait à Tonty de garder ses gens ensemble, de les occuper comme il le jugerait bon, et que pour lui, il espérait revenir bientôt muni de pleins pouvoirs pour ses entreprises du Sud-ouest.

Pendant quelque temps, les choses n’allèrent pas trop mal au fort Saint-Louis, et Durantais s’en alla à Michilimakinac laissant Baugy à sa place.

Un jour, deux de ses engagés vinrent trouver Tonty et lui dirent :

M. de Baugy nous offre un meilleur salaire pour travailler à son compte et nous voulons savoir si M. de la Salle reviendra. Sinon nous prendrons service ailleurs.

Tonty les rassura quant au retour de son supérieur.

Quelque temps après, d’autres se présentèrent devant le chevalier italien et annoncèrent que Dupayrous, — le valet de Baugy, — leur tenait des propositions alléchantes pour entrer au service du gouverneur-général.

Cela indigna Tonty qui courut chez Baugy se plaindre de la tentative d’embauchage de ses gens. On lui montra un papier signé par le gouverneur, spécifiant le rappel de Tonty à Québec, s’il cherchait noise à ses officiers. Tonty préférait demeurer au fort Saint-Louis afin de surveiller les intérêts de son chef, et il cessa de se récrier de l’injuste attitude du lieutenant Baugy.

Le 20 mars 1684, des Miamis, du village organisé par Tonty, sous la protection du fort, vinrent annoncer à Baugy l’approche d’un gros contingent d’Iroquois peints en guerre.

Aussitôt le commandant du poste fit venir Tonty et lui offrit la direction des affaires, car il connaissait mieux les tactiques indiennes. Tonty accepta.

C’était pour la défense commune.

Une grande excitation régnait parmi les villageois sous le fort. Il s’y rendit tout de suite et les rassura. Il en fit monter aux fortifications et envoya les autres dans l’Île au pied du rocher. La garnison pouvait les protéger efficacement avec ses mousquets.

Enfin, l’ennemi parut.

Tonty estima leur nombre à deux cents. Ils s’établirent en face de la pente conduisant au fort, mais hors de portée des armes à feu.

Peu après, un parlementaire Iroquois s’avança. Tonty envoya au-devant. On reçut le parlementaire à la porte de l’enceinte ; il expliqua son message : les chefs du parti iroquois demandaient qu’on leur livrât les personnes de MM. de la Salle et Tonty.

Ce fut Baugy qui répondit. Il était au côté de Tonty :

M. de la Salle n’est plus ici, et M. de Tonty que voici, vous ne l’aurez que lorsque vous prendrez le fort !

L’envoyé ennemi allait se retirer, mais Tonty l’arrêta, un soupçon lui venait à l’idée :

— Comment s’appellent vos chefs ?

— L’un, Cœur-Joli ; l’autre, le Rêveur !

— Eh bien ! dis-leur qu’ils n’auront jamais ceux qu’ils cherchent !… Gare à eux !…

L’Iroquois retourna aux siens et Tonty en peu de mots mit Baugy au courant des faits occasionnant les inimitiés de Jolicœur et Luigi.

La nuit venue notre chevalier fit descendre l’un de ses hommes jusqu’à la rivière. Celui-ci devait nager à l’Île, y prendre un canot et se diriger vers Michilimakinac avertir De la Durantais de ce qui se passait et lui demander secours.

Le lendemain, les assiégeants tentèrent un assaut ; ils furent repoussés avec perte. Alors, ils s’établirent autour du rocher ayant l’idée de réduire les Français par la famine. Tonty les laissa faire, mais deux jours après, il fondit sur eux impétueusement, leur causa beaucoup de mal, puis rentra au fort n’ayant que quelques blessés.

Il répéta la même chose le surlendemain.

La mêlée fut sanglante et Tonty y perdit beaucoup de monde. Il y fut blessé, mais non gravement. Cependant, il rentra au fort sans trop de confusion.

Le jour suivant, il fut très surpris de ne plus voir signe de vie dans le camp des Iroquois. Redoutant un piège ou quelque ruse, il envoya un éclaireur qui revint après une absence de quelques heures, rapportant que l’ennemi avait disparu. Aussitôt, Tonty alla visiter le campement abandonné, et il remarqua que les Iroquois avaient laissé beaucoup de choses en arrière, indice d’un départ précipité, une panique peut-être.

En visitant le champ de bataille, il reconnut parmi les morts les corps de deux hommes dont les traits n’avaient rien de commun avec les Iroquois. C’était évidemment ceux des deux chefs Jolicœur et Luigi. Il ne put s’en assurer. Il leur fit donner une sépulture convenable, à part de celle donnée aux autres tués.